Déclaration de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, sur les priorités de la construction européenne dans un contexte de crise.

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Circonstance : Préparation du Conseil européen, audition devant la commission des affaires européennes du Sénat, le 7 décembre 2010

Texte intégral

Monsieur le Président de la Commission des affaires européennes du Sénat,
Cher Jean Bizet,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je suis très honoré de m'exprimer devant vous trois semaines après que le président de la République m'a confié la responsabilité des affaires européennes auprès de Michèle Alliot-Marie.
Je veux travailler en étroite relation avec vous car je suis convaincu de la nécessité d'une concertation avec le Parlement sur les sujets européens, comme est également importante une coopération renforcée entre les parlements nationaux et le Parlement européen, «une coopération dans le respect des responsabilités de chacun», pour reprendre les mots de Jean Bizet. Le Sénat joue un rôle majeur dans l'élaboration d'une stratégie européenne efficace : en témoigne le rapport qu'Hubert Haenel a rendu sur le sujet en 2009.
Aujourd'hui, je vous présenterai les principaux éléments du prochain Conseil européen, mais d'ores et déjà, j'aimerais vous exposer mes premières orientations.
Je suis animé par deux convictions fortes :
- la première, c'est que nous ne sortirons de la crise que tous ensemble. L'Europe traverse une phase difficile, mais nous avons de vraies opportunités à saisir en nous appuyant sur l'élan de la Présidence française de l'Union européenne. La Présidence française du G 8 et du G 20 peut aussi nous y aider.
- ma deuxième conviction, c'est que nous avons encore plus besoin de l'Europe après la crise qu'avant la crise, car l'Europe doit être notre meilleur bouclier et notre meilleure épée.
Ma première priorité est donc de renforcer le travail collectif et c'est pourquoi, dès ma nomination, je me suis rendu auprès de la Commission européenne et du Parlement européen à Strasbourg, que je soutiens comme capitale parlementaire de l'Union européenne. Il ne faut pas opposer l'action intergouvernementale et la méthode communautaire. Notre défi est de réussir l'articulation entre les deux, telle que l'incarne le Conseil européen. L'Europe doit mobiliser les différentes institutions de l'Union.
Ensuite j'ai commencé à nouer des contacts avec les autres Etats membres pour établir des relations de confiance. Au lendemain de ma nomination, je me suis rendu à Berlin pour m'entretenir avec mon homologue Werner Hoyer. Notre relation avec l'Allemagne est le socle de notre action en Europe, mais c'est une relation sans exclusive, car nous devons associer l'ensemble de nos partenaires en fonction des sujets. Comme je crois beaucoup aux contributions que peuvent apporter les nouveaux Etats membres, je me suis entretenu avec mon homologue polonais et je suis allé à Budapest pour préparer la prochaine présidence hongroise. Lors de ces différentes entrevues, j'ai pu constater combien la France est attendue. Lorsque la France se mobilise en Europe, l'Europe bouge.
Ma deuxième priorité consiste à démontrer que l'Europe protège. L'Europe ne doit pas apparaître seulement comme le bras armé de la dérégulation. L'Europe d'après la crise ne peut pas être l'Europe d'avant la crise. Il y a de nouvelles orientations à dessiner.
Tout d'abord, le premier objectif de cette priorité pour l'après-crise, c'est la consolidation de l'Europe qui protège. L'Union européenne doit accompagner les différents Etats membres, en ne laissant personne sur le bord du chemin. Notre réactivité à soutenir l'Irlande prouve que nous en sommes capables. Mais, pour protéger, l'Europe ne doit pas seulement réagir. Elle doit aussi agir en amont : pour améliorer la surveillance des grands équilibres économiques, pour élaborer une véritable politique industrielle ; pour renforcer la réciprocité de nos échanges commerciaux avec nos grands partenaires mondiaux ; mais aussi pour assurer les bases de la croissance, en protégeant mieux la propriété intellectuelle et en facilitant l'exploitation des brevets en Europe. Pour soutenir l'innovation, je me suis mobilisé pour faciliter la recherche d'une solution sur le brevet de l'Union européenne. Pour protéger, nous devons également renforcer l'action extérieure de l'Union européenne. La France doit prendre toute sa part à la mise en place du Service européen d'action extérieure.
Quant au deuxième objectif, il consiste à assurer la crédibilité des processus d'élargissement et des politiques de libre circulation des personnes. C'est la condition d'une vision apaisée de nos frontières. Mais nous ne pouvons réduire le processus d'élargissement ou les politiques de visas à un outil de communication ou à une variable d'ajustement. Tout en continuant à encourager les pays candidats, nous devons nous montrer exigeants.
Enfin mon troisième objectif est de faire que l'Europe montre l'exemple en étant plus efficace et en dépensant mieux. En cette période où tous les Etats européens prennent des mesures drastiques pour redresser leurs finances publiques, l'Union ne peut s'exonérer de tout effort. Mais maîtriser les dépenses ne signifie pas revoir à la baisse les ambitions européennes. Cela implique au contraire de dépenser mieux, notamment en simplifiant certains dispositifs de versement des aides européennes.
