Texte intégral
Cher-es camarades,
Il y a quelques jours, lors de la présentation de mes voeux à la presse, j'ai exprimé l'idée que l'année 2001 pourrait bien témoigner d'un véritable "changement d'époque".
Je le dis d'emblée, aujourd'hui, devant le Conseil national: il faut qu'il en soit ainsi pour le Parti communiste. Il nous faut, désormais, franchir un pas décisif pour faire vivre de façon visible et convaincante le nouveau Parti communiste décidé à Martigues.
Dominique Grador a mis en évidence ce qui a changé ces derniers mois, grâce à l'impulsion donnée à Martigues il y a moins d'un an.
Dans un certain nombre de domaines, nous avons accompli des progrès. La perception de notre action par l'opinion s'en trouve un peu modifiée. Les communistes en expriment de la satisfaction.
Nous avons contribué à l'émergence, jusqu'à être redevenue la préoccupation première des Françaises et des Français, des questions de l'augmentation du pouvoir d'achat par la hausse des salaires, des retraites et des minima sociaux.
Et au passage, à propos des retraites, j'ai la conviction que l'exceptionnelle mobilisation de jeudi dernier contre les prétentions ultra-régressives du MEDEF, constitue l'événement politique majeur de ce début d'année. Par l'ampleur de la riposte; par la qualité du rassemblement des forces syndicales; par l'exigence massivement exprimée d'une démarche offensive du gouvernement de gauche plurielle sur l'avenir des retraites.
Plus généralement, on notera l'impact de nos initiatives sur tout ce qui intéresse l'usage des fruits de la croissance et les moyens de la pérenniser. De la même façon, nous ne sommes pas pour rien dans le renouvellement des termes du débat sur la nécessaire modernisation des institutions, et sur leur indispensable démocratisation afin de s'attaquer à la crise de la politique et à ses conséquences. Et l'on peut constater -même s'il faut se garder de toute auto-satisfaction et de le survaloriser- un certain regain de la présence et de l'activité communiste Des animateurs de la vie du Parti nous le confirment, et je le vérifie personnellement à l'occasion de mes déplacements.
Il reste -et c'est de loin le plus important- que nous avons encore de très sérieux efforts à entreprendre pour que le Parti vive, s'exprime, agisse et soit perçu comme nous l'avons souhaité au 30ème Congrès.
Nous ne devons pas et ne pouvons pas esquiver les difficultés que nous rencontrons dans la mise en oeuvre de nos décisions pour le tourner vers l'extérieur, vers la société et sa diversité, la nouveauté des problèmes qui s'y posent. Au demeurant chacune et chacun d'entre nous éprouve ces difficultés. Elles nourrissent en permanence la réflexion et le débat dans le Parti. Un débat qui ne peut être que transparent et ouvert à chacune et à chacun, sans exclusive, sous peine de mutiler gravement la richesse de la diversité communiste d'aujourd'hui. Je suis certain que la maturité démocratique des communistes nous permet une sortie par " le haut " à ce qui, en d'autres temps, aurait été source d'un douloureux repli.
Ce n'est pas un bilan "comptable" qu'il nous faut établir, où apparaîtraient une colonne des "plus" et une colonne des "moins", en référence aux décisions du 30ème Congrès, ou à ce que nous faisons bien ou moins bien pour que l'action du gouvernement de gauche plurielle réponde aux attentes populaires. Si nous faisions ainsi, alors le risque serait grand de donner raison à ceux qui nous prétendent voués à n'être plus que les supplétifs de la social-démocratie.
Parce que nous avons décidé de fonder un nouveau Parti communiste, à la hauteur des enjeux de ce siècle qui commence, nous nous devons d'avoir une bien plus vaste ambition.
Cela implique de porter un regard extrêmement exigeant sur l'ensemble des grands problèmes que doivent affronter les sociétés et les êtres humains. Inséparablement, nous avons à donner cohérence et lisibilité à nos idées, nos initiatives, et aux perspectives que nous proposons pour dépasser le capitalisme et avancer, concrètement, vers une organisation nouvelle de la société.
Le manque de lisibilité que je viens d'évoquer n'est pas, bien sûr, seulement de notre fait.
Il résulte aussi du nombre, de la complexité, de l'inédit des enjeux modernes de civilisation. Et puis, tout le monde ne tient pas à ce qu'apparaissent l'originalité et la modernité d'un nouveau communisme en France.
