Interview de M. Eric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique à France Info le 26 octobre 2010, sur l'essoufflement des mouvements contre la réforme des retraites, les relations avec les partenaires sociaux et le climat social.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral


 
 
R. Duchemin.-  Bonjour E. Woerth. 
 
Bonjour. 
 
Le travail reprend progressivement aujourd'hui, les éboueurs à  Marseille, également dans certaines raffineries. Ça veut dire que le  mouvement contre la réforme des retraites s'essouffle ? Vous avez  gagné ? 
 
Il n'y a pas de gagnant, je le dis depuis quinze jours, même au moment où  c'était le plus difficile, et je pense que c'est vrai, il n'y a pas de gagnant, il  n'y a pas de perdant. Les seuls gagnants c'est les retraités. C'est la réforme  du système des retraites. Dire que c'est facile de réformer des retraites, non,  c'est difficile de réformer des retraites. Penser qu'on peut réformer des  retraites sans conflit social, non, ce n'est pas possible non plus dans la  tradition sociale française. Et en même temps, on a entendu ce qui s'est dit  dans la rue, on a entendu ce qu'ont dit les organisations syndicales, mais  depuis le mois d'avril, on a eu un dialogue très très important avec les  organisations syndicales, contrairement à ce que je lis ici ou là. 
 
Les syndicats ne parlent pas de dialogue eux, ils parlent d'audition. 
 
Oui, mais c'est la même chose, enfin... Dialogue, audition, on s'est vus. On  s'est vus pendant longtemps. 
 
Eux disent ne pas avoir été entendus. 
 
Oui, mais ce n'est pas le projet de la CGT, ou ce n'est pas le projet de la  CFDT, c'est un peu ça que ça veut dire, c'est le projet du Gouvernement. Et  dans le projet du Gouvernement, il y a évidemment beaucoup de ce qui a été  apporté par les uns et par les autres. Je pense, par exemple, à la pénibilité,  car lorsque je vois des catégories professionnelles dire « on fait grève parce  qu'on ne prend pas compte de la pénibilité », c'est faux. On prend  évidemment en compte la pénibilité, au travers du système des accidents du  travail et des maladies professionnelles. On fait un lien entre un métier  pénible, des tâches pénibles, des facteurs d'exposition à des risques, et puis la  retraite, ce qui n'existe dans aucun autre pays. Et tout notre projet, et celui-là  est un projet réellement juste, humain, et puis efficace pour la retraite des  Français. 
 
Et vous craignez que les étudiants prennent le relais de cette  mobilisation ? Eux appellent à se mobiliser, à manifester aujourd'hui,  ils ne sont pas en vacances. 
 
Mais les étudiants doivent se mobiliser pour défendre ce projet des retraites,  parce que ce projet des retraites il assure, au fond, la retraite des étudiants.   Les étudiants qui aujourd'hui... 
 
Ils n'ont pas la même lecture que vous ! 
 
Oui, parce qu'il y a des étudiants extrêmement politisés, mais si on prend  l'ensemble des étudiants, qui ne font pas nécessairement de la politique, qui  essayent de regarder les choses objectivement, qui n'en font pas un combat si  vous voulez, politique, mais qui regardent le projet tel qu'il est, le projet c'est  la réforme des retraites pour faire en sorte que les retraites soient durables,  qu'on arrive à payer des retraites dans 10 ans, dans 15 ans, aux Français. Et  les jeunes ils sont concernés. Parce que le jeune actif qui rentre, l'étudiant qui  a fini ses études et qui rentre sur le marché du travail, s'il doit payer la  retraite de son père, de son grand-père, de sa grand-mère et de ses arrière-grands-parents, à un moment il peut tout juste pas vivre. Et si on veut qu'il ait  un système de retraite quand il l'a prendra, dans 30 ou 40, ou 42 ans, eh bien  il faut évidemment que ce système il évolue. Donc c'est vraiment une  réforme pour les jeunes. Si on ne change pas le système de retraite, il n'y  aura plus de retraite pour les jeunes, et les retraites elles seront moins  généreuses pour les jeunes. Donc c'est vraiment une réforme qui est tournée  vers les jeunes. 
 
