Texte intégral
Monsieur le Président de la République, Cher Jacques Chirac,
Messieurs les Présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les Ministres,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur général,
Mesdames et Messieurs,
Cette rentrée solennelle s'engage sous le sceau du souvenir.
La disparition soudaine de Philippe Séguin il y a un an, a provoqué une émotion profonde dans notre pays et après le temps du deuil il nous revient de faire partager son héritage intellectuel et politique. Cet héritage appartient à tous les Républicains, à tous les Français, à tous ceux qui ressentent les devoirs qui s'attachent à une citoyenneté engagée et éclairée.
Je sais quelle fut la tristesse que vous avez ressentie à la Cour des Comptes. Parce qu'il avait ici des amis et que vous saviez quelle était sa force de travail, sa hauteur de vues, son exigence morale. Parce qu'il était devenu pour nos concitoyens la voix et le visage de votre institution. Parce qu'il existait entre lui et la Cour un lien ancien. Il l'avait rejointe en 1971, à sa sortie de l'ENA. Et je crois qu'on peut dire que ce choix n'avait été ni de circonstance ni de confort, mais de conviction. Il était fier d'appartenir à la Cour. Il en appréciait l'esprit fait de liberté, de rigueur, de précision. Il en partageait la vocation fondamentalement républicaine qui est de veiller à l'usage régulier, juste, efficace, de l'argent public.
Au centre de la pensée et de l'action de Philippe Séguin, il y avait une idée directrice qui était celle de la souveraineté, c'est-à-dire de la capacité qui revient à un peuple de maîtriser son destin et de le déterminer en conscience. Au fond, il y avait pour lui une sorte d'essence de la politique qui réside dans cette liberté de raisonner et de choisir, cette liberté qu'il faut préserver contre la société du spectacle, contre une certaine technocratie, contre le conformisme et la facilité.
Philippe Séguin savait que cette souveraineté s'incarne dans l'Etat et il savait que cet Etat peut être affaibli par l'accroissement du déficit public et de l'endettement. Erigée en dogme, l'orthodoxie budgétaire n'avait à ses yeux aucun sens, mais le laxisme était pour lui une complaisance coupable, et pour tout dire, une menace pour la Nation. Un pays fort, un pays respecté, un pays en mesure de déterminer ses options politiques et de préserver son mode de vie, c'est un pays qui maîtrise ses comptes. C'est un pays qui ne vit pas artificiellement au dessus de ses moyens. C'est un pays qui ne reporte pas sur ses enfants toute la responsabilité de sa gestion.
La crise de la dette qui frappe certains de nos voisins montre à quel point la réduction des dépenses est un enjeu éminemment politique, un enjeu national qui dépasse les querelles de partis. La puissance régalienne des Etats n'est plus une caution absolue qui autoriserait des emprunts avantageux et sans limite. Nous ne pouvons pas ignorer les avertissements. Nous ne pouvons pas occulter la vérité, qui est que nous dépensons trop, pas toujours à bon escient et cela depuis trop longtemps.
Être attentif à nos finances publiques, cela n'est pas se soumettre aux diktats des spéculateurs ou des agences de notation. Nul moins que Philippe Séguin ne l'aurait accepté. Etre responsable et rigoureux, c'est au contraire limiter notre dépendance à l'égard des marchés. Evaluer, réorienter, réinventer en permanence le fonctionnement de l'Etat et de nos politiques publiques, c'est redresser et revitaliser constamment la République ; c'est refuser de la voir s'assoupir dans le confort des habitudes, de la routine, des privilèges, tous ces maux qui sont l'antichambre du déclin.
Bien sûr, les Etats ont des missions particuli??res qui ne répondent pas à des logiques de court terme. Bien sûr, la France a des bases solides et reste l'une des meilleures signatures financières en Europe. Mais notre réputation ne nous dispense pas de faire des efforts nécessaires à la préservation de notre rang, de notre liberté d'agir, de notre capacité à investir et à maintenir notre modèle social. Ceux qui opposent la force de l'Etat à la rigueur de l'action publique, ceux qui opposent la discipline budgétaire à la justice sociale, ceux qui défendent les positions acquises en oubliant les exigences du progrès collectif, oublient que la facture des déficits arrive toujours un jour. Et cette facture mine la République. Dans cet impératif de maîtrise des finances publiques, le rôle de la Cour des Comptes est central.