Cela dit, il faut s'interroger sur notre façon d'aborder ces enjeux, d'en débattre dans la société, d'agir avec d'autres pour faire progresser des solutions alternatives. L'activité communiste ne peut pas, ne doit pas, être découpée en séquences, qu'il s'agirait d'investir mécaniquement, les unes après les autres. Il n'y a pas, par exemple, le temps des municipales, puis celui des initiatives contre les inégalités qui elles-mêmes précéderaient le temps qu'il nous faudrait consacrer au Parti.
Toutes ces questions -et bien d'autres- nous obligent à partir constamment -pour y faire retour- de l'ensemble des problèmes, des interrogations, des attentes de la société et des citoyennes et des citoyens.
Il y a les problèmes sociaux. Ceux, bien sûr, qui sont de pleine actualité. Le pouvoir d'achat, l'avenir des retraites, l'extrême précarité dans laquelle continuent d'être confinés des millions de Français. Toutes choses, nous le savons bien, qui sont loin d'être mineures. De la qualité des réponses apportées à ces problèmes dépend, pour commencer, le sort immédiat et l'avenir de millions de gens. Et, bien au-delà, le sens même de la vie des êtres humains en société dans les décennies à venir, alors que sont érigés en dogmes indépassables que le salaire serait un coût à réduire absolument, et le système actuel de retraite une entrave au développement économique.
Mais il n'y a pas que ces problèmes sociaux. Et le Parti communiste ne saurait être uniquement, et alors étroitement, " spécialisé " dans ces questions.
Il y a les bouleversements que subissent les modes de vie, les rapports sociaux -dans la société et au travail- la diffusion des connaissances, les moyens de communication, l'environnement, les représentations que les citoyennes et les citoyens se font de la société et du monde. Et les inquiétudes mais aussi les réactions suscitées par ces véritables révolutions, comme en atteste en ce moment même le forum social mondial de Porto-Alegre.
Il y a les espoirs et les réticences générés par la Construction européenne. Une construction bien souvent autoritaire et inégalitaire, avec ses pays réputés " leaders " et les autres, plus faibles et à la merci de la volonté des premiers. Une Europe dans laquelle il faut repenser la place de la France et le rôle qu'elle peut jouer vers l'Europe du Sud, vers le Sud en général, non seulement par devoir de solidarité mais aussi pour que se nouent des coopérations nouvelles au service d'un véritable développement.
Ces quelques exemples ne prétendent nullement à l'exhaustivité. Mais ils suffisent à montrer l'essentiel : il nous faut opérer une véritable percée politique sans quoi Martigues risquerait de n'être plus considéré que comme une simple annonce dont les effets se feraient attendre, et pourraient bien alors, tout simplement, ne plus être attendus.
Il y a là une exigence dont rien ne doit nous détourner.
C'est par là, par notre engagement dans tous les combats de notre temps, que les Françaises et les Français doivent pouvoir, désormais, identifier le nouveau Parti communiste.
C'est dans ces combats que nous pourrons le mieux montrer comment ils renvoient, toujours, à l'affrontement avec le capitalisme et les dominations, les exclusions, les aliénations qu'il entretient et qu'il renforce.
C'est précisément pourquoi renoncer, si peu que ce soit, à l'affirmation de notre identité communiste moderne, constituerait un manque dramatique pour notre pays et notre peuple.
D'autant plus que les autres forces politiques et sociales ne sont pas inactives. C'est le contraire : elles sont particulièrement entreprenantes. A l'instar, par exemple, du MEDEF. Nous voyons bien comment, dans une posture délibérément politique, il investit les grandes questions qui conditionnent étroitement l'avenir, dans le but de plier toute la société aux exigences du libéralisme.
Certains évoquent, souvent pour l'appeler de leurs voeux un " nouveau compromis social-libéral". Il ne s'agit pas visiblement d'une simple hypothèse théorique, d'un projet aux contours à peine esquissés. Le PARE il y a quelques mois ; le " Crédit d'impôt " plus récemment, ce sont déjà des actes. Ils ne sont pas seulement commandés par des considérations tactiques, en vue des élections présidentielles et de la prétendue nécessité de les aborder en position plus " centriste ". Ils s'inscrivent, pour certains, dans une volonté de donner un nouveau visage à la social-démocratie, en avançant vers ce qu'un commentateur a appelé un nouveau " deal social ".
Quant à la droite, même divisée, elle n'en cherche pas moins à réoccuper tous ces terrains. Les tentatives de certains de ses leaders pour la rassembler, en témoignent, tout comme les retours très médiatisés d'Alain JUPPE ou Nicolas SARKOZY.
Tous par conséquent -le parti socialiste, la droite, le patronat- sont, à leur façon, dans une recherche active de solutions aux problèmes qu'affrontent notre société et notre peuple.
