Texte intégral
Lors de son intervention télévisée, mardi, Lionel Jospin a beaucoup insisté sur le " sens " qu'il entend donner à son action à la tête du gouvernement. Le " sens " est une notion familière à François Bayrou, président de l'UDF et candidat - " à la fin de l'année " - à l'élection présidentielle. Il s'explique.
Le " sens ", c'est presque pour vous une marque déposée ?
Si vous faites allusion au livre que j'ai écrit sur ce sujet, alors que j'étais ministre de l'Education nationale dans le gouvernement Juppé, alors oui. Je pourrais en réécrire chaque mot cinq ans après. Donner du sens à sa vie, c'est une aspiration que chacun doit légitimement avoir dans sa sphère privée. Mais imaginez l'importance de cette obligation dans l'engagement public ! Lorsque le sens de l'action est illisible, que reste-t-il ? La pure et simple gestion, rien d'autre. C'est de cela que Lionel Jospin est victime aujourd'hui. L'action de son gouvernement a perdu de ses perspectives. Il est confronté à son impuissance face aux événements et aux choses. De cela, sans doute, venait l'impression d'ennui et de grisaille de son intervention. C'est un homme face à sa propre usure
Avez-vous été convaincu par son hésitation apparente à être candidat à l'élection présidentielle de 2002 ?
Il y a sans doute une part de tactique, de coquetterie, la volonté de se faire désirer. Mais cela traduit aussi un manque. Pour gagner, il ne suffit pas de se placer face aux élections et de dire : " Désirez-moi ". Il faut dire sa propre envie, sa propre volonté, son propre courage. On connaissait la crise de la droite. Voilà maintenant la crise de la gauche. Tant de gens se sentent floués, tous ceux à qui on a fait croire que le socialisme peut changer les choses. Aujourd'hui, c'est autant d'orphelins et de gens en colère.
Et les déçus de la politique à droite ?
Bien sûr, ils sont nombreux aussi. Il y a des décennies que la droite n'a que deux chapitres dans son discours : la fiscalité et le thème sécuritaire. Et même sur ces deux plans, on ne peut pas dire que les résultats aient été au rendez-vous quand nous étions au pouvoir. Mais il y a tant d'autre chapitres à ouvrir : la politique, c'est fait pour construire un monde. Il nous faut parler de culture, d'héritage culturel autant que de création. Il nous faut parler de morale, définir les valeurs de vie, de générosité, de solidarité. Nous ne sommes pas les défenseurs de l'individualisme satisfait, à la panse bien pleine et qui se fichent de ceux qui les entourent. Ce désespoir de droite, comme il y a un désespoir de gauche, mérite une réponse nouvelle.
Jacques Chirac, en 1995, n'avait-il pas fait rêver avec sa " fracture sociale " ?
C'est bien pour cette raison qu'il y a crise. Tant d'illusions si vite dissipées : six mois, trois mois, tant de désillusions. Plus forte est l'illusion, plus cruelle est la désillusion. C'est toute la différence que je fais entre les promesses électorales, qui n'engagent que ceux qui les reçoivent, et les convictions, qui inspirent toute une vie.
Mais vous, qu'allez-vous faire ?
Proposer un nouveau chemin, assez dégagé pour qu'on ne puisse pas le trahir au premier virage. Par exemple, lors des élections européennes, j'ai voulu respecter mon engagement de rester au Parlement européen. Presque tous les leaders sont partis. Mais, j'ai tenu parole.
Quand allez-vous annoncer officiellement votre candidature à l'Elysée ?
A la fin de l'année. La déclaration de candidature, c'est déjà la campagne. Or les Français ne sont pas dans la campagne présidentielle. Ils sortent à peine des municipales. Mais pour récolter au printemps 2002, il faut commencer à semer. Il y a tant à faire pour tracer le portrait de la France qui va naître une fois tournée la page du siècle dernier qui était celle de l'impuissance et des promesses trahies. Un an, c'est à la fois long et si court.
L'inversion du calendrier, qui sera définitivement adoptée mardi à l'Assemblée nationale, vous sert-elle ?
Nous allons revenir à l'ordre naturel des institutions de notre République. Celle qui marque la priorité logique de l'élection présidentielle sur les autres. C'est la position que j'ai toujours défendue en dénonçant, le premier, le calendrier " dingo ".
Votre conseil national, samedi, sera-il un acte fondateur ?
Une étape importante. Le moment est venu de dessiner le projet, d