Le premier discours du député Philippe Séguin à l'Assemblée nationale en juin 1978, fut pour défendre les moyens en personnel de la Cour. Et lorsqu'il fut Président de l'Assemblée nationale, il affirma la force des liens entre la Cour et le Parlement, au moment où Pierre Joxe était le Premier président de votre institution. En assumant cette fonction à son tour, Philippe Séguin a offert en partage aux juridictions financières toute l'autorité qui lui venait des Hautes responsabilités politiques qu'il avait exercées. La célébration du bicentenaire de votre institution en 2007, a coïncidé avec le lancement de la réforme de l'Etat voulue par le Président de la République.
En 2004, l'année même où il était nommé à la tête de la Cour, Philippe Séguin écrivait : « Cela fait trente ans qu'on parle de réforme de l'Etat, sans que celle-ci, pourtant indispensable, soit conçue ni a fortiori mise en oeuvre. Or, cette réforme, c'est par la Cour qu'elle pourrait et devrait s'opérer si l'on veut qu'elle ait enfin lieu. »
Par sa personnalité, Philippe Séguin était de ceux qui pouvaient défendre la tradition de la Cour des comptes, et lui donner en même temps les moyens de négocier un tournant impliquant de renouveler et d'élargir ses missions, pour qu'elle devienne selon les termes employés par le Président de la République au moment du bicentenaire : « le grand organisme d'audit public dont la France a besoin ». Philippe Séguin a fait entendre la voix de la Cour. Il voulait que ses rapports ne viennent pas s'entasser dans les armoires de la République, mais servent à l'information des citoyens et à l'adoption des mesures nécessaires.
Je veux prendre quelques exemples qui illustrent la triple exigence d'efficacité, de clarté et de justice au nom de quoi, sous sa Présidence, votre institution a contribué à la révision de nos politiques publiques. La Cour avait particulièrement pointé, dans son rapport de 2007 sur l'application de la loi de financement sur la Sécurité sociale, la situation anormalement favorable des stock-options au regard des prélèvements sociaux. C'était non seulement un manque à gagner mais aussi une exception discutable sur le plan de l'équité. Et bien, sur la base de vos propositions nous avons encadré, moralisé et mis à contribution les revenus additionnels.
La Cour traque les dépenses inutiles, repère les dispositifs incohérents, aide le gouvernement à mettre de l'ordre dans le maquis de nos aides publiques. Ce fut le cas avec la réforme des contrats aidés et en particulier la création du contrat unique d'insertion qui s'est largement inspirée des propositions que vous aviez énoncées en 2006. Je pense aussi à la réforme du «1% logement» qui a tiré les conclusions de votre rapport public annuel de 2009. Mais la Cour des Comptes n'est pas seulement un censeur sourcilleux du mauvais usage des deniers publics. Elle doit aussi faire la lumière sur les absurdités et les injustices et Philippe Séguin y tenait beaucoup.
Pour ne prendre qu'un seul exemple, je me souviens qu'il s'était personnellement engagé sur la décristallisation des pensions des anciens combattants africains. Le Président de la République s'en est saisi en annonçant le 14 juillet 2010, l'alignement des pensions de tous ceux qui se sont un jour battus pour la France. Ce principe est aujourd'hui inscrit dans notre Loi de Finances pour 2011. Il faut en la matière, saluer la contribution de la Cour des Comptes. Il faut saluer la ténacité et le sens de la justice de Philippe Séguin, pupille de la Nation, fils de l'aspirant Robert Séguin, du 4ème régiment de tirailleurs tunisiens, mort au front à 22 ans.
Avec Philippe Séguin, la Cour a renforcé le poids de sa parole dans le débat public. Le Président de la République et le Gouvernement sont à son écoute. Nous serons très attentifs cette année, au rapport que votre Premier président fera conjointement avec nos partenaires allemands sur l'évolution comparée de nos fiscalités. Si je parle de débat public, c'est bien sûr parce qu'il y a aussi des échanges contradictoires qui font la vie de la démocratie. Le fait que le gouvernement fasse lui-même entendre son point de vue devant les diagnostics portés par la Cour témoigne en rien de je ne sais quelle opposition stérile : c'est au contraire la marque de l'autorité de votre institution. J'ai eu l'occasion d'exprimer mes réserves après les remarques de la Cour sur notre plan de relance, en défendant l'impératif de réactivité auquel nous étions confrontés pour sauver notre économie dans la crise mondiale, en défendant aussi les efforts engagés pour assurer l'efficience de ce plan.