Et les réponses qu'ils proposent, qu'ils appliquent dans certains cas, ont en commun de vouloir, toujours pour les uns, souvent pour les autres, épargner le capital et en particulier, de plus en plus, le capital financier. C'est à préserver le profit que sont conditionnées la définition et la mise en oeuvre de nouvelles régulations sociales, au prix d'une nouvelle intervention de l'Etat. On le voit bien avec le " crédit d'impôt ", et le rôle de l'administration fiscale pour dégager le patronat de ses obligations en terme de rémunération du travail.
Il n'y a dans tout cela, loin s'en faut, aucune vision à la hauteur des aspirations citoyennes à satisfaire. Et pour cause : c'est le capitalisme lui-même qui constitue la raison fondamentale des blocages qui interdisent d'y faire réponse. Aucune des forces que j'ai évoquées ne veut le mettre radicalement en cause.
C'est bien pourquoi, je le répète, il y a besoin d'un Parti communiste porteur d'une vision nouvelle de la société, moderne et réellement transformatrice parce que, contestant radicalement le capitalisme, en France et dans le monde tel qu'il est aujourd'hui : c'est-à-dire un nouveau Parti communiste.
J'ai dit ma conviction que l'année qui débute verra ces questions prendre une importance sensiblement accrue. Il ne faut pas rater ce rendez-vous : l'année 2001 doit donc être l'année de l'émergence, dans le paysage politique de notre pays, du nouveau Parti communiste.
Disant cela, je n'oublie pas les échéances électorales de 2002. C'est autour des quelques grands thèmes que j'ai évoqués, qu'elles vont se jouer.
Sur le sens et le contenu de la construction européenne par exemple, qu'il faut réorienter pour la prise en compte des aspirations sociales et démocratiques qu'expriment de plus en plus fortement les peuples du continent, au moment où va s'opérer le basculement vers la monnaie unique.
Sur l'urgence d'engager un immense effort de modernisation de la République et de ses institutions, pour une meilleure démocratie représentative et pour répondre au besoin de démocratie participative par des droits nouveaux d'information et de décisions au bénéfice des citoyens.
Je suis sûr, également, que les préoccupations liées à la qualité de l'environnement et de l'alimentation humaines; à la protection et à la prévention sanitaires seront au coeur des débats des campagnes présidentielles et législatives.
Il n'est qu'à voir l'importance qu'elles ont prises dans la toute dernière période, depuis le 30ème congrès, et les lourdes inquiétudes que suscitent le manque d'envergure des réponses proposées pour y faire face.
Et comment aborder le défi des inégalités, des injustices sociales, des discriminations de toutes sortes qui handicapent si cruellement la société française ? L'échec des thérapies légères, des politiques au " coup par coup " destinées à en encadrer les possibles conséquences explosives, est particulièrement patent.
C'est une démarche bien plus exigeante qu'il faut initier, jusqu'à faire de ces questions une priorité nationale, s'imposant à tous les acteurs de la vie économique et sociale, et en créant les conditions pour qu'elle puissent être prises en compte dans les institutions de la République.
Nous avons, certes, des idées, des projets. Je suis tenté de dire que le plus difficile n'est pas d'élaborer des propositions, de les rédiger, de les rassembler dans divers documents.
Tout cela est important, mais le compte n'y est pas. Pour deux raisons.
D'abord, parce que ce travail d'élaboration doit, en permanence, être largement ouvert sur la société, et mené avec d'autres.
C'est de rencontres, de débats, de réflexions communes qu'il faut pouvoir le nourrir pour l'enraciner et lui donner la crédibilité nécessaire.
Nous ne parviendrons pas à avancer dans cette voie, c'est ma seconde remarque, si le Parti ne modifie pas, en profondeur, son mode de vie, son organisation, ses structures.
Il nous faut donc non plus décider d'opérer les changements radicaux qu'appelle cette ambition -cette décision capitale nous l'avons prise à Martigues-. Il nous faut maintenant opérer réellement visiblement ces changements.
Nous ne voulons pas seulement être le Parti que l'on sollicite volontiers, en soutien à une grève, en appui à un mouvement de protestation, en relai d'une exigence particulière.
Tout cela nous le faisons, c'est important, et nous n'entendons pas y renoncer.
Mais pour être réellement, concrètement, le Parti de la transformation sociale dont la France a besoin, il nous faut devenir les interlocuteurs convaincants des Françaises et des Français sur tous les grands choix à opérer, et toutes les solutions neuves à mettre en oeuvre, dans tous les domaines.
