Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Comme j'ai pu l'évoquer rapidement dans mon propos d'ouverture, la situation des pays pauvres, singulièrement en Afrique, reste préoccupante. La pauvreté et le retard de développement, ce ne sont pas seulement l'écart que l'on constate entre les échanges ou la fuite des cerveaux, c'est aussi l'isolement, la relégation, souvent l'oubli. Malgré nos efforts aux uns et aux autres, une spirale de l'inégalité s'est créée. En 25 ans, la richesse par tête a augmenté de 70 % dans les pays industrialisés, elle n'a progressé que de 6 % dans les pays les moins avancés : le résultat est que près de la moitié de l'humanité vit avec moins de 2 dollars par jour. Dans nombre de pays d'Afrique minés par les épidémies et particulièrement le fléau du SIDA, l'espérance de vie s'est réduite: elle n'est que de 51 ans contre 77 dans les pays occidentaux. Sur ce continent, un enfant sur 7 meurt avant l'âge de 5 ans. Un monde unifié peut aussi être un monde inégal. Un monde injuste est un monde dangereux.
Devant ce constat et après 40 années d'efforts d'aide publique au développement, l'heure n'est pourtant pas à la résignation et au fatalisme. D'abord, parce qu'humainement nous n'en avons pas le droit. Ensuite, si les technologies évoluent chaque jour plus vite, si les capitaux et les biens circulent toujours plus rapidement laissant malheureusement encore trop souvent au bord du chemin les populations les plus pauvres, je sens comme vous que surgissent de nouvelles énergies, que se diffusent des idées neuves dans la société civile, au sein des banques multilatérales et dans les agences de développement. Dans vos pays, des équipes dirigeantes issues d'élections démocratiques sont déterminées à gérer efficacement les affaires publiques et à relever les défis qui les attendent : croître plus vite dans un monde multipolaire, lutter efficacement contre la pauvreté, contribuer au développement durable, éradiquer les maladies. J'ai relevé avec intérêt que le directeur général du FMI et le président de la Banque Mondiale retiraient un sentiment similaire de leur récent périple sur le continent africain. La France plaide depuis plusieurs années pour que la part des financements internationaux accordée à l'Afrique soit augmentée et je ne doute pas que MM. Köhler et Wolfensohn soient amenés à partager ce point de vue après les entretiens qu'ils ont eus avec vous. Ainsi, c'est avec le souci de tirer profit de cet élan, avec la volonté de bâtir une croissance réellement solidaire et de contribuer à la sécurité économique, que nous devons travailler ensemble ici même à Abidjan et à la fin de la semaine à Washington.
Concernant notre zone Franc, au moins 5 thèmes peuvent intéresser nos débats : la recherche d'un environnement économique stable et efficace, la prochaine mise en place de l'euro pratique, l'adaptation de nos modes de gestion publique, le développement du commerce international, la prise en compte plus systématique par les institutions internationales des aspects sociaux et particulièrement de la lutte contre la pauvreté dans la définition de leurs stratégies. Je les aborderai brièvement.
La première condition de la croissance, c'est la confiance, nous savons tous qu'elle résulte d'une alchimie spéciale : une chose est sûre, c'est qu'un environnement économique stable est un préalable. Cela s'applique au niveau macroéconomique, tant il est vrai que le désordre des finances publiques ou le dérapage des prix préparent toujours le désordre de l'économie et l'aggravation des conflits de répartition. Les revues conjoncturelles auxquelles nous procédons entre nous, entre pairs, sont à cet égard un exercice utile auquel nous devons prêter la plus grande attention. La même exigence de stabilité, de sécurité s'applique au plan micro-économique pour assurer la sécurité des contrats ou garantir la protection de l'épargne. Dans ce sens, je souhaite porter à votre connaissance que l'AFD et sa filiale Proparco ont l'intention de mettre en place des systèmes de garanties pour mieux canaliser l'épargne locale vers le financement de projets. Un même principe pourrait être appliqué pour garantir, dans des conditions appropriées, des émissions souveraines de manière à développer le marché obligataire. Il me paraît en effet légitime - et c'est une idée sur laquelle je veux insister - que l'épargne africaine puisse de plus en plus revenir aux Africains et non, par exemple, servir à financer la dette publique des pays de l'OCDE. Nous devons aussi mieux sécuriser le droit des affaires. A Ouagadougou, nos prédécesseurs avaient initié le traité OHADA dans le but de créer un droit des affaires unifié dans la zone. La Cour de justice du traité achève de se mettre en place et c'est une bonne nouvelle puisqu'elle devra veiller au respect de ce droit partout dans la zone. Enfin, si vous en êtes d'accord, nous pourrions engager une négociation pour un accord régional sur l'investissement afin d'assurer une protection homogène des investissements à l'intérieur de la zone. Je vous propose de constituer à cette fin un groupe de travail qui nous remettra un premier projet lors de notre prochaine réunion à Paris en septembre.