Avec Philippe Séguin, la Cour a renforcé ses liens avec le Parlement, qui signe son rôle éminent au sein de notre République. J'ai dit qu'il avait oeuvré à ce rapprochement lorsqu'il présidait l'Assemblée nationale. A partir de 2001, la loi organique relative aux Lois de Finances a encore accru cette évolution. Le consensus qui a entouré sa mise en place montre que l'exigence de rationalité et d'efficacité qui doit prévaloir dans la gestion de nos finances publiques transcende les clivages partisans.
Et le fait que les deux pères fondateurs de cette loi organique - Didier MIGAUD et Alain LAMBERT - soient désormais réunis ici dans votre institution, symbolise le rôle républicain de la Cour des Comptes, qui est au service de l'intérêt général et de la France tout entière. En 2008, la révision constitutionnelle a consacré l'importance de la mission d'assistance de la Cour auprès du Parlement. L'hommage que les Présidents des deux Assemblées lui font de leur présence témoigne aujourd'hui de ce travail commun.
Mesdames et Messieurs,
La dynamique impulsée par Philippe Séguin se mesure dans les différents secteurs de l'activité des juridictions financières. Les Chambres des Comptes régionales et territoriales ont accru la part qu'elles prennent à l'évaluation des grandes politiques publiques, parce que ces politiques sont de plus en plus exercées en commun par l'Etat et les collectivités territoriales. C'est notamment le cas pour la dépendance des personnes âgées. Par deux fois, en 2005 et en 2009, les juridictions financières ont su poser un diagnostic clair des enjeux du vieillissement : risque financier majeur si rien n'est fait, menace de déséquilibre des politiques sociales départementales, inadéquation partielle de l'offre de services, poids du reste à charge pour les résidents d'établissements et leurs familles.
Et bien ces questions sont aujourd'hui au coeur du grand débat national sur la dépendance que nous venons d'engager. Les juridictions financières ont adapté et renouvelé leurs méthodes de travail et leurs compétences. Elles ont mené à bien la réforme de nombreuses procédures - dont celle des procédures juridictionnelles, issue de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elles assument désormais la mission complexe - mais nécessaire pour la sincérité de la gestion publique - de la certification des comptes de l'Etat et de la Sécurité sociale. Elles se sont dotées de nouveaux outils, virtuels pour certains, liés à la dématérialisation des pièces comptables, très tangibles pour d'autres, comme dans ce Palais Cambon qui a été profondément refaçonné.
Parmi ses évolutions, la Cour a conforté son rang au sein de grandes institutions d'audit international. Ce pan de votre activité vous associe directement au rayonnement de la France. Philippe Séguin était très attaché au développement des missions de Commissariat aux Comptes assurées par la Cour auprès de grandes organisations internationales comme l'UNESCO, l'OCDE ou le Conseil de l'Europe.
Le Président Abdou Diouf se souvient certainement de l'importance personnelle qu'il accordait à l'audit externe de l'Organisation internationale de la francophonie, lui qui était tellement soucieux de promouvoir la solidarité des peuples qui partagent notre langue. Philippe Séguin avait dit, en vous présentant ses voeux en 2008, que les changements dont il avait la pleine paternité se résumaient à l'installation de sous-verres dans les couloirs et à la climatisation de la Grand'Chambre.
Il faut naturellement faire la part de la modestie et de l'humour dans ces propos, mais aussi de l'hommage légitime qu'il tenait à rendre à ses prédécesseurs. Vous mesurez comme moi l'importance du rôle qu'a joué Philippe Séguin à la tête de votre institution. Je sais que Didier Migaud a à coeur de suivre le cap qui a été tracé. L'action qu'il a conduite depuis sa nomination atteste de ses ambitions pour la Cour. En 2011, votre institution produira un bilan très attendu des 10 ans de la LOLF.
Permettez-moi d'ailleurs, sans préjuger de vos travaux d'en dire un mot issu de ma propre expérience. J'ai pu mesurer à quel point la LOLF avait amélioré la lisibilité du cadre budgétaire et mis un terme à certaines pratiques de gestion du passé. Elle a aussi eu l'immense mérite d'associer budget et performance, ce qui représente une innovation des plus importantes, sans laquelle il n'aurait pas été possible de passer à l'évaluation systématique de politiques publiques qui a été le fil conducteur de la Révision générale des politiques publiques et des budgets triennaux depuis le début du quinquennat.