J'ai parlé, au début de mon propos, d'un véritable changement d'époque pour le Parti communiste.
En effet, si les enjeux conjoncturels auxquels nous sommes confrontés nous obligent à travailler d'arrache-pied à un projet lisible et crédible, indispensable pour les échéances à venir -la présidentielle et les législatives- limiter notre projet à 2002 nous enfermerait dans une stratégie de stagnation, de fin de cycle.
Le changement d'époque exige du nouveau Parti communiste un projet de novation démocratique et populaire bien plus ambitieux. C'est, en vérité, une dimension historique qu'il faut lui donner.
Cette place du nouveau Parti communiste nous ne l'occuperons pas par décret. C'est à nous, c'est aux communistes de la conquérir!
Nous avons fait la démonstration que nous savons porter sur notre passé -celui du siècle dernier- un regard lucide, courageux, aussi bien sur ses ombres que sur ses lumières. Nous sommes désormais confrontés à un défi bien plus exigeant: celui du devoir d'anticipation ; celui d'un nouveau Parti communiste construisant une base théorique et pratique à une alternative populaire fondée sur la mise en cause radicale du capitalisme mondialisé, et sur le développement d'une démocratie moderne de partage, de responsabilité individuelle et collective.
Une alternative populaire porteuse de solutions aux problèmes de civilisation, en France et dans le monde.
Chacun voit bien que cette ambition transformatrice ne peut se résumer, pour le nouveau Parti communiste, à son seul rôle -si utile soit-il- au sein de la gauche plurielle, et à ses efforts pour ancrer à gauche la majorité.
Nous voulons loyalement la réussite de la gauche plurielle. Mais nous n'entendons nullement limiter nos choix stratégiques uniquement, ou même principalement, au rôle que joue actuellement le Parti communiste en son sein. C'est bien pour cela que nous rejetons sans appel l'idée de nous situer comme l'hypothétique aile gauche d'une nébuleuse social-démocrate.
Nous entendons construire et rassembler en faveur d'un nouveau projet communiste, contestant le capitalisme mondialisé, et porteur de propositions novatrices pour un développement durable et humain de la société.
Alors, camarades, il faut pousser jusqu'au bout la logique de Martigues.
Il est à mes yeux évident qu'il faut, dès cette année, aller vers un congrès d'où sortira effectivement le nouveau Parti communiste.
C'est la proposition qui est faite aujourd'hui au Conseil national.
Si elle est retenue, il faudra fixer un ordre du jour à ce congrès.
Bien sûr, il y aura à y inscrire la modification des statuts. Mais pour ma part, je pense -et je sais que c'est le cas de beaucoup d'entre nous- qu'il sera, le moment venu, nécessaire d'aller au-delà. D'ailleurs, comment réfléchir à de nouveaux statuts en dehors du contexte que je viens d'évoquer? Ce serait faire le choix d'un congrès "auto-centré" et franchement, ce ne serait pas à la hauteur des défis que nous voulons relever.
De la même façon, je pense que nous avons l'obligation de repenser -à la lumière de l'expérience et en rapport étroit avec nos ambitions- la place et le rôle des directions. Et d'en tirer les conséquences efficaces.
Enfin, il nous faudra beaucoup débattre des échéances électorales à venir, et du projet qui porteront les candidates et les candidats communistes, à l'élection présidentielle comme aux législatives.
Concernant plus particulièrement l'élection présidentielle, ma conviction est que la candidature communiste devra porter clairement nos choix novateurs. Et dans le même mouvement, les grandes préoccupations que beaucoup d'autres expriment, diversement, dans le mouvement social, dans les cercles, les lieux qui réunissent les observateurs des mouvements de la société.
C'est ainsi que je conçois le groupe de travail sur le projet, dont Dominique Grador a fait la proposition. Je pense qu'il doit être largement ouvert aux contributions de tous les communistes qui le souhaitent, et disponible à l'écoute et au dialogue avec d'autres acteurs de la vie sociale et politique.
Ce groupe devra se mettre rapidement au travail.
Après les élections de mars prochain, nous pourrons alors poursuivre et préciser notre réflexion sur son rôle -de réflexion, d'initiatives- dans la perspective de la bataille pour l'élection présidentielle.
Voilà les réflexions et propositions dont je voulais vous faire part. Je souhaite que nos débats et décisions de ce week-end répondent bien à ce que les communistes attendent de leur direction nationale. Ces attentes sont importantes. Notre responsabilité pour y répondre l'est tout autant.
(Source http://www.pcf.fr, le 15 mars 2001).