L'euro est désormais la nouvelle dimension monétaire de la zone franc. Le passage aux pièces et aux billets en euro se fera d'autant plus en douceur pour vos économies que les francs CFA resteront leur devise au quotidien. Pour éviter les à-coups, les trois banques centrales de la zone veilleront, avec le soutien de la Banque de France, à garantir la convertibilité des francs CFA. C'est un engagement que j'ai déjà pris devant vous et que je confirme. Le socle monétaire de vos économies sera ainsi renforcé grâce à l'arrimage à l'euro devenu la monnaie de 300 millions de citoyens et de consommateurs européens.
Il n'y a pas de développement réussi sans de bonnes méthodes de gestion dans le secteur public comme dans le secteur privé. Chaque avancée pour améliorer l'équilibre des pouvoirs, la responsabilité des dirigeants, la transparence et le dialogue renforce les chances d'une croissance durable. Nous sommes tous, ici, attachés à promouvoir une bonne gouvernance, c'est-à-dire une gestion saine des affaires publiques. Nous essayons de nous l'appliquer à nous-mêmes. Deux actions concrètes illustrent cette détermination. En matière de lutte contre la délinquance financière, les travaux du GAFI ont bien avancé, il est important que vous puissiez vous doter d'une législation contre le blanchiment des capitaux avant un examen de vos pays par les experts du GAFI. Une approche plus moderne de l'assistance technique dans les domaines économiques et financiers me semble également nécessaire : les experts de mon ministère devront progressivement effectuer sans doute moins de missions de longue durée mais venir auprès de vous sur des sujets spécifiques et concrets pour des durées plus courtes.
Dans le domaine commercial, l'ouverture internationale est indispensable pour soutenir la croissance et multiplier les débouchés pour les pays de la zone Franc. L'Union européenne vient de donner l'exemple en ouvrant sans limite et sans droit de douane ses frontières à tous les produits des PMA. Je me réjouis que nous ayons trouvé une bonne solution qui permette d'approfondir ce qui avait été amorcé avec les conventions de Lomé et de Cotonou. A Washington et au G7, cette semaine, avec nos collègues européens, nous devrons unir nos efforts pour que les autres pays industrialisés suivent cette même voie. De votre côté, je crois qu'il faut parvenir à stimuler, à rendre plus actives les deux zones régionales de libre échange que nous avons tracées ensemble dans l'accord de Cotonou et dont je salue le rôle pionnier. Mais je suis aussi sensible aux difficultés qui accompagnent l'ouverture commerciale. C'est pourquoi la France apportera une assistance technique spécifique à la politique commerciale dans le cadre intégré pour les PMA. D'autre part, l'ouverture commerciale ampute, dans un premier temps, les recettes douanières qui peuvent représenter une part importante du budget des États. Je demanderai donc aux services du FMI de réfléchir à la mise en place d'une " facilité " qui permettrait de compenser partiellement ces pertes de recettes. Cet ensemble constituera un tout cohérent propre à encourager l'ouverture commerciale sans laquelle il n'y a pas d'innovation et de croissance.
Il n'y a pas de modernisation économique réussie sans cohésion sociale renforcée : la lutte contre la pauvreté doit être le pivot de nos stratégies. C'est ce qui a inspiré la réflexion menée avec mon ami le ministre Charles Josselin pour donner sa forme opérationnelle au volet bilatéral d'annulation de la dette. Les " contrats de désendettement et de développement " que nous établirons privilégieront quatre orientations : l'éducation de base et la formation professionnelle, la santé et les grandes endémies, l'équipement et les infrastructures des collectivités locales, l'aménagement du territoire et la gestion des ressources naturelles. J'ai noté avec intérêt la récente proposition du professeur Jeffrey Sachs consistant à convertir la dette des pays les plus pauvres en fonds destinés à lutter contre le SIDA et les autres maladies. Je me réjouis de voir que ces idées avancent puisque c'est exactement la philosophie dont s'inspire notre pays.
