Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur la pauvreté et l'exclusion sociale et notamment l'installation du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'excluison sociale (CNLE), Paris le 21 décembre 2010.

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Circonstance : Installation du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE) à Paris le 21 décembre 2010

Texte intégral


C'est pour moi une grande fierté d'installer aujourd'hui le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE).
Récemment renouvelée, cette instance joue en effet un rôle majeur dans notre système de solidarité. Elle est un outil de coordination et une force de proposition avec lesquels les pouvoirs publics oeuvrent en bonne intelligence. Je ne doute pas que vous saurez, Monsieur le président, cher Etienne Pinte, renforcer encore les missions du CNLE et lui donner une meilleure visibilité.
En cela, vous pouvez compter sur mon soutien indéfectible.
A vous toutes et vous tous qui donnez de votre temps et de votre énergie pour combattre l'exclusion sous toutes ses formes, je veux dire mon admiration et mon respect.
La solidarité : c'est bien cette valeur, d'abord, qui nous réunit et nous fédère, au service de nos concitoyens les plus démunis.
Si j'ai souhaité venir à votre rencontre, c'est précisément pour vous dire que cette valeur, nous l'avons en partage.
Par nature diverse et complexe, la pauvreté nécessite une mobilisation collective.
Cette mobilisation, je la porterai en tant que Ministre des solidarités et de la cohésion sociale.
C'est mon engagement, ainsi que celui de Marie-Anne Montchamp, que je suis venue réaffirmer ici.
L'Etat est et sera à vos côtés pour faire reculer la pauvreté et l'exclusion sociale.
Dans cette réunion du CNLE, je veux voir un signe fort de notre mobilisation commune.
Ensemble, nous allons faire en sorte de réduire les inégalités, car c'est possible (I) !
Pour cela, nous devons être plus efficaces (II).
La réduction des inégalités est un objectif accessible, qui doit nous mobiliser pleinement. Ce sera l'objet du premier temps de mon intervention.
Réduire la pauvreté : c'est tout l'objet du rapport annuel sur la pauvreté, dont j'ai souhaité que vous soyez les premiers destinataires, en même temps que le Parlement, parce que je veux travailler en confiance avec vous.
Ce rapport nous fournit des indicateurs précis. Je laisserai à Fabrice Heyries le soin de vous en donner le détail dans quelques instants.
Cependant, d'ores et déjà, je veux en tirer quelques enseignements.
Premier enseignement : réduire la pauvreté, c'est possible !
Dans le cadre de la loi sur le revenu de solidarité active (RSA), le président de la République a fixé un objectif clair : réduire d'un tiers la pauvreté en France d'ici 2012.
C'est un choix ambitieux, mais aussi courageux, car il y a derrière une obligation de résultats.
Mais, face à un tel enjeu, il faut faire preuve de volontarisme et savoir prendre des risques. C'est la noblesse de l'action politique.
Dans notre pays - et c'est le deuxième enseignement -, 7,8 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté en 2008.
Si le taux de pauvreté monétaire ancré dans le temps évolue de manière favorable, les autres indicateurs sont relativement stables.
Mais la pauvreté frappe prioritairement les familles monoparentales, ainsi que les jeunes.
Si l'emploi à temps plein continue de protéger contre la pauvreté, le développement du temps partiel et de certaines formes d'emplois précaires a aussi fait émerger une pauvreté des personnes d'âge actif.
Troisième enseignement : il reste que nous ne disposons pas encore d'une vision précise de l'impact de la crise économique dont notre pays sort à peine.
Néanmoins, notre système de solidarité a pleinement joué son rôle d'amortisseur.
Plébiscité par nos concitoyens, il doit être consolidé et pérennisé.
A cela se sont ajoutées les mesures prises par le Gouvernement, qui n'est pas resté inactif.
Ces mesures sont de deux types.
D'abord des mesures sectorielles, qui ont pris la forme de primes exceptionnelles pour soutenir les foyers les plus modestes.
