Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "Europe 1" le 1er décembre 2010, sur le sommet Europe-Afrique, la situation en Côte d'Ivoire avant la proclamation des résultats de l'élection présidentielle, le sort des otages, l'aide apportée à Haïti.

Prononcé le 1er décembre 2010

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Q - Vous êtes rentrée cette nuit de Libye, du Sommet Europe-Afrique. La France passe-t-elle en tête de ses priorités l'Europe et l'Afrique, c'est-à-dire le développement économique et la sécurité, c'est-à-dire la lutte contre le terrorisme d'Al Qaïda qui progresse en Afrique aussi ?
R - Il est évident que le lien entre l'Europe et l'Afrique est de plus en plus étroit. Nous partageons, finalement, les mêmes risques, même si nous ne nous en apercevons pas toujours ici. Vous l'avez dit, le risque terroriste existe, parce que AQMI, la branche maghrébine d'Al Qaïda, est présente. Et malheureusement, vous le savez, nous avons aussi des otages là-bas et je pense tout particulièrement à eux.
Mais nous partageons également d'autres risques : le risque environnemental, le trafic de drogue, le risque pour les matières premières dont nous avons besoin pour nos industries. Il est évident que la sécurité et la stabilité de l'Afrique a, et aura de plus en plus un impact direct sur l'Europe, de la même façon que l'Europe doit aussi aider les Africains eux-mêmes à prendre en charge leurs problèmes.
Q - Les dirigeants africains que vous avez vus à Tripoli en Libye vous l'ont-ils dit ? Ont-ils cette inquiétude ? Sentent-ils cette menace ?
R - Tout à fait. C'était d'ailleurs au coeur de ce Sommet Union européenne-Afrique. L'ensemble des problèmes ont été abordés, y compris d'ailleurs les problèmes alimentaires et les problèmes de l'eau, parce que vous n'aurez pas de stabilité, notamment en Afrique, tant que vous n'aurez pas réglés ces problèmes.
Q - C'est vous qui avez évoqué - mais très rapidement - les otages. Je sais que sur les otages d'Afghanistan, et les 7 du Mali, vous préférez ne rien dire, mais est-ce qu'ils sont encore en vie ?
R - Oui, d'après les informations que nous avons. Notre préoccupation majeure est de pouvoir les faire libérer le plus rapidement possible.
Q - Aucun ne sera oublié ? Aucun n'est oublié ?
R - Aucun n'est oublié, au quotidien. J'y pense tous les jours et nous travaillons tous les jours, au Quai d'Orsay, sur ce sujet. C'est également une préoccupation première du président de la République qui a eu l'occasion de le manifester.
Q - Confirmez-vous, Mme Alliot-Marie, la défaite du président sortant non élu, Laurent Gbagbo, en Côte d'Ivoire ?
R - Ce n'est certainement pas à moi qu'il revient de dire ce que sont les résultats en Côte d'Ivoire. Il y a une commission électorale indépendante, dont je tiens d'ailleurs à souligner le travail remarquable.
Q - Et les difficultés qu'elle a à le faire...
R - Les résultats doivent être publiés aujourd'hui. Il était d'ores et déjà prévu que les résultats devaient être publiés dans les trois jours. Cette publication doit donc intervenir aujourd'hui. Ce que j'espère franchement, c'est que la Côte d'Ivoire, qui a toujours été un modèle de démocratie en Afrique, permettra effectivement de conserver, voire de relancer cette image.
Q - La France et les pays africains réclament la publication des résultats, c'est une évidence, mais aussi le respect de la décision qui sort des urnes ?
C'est une évidence en démocratie ; la démocratie c'est de respecter la volonté du peuple telle qu'exprimée à travers le vote.
Q - Et les ressortissants français à Abidjan en Côte d'Ivoire, ils sont 15.000 à peu près. Il paraît qu'ils sont inquiets devant des risques d'une nouvelle tension. Ce matin leur dites-vous quelque chose qui les rassure ?
R - Pour l'instant, nous n'avons pas de raison majeure de nous inquiéter. Il n'y a pas de menace directe qui pèse sur eux. Pour autant, et c'est aussi notre responsabilité et ma responsabilité de ministre des Affaires étrangères, nous sommes effectivement en alerte. S'il y avait le moindre risque, nous sommes en état, par le biais de l'ambassade, mais également aussi par le biais des forces françaises qui se trouvent à proximité, dans le cadre de l'ONU, d'intervenir pour protéger les personnes.
Q - Vous ne donnez pas les résultats, Michèle Alliot-Marie, mais la rumeur...
R - Non, encore une fois je n'ai pas de compétences pour donner ces résultats.
Q - La rumeur c'est avantage à A. Ouattara...
R - Je ne ferai pas de commentaire en la matière. C'est la commission indépendante qui doit donner les résultats tels qu'elle les a.