Grâce à l'initiative dite PPTE, les pays en développement sont ainsi, nous l'espérons, en train de sortir de l'impasse de la dette. La France contribue beaucoup à cette dynamique puisque l'enjeu pour nous se monte à 10 MdsT. Sur la seule zone Franc, ce sont 4 000 MDSF CFA qui seront annulés. La très grande majorité des pays de la zone franc bénéficient déjà ou bénéficieront de ce très important effort d'allégement de la dette. Néanmoins, tous les pays ne sont pas encore parvenus au fameux " point de décision " qui permet l'enclenchement des mesures d'annulation. La France est prête à se mobiliser en apportant aux pays de la zone qui le souhaitent une assistance technique pour qu'ils y parviennent au plus vite. Cet appui peut vous faire gagner du temps et constitue un complément à l'indispensable poursuite des efforts d'assainissement économique et financier.
Pour que ces efforts - indispensables mais coûteux - ne soient pas contradictoires avec notre objectif de lutte contre la pauvreté, nous devons trouver les moyens de " sanctuariser " la santé et l'éducation dans les programmes d'ajustement structurel afin d'éviter que l'emporte le " moins disant social " dans les pays en crise. Un pays ne saurait renoncer à toute perspective sociale faute de capacités de remboursement suffisantes. C'est un principe qui a été retenu lors de la récente conférence de Dakar sur l'éducation universelle et auquel la France est particulièrement attachée. Ma proposition consiste sur ce point à ce que les Banques multilatérales de développement puissent intervenir dans les pays les plus endettés sous forme de dons pour les secteurs sociaux fondamentaux.
Nos stratégies doivent enfin, au XXIe siècle, s'inscrire dans une perspective de développement durable, l'environnement étant désormais reconnu comme un véritable patrimoine mondial. Nous rejetons à cet égard la myopie et l'unilatéralisme avec lesquels je crains que la nouvelle administration américaine ne se soit saisie de ce dossier. L'économie, la technologie doivent être mises au service des générations futures plutôt que de se développer au mépris du respect de l'atmosphère, des écosystèmes et de la biodiversité. Je suis à cet égard un militant de l'écodéveloppement. C'est pourquoi nous soutiendrons, au sein de l'Union européenne, la poursuite du processus de Kyoto.
L'écodéveloppement, c'est aussi, pour revenir au plus près des réalités humaines que nous connaissons, une gigantesque lutte engagée contre les maladies qui ravagent le continent : 7 nouveaux cas de SIDA sur 10 sont déclarés en Afrique, où la sécurité et la stabilité elles-même dépendent de la santé des populations. La santé est un bien public international primordial et, en matière de sécurité sanitaire, aider l'autre, c'est s'aider soi-même. L'heure est à l'action et à la solidarité, comme je l'ai déjà proposé l'an dernier à Prague. Mobiliser les ressources de la Banque Mondiale, coordonner son action avec tous les partenaires que sont ONUSIDA, l'OMS et les ONG, assurer pour tous l'accès aux molécules essentielles, diffuser partout des outils de prévention, voilà l'urgence. La recherche de vaccins et l'élaboration de traitements adaptés progressent, les fonds nécessaires peuvent être rassemblés : il y a des raisons d'espérer. Pour ce qui concerne la France, je souhaite proposer prochainement au Parlement français un mécanisme d'incitation fiscale pour encourager la recherche sur les maladies qui touchent gravement le continent africain.
Quant à l'accès à l'eau potable, dont on sait qu'elle est rare et mal distribuée à l'échelle de la planète, c'est une urgence manifeste. L'AFD et les outils bilatéraux français interviennent déjà très activement dans ce secteur. Notre action doit être et sera renforcée pour devenir un axe stratégique de l'APD.
Mesdames et Messieurs, Chers Collègues, vous le savez, c'est toujours avec émotion, conviction, volontarisme qu'un ministre français s'exprime en Afrique et singulièrement ici à Abidjan. C'est pourquoi j'ai souhaité vous faire part de quelques suggestions, de quelques propositions, afin de bâtir ensemble une croissance plus harmonieuse et plus solidaire entre nous. Ce matin, entre experts et économistes, nous avons légitimement parlé de conjoncture et abordé les réformes de structures. Mais, au sein de la zone Franc, nous sommes aussi entre partenaires et entre amis. Nous avons des valeurs en partage : solidarité, développement, coopération. Une Afrique qui va bien, c'est davantage de sécurité économique pour la planète. C'est davantage de fraternité. C'est sous ce signe de la fraternité que je suis heureux d'être à vos côtés.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 27 avril 2001)