J'en viens maintenant au prochain Conseil européen qui doit nous permettre de faire avancer les priorités de cette feuille de route. Politiquement, il est important de montrer que l'Europe est résolument en état de marche.
Commençons par la politique économique. Il va s'agir de mettre en oeuvre les orientations agréées lors de la réunion des 28-29 octobre. A ce titre, la mise en place d'un mécanisme pérenne de gestion des crises montre que l'Europe veut se doter de moyens pour se protéger et pour préparer l'avenir. Je me réjouis que l'Eurogroupe ait trouvé un accord sur les contours du futur mécanisme européen de stabilité. Le Président Sarkozy a mené d'intenses consultations pour y parvenir. Herman Van Rompuy soumettra au Conseil européen une proposition de révision du traité tenant compte des travaux de l'Eurogroupe.
Sur la gouvernance économique, le Conseil européen a endossé les conclusions du groupe Van Rompuy. Le Conseil européen sera saisi d'un rapport sur l'état d'avancement de ces travaux dont nous attendons qu'ils respectent scrupuleusement les orientations déjà fixées par le Conseil européen d'octobre.
Le Conseil devra également se pencher sur l'impact de la réforme des systèmes des retraites sur le déficit. Vous le savez, il s'agit d'une demande présentée par plusieurs partenaires d'Europe centrale et orientale. Notre objectif est clair : ne pas fragiliser l'application du pacte de stabilité et de croissance par des mécanismes de compensation, au moment même où nos efforts tendent au contraire à renforcer les disciplines collectives.
Je me suis beaucoup mobilisé auprès de nos partenaires et du Parlement européen pour que l'Union vote à temps son budget pour 2011 et j'ai l'espoir que le projet pourra être approuvé par le Conseil le 10 décembre et par le Parlement européen le 15. Nous avons veillé à ce que le budget pour 2011 limite la hausse des crédits en 2011 à 2,91%.
En deuxième point, après la politique, il faut parler de l'état des travaux conduits par Mme Ashton. Il est crucial d'évaluer précisément les relations de l'Union européenne avec ses grands partenaires stratégiques, principalement la Chine, la Russie et les Etats-Unis. Notre objectif est d'identifier les intérêts communs aux Européens et de définir ensuite les moyens de les défendre collectivement. Les Européens ont des intérêts à défendre, qu'il s'agisse du respect des normes, de l'accès aux marchés ou de la lutte contre les nouvelles menaces (terrorisme, prolifération des armes de destruction massive).
Enfin, troisième point, le Conseil européen pourrait être invité à accorder au Monténégro le statut de candidat, mais sans que les négociations d'adhésion commencent avant que de nouvelles conditions soient remplies.
Je le réaffirme clairement : nous avons encore plus besoin de l'Europe après la crise qu'avant la crise et il faut l'adapter aux enjeux de l'après-crise.
Les Conseils européens doivent continuer de montrer l'image d'une Europe en état de marche, consciente des contraintes et des défis qu'elle doit relever, repartant à l'offensive et préparant, dès à présent, son avenir.
Je sais que la Commission des Affaires européennes du Sénat aura à coeur d'oeuvrer pour réaliser cet objectif.
Q - (à propos des frontières de l'Europe)
R - A propos des frontières de l'Europe, je souhaite qu'il soit bien clair que ma vision repose sur l'idée que l'on ne peut s'étendre que si le camp de base est solide. Quant à la Russie, je pense que c'est avec un bon service européen de l'action extérieure que nous parviendrons à un bon partenariat stratégique avec les Russes. Mais, croyez-moi, nous avons besoin d'une Europe stabilisée, ce qui n'empêche pas la France d'être très offensive en matière de partenariats stratégiques privilégiés et l'idée d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural pourra se concrétiser un jour, non pas au sein de l'Union européenne, mais plus naturellement au sein d'un partenariat stratégique où la Russie a toute sa place. D'ailleurs, nous oeuvrons aujourd'hui pour faire entrer la Russie dans l'OMC, nous aspirons à une zone de prospérité commune et nous ne négligeons pas les enjeux énergétiques.
Q - (à propos de l'Union pour la Méditerranée)
R - Sur l'Union pour la Méditerranée, je ne peux être que sensible aux propos tenus par Jacques Blanc, vous savez que je parle arabe et que j'ai fait une partie de mes études en Egypte, c'est vous dire que le projet me tient à coeur. Je suis donc convaincu par l'idée que l'Europe n'a jamais été aussi prospère que lorsque la Méditerranée était stable. Pour le projet d'Union pour la Méditerranée, la difficulté commence lorsqu'on aborde les projets concrets ; Pourtant, sur deux dossiers que j'ai eus à connaître dans mes précédentes fonctions, la formation et l'emploi, la situation progresse et nous avançons vers une reconnaissance commune de certaines formations et qualifications.