Je pense par exemple à la prime de Noël, à la prime de solidarité active de 200 euros, à la prime exceptionnelle de 150 euros accordée à 3 millions de familles ayant des enfants de plus de 6 ans, et à la prime de 500 euros versée aux demandeurs d'emploi ne bénéficiant pas de l'assurance chômage.
Ensuite, des chantiers de long terme, comme le RSA activité, et la revalorisation des prestations de 25% en cinq ans, telles que l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou le minimum vieillesse, conformément à l'engagement du président de la République.
Bien sûr, il nous faudra patienter pour connaître l'impact de ces mesures sur la pauvreté au cours des 18 derniers mois marqués par des tensions sur le pouvoir d'achat et la montée du chômage.
Quoi qu'il en soit, dans le cadre du choix de la lutte contre la solitude comme « grande cause nationale », je veux inscrire la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale au coeur de mon action.
Nous devons être plus efficaces et, pour cela, à la fois mieux nous coordonner et être mieux informés. Ce sera l'objet de ce second temps de mon propos.
Pour être plus efficace, nous devons mieux nous coordonner.
Si je serai, avec Marie-Anne Montchamp, votre point d'entrée au Gouvernement, la lutte contre la pauvreté ne saurait être le domaine réservé de la Ministre des solidarités et de la cohésion sociale.
Elle est l'affaire de tous ! Et la présence de mes collègues - Marie-Anne Montchamp, Benoist Apparu - aujourd'hui, l'atteste à elle seule.
Nous savons bien, en effet, que les bénéficiaires des différents dispositifs mis en oeuvre par les différents ministères sont les mêmes.
Qu'est-ce qu'être pauvre ?
Etre pauvre, c'est se heurter à un faisceau de difficultés : l'accès au logement, l'accès aux soins, la participation à la vie de la cité.
Dès lors, la seule réponse possible ne peut être qu'interministérielle.
C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement a fait avec le dispositif du RSA.
C'est aussi ce que nous faisons avec le pacte territorial pour l'insertion, prévu dans le RSA.
Ce pacte a vocation à améliorer et structurer la gouvernance territoriale en associant tous les acteurs de l'insertion. C'est un nouvel outil, dont nos collectivités territoriales doivent se saisir rapidement.
Je le dis avec beaucoup de simplicité : je n'entends pas mener une politique de la famille, et une politique de l'enfance, et une politique de l'insertion, et une politique de lutte contre la précarité, etc.
Pourquoi élaborer des dispositifs en tuyaux d'orgue alors que les publics sont les mêmes ?
J'entends donc mener une seule politique, une politique de la population, qui prenne en compte toutes les facettes d'une même situation.
Je sais d'ailleurs que l'une des attentes des acteurs, c'est précisément qu'une plus grande visibilité soit donnée à toutes les facettes de la pauvreté.
C'est aussi votre objectif, au CNLE. Je ne doute pas que vous serez un partenaire de qualité dans cette démarche qui vise à considérer des personnes, dans leur dignité et leur intégrité, et non des problèmes segmentés, dissociés les uns des autres.
J'en profite pour saluer votre engagement constant au service de nos concitoyens les plus vulnérables.
Tout au long de ces dernières années, le CNLE a organisé des réunions plénières à un rythme soutenu.
Vous avez présenté un certain nombre d'avis et de propositions, pour participer à l'élaboration des politiques publiques, et des principaux textes juridiques.
Durant la dernière mandature, trois groupes de travail vous ont largement mobilisés :
* un groupe de travail consacré au suivi du Plan national d'action pour l'inclusion sociale (PNAI), dont l'objectif était de travailler sur l'axe gouvernance du Plan national. Dans le cadre de ses travaux, en 2009, une rencontre a été organisée sur l'analyse de la gouvernance locale des politiques d'inclusion inscrites dans le PNAI 2008/2011 et mises en oeuvre au niveau communal et intercommunal. D'autres travaux ont également porté sur les différents tableaux de bord d'indicateurs d'inclusion sociale, sur l'amélioration de la participation des personnes en situation de pauvreté et sur l'articulation des politiques nationales d'inclusion sociale et de la politique de la ville.