Mais ce que j'ai pu mesurer aussi, c'est que ce cadre n'était pas à lui seul suffisant pour garantir une bonne gestion. Il faut non seulement de bons outils, de bonnes structures, mais il faut aussi définir un cap clair face aux aléas de la conjoncture et il faut encore et surtout de la volonté politique pour tenir ce cap. La France a besoin pour cela, de juridictions financières qui poursuivent leur effort de modernisation, tout en étant assurées des moyens qui leur sont dus et confortées dans l'éminence de leur fonction. Tel était le sens de la réforme voulue par Philippe Séguin, dont le projet de loi a été approuvé par le Conseil des ministres en octobre 2009. A la suite du souhait d'évolution de ce texte que vous avez exprimé et que Didier Migaud a relayé et de son examen par la Commission de l'Assemblée nationale, les discussions doivent se poursuivre. Mais sachez que ma résolution à engager cette réforme est totale.
L'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, inscrit dans cette Grand'Chambre, exprime, Mesdames et Messieurs, le caractère fondamental de votre mission en affirmant que : « la société a le droit de demander compte à tout agent public, de son administration ». Vous savez comme moi avec quelle profondeur Philippe Séguin méditait les enseignements de l'Histoire. S'il voulait que la Cour change, c'était pour qu'elle demeure face à l'évolution des temps, cette « institution essentielle et irremplaçable » à laquelle Jacques Chirac avait rendu hommage en janvier 2007.
Les Français ne peuvent accepter les efforts nécessaires que nous leur demandons que s'ils ont par ailleurs l'assurance que les deniers publics ne sont pas utilisés en vain. Votre mission est noble puisqu'elle contribue à cette confiance sans laquelle l'acte républicain lui-même se trouve fragilisé. Tel est le sens de votre serment de magistrats, dont l'humilité fait aussi la grandeur. Puisse-t-il retentir en vous avec une intensité particulière lorsque vous entrerez dans la galerie Philippe Séguin qui jouxte cette Grand'Chambre et que j'ai aujourd'hui l'honneur d'inaugurer en sa mémoire.Source http://www.gouvernement.fr, le 7 janvier 2011
Messieurs les Présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les Ministres,
Monsieur le Premier Président,
Monsieur le Procureur général,
Mesdames et Messieurs,
Cette rentrée solennelle s'engage sous le sceau du souvenir.
La disparition soudaine de Philippe Séguin il y a un an, a provoqué une émotion profonde dans notre pays et après le temps du deuil il nous revient de faire partager son héritage intellectuel et politique. Cet héritage appartient à tous les Républicains, à tous les Français, à tous ceux qui ressentent les devoirs qui s'attachent à une citoyenneté engagée et éclairée.
Je sais quelle fut la tristesse que vous avez ressentie à la Cour des Comptes. Parce qu'il avait ici des amis et que vous saviez quelle était sa force de travail, sa hauteur de vues, son exigence morale. Parce qu'il était devenu pour nos concitoyens la voix et le visage de votre institution. Parce qu'il existait entre lui et la Cour un lien ancien. Il l'avait rejointe en 1971, à sa sortie de l'ENA. Et je crois qu'on peut dire que ce choix n'avait été ni de circonstance ni de confort, mais de conviction. Il était fier d'appartenir à la Cour. Il en appréciait l'esprit fait de liberté, de rigueur, de précision. Il en partageait la vocation fondamentalement républicaine qui est de veiller à l'usage régulier, juste, efficace, de l'argent public.
Au centre de la pensée et de l'action de Philippe Séguin, il y avait une idée directrice qui était celle de la souveraineté, c'est-à-dire de la capacité qui revient à un peuple de maîtriser son destin et de le déterminer en conscience. Au fond, il y avait pour lui une sorte d'essence de la politique qui réside dans cette liberté de raisonner et de choisir, cette liberté qu'il faut préserver contre la société du spectacle, contre une certaine technocratie, contre le conformisme et la facilité.
Philippe Séguin savait que cette souveraineté s'incarne dans l'Etat et il savait que cet Etat peut être affaibli par l'accroissement du déficit public et de l'endettement. Erigée en dogme, l'orthodoxie budgétaire n'avait à ses yeux aucun sens, mais le laxisme était pour lui une complaisance coupable, et pour tout dire, une menace pour la Nation. Un pays fort, un pays respecté, un pays en mesure de déterminer ses options politiques et de préserver son mode de vie, c'est un pays qui maîtrise ses comptes. C'est un pays qui ne vit pas artificiellement au dessus de ses moyens. C'est un pays qui ne reporte pas sur ses enfants toute la responsabilité de sa gestion.