Il y a quelques jours, lors de la présentation de mes voeux à la presse, j'ai exprimé l'idée que l'année 2001 pourrait bien témoigner d'un véritable "changement d'époque".
Je le dis d'emblée, aujourd'hui, devant le Conseil national: il faut qu'il en soit ainsi pour le Parti communiste. Il nous faut, désormais, franchir un pas décisif pour faire vivre de façon visible et convaincante le nouveau Parti communiste décidé à Martigues.
Dominique Grador a mis en évidence ce qui a changé ces derniers mois, grâce à l'impulsion donnée à Martigues il y a moins d'un an.
Dans un certain nombre de domaines, nous avons accompli des progrès. La perception de notre action par l'opinion s'en trouve un peu modifiée. Les communistes en expriment de la satisfaction.
Nous avons contribué à l'émergence, jusqu'à être redevenue la préoccupation première des Françaises et des Français, des questions de l'augmentation du pouvoir d'achat par la hausse des salaires, des retraites et des minima sociaux.
Et au passage, à propos des retraites, j'ai la conviction que l'exceptionnelle mobilisation de jeudi dernier contre les prétentions ultra-régressives du MEDEF, constitue l'événement politique majeur de ce début d'année. Par l'ampleur de la riposte; par la qualité du rassemblement des forces syndicales; par l'exigence massivement exprimée d'une démarche offensive du gouvernement de gauche plurielle sur l'avenir des retraites.
Plus généralement, on notera l'impact de nos initiatives sur tout ce qui intéresse l'usage des fruits de la croissance et les moyens de la pérenniser. De la même façon, nous ne sommes pas pour rien dans le renouvellement des termes du débat sur la nécessaire modernisation des institutions, et sur leur indispensable démocratisation afin de s'attaquer à la crise de la politique et à ses conséquences. Et l'on peut constater -même s'il faut se garder de toute auto-satisfaction et de le survaloriser- un certain regain de la présence et de l'activité communiste Des animateurs de la vie du Parti nous le confirment, et je le vérifie personnellement à l'occasion de mes déplacements.
Il reste -et c'est de loin le plus important- que nous avons encore de très sérieux efforts à entreprendre pour que le Parti vive, s'exprime, agisse et soit perçu comme nous l'avons souhaité au 30ème Congrès.
Nous ne devons pas et ne pouvons pas esquiver les difficultés que nous rencontrons dans la mise en oeuvre de nos décisions pour le tourner vers l'extérieur, vers la société et sa diversité, la nouveauté des problèmes qui s'y posent. Au demeurant chacune et chacun d'entre nous éprouve ces difficultés. Elles nourrissent en permanence la réflexion et le débat dans le Parti. Un débat qui ne peut être que transparent et ouvert à chacune et à chacun, sans exclusive, sous peine de mutiler gravement la richesse de la diversité communiste d'aujourd'hui. Je suis certain que la maturité démocratique des communistes nous permet une sortie par " le haut " à ce qui, en d'autres temps, aurait été source d'un douloureux repli.
Ce n'est pas un bilan "comptable" qu'il nous faut établir, où apparaîtraient une colonne des "plus" et une colonne des "moins", en référence aux décisions du 30ème Congrès, ou à ce que nous faisons bien ou moins bien pour que l'action du gouvernement de gauche plurielle réponde aux attentes populaires. Si nous faisions ainsi, alors le risque serait grand de donner raison à ceux qui nous prétendent voués à n'être plus que les supplétifs de la social-démocratie.
Parce que nous avons décidé de fonder un nouveau Parti communiste, à la hauteur des enjeux de ce siècle qui commence, nous nous devons d'avoir une bien plus vaste ambition.
Cela implique de porter un regard extrêmement exigeant sur l'ensemble des grands problèmes que doivent affronter les sociétés et les êtres humains. Inséparablement, nous avons à donner cohérence et lisibilité à nos idées, nos initiatives, et aux perspectives que nous proposons pour dépasser le capitalisme et avancer, concrètement, vers une organisation nouvelle de la société.
Le manque de lisibilité que je viens d'évoquer n'est pas, bien sûr, seulement de notre fait.
Il résulte aussi du nombre, de la complexité, de l'inédit des enjeux modernes de civilisation. Et puis, tout le monde ne tient pas à ce qu'apparaissent l'originalité et la modernité d'un nouveau communisme en France.