Par ailleurs, ce groupe de travail s'est réuni récemment pour rendre un avis sur l'objectif de lutte contre la pauvreté retenu dans le cadre de la stratégie européenne 2020 et inclus dans le Plan National de Réforme, attendu par la Commission en avril 2011.
* un groupe de travail dédié à la réflexion sur les fonctions de conseil et d'observation dans le champ de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
Les premiers travaux de ce groupe, qui n'ont pu aboutir avant la fin de la mandature, devront être repris dans le cadre d'une réflexion globale sur la gouvernance des politiques d'inclusion sociale, au regard de la situation française mais aussi européenne. Je suivrai avec un intérêt tout particulier vos préconisations dans ce domaine.
* un groupe chargé de l'animation de l'Année européenne 2010 de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, dont le travail s'est achevé la semaine dernière à Bruxelles.
L'Année européenne a permis une approche globale, dans laquelle chacun a pu s'exprimer au sein de la réflexion collective et concertée qui a été conduite. Elle a également souligné avec force le caractère multifactoriel de la pauvreté et la nécessité, pour la combattre, de lui apporter des solutions à fois globales et personnalisées.
Pour y parvenir, cette Année européenne a permis de renforcer de nouveaux partenariats entre les institutions, les collectivités locales, les associations, les partenaires sociaux et les entreprises, en impliquant aussi les personnes en situation de pauvreté elles-mêmes.
Le traité de Lisbonne doit permettre la mise en oeuvre effective, depuis le 1er janvier 2010, de la clause sociale horizontale, qui est un outil supplémentaire dans l'éventail de ceux dont a su se doter l'Union européenne.
Ainsi, chaque mesure qui sera discutée et adoptée au niveau de l'Union européenne devra tenir compte de manière systématique de son impact social, pour éviter une augmentation de la précarité.
Enfin, l'Europe s'est fixé un objectif chiffré de réduction de la pauvreté : le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans l'union européenne devra baisser de 20 millions d'ici 2020.
Vous qui vous êtes beaucoup investis dans cette Année européenne, vous allez désormais réfléchir, sous la houlette d'Etienne Pinte, aux perspectives d'évolution du CNLE et de ses missions, ainsi qu'à un élargissement de sa composition et à la création de commissions thématiques spécialisées.
Cette évolution a plusieurs objectifs :
* accentuer le rôle et l'impact de cette instance inter-partenariale pour en faire un outil de dialogue privilégié, notamment avec les pouvoirs publics ;
* renforcer son action de suivi des diverses politiques publiques menées en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, pour mieux les appréhender dans leur globalité ;
* améliorer sa communication, notamment en direction des parlementaires et des acteurs du champ social.
Par ailleurs, une réflexion plus large pourrait être engagée, avec le directeur général de la cohésion sociale, Fabrice Heyriès, pour simplifier le champ des solidarités et de la cohésion sociale en regroupant certains comités et conseils. C'est ce qu'avaient proposé Marc-Philippe Daubresse et Benoist Apparu, ainsi que les travaux que vous avez menés dans le groupe de travail fin 2008 et début 2009.
Ainsi, on pourrait imaginer un Conseil national d'inclusion sociale - son appellation reste encore à déterminer - qui regrouperait le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE), la Commission nationale consultative des Gens du voyage (CNCGDV), le Conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE) et peut-être d'autres conseils.
Naturellement, cette évolution se fera en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Mieux se coordonner, donc, pour être plus réactifs.
Pour cela, nous devons améliorer l'information sur notre politique d'insertion. Cela veut dire en premier lieu obtenir une information plus rapidement.
