Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, à RFI le 23 décembre 2010, sur la situation en Côte d'Ivoire et sur l'aide publique au développement.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Bonjour Henri de Raincourt.
R - Bonjour.
Q - Le gouvernement français a invité mercredi ses ressortissants à quitter, je cite, «provisoirement» la Côte d'Ivoire. Pourquoi avoir pris une telle décision ?
R - C'est une recommandation qui a été faite par le gouvernement français, comme d'ailleurs d'autres pays avant lui y avaient procédé. Il s'agit tout simplement de protéger au maximum avec une sorte de précaution nos ressortissants dans la mesure où, pour l'instant, même si rien n'est arrivé, on se dit que si des mouvements de violence se produisaient, il vaudrait mieux que nos ressortissants aient été protégés au mieux. C'est simplement une mesure de protection et d'anticipation sur ce que nous ne souhaitons pas voir arriver, bien entendu, c'est-à-dire le développement de la violence.
Q - Guillaume Soro, le Premier ministre d'Alassane Ouattara, estime désormais qu'il faut envisager un recours à la force pour contraindre Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir. C'est une analyse que vous partagez ?
R - Je rappelle qu'on est là dans une situation qui est très difficile. Il s'agit tout simplement de respecter la démocratie et d'installer un président en Côte d'Ivoire qui a été élu par une majorité des électeurs. Donc le faire par la force n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes. En tout cas, ce qui est tout à fait clair, c'est que la communauté internationale qui a ratifié les résultats en Côte d'Ivoire est représentée par la force de l'ONU, l'ONUCI, et je ne vois pas l'ONUCI déclarer la guerre à une partie de la Côte d'Ivoire contre l'autre partie. Donc si quelque chose devait en la matière se produire, cela ne pourrait être qu'à l'initiative des pays africains eux-mêmes.
Q - Concrètement justement, ces pays africains réunis au sein de la CEDEAO, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, vont se réunir en urgence ce vendredi. Souhaitez-vous qu'ils décident d'une intervention militaire, sachant que le Nigéria est le principal pourvoyeur de forces militaires au sein de la CEDEAO ?
R - Je veux rappeler que la France, depuis le début de cette affaire, est sur la ligne de la communauté internationale en termes de positionnement politique et que nous demeurons sur cette ligne-là. Donc la France elle-même ne peut en aucune manière recommander le recours à la violence. C'est encore une fois une responsabilité entière qui revient aux chefs d'Etat de l'Afrique qui vont effectivement se réunir demain.
Q - Mais très concrètement, pensez-vous que les sanctions financières qui ont été prises vont suffire à convaincre Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir ?
R - Effectivement, des sanctions financières, ce n'est pas très visible. Ensuite pour produire des effets, il faut du temps. Mais je crois à la réalité de cette politique. Je l'ai constatée dans un pays comme, par exemple, la Guinée, qui vient d'installer avant-hier un président démocratiquement élu. Ce sont les sanctions internationales qui ont vraiment fait évoluer la réalité dans ce pays. Je pense donc que les sanctions financières, les restrictions des déplacements, devraient certainement produire des effets, simplement cela demande du temps. Je rappelle que la Banque mondiale vient d'annoncer qu'elle a gelé les prêts à la Côte d'Ivoire, donc c'est une mesure tout à fait essentielle.
Q - Hors de cette actualité ivoirienne, votre ministère est en charge de l'aide publique au développement. La promesse avait été faite en ce domaine en 2005 que le montant de l'aide publique au développement atteindrait 0,7% du produit national brut en 2012. Ce ne sera probablement pas le cas. Est-ce qu'en ce domaine, Henri de Raincourt, il y a un manque de volonté politique ?
R - Il n'y a certainement pas, de la part de la France, un manque de volonté politique. Nous sommes aujourd'hui à 0,5% de notre revenu national brut. Moi j'avais noté que c'était 0,7% en 2015, donc entre 0,5 et 0,7 il y a effectivement un effort à faire, il faut le poursuivre. Et je rappelle qu'en matière d'aide publique au développement, le budget de la France pour 2011 est un des rares qui ait été préservé malgré la situation de nos finances publiques, où la plupart des ministères ont dû faire des efforts financiers. Les crédits utilisés pour le développement, eux, ont donc été maintenus. Il s'agit de plus de 10 milliards. C'est donc un effort important et je rappelle que la France, derrière les Etats-Unis, est le deuxième contributeur mondial. Nous avons donc tout lieu d'être fiers de la politique que nous menons en la matière et nous avons toutes les raisons d'y croire et de la poursuivre.
Q - Mais plus globalement, vous avez eu l'occasion d'en débattre avec vos anciens collègues au Sénat récemment, et certains sénateurs ont souligné que le problème de l'aide publique française au développement, c'est qu'elle englobait un certain nombre de choses, et en particulier des prêts, parce que c'est ainsi qu'opère le principal opérateur français en la matière, l'Agence française de développement, et que ces prêts favorisent avant tout le secteur public et assez peu le développement. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?
R - Notre analyse est que si on veut avoir une politique moderne de développement, il ne faut pas qu'elle se concentre quasi exclusivement sur les subventions et les dons qui, certes, sont nécessaires dans un certain nombre de domaines comme la santé, l'éducation, etc... mais qu'en matière d'infrastructures, en particulier, le partenariat public-privé financé par des prêts est un outil très précieux, d'une grande efficacité et il suffit de regarder sur le terrain pour mesurer ce que cela produit. Au niveau de l'Agence française du développement qui est notre bras armé, si je puis dire, en matière de développement, des opérations tout à fait extraordinaires sont réalisées. Je peux citer l'exemple de la filière du coton au Burkina Faso qui est aujourd'hui achevée, du producteur jusqu'à l'expédition du coton entièrement préparé et conditionné, c'est une très grande réussite. Il ne faut donc pas s'enfermer dans des stéréotypes. Il faut au contraire ouvrir toutes les possibilités pour financer le développement qui est une nécessité absolue pour l'Afrique, qui je le rappelle, a aujourd'hui 800 millions d'habitants et qui en aura 2 milliards en 2050. Il y a grand intérêt à regarder ce qu'il se passe en Afrique et à tout faire pour que le développement endogène du continent soit une grande réussite.
Q - Une dernière question, rapidement Henri de Raincourt, comprenez-vous la polémique qui commence à naître sur la nomination au poste d'ambassadeur de France auprès de l'UNESCO de l'ancienne ministre Rama Yade ?
R - Le Conseil des ministres, j'en suis membre, a procédé hier sur proposition du ministre des Affaires étrangères, à la nomination de mon ancienne collègue du gouvernement, Rama Yade. Je ne vois pas pourquoi cela ferait polémique. Tout le monde sait que Rama Yade est une personnalité extrêmement brillante, intelligente et qu'elle assumera très bien ses fonctions.
Q - Merci Henri de Raincourt, je rappelle que vous êtes ministre chargé de la Coopération au sein du gouvernement français, merci.
R - Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 janvier 2011