Cela dit, il faut s'interroger sur notre façon d'aborder ces enjeux, d'en débattre dans la société, d'agir avec d'autres pour faire progresser des solutions alternatives. L'activité communiste ne peut pas, ne doit pas, être découpée en séquences, qu'il s'agirait d'investir mécaniquement, les unes après les autres. Il n'y a pas, par exemple, le temps des municipales, puis celui des initiatives contre les inégalités qui elles-mêmes précéderaient le temps qu'il nous faudrait consacrer au Parti.
Toutes ces questions -et bien d'autres- nous obligent à partir constamment -pour y faire retour- de l'ensemble des problèmes, des interrogations, des attentes de la société et des citoyennes et des citoyens.
Il y a les problèmes sociaux. Ceux, bien sûr, qui sont de pleine actualité. Le pouvoir d'achat, l'avenir des retraites, l'extrême précarité dans laquelle continuent d'être confinés des millions de Français. Toutes choses, nous le savons bien, qui sont loin d'être mineures. De la qualité des réponses apportées à ces problèmes dépend, pour commencer, le sort immédiat et l'avenir de millions de gens. Et, bien au-delà, le sens même de la vie des êtres humains en société dans les décennies à venir, alors que sont érigés en dogmes indépassables que le salaire serait un coût à réduire absolument, et le système actuel de retraite une entrave au développement économique.
Mais il n'y a pas que ces problèmes sociaux. Et le Parti communiste ne saurait être uniquement, et alors étroitement, " spécialisé " dans ces questions.
Il y a les bouleversements que subissent les modes de vie, les rapports sociaux -dans la société et au travail- la diffusion des connaissances, les moyens de communication, l'environnement, les représentations que les citoyennes et les citoyens se font de la société et du monde. Et les inquiétudes mais aussi les réactions suscitées par ces véritables révolutions, comme en atteste en ce moment même le forum social mondial de Porto-Alegre.
Il y a les espoirs et les réticences générés par la Construction européenne. Une construction bien souvent autoritaire et inégalitaire, avec ses pays réputés " leaders " et les autres, plus faibles et à la merci de la volonté des premiers. Une Europe dans laquelle il faut repenser la place de la France et le rôle qu'elle peut jouer vers l'Europe du Sud, vers le Sud en général, non seulement par devoir de solidarité mais aussi pour que se nouent des coopérations nouvelles au service d'un véritable développement.
Ces quelques exemples ne prétendent nullement à l'exhaustivité. Mais ils suffisent à montrer l'essentiel : il nous faut opérer une véritable percée politique sans quoi Martigues risquerait de n'être plus considéré que comme une simple annonce dont les effets se feraient attendre, et pourraient bien alors, tout simplement, ne plus être attendus.
Il y a là une exigence dont rien ne doit nous détourner.
C'est par là, par notre engagement dans tous les combats de notre temps, que les Françaises et les Français doivent pouvoir, désormais, identifier le nouveau Parti communiste.
C'est dans ces combats que nous pourrons le mieux montrer comment ils renvoient, toujours, à l'affrontement avec le capitalisme et les dominations, les exclusions, les aliénations qu'il entretient et qu'il renforce.
C'est précisément pourquoi renoncer, si peu que ce soit, à l'affirmation de notre identité communiste moderne, constituerait un manque dramatique pour notre pays et notre peuple.
D'autant plus que les autres forces politiques et sociales ne sont pas inactives. C'est le contraire : elles sont particulièrement entreprenantes. A l'instar, par exemple, du MEDEF. Nous voyons bien comment, dans une posture délibérément politique, il investit les grandes questions qui conditionnent étroitement l'avenir, dans le but de plier toute la société aux exigences du libéralisme.
Certains évoquent, souvent pour l'appeler de leurs voeux un " nouveau compromis social-libéral". Il ne s'agit pas visiblement d'une simple hypothèse théorique, d'un projet aux contours à peine esquissés. Le PARE il y a quelques mois ; le " Crédit d'impôt " plus récemment, ce sont déjà des actes. Ils ne sont pas seulement commandés par des considérations tactiques, en vue des élections présidentielles et de la prétendue nécessité de les aborder en position plus " centriste ". Ils s'inscrivent, pour certains, dans une volonté de donner un nouveau visage à la social-démocratie, en avançant vers ce qu'un commentateur a appelé un nouveau " deal social ".
Quant à la droite, même divisée, elle n'en cherche pas moins à réoccuper tous ces terrains. Les tentatives de certains de ses leaders pour la rassembler, en témoignent, tout comme les retours très médiatisés d'Alain JUPPE ou Nicolas SARKOZY.
Tous par conséquent -le parti socialiste, la droite, le patronat- sont, à leur façon, dans une recherche active de solutions aux problèmes qu'affrontent notre société et notre peuple.