La crise de la dette qui frappe certains de nos voisins montre à quel point la réduction des dépenses est un enjeu éminemment politique, un enjeu national qui dépasse les querelles de partis. La puissance régalienne des Etats n'est plus une caution absolue qui autoriserait des emprunts avantageux et sans limite. Nous ne pouvons pas ignorer les avertissements. Nous ne pouvons pas occulter la vérité, qui est que nous dépensons trop, pas toujours à bon escient et cela depuis trop longtemps.
Être attentif à nos finances publiques, cela n'est pas se soumettre aux diktats des spéculateurs ou des agences de notation. Nul moins que Philippe Séguin ne l'aurait accepté. Etre responsable et rigoureux, c'est au contraire limiter notre dépendance à l'égard des marchés. Evaluer, réorienter, réinventer en permanence le fonctionnement de l'Etat et de nos politiques publiques, c'est redresser et revitaliser constamment la République ; c'est refuser de la voir s'assoupir dans le confort des habitudes, de la routine, des privilèges, tous ces maux qui sont l'antichambre du déclin.
Bien sûr, les Etats ont des missions particuli??res qui ne répondent pas à des logiques de court terme. Bien sûr, la France a des bases solides et reste l'une des meilleures signatures financières en Europe. Mais notre réputation ne nous dispense pas de faire des efforts nécessaires à la préservation de notre rang, de notre liberté d'agir, de notre capacité à investir et à maintenir notre modèle social. Ceux qui opposent la force de l'Etat à la rigueur de l'action publique, ceux qui opposent la discipline budgétaire à la justice sociale, ceux qui défendent les positions acquises en oubliant les exigences du progrès collectif, oublient que la facture des déficits arrive toujours un jour. Et cette facture mine la République. Dans cet impératif de maîtrise des finances publiques, le rôle de la Cour des Comptes est central.
Le premier discours du député Philippe Séguin à l'Assemblée nationale en juin 1978, fut pour défendre les moyens en personnel de la Cour. Et lorsqu'il fut Président de l'Assemblée nationale, il affirma la force des liens entre la Cour et le Parlement, au moment où Pierre Joxe était le Premier président de votre institution. En assumant cette fonction à son tour, Philippe Séguin a offert en partage aux juridictions financières toute l'autorité qui lui venait des Hautes responsabilités politiques qu'il avait exercées. La célébration du bicentenaire de votre institution en 2007, a coïncidé avec le lancement de la réforme de l'Etat voulue par le Président de la République.
En 2004, l'année même où il était nommé à la tête de la Cour, Philippe Séguin écrivait : « Cela fait trente ans qu'on parle de réforme de l'Etat, sans que celle-ci, pourtant indispensable, soit conçue ni a fortiori mise en oeuvre. Or, cette réforme, c'est par la Cour qu'elle pourrait et devrait s'opérer si l'on veut qu'elle ait enfin lieu. »
Par sa personnalité, Philippe Séguin était de ceux qui pouvaient défendre la tradition de la Cour des comptes, et lui donner en même temps les moyens de négocier un tournant impliquant de renouveler et d'élargir ses missions, pour qu'elle devienne selon les termes employés par le Président de la République au moment du bicentenaire : « le grand organisme d'audit public dont la France a besoin ». Philippe Séguin a fait entendre la voix de la Cour. Il voulait que ses rapports ne viennent pas s'entasser dans les armoires de la République, mais servent à l'information des citoyens et à l'adoption des mesures nécessaires.
Je veux prendre quelques exemples qui illustrent la triple exigence d'efficacité, de clarté et de justice au nom de quoi, sous sa Présidence, votre institution a contribué à la révision de nos politiques publiques. La Cour avait particulièrement pointé, dans son rapport de 2007 sur l'application de la loi de financement sur la Sécurité sociale, la situation anormalement favorable des stock-options au regard des prélèvements sociaux. C'était non seulement un manque à gagner mais aussi une exception discutable sur le plan de l'équité. Et bien, sur la base de vos propositions nous avons encadré, moralisé et mis à contribution les revenus additionnels.
