Interview de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, à France 2 le 5 février 2001, sur la corruption chez Elf, l'insécurite dans les banlieues, les suppressions d'emplois et les emplois précaires.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

A. Laguiller (LO)
France 2 - 7h50
Le 5 février 2001
G. Morin Vous allez avoir des candidats aux municipales, on va en parler et on va parler aussi du social. Mais d'abord cette affaire qui agite tout le monde en ce moment, le retour d'Indonésie de M. Sirven.
- "Il n'est pas revenu encore."
Oui, mais il est revenu en Europe et il est en Allemagne. Que pensez-vous de ce feuilleton ?
- "On pourrait se dire que c'est rocambolesque si on ne voyait pas des millions et des millions qui sont détournés vers des personnalités politiques, les mêmes d'ailleurs ministres ou patrons de grandes entreprises qui disent qu'il faut que les travailleurs se serrent la ceinture, qui prêchent l'austérité à des gens qui gagnent 6000, 7000 francs par mois. Or on voit tout un tas de responsables qui se laissent corrompre pour vivre dans le luxe. On dit que M. Sirven est le principal responsable de toute cette corruption. On verra ce qu'il dira. Lui prétend qu'il peut donner le nom de cent personnalités politiques et qu'il peut mettre la République à bas. Alors je ne sais pas si on pourra l'entendre et ce qu'il fera. Ce qui est certain c'est que ce monsieur était quand même le numéro 2 de Elf, c'est-à-dire un grand patron et quand on voit tout l'argent qui est mis pour corrompre les hommes politiques, on se dit : qu'est-ce qu'ont dû gagner les corrupteurs dans cette affaire."
Vous pensez que l'Allemagne doit jouer le jeu d'aider la France et de le laisser rentrer dans notre pays pour être jugé, parce qu'ils ont aussi quelques intérêts à s'occuper de lui là-bas ?
- "Oui, il y a une affaire en Allemagne du financement de la CDU et de M. Kohl dont d'ailleurs je pense qu'au plus haut sommet de l'Etat français on était au courant de cela. Je ne vois pas comment c'était possible autrement."
Vous pensez à F. Mitterrand ?
- "Oui, par exemple. Et plus globalement je crois que ce n'est pas possible qu'il y ait eu une corruption à une telle échelle et qu'au niveau de l'Etat soit directement, soit par les services secrets, on n'ait pas pu être au courant."
D'une manière générale, vous dites qu'il faut que les cols blancs qui font de la délinquance paient comme disait A. Madelin il y a quelques jours ici : pas de tolérance pour les cols blancs qui fraudent, qui volent, qui sont corrompus ?
- "Les cols blancs ça désigne beaucoup de gens. Mais oui pas de tolérance pour les responsables politiques ou les patrons des grandes entreprises qu'ils soient corrompus ou corrupteurs."
Cela m'amène à parler d'insécurité parce que c'est un des thèmes cette campagne pour les municipales. On a beaucoup parlé de la délinquance des jeunes en particulier avec des incidents qui ont eu lieu notamment à La Défense mais aussi dans d'autres lieux. Est-ce qu'il y a moyen de prévenir, voire réprimer cette délinquance des jeunes qui s'accroît semble t-il?
- "Tous ceux qui connaissent les cités populaires, soit qu'ils y vivent, soit qu'ils s'y intéressent, savent que la répression policière ne règle rien, parce qu'il suffit parmi les policiers, simplement d'une petite minorité policière qui ait des attitudes racistes, ou anti jeunes, ne serait-ce d'ailleurs qu'en contrôlant les jeunes pour leur identité, en les contrôlant en faciès, pour qu'aussitôt cela déchaîne la haine et la violence. Moi je pense que ce n'est pas 90 % de répression policière qu'il faut, c'est 90 % de social qu'il faut dans ces quartiers. Comment se fait-il qu'une petite minorité de caïds, de dealers qui vivent en parasites sur plus pauvres qu'eux puissent entraîner ces jeunes ? C'est une minorité dans les cités, dans les banlieues. S'ils arrivent à avoir finalement l'oreille de ces jeunes et même à les entraîner, c'est bien parce que ces jeunes sont sans perspective. On connaît des cités aujourd'hui où il y a 50 % de chômeurs, 40 %. Donc le premier problème à régler c'est que ces jeunes aient un avenir, aient un emploi, et que l'on consacre de l'argent dans ces cités à faire qu'il y ait des locaux pour les jeunes, qu'il y ait des animateurs, qu'il y ait un encadrement, que les écoles dans les quartiers populaires ne soient pas des écoles qui servent seulement à faire de la garderie, c'est-à-dire qu'il y ait suffisamment de personnel, plus qu'ailleurs pour encadrer ces jeunes et leur apprendre quelque chose."
Dans cette campagne pour les municipales, actuellement, c'est ce problème social qui vous semble être la question-clé à mettre en avant ?
- "En tout cas, c'est un des problèmes que je mets en avant dans les différents meetings que je fais pour soutenir les listes de Lutte Ouvrière."
En plus des salaires pour des retraites décentes, j'imagine.
- "Oui bien sûr. Là, ce n'est pas seulement le problème des cités, c'est les attaques du Medef - soutenu par le gouvernement - sur la remise en cause de la retraite à 60 ans, avec 45 ans de cotisation. Evidement c'est dans l'intérêt du Medef d'essayer de dire que les retraites par répartition ne sont plus valables pour pouvoir faire les retraites par capitalisation et donner ainsi de l'argent aux grandes compagnies d'assurance et aux banques. Mais on n'aurait pu espérer qu'un gouvernement qui se dit de gauche soit intervenu fermement là-dessus, ce qu'il n'a pas fait. Comme il ne le fait pas - et c'est un deuxième problème - s'agissant des licenciements, des suppressions d'emplois qui continuent, qui vont continuer chez Unilever, à Alstom, chez Michelin, chez Danone, et dans beaucoup d'entreprises à travers le pays. Alors on ne peut pas à la fois parler de la baisse du chômage et en même temps laisser faire toutes ces grandes entreprises qui suppriment des emplois alors qu'elles font des profits énormes."
Une dernière question : finalement vos positions sont assez convenues, assez habituelles même dans cette période et avec le retour de la croissance et la baisse du chômage. Est-ce que ce n'est pas plus difficile pour vous d'agir en ce moment ?
- "Cette baisse du chômage masque la pauvreté et la précarité. Sur les 500 000 emplois qu'on nous dit avoir été créés en un an, la plupart sont des emplois précaires, en intérim, en CDD, en CES, à temps partiel non choisi, et on a dans ce pays un travailleur, un salarié sur 6 qui gagne moins de 4900 francs net. C'est dire si le problème des salaires est aussi à l'ordre du jour aujourd'hui."
Lutte Ouvrière sera présente dans les municipales dans de nombreuses communes.
- "Absolument oui, une centaine de villes je pense."
Vous, vous ne vous présentez personnellement pas à cause du cumul de mandats ?
- "C'est ça. Je laisserai mon mandat de conseillère municipale que j'occupe depuis 93 parce que je suis élue au Parlement européen et au Conseil régional d'Ile de France."
Et à la prochaine présidentielle ?
- "Oui je serai là bien sûr
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 6 février 2001)