Et les réponses qu'ils proposent, qu'ils appliquent dans certains cas, ont en commun de vouloir, toujours pour les uns, souvent pour les autres, épargner le capital et en particulier, de plus en plus, le capital financier. C'est à préserver le profit que sont conditionnées la définition et la mise en oeuvre de nouvelles régulations sociales, au prix d'une nouvelle intervention de l'Etat. On le voit bien avec le " crédit d'impôt ", et le rôle de l'administration fiscale pour dégager le patronat de ses obligations en terme de rémunération du travail.
Il n'y a dans tout cela, loin s'en faut, aucune vision à la hauteur des aspirations citoyennes à satisfaire. Et pour cause : c'est le capitalisme lui-même qui constitue la raison fondamentale des blocages qui interdisent d'y faire réponse. Aucune des forces que j'ai évoquées ne veut le mettre radicalement en cause.
C'est bien pourquoi, je le répète, il y a besoin d'un Parti communiste porteur d'une vision nouvelle de la société, moderne et réellement transformatrice parce que, contestant radicalement le capitalisme, en France et dans le monde tel qu'il est aujourd'hui : c'est-à-dire un nouveau Parti communiste.
J'ai dit ma conviction que l'année qui débute verra ces questions prendre une importance sensiblement accrue. Il ne faut pas rater ce rendez-vous : l'année 2001 doit donc être l'année de l'émergence, dans le paysage politique de notre pays, du nouveau Parti communiste.
Disant cela, je n'oublie pas les échéances électorales de 2002. C'est autour des quelques grands thèmes que j'ai évoqués, qu'elles vont se jouer.
Sur le sens et le contenu de la construction européenne par exemple, qu'il faut réorienter pour la prise en compte des aspirations sociales et démocratiques qu'expriment de plus en plus fortement les peuples du continent, au moment où va s'opérer le basculement vers la monnaie unique.
Sur l'urgence d'engager un immense effort de modernisation de la République et de ses institutions, pour une meilleure démocratie représentative et pour répondre au besoin de démocratie participative par des droits nouveaux d'information et de décisions au bénéfice des citoyens.
Je suis sûr, également, que les préoccupations liées à la qualité de l'environnement et de l'alimentation humaines; à la protection et à la prévention sanitaires seront au coeur des débats des campagnes présidentielles et législatives.
Il n'est qu'à voir l'importance qu'elles ont prises dans la toute dernière période, depuis le 30ème congrès, et les lourdes inquiétudes que suscitent le manque d'envergure des réponses proposées pour y faire face.
Et comment aborder le défi des inégalités, des injustices sociales, des discriminations de toutes sortes qui handicapent si cruellement la société française ? L'échec des thérapies légères, des politiques au " coup par coup " destinées à en encadrer les possibles conséquences explosives, est particulièrement patent.
C'est une démarche bien plus exigeante qu'il faut initier, jusqu'à faire de ces questions une priorité nationale, s'imposant à tous les acteurs de la vie économique et sociale, et en créant les conditions pour qu'elle puissent être prises en compte dans les institutions de la République.
Nous avons, certes, des idées, des projets. Je suis tenté de dire que le plus difficile n'est pas d'élaborer des propositions, de les rédiger, de les rassembler dans divers documents.
Tout cela est important, mais le compte n'y est pas. Pour deux raisons.
D'abord, parce que ce travail d'élaboration doit, en permanence, être largement ouvert sur la société, et mené avec d'autres.
C'est de rencontres, de débats, de réflexions communes qu'il faut pouvoir le nourrir pour l'enraciner et lui donner la crédibilité nécessaire.
Nous ne parviendrons pas à avancer dans cette voie, c'est ma seconde remarque, si le Parti ne modifie pas, en profondeur, son mode de vie, son organisation, ses structures.
Il nous faut donc non plus décider d'opérer les changements radicaux qu'appelle cette ambition -cette décision capitale nous l'avons prise à Martigues-. Il nous faut maintenant opérer réellement visiblement ces changements.
Nous ne voulons pas seulement être le Parti que l'on sollicite volontiers, en soutien à une grève, en appui à un mouvement de protestation, en relai d'une exigence particulière.
Tout cela nous le faisons, c'est important, et nous n'entendons pas y renoncer.
Mais pour être réellement, concrètement, le Parti de la transformation sociale dont la France a besoin, il nous faut devenir les interlocuteurs convaincants des Françaises et des Français sur tous les grands choix à opérer, et toutes les solutions neuves à mettre en oeuvre, dans tous les domaines.