Une nouvelle journée d'action intersyndicale est prévue jeudi, vous la  voyez comment ? C'est un nouveau test ou c'est une journée inutile,  puisque d'ici là le texte sera très probablement déjà voté par le  Parlement ?
 
 Tout à l'heure, en quittant votre station, je vais au Sénat, où le Sénat va voter  ce texte, dernière ligne droite... 
 
Et demain à l'Assemblée. 
 
Et puis demain... le débat aura lieu cet après-midi ou ce soir à l'Assemblée,  et demain vote à l'Assemblée, donc il y aura une loi. Après la loi, ce n'est pas  la même chose qu'avant la loi. Dans une démocratie, on doit respecter nos  institutions. La démocratie c'est, au fond, la loi de la majorité, la majorité  issue des urnes. Cette loi elle a été travaillée comme jamais, on a passé des  centaines d'heures à l'Assemblée et au Sénat, on a passé des centaines  d'heures à discuter avec les organisations syndicales, pour la préparer, tout  cela a été fait très sérieusement, avec, je pense, beaucoup, beaucoup  d'ouverture, mais en même temps beaucoup de fermeté, parce que, comme  c'est difficile... ça serait trop facile, au fond de, à chaque fois, revenir sur ce  qui a été dit, ça ne sera pas le cas. On est très fermes, on est très déterminés,  et le mouvement qui prend sa place, après le vote de la loi, ne peut pas être le  même que celui d'avant le vote de la loi. Les syndicats sont responsables, ils  font partie de cette démocratie politique, de cette démocratie sociale, on doit  tenir compte, évidemment, du vote d'une loi. 
 
Et cette journée ne pourra rien changer donc ? Cette journée de jeudi. 
 
Non, elle ne changera rien à la réforme des retraites. Et d'ailleurs, ça ne sert  à rien aujourd'hui de faire grève contre les retraites, parce que d'une certaine  façon, quand on fait grève, c'est qu'on fait grève contre toute évolution du  système de retraite. Et ça c'est un tort, c'est un tort pour ses propres enfants,  et c'est un tort pour soi-même. On doit accepter de faire un effort pour les  retraites. Tous les pays l'ont fait, les Danois ils partent à 67 ans, les Anglais à  66 ans, les Allemands à 67 ans, nous on a fait en sorte que les Français ils  puissent partir à 62 ans. Donc c'est une réforme extrêmement... enfin, pas  brutale, c'est une réforme nécessaire et, en même temps, raisonnable. 
 
E. Woerth, quelle lecture faites-vous de cette mobilisation qui dure  maintenant depuis plusieurs mois ? Quelles leçons peut-on tirer de  cette mobilisation pour éventuellement les réformes futures, les  prochaines négociations ? 
 
C'est d'abord difficile de réformer nos systèmes sociaux, parce qu'ils sont au  coeur de notre pacte social, de notre démocratie, chacun y tient, et le  président de la République a eu beaucoup de courage, et en même temps, je  pense, a forgé son image d'homme d'Etat en faisant cette réforme, parce  qu'elle est absolument nécessaire. On ne peut pas aller dans une fuite en  avant sur la réforme des retraites. Moi j'en tire la conséquence qu'on doit, on  devrait, entre partis notamment, politiques, avoir un consensus sur l'essentiel,  sur les fondamentaux. J'ai essayé de le faire avec le Parti socialiste, en disant,  en réalité : voilà, il n'y a pas d'autre solution dans une réforme des retraites  que de changer l'âge de la retraite. On peut essayer de contourner dans tous  les sens comme on veut, et jamais aborder le social, mais on doit pouvoir le  faire. 
 
Mais sur le dialogue social en lui-même, pour les prochaines réformes.
 
Mais le dialogue social il a eu lieu madame, sauf qu'il n'y a pas eu de  négociations, je voudrais juste dire cela - mais nous l'avons dit dès le mois  d'avril - il n'y a pas eu de négociations en accord avec les organisations  syndicales, parce que les organisations syndicales ne souhaitaient pas qu'on  discute de l'âge de la retraite, de l'allongement de l'âge de la retraite. Donc  nous avons dit, nous allons discuter de tout le reste, et l'âge de la retraite,  vous ne voulez pas en discuter, on le met de côté. Mais dès le mois d'avril,  les choses ont été très claires là-dessus, et le dialogue il a eu absolument lieu,  et il continue. Les ponts n'ont jamais été rompus avec les organisations  syndicales, heureusement, évidemment. 
 