Q - WikiLeaks : Hillary Clinton, qui était embarrassée, paraît-il, vous a-t-elle prévenue ?
R - Oui, absolument, j'ai eu un entretien téléphonique avec Hillary Clinton à la fin de la semaine dernière. Je crois que c'était vendredi, juste avant que je parte pour le Sommet de Tripoli.
Q - Qu'a-t-elle fait ? Présente-t-elle des regrets ?
R - Elle est très ennuyée. Je lui ai affirmé notre solidarité en la matière. Ce qui s'est passé est complètement irresponsable. C'est une atteinte à la souveraineté des Etats. C'est également une atteinte à la confidentialité nécessaire d'un certain nombre d'échanges. Cela fragilise les relations internationales et, qui plus est, cela peut mettre en danger un certain nombre de personnes. Il ne s'agit pas simplement d'informations qui peuvent amuser la presse, sur les relations entre tel ou tel, il faut voir que dans un certain nombre de pays, la divulgation de ces documents peut avoir des conséquences très directes sur des personnes dont les propos sont ainsi révélés.
Q - En plus, WikiLeaks rappelle qu'il n'a pas tout publié, parce qu'il y a eu un tri. Alors qu'est-ce que c'est ou qu'est-ce que ça doit être...
R - En tous cas, Hillary Clinton m'a affirmé que des investigations étaient en cours, qu'il y aurait des poursuites et qu'elle souhaitait qu'il y ait des sanctions sévères, ce que je ne peux qu'approuver.
Q - WikiLeaks préconise la transparence, sait-on qui les inspire, qui les finance ?
R - Non, et d'ailleurs c'est aussi une préoccupation. Je ne comprends pas cette action totalement irresponsable, dans un monde fragile, en mouvement, où il y a un certain nombre de tensions. C'est irresponsable également à l'égard des personnes. Alors, qu'est-ce que c'est ? Est-ce que c'est un jeu de quelqu'un d'irresponsable ? Est-ce qu'il y a d'autres préoccupations derrière ? C'est en tous les cas quelque chose que je condamne très fermement.
Q - Cela veut-il dire que vous vous demandez qui cela sert ?
R - On pourrait effectivement se poser une telle question.
Q - Faut-il des règles et des limites à la transparence, selon vous ?
R - Non. Simplement, ce que je dis, c'est que la relation entre des pays - surtout quand il s'agit de traiter des sujets difficiles - implique un minimum de confiance. Quelle confiance voulez-vous qu'il puisse y avoir si tout ce qui est dit, les analyses qui sont faites - alors qu'il peut s'agir simplement de tests : on teste une idée, etc. - se retrouvent sur la place publique ?
Q - Cela veut dire que les diplomates devront tenir leur langue, même si elle est fleurie, et est-ce qu'il y a encore, ou il y aura encore des secrets diplomatiques ? Ou alors vous vivez en pensant que tout est surveillé, contrôlé ?
R - Attendez. Je crois qu'il ne faut pas non plus fantasmer. Le domaine diplomatique n'est pas le domaine des petits secrets. Le domaine diplomatique est un domaine dans lequel on essaie d'avancer pour régler des conflits, pour éviter des conflits, pour faire en sorte que le monde qui est en train de se créer sous nos yeux, qui change considérablement et qui court un certain nombre de risques, puisse avancer avec le moins de dégâts possible pour les pays et pour les personnes.
Q - Michèle Alliot-Marie, Haïti vit une élection présidentielle sous tensions. En principe, il y aura un deuxième tour. Et, en même temps, le choléra frappe. Encouragez-vous des personnels de santé, des médecins sans frontières, à aller soigner sur place des populations frappées par toutes sortes de maladies terribles et mortelles ?
R - Oui. La France essaie d'aider Haïti, pays avec lequel nous avons beaucoup de liens. Pour combattre cette très difficile épidémie de choléra, nous avons envoyé non seulement des médecins - notamment un pédiatre spécialiste de ces questions -, mais aussi des infirmiers et beaucoup de médicaments. J'ai eu un contact, la semaine dernière, avec le Premier ministre haïtien. Je lui ai annoncé ces envois qui ont été faits le lendemain même. Nous avons par ailleurs aussi parlé des enfants en cours d'adoption...
Q - Sur l'adoption, va-t-on les faciliter ? Va-t-on voir les 300, 350 enfants, qui sont attendus par leurs parents, revenir en France ?
R - Le Premier ministre haïtien, au cours de notre conversation, a accepté qu'il y ait un échange de lettres valant échange intergouvernemental. Cela devrait nous permettre, après que l'on ait vérifié que ces enfants sont en bonne santé - c'est la raison pour laquelle j'ai envoyé une équipe médicale spécialisée dans ce domaine - de les faire rentrer dans les prochaines semaines ; j'espère avant la fin de l'année.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 décembre 2010