J'ai parlé, au début de mon propos, d'un véritable changement d'époque pour le Parti communiste.
En effet, si les enjeux conjoncturels auxquels nous sommes confrontés nous obligent à travailler d'arrache-pied à un projet lisible et crédible, indispensable pour les échéances à venir -la présidentielle et les législatives- limiter notre projet à 2002 nous enfermerait dans une stratégie de stagnation, de fin de cycle.
Le changement d'époque exige du nouveau Parti communiste un projet de novation démocratique et populaire bien plus ambitieux. C'est, en vérité, une dimension historique qu'il faut lui donner.
Cette place du nouveau Parti communiste nous ne l'occuperons pas par décret. C'est à nous, c'est aux communistes de la conquérir!
Nous avons fait la démonstration que nous savons porter sur notre passé -celui du siècle dernier- un regard lucide, courageux, aussi bien sur ses ombres que sur ses lumières. Nous sommes désormais confrontés à un défi bien plus exigeant: celui du devoir d'anticipation ; celui d'un nouveau Parti communiste construisant une base théorique et pratique à une alternative populaire fondée sur la mise en cause radicale du capitalisme mondialisé, et sur le développement d'une démocratie moderne de partage, de responsabilité individuelle et collective.
Une alternative populaire porteuse de solutions aux problèmes de civilisation, en France et dans le monde.
Chacun voit bien que cette ambition transformatrice ne peut se résumer, pour le nouveau Parti communiste, à son seul rôle -si utile soit-il- au sein de la gauche plurielle, et à ses efforts pour ancrer à gauche la majorité.
Nous voulons loyalement la réussite de la gauche plurielle. Mais nous n'entendons nullement limiter nos choix stratégiques uniquement, ou même principalement, au rôle que joue actuellement le Parti communiste en son sein. C'est bien pour cela que nous rejetons sans appel l'idée de nous situer comme l'hypothétique aile gauche d'une nébuleuse social-démocrate.
Nous entendons construire et rassembler en faveur d'un nouveau projet communiste, contestant le capitalisme mondialisé, et porteur de propositions novatrices pour un développement durable et humain de la société.
Alors, camarades, il faut pousser jusqu'au bout la logique de Martigues.
Il est à mes yeux évident qu'il faut, dès cette année, aller vers un congrès d'où sortira effectivement le nouveau Parti communiste.
C'est la proposition qui est faite aujourd'hui au Conseil national.
Si elle est retenue, il faudra fixer un ordre du jour à ce congrès.
Bien sûr, il y aura à y inscrire la modification des statuts. Mais pour ma part, je pense -et je sais que c'est le cas de beaucoup d'entre nous- qu'il sera, le moment venu, nécessaire d'aller au-delà. D'ailleurs, comment réfléchir à de nouveaux statuts en dehors du contexte que je viens d'évoquer? Ce serait faire le choix d'un congrès "auto-centré" et franchement, ce ne serait pas à la hauteur des défis que nous voulons relever.
De la même façon, je pense que nous avons l'obligation de repenser -à la lumière de l'expérience et en rapport étroit avec nos ambitions- la place et le rôle des directions. Et d'en tirer les conséquences efficaces.
Enfin, il nous faudra beaucoup débattre des échéances électorales à venir, et du projet qui porteront les candidates et les candidats communistes, à l'élection présidentielle comme aux législatives.
Concernant plus particulièrement l'élection présidentielle, ma conviction est que la candidature communiste devra porter clairement nos choix novateurs. Et dans le même mouvement, les grandes préoccupations que beaucoup d'autres expriment, diversement, dans le mouvement social, dans les cercles, les lieux qui réunissent les observateurs des mouvements de la société.
C'est ainsi que je conçois le groupe de travail sur le projet, dont Dominique Grador a fait la proposition. Je pense qu'il doit être largement ouvert aux contributions de tous les communistes qui le souhaitent, et disponible à l'écoute et au dialogue avec d'autres acteurs de la vie sociale et politique.
Ce groupe devra se mettre rapidement au travail.
Après les élections de mars prochain, nous pourrons alors poursuivre et préciser notre réflexion sur son rôle -de réflexion, d'initiatives- dans la perspective de la bataille pour l'élection présidentielle.
Voilà les réflexions et propositions dont je voulais vous faire part. Je souhaite que nos débats et décisions de ce week-end répondent bien à ce que les communistes attendent de leur direction nationale. Ces attentes sont importantes. Notre responsabilité pour y répondre l'est tout autant.
(Source http://www.pcf.fr, le 15 mars 2001).