Puisqu'on parle de négociations justement, la prochaine étape, selon F.  Chérèque, le leader de la CFDT, c'est la négociation sur l'emploi des  jeunes et des seniors, et hier soir, lors de l'émission « Mots croisés » sur  France 2, il a reçu le soutien de la présidente du MEDEF, L. Parisot. Je  vous propose de les écouter. 
 
F. Chérèque : La meilleure chose qu'on a à faire, puisque c'est central,  qu'on ouvre une négociation entre le patronat, les organisations syndicales,  sur l'emploi des jeunes, l'emploi des seniors. Je crois qu'on ne peut plus y  louper. La responsabilité des entreprises est engagée. Le patronat a voulu  cette réforme, leur responsabilité est engagée, il faut absolumentmaintenant, rentrer dans les négociations sur l'emploi des jeunes, l'emploi  des seniors, c'est une urgence. 
 
L. Parisot : Je voudrais dire à F. Chérèque que je suis d'accord. 
 
C'est ça la prochaine priorité du ministre du Travail ? 
 
Oui. Je me suis aperçu qu'au moment de ce débat sur les retraites, que  c'était un débat en fait social global. Quand vous parlez de la retraite, vous  parlez de l'emploi des seniors, évidemment, vous parlez de l'emploi des  jeunes. Les jeunes ont peur que, parce qu'il y a des seniors qui vont rester  dans l'emploi, ça va leur prendre un emploi. C'est faux. C'est la croissance  qui crée l'emploi des jeunes. Et quand il y a beaucoup d'emplois des seniors,  il y a en général beaucoup d'emplois des jeunes, c'est ce qui se voit dans  d'autres pays. Mais ça fait peur. C'est aussi un débat sur les femmes sur le  marché du travail... 
 
Donc il faut ouvrir une négociation sur ce sujet ? 
 
Il y a eu ce débat extraordinaire, il y a eu le débat sur la santé au travail, donc  c'est un débat social global, les retraites. Et à partir de là, on s'aperçoit...  c'est révélateur au fond. Et donc c'est une très bonne chose qu'on puisse,  évidemment, négocier sur l'emploi des seniors et des jeunes, car c'est une  des plaies françaises d'avoir un emploi des seniors plutôt plus faible  qu'ailleurs, et en même temps un emploi des jeunes aussi plus faible  qu'ailleurs, avec des difficultés d'entrer sur le marché du travail. 
 
Hier soir J.-C. Mailly, secrétaire général de Force Ouvrière, disait que  le vrai ministre du Travail ce n'était pas vous, c'était R. Soubie, le  conseiller social de N. Sarkozy. Tout se passe à l'Elysée, a-t-il dit. Vous  avez eu l'impression de ne pas avoir les mains libres dans ce dossier des  retraites ? Vous l'assumez à 100% cette réforme ? 
 
Mais la réforme des retraites c'est moi. L'ensemble des propositions qui ont  été faites, ont été faites par le ministère du Travail. Il y a eu un travail très  étroit avec R. Soubie, puisqu'il est le conseiller social du Président et homme  évidemment d'une grande expérience dans ce domaine. Et puis, in fine, c'est  le président de la République qui a tranché sur tous ces aspects. Nous avons  eu des dizaines de réunions, un travail considérable qui a été mené depuis  plusieurs mois, et c'est comme ça que cela s'est passé, il ne faut pas raconter  d'histoires autrement. 
 
Donc, cette réforme, c'est la vôtre, vous l'assumez à 100% ? 
 
C'est la mienne. Je suis ministre du Travail, j'ai fait toutes les propositions  que nous devions faire, nous avons reçu l'ensemble des organisations  syndicales et des partis politiques, tout ça en liaison avec l'Elysée, puisque, in  fine, c'est le président de la République. Parce que c'est une réforme qui  concerne tous les Français, il est normal que ce soit le Président lui-même qui  à un moment donné tranche. Ce qui a été fait au fur et à mesure du temps,  depuis le mois de mai jusqu'au début du mois de septembre, puisqu'on a  beaucoup, beaucoup travaillé sur tous les aspects. 
 
Merci beaucoup E. Woerth, ministre du Travail. 
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 8 novembre 2010