La Cour traque les dépenses inutiles, repère les dispositifs incohérents, aide le gouvernement à mettre de l'ordre dans le maquis de nos aides publiques. Ce fut le cas avec la réforme des contrats aidés et en particulier la création du contrat unique d'insertion qui s'est largement inspirée des propositions que vous aviez énoncées en 2006. Je pense aussi à la réforme du «1% logement» qui a tiré les conclusions de votre rapport public annuel de 2009. Mais la Cour des Comptes n'est pas seulement un censeur sourcilleux du mauvais usage des deniers publics. Elle doit aussi faire la lumière sur les absurdités et les injustices et Philippe Séguin y tenait beaucoup.
Pour ne prendre qu'un seul exemple, je me souviens qu'il s'était personnellement engagé sur la décristallisation des pensions des anciens combattants africains. Le Président de la République s'en est saisi en annonçant le 14 juillet 2010, l'alignement des pensions de tous ceux qui se sont un jour battus pour la France. Ce principe est aujourd'hui inscrit dans notre Loi de Finances pour 2011. Il faut en la matière, saluer la contribution de la Cour des Comptes. Il faut saluer la ténacité et le sens de la justice de Philippe Séguin, pupille de la Nation, fils de l'aspirant Robert Séguin, du 4ème régiment de tirailleurs tunisiens, mort au front à 22 ans.
Avec Philippe Séguin, la Cour a renforcé le poids de sa parole dans le débat public. Le Président de la République et le Gouvernement sont à son écoute. Nous serons très attentifs cette année, au rapport que votre Premier président fera conjointement avec nos partenaires allemands sur l'évolution comparée de nos fiscalités. Si je parle de débat public, c'est bien sûr parce qu'il y a aussi des échanges contradictoires qui font la vie de la démocratie. Le fait que le gouvernement fasse lui-même entendre son point de vue devant les diagnostics portés par la Cour témoigne en rien de je ne sais quelle opposition stérile : c'est au contraire la marque de l'autorité de votre institution. J'ai eu l'occasion d'exprimer mes réserves après les remarques de la Cour sur notre plan de relance, en défendant l'impératif de réactivité auquel nous étions confrontés pour sauver notre économie dans la crise mondiale, en défendant aussi les efforts engagés pour assurer l'efficience de ce plan.
Avec Philippe Séguin, la Cour a renforcé ses liens avec le Parlement, qui signe son rôle éminent au sein de notre République. J'ai dit qu'il avait oeuvré à ce rapprochement lorsqu'il présidait l'Assemblée nationale. A partir de 2001, la loi organique relative aux Lois de Finances a encore accru cette évolution. Le consensus qui a entouré sa mise en place montre que l'exigence de rationalité et d'efficacité qui doit prévaloir dans la gestion de nos finances publiques transcende les clivages partisans.
Et le fait que les deux pères fondateurs de cette loi organique - Didier MIGAUD et Alain LAMBERT - soient désormais réunis ici dans votre institution, symbolise le rôle républicain de la Cour des Comptes, qui est au service de l'intérêt général et de la France tout entière. En 2008, la révision constitutionnelle a consacré l'importance de la mission d'assistance de la Cour auprès du Parlement. L'hommage que les Présidents des deux Assemblées lui font de leur présence témoigne aujourd'hui de ce travail commun.
Mesdames et Messieurs,
La dynamique impulsée par Philippe Séguin se mesure dans les différents secteurs de l'activité des juridictions financières. Les Chambres des Comptes régionales et territoriales ont accru la part qu'elles prennent à l'évaluation des grandes politiques publiques, parce que ces politiques sont de plus en plus exercées en commun par l'Etat et les collectivités territoriales. C'est notamment le cas pour la dépendance des personnes âgées. Par deux fois, en 2005 et en 2009, les juridictions financières ont su poser un diagnostic clair des enjeux du vieillissement : risque financier majeur si rien n'est fait, menace de déséquilibre des politiques sociales départementales, inadéquation partielle de l'offre de services, poids du reste à charge pour les résidents d'établissements et leurs familles.
Et bien ces questions sont aujourd'hui au coeur du grand débat national sur la dépendance que nous venons d'engager. Les juridictions financières ont adapté et renouvelé leurs méthodes de travail et leurs compétences. Elles ont mené à bien la réforme de nombreuses procédures - dont celle des procédures juridictionnelles, issue de la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme. Elles assument désormais la mission complexe - mais nécessaire pour la sincérité de la gestion publique - de la certification des comptes de l'Etat et de la Sécurité sociale. Elles se sont dotées de nouveaux outils, virtuels pour certains, liés à la dématérialisation des pièces comptables, très tangibles pour d'autres, comme dans ce Palais Cambon qui a été profondément refaçonné.