C'est le rôle de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES). Je souhaite qu'il nous fournisse des indicateurs plus réactifs pour disposer d'un retour plus rapide et plus qualitatif sur l'état de la pauvreté.
Ces indicateurs, ils existent. Ce sont, par exemple, le nombre de bénéficiaires des tarifs de première nécessité EDF ou le nombre de demandes d'hébergement auprès du 115.
L'enjeu est simple : je veux que nous sachions mieux observer pour être plus réactifs avant que la détresse ne devienne irréversible. Nous devons donc être informés, peut-être pas en temps réel, mais au moins en infra-annuel.
Là encore, je fais confiance à l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) et à son nouveau président, Jérôme Vignon, pour être à la hauteur de ce défi que constitue l'élargissement de son périmètre d'étude.
Mais la qualité de l'information doit également être plus dense pour prendre en compte la pauvreté dans toutes ses dimensions. Il s'agit également de mieux apprécier l'impact des politiques d'insertion.
Nous devons pour cela aller plus loin qu'une évaluation purement quantitative de l'impact des politiques d'insertion sur les bénéficiaires.
De nombreux acteurs, je le sais, se sont emparés du sujet pour réfléchir à de nouvelles méthodes d'évaluation qui prennent en compte l'impact de ces politiques sur la personne considérée dans sa globalité, et - osons le dire - sur son bien-être.
Nous savons bien, en effet, que les problématiques sociales des usagers sont complexes et multifactorielles et qu'elles entretiennent entre elles des liens étroits. C'est pourquoi l'approche doit être globale.
Les outils qui émergeront de ce travail de réflexion ambitieux devront être des outils concrets utiles à l'ensemble des acteurs, et en particulier aux travailleurs sociaux et aux conseils généraux.
D'ores et déjà, je compte sur vous, cher Etienne Pinte, et sur vous toutes et vous tous pour me transmettre vos travaux. Je reviendrai prochainement en débattre avec vous.
Pour mieux cibler le sujet, nous devons associer les personnes défavorisées à la définition de ces politiques d'insertion.
C'est pour elles que nous agissons ; il faut donc aussi le faire avec elles, comme nous le faisons avec les professionnels de l'intervention sociale.
Pour cela, je veux développer la représentation des usagers à tous les niveaux, comme cela est prévu dans la loi RSA, pour l'élaboration et l'évaluation de la politique d'insertion, et pour l'examen des situations individuelles.
Je souhaite développer cette participation à tous les niveaux :
* dans les structures de prise en charge ;
* dans les collectivités territoriales ;
* au niveau national, comme cela existe dans le comité national d'évaluation du RSA.
Dans cette perspective, un groupe de travail sera confié au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE). Sachez d'ores et déjà que j'étudierai ses propositions avec le plus grand intérêt.
C'est ainsi que nous donnerons toute sa place à l'expertise et au potentiel de compétence des usagers. C'est ainsi que nous donnerons du sens à notre démarche collective.
N'oublions pas la phrase de Mandela, qui disait : « Tout ce qui est fait pour moi sans moi est fait contre moi ».
Si l'Etat s'est mobilisé et continue de se mobiliser pour lutter contre la pauvreté, c'est également toute la société qui doit accompagner ce mouvement et exprimer ainsi ses valeurs de solidarité et de fraternité.
Car, au-delà des questions que j'ai évoquées, il faut se rappeler qu'être pauvre, c'est aussi ne plus pourvoir exercer tous ses droits et ses devoirs de citoyen.
Etre pauvre, c'est être dépossédé de son identité.
En lisant, récemment, un article consacré aux maraudes médicalisées en Île-de-France, j'ai été très frappée de lire ces mots d'une vieille dame vivant dans la rue : « Je ne vous donne pas mon nom, parce que je ne me connais plus ».
Une telle situation n'est pas acceptable. Comme vous, je ne l'accepte pas.
Pour toutes ces raisons, fédérons nos énergies au service d'une action utile et juste.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 4 janvier 2011