Q - (à propos de la politique de cohésion territoriale)
R - Pour la politique de cohésion territoriale, nous défendons toutes les dispositions en faveur des zones défavorisées et nous savons que l'agriculture de montagne doit être protégée : il est donc intéressant et nécessaire que les deux sujets - Politique agricole commune et politique de cohésion - soient suivis chez nous dans un même ministère et je me réjouis que ce soit un de mes prédécesseurs, Bruno Le Maire, qui en soit chargé. Mais attention de ne pas sous-estimer nos intérêts en matière de politique de cohésion, ils sont au moins aussi importants que nos intérêts en matière de politique agricole commune.
Q - (à propos du Comité des régions d'Europe)
R - Le Comité des régions d'Europe est une instance très intéressante et un lieu de sagesse et de réflexion très précieux que vous connaissez bien, je le sais.
Q - (à propos du principe de réciprocité)
R - Reste la question de la réciprocité qui repose sur un principe simple et de bon sens : ni le libre échange ni l'angélisme. On quitte le rivage d'une libre concurrence pure et parfaite, comme l'Europe la pratique, pour une approche plus pragmatique : priorité au libre échange, certes, mais à condition que tous le pratiquent et, surtout, restons fermes et montrons quand il le faut que nous sommes capables de faire le bras de fer.
Q - (à propos de la ville de Strasbourg)
R - J'ai trouvé très intéressante la réflexion que vous avez ouverte sur la nécessité d'assoir la politique européenne sur le socle d'un humanisme rhénan : il faut renouveler notre discours sur Strasbourg, capitale européenne, en nous appuyant sur cette matrice humaniste et vous me trouverez toujours à vos côtés pour ce combat.
Q - (à propos du rôle de l'Europe)
R - De même, je vous rejoins sur le rôle de l'Europe, bouc émissaire trop facile : vraiment, quand je prends l'exemple du tabac, on ne peut pas se contenter de dire que l'Europe est fautive et qu'elle nous empêche d'agir. C'est faux puisque l'Europe n'interdit pas tout contrôle aux frontières, il ne tient qu'à nous de contrôler en tant que de besoin. Il est donc hors de question de toujours se défausser sur l'Europe de Bruxelles.
Q - (à propos des coopérations renforcées)
R - A propos des coopérations renforcées, je suis partisan d'y recourir et le brevet européen va nous en offrir un exemple précis.
Q - (à propos de la gestion des crises)
R - Sur la gestion des crises, je vous rejoins complètement, mais quand il y a le feu, il faut d'abord l'éteindre ! C'est ce que nous avons fait pour la Grèce et ensuite nous avons mis au point un mécanisme d'aide, excellent outil pour l'avenir qui renforce l'euro ; ensuite, l'Irlande, à la différence de la Grèce, respectait parfaitement les critères de Maastricht, mais le secteur bancaire était hypertrophié. On ne pouvait donc pas se contenter des critères de Maastricht et de la surveillance des déficits ; il fallait tirer une autre leçon et cela a débouché sur la «gouvernance économique». Enfin, il faut réguler le secteur bancaire : l'Irlande a laissé son secteur bancaire prendre des risques pour lesquels il n'était pas armé. Après chaque feu éteint, rassurez-vous, les leçons sont tirées.
Q - (à propos du dialogue de la France avec les grandes puissances)
R - Sur le dialogue de la France avec les grandes puissances, je ne partage pas votre sentiment, la France est la cinquième puissance économique et il n'y a rien qui me choque quand le président chinois rend visite à la cinquième puissance économique mondiale.
Q - (à propos d'un «Brasilia rhénan»)
R - Quant à votre projet d'un «Brasilia rhénan», je le trouve très séduisant et sympathique !
Q - (à propos des échanges scolaires et des jumelages)
R - Oui, je suis totalement favorable aux échanges scolaires et aux jumelages.
Q - (à propos de l'aide au développement)
R - Pour l'aide au développement, il faut surtout qu'elle soit visible, car très souvent l'aide européenne est convoyée par un camion américain.
Q - (à propos du G 20 et du G 8)
R - Pour le G 20 et le G 8, je m'engage à vous tenir informés.
Q - (à propos de l'Espace Schengen)
R - Enfin, à propos de Schengen, soyons clairs et précis : il y a des critères simples à remplir et ils sont en toutes lettres dans le traité. Si la Roumanie et la Bulgarie entrent dans Schengen, nous aurons deux graves problèmes, car leurs frontières deviennent alors notre frontière. Or, premier problème : la Roumanie ne reconnaît pas totalement sa frontière avec la Moldavie et nous, Européens, nous reconnaissons une frontière avec la Moldavie. Alors nous allons nous trouver quasiment sans frontière avec la Moldavie et tous les Moldaves passeront. Deuxièmement, nous sommes en droit de demander que les contrôles européens soient effectifs ; les enquêtes diligentées par la Commission nous apprennent que la corruption reste un problème. Dans ces conditions, le bon sens nous oblige à surseoir à leur entrée dans l'Espace Schengen. Il nous incombe d'être vigilants.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2010