Parmi ses évolutions, la Cour a conforté son rang au sein de grandes institutions d'audit international. Ce pan de votre activité vous associe directement au rayonnement de la France. Philippe Séguin était très attaché au développement des missions de Commissariat aux Comptes assurées par la Cour auprès de grandes organisations internationales comme l'UNESCO, l'OCDE ou le Conseil de l'Europe.
Le Président Abdou Diouf se souvient certainement de l'importance personnelle qu'il accordait à l'audit externe de l'Organisation internationale de la francophonie, lui qui était tellement soucieux de promouvoir la solidarité des peuples qui partagent notre langue. Philippe Séguin avait dit, en vous présentant ses voeux en 2008, que les changements dont il avait la pleine paternité se résumaient à l'installation de sous-verres dans les couloirs et à la climatisation de la Grand'Chambre.
Il faut naturellement faire la part de la modestie et de l'humour dans ces propos, mais aussi de l'hommage légitime qu'il tenait à rendre à ses prédécesseurs. Vous mesurez comme moi l'importance du rôle qu'a joué Philippe Séguin à la tête de votre institution. Je sais que Didier Migaud a à coeur de suivre le cap qui a été tracé. L'action qu'il a conduite depuis sa nomination atteste de ses ambitions pour la Cour. En 2011, votre institution produira un bilan très attendu des 10 ans de la LOLF.
Permettez-moi d'ailleurs, sans préjuger de vos travaux d'en dire un mot issu de ma propre expérience. J'ai pu mesurer à quel point la LOLF avait amélioré la lisibilité du cadre budgétaire et mis un terme à certaines pratiques de gestion du passé. Elle a aussi eu l'immense mérite d'associer budget et performance, ce qui représente une innovation des plus importantes, sans laquelle il n'aurait pas été possible de passer à l'évaluation systématique de politiques publiques qui a été le fil conducteur de la Révision générale des politiques publiques et des budgets triennaux depuis le début du quinquennat.
Mais ce que j'ai pu mesurer aussi, c'est que ce cadre n'était pas à lui seul suffisant pour garantir une bonne gestion. Il faut non seulement de bons outils, de bonnes structures, mais il faut aussi définir un cap clair face aux aléas de la conjoncture et il faut encore et surtout de la volonté politique pour tenir ce cap. La France a besoin pour cela, de juridictions financières qui poursuivent leur effort de modernisation, tout en étant assurées des moyens qui leur sont dus et confortées dans l'éminence de leur fonction. Tel était le sens de la réforme voulue par Philippe Séguin, dont le projet de loi a été approuvé par le Conseil des ministres en octobre 2009. A la suite du souhait d'évolution de ce texte que vous avez exprimé et que Didier Migaud a relayé et de son examen par la Commission de l'Assemblée nationale, les discussions doivent se poursuivre. Mais sachez que ma résolution à engager cette réforme est totale.
L'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, inscrit dans cette Grand'Chambre, exprime, Mesdames et Messieurs, le caractère fondamental de votre mission en affirmant que : « la société a le droit de demander compte à tout agent public, de son administration ». Vous savez comme moi avec quelle profondeur Philippe Séguin méditait les enseignements de l'Histoire. S'il voulait que la Cour change, c'était pour qu'elle demeure face à l'évolution des temps, cette « institution essentielle et irremplaçable » à laquelle Jacques Chirac avait rendu hommage en janvier 2007.
Les Français ne peuvent accepter les efforts nécessaires que nous leur demandons que s'ils ont par ailleurs l'assurance que les deniers publics ne sont pas utilisés en vain. Votre mission est noble puisqu'elle contribue à cette confiance sans laquelle l'acte républicain lui-même se trouve fragilisé. Tel est le sens de votre serment de magistrats, dont l'humilité fait aussi la grandeur. Puisse-t-il retentir en vous avec une intensité particulière lorsque vous entrerez dans la galerie Philippe Séguin qui jouxte cette Grand'Chambre et que j'ai aujourd'hui l'honneur d'inaugurer en sa mémoire.Source http://www.gouvernement.fr, le 7 janvier 2011