Extraits de l'entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères et européennes, avec LCI le 16 décembre 2010, sur les sujets d'actualité internationale, notamment la Côte d'Ivoire, la spéculation contre l'euro et l'Afghanistan.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - En Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara demande à ses partisans de marcher sur le siège de la télévision et sur le siège du gouvernement à Abidjan, aujourd'hui et demain. Craignez-vous le pire ?
R - On ne craint jamais le pire, mais on craint effectivement des violences. Ce que nous voudrions, c'est que cette transition se fasse sans violence.
C'est la raison pour laquelle nous avons appelé - et pas seulement nous, toute la communauté internationale -, depuis plusieurs jours à l'acceptation par M. Gbagbo des résultats de l'élection au terme de laquelle les Ivoiriens ont très clairement désigné M. Ouattara comme leur président. Nous appelons également à la retenue de part et d'autre.
Q - Vous appelez à la retenue. Demandez-vous à Alassane Ouattara d'annuler cette marche, cette manifestation, de retenir ses troupes ?
R - Je crois effectivement qu'il faut éviter toute violence, la Côte d'Ivoire n'a pas besoin de cela. Il est évident aujourd'hui que les résultats sont clairs et nets. Les résultats de l'élection qui a eu lieu ont été validés par les Nations unies. M. Ouattara a été reconnu comme étant le président de la Côte d'Ivoire à la fois par l'ONU - il l'a été d'abord par la CEDEAO, c'est-à-dire l'ensemble des Etats d'Afrique de l'Ouest -, par l'Union africaine, par l'ensemble de la communauté internationale ; les Etats-Unis et la France, eux-mêmes, l'ont dit.
Q - Faut-il donc être patient maintenant ?
R - Il ne s'agit pas de patience, il faut que M. Gbagbo quitte le pouvoir, qu'il le transmette à M. Ouattara. Et d'ailleurs, pour la première fois depuis dix ans, il y a eu des élections organisées par M. Gbagbo ; celui-ci se grandirait en acceptant ce résultat.
Aujourd'hui, effectivement, il faut agir. L'Union européenne a d'ailleurs très clairement dit lundi que s'il n'y avait pas acceptation par certains de ces résultats, il y aurait des sanctions individuelles.
Q - Peut-on geler les comptes de M. Gbagbo à l'Union européenne ?
R - L'Union européenne est en train d'examiner ces sanctions et a indiqué que le principe des sanctions était acceptable.
Qu'est-ce que des sanctions ? C'est plusieurs choses comme, par exemple, le refus de tous visas. Ce peut être aussi, par exemple, le gel de comptes ou le gel de biens qui se trouvent dans un certain nombre d'autres pays. C'est une réaction unanime, il y a eu une élection avec des résultats et, à partir du moment où ils sont certifiés comme étant à la fois démocratiques et transparents, ils doivent être acceptés.
Q - Alain Juppé a été très clair, il n'y aura pas d'intervention française entre les deux parties si la violence survient. Pourquoi ? N'est-ce pas notre devoir de nous interposer entre les deux camps ? Nous l'avons fait avec l'opération Licorne.
R - Non, c'est le devoir de la communauté internationale et je vous rappelle que l'ONU est présente, à travers l'ONUCI, c'est-à-dire les forces internationales, lesquelles sont là pour essayer d'éviter la violence. Mais ce que je souhaiterais et ce à quoi j'incite les uns et les autres, c'est qu'elle n'ait pas à intervenir, c'est-à-dire que chacun se conforme à un résultat qui est démocratique afin que l'on évite les provocations. C'est vrai qu'aujourd'hui, ce risque existe.
Q - Avez-vous un plan d'évacuation pour les 15.000 Français sur place ?
R - Cela existe partout si je puis dire. Dès qu'il y a une crise quelque part, nous nous interrogeons en coordination avec les militaires sur ce qu'il serait nécessaire de faire s'il y avait un risque pour les Français. Je suis extrêmement soucieuse de leur protection, tout comme l'ensemble des membres de la communauté internationale.
Aujourd'hui il n'y a pas de menace précise. Il peut y avoir des inquiétudes mais il n'y a pas de menaces précises. Bien entendu, notre ambassade est en relation avec les Français sur place, elle leur passe un certain nombre de consignes de sécurité et j'ai demandé que cela soit fait dès avant les élections.
S'il se produisait quelque chose, la protection de nos concitoyens est l'une de nos missions fondamentales et elle serait mise en oeuvre.
Q - Ce soir et demain, c'est le Conseil européen pour sortir durablement de la crise nous dit-on. N'est-il pas temps de lancer des euro-obligations, les «euro bonds» comme l'on dit et comme le demande le Luxembourg ? Ne faut-il pas convaincre l'Allemagne d'accepter cette solution ?
R - Aujourd'hui, ce n'est pas le problème et nous ne pouvons pas le faire ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas un fonds européen qui nous soit commun.
Aujourd'hui, nous avons besoin d'empêcher des spéculateurs qui ont décidé de s'attaquer à un pays après l'autre, en tentant d'utiliser les fragilités de plusieurs pays. Il est vrai qu'il y a eu des surprises au moment où la Grèce a été attaquée et nous en avons tiré les conséquences. Lorsque les spéculateurs s'en sont pris à l'Irlande, nous avons réagi beaucoup plus vite. Aujourd'hui, ce qui va se décider à Bruxelles, c'est la mise en place de mécanismes applicables systématiquement de façon à protéger l'euro car nous tenons à sa stabilité. C'est indispensable dans le monde actuel de concurrence ; nous avons besoin de nous conforter. Ce sont nos emplois, nos entreprises qui sont en jeu à travers l'euro.
Nous aurons donc ce mécanisme qui nous permettra de réagir de la même façon et systématiquement, extrêmement rapidement de façon à décourager les spéculateurs qui doivent savoir que nous ne permettrons pas de fragiliser ou d'attaquer l'euro.
Q - Vous avez déclaré que la France n'avait pas vocation à rester très longtemps en Afghanistan. Quel est le calendrier qui se cache derrière ce «très longtemps» : est-ce 2012, 2014 ?
R - Il n'y a pas de calendrier précis, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit pas de donner un signal à des gens qui voudraient, ensuite, déstabiliser l'Afghanistan et programmeraient quelque chose pour dans deux ans pour mieux revenir. Non, le calendrier est très précis, même s'il n'a pas de date. Au fur et à mesure que nous pouvons transmettre à l'Etat afghan la responsabilité de la sécurité et du développement économique.
C'est ce que nous faisons depuis des années. Depuis 2004, par exemple, nous contribuons à former une véritable armée afghane. Nous avons, nous Français, commencé par former des forces spéciales afghanes, avec les Américains. Nous avons formé les officiers de l'armée afghane puis les militaires de cette armée.
Dans le même temps, avec les Allemands, nous formons les policiers et les gendarmes, pour assurer la sécurité de ce pays, pour lutter contre le trafic de drogue en particulier qui est l'un des éléments permettant de conforter financièrement le terrorisme des Taliban, pour que l'Etat afghan ait les moyens d'assumer ses responsabilités.
De la même façon, nous allons aider l'Etat afghan à mettre en place une justice digne de ce nom et, au fur et à mesure, nous transmettons, soit des pouvoirs, soit des éléments de l'autorité de l'Etat, soit des provinces lorsque ce sont des provinces entières qui peuvent se gérer en respectant l'autorité de l'Etat afghan.
(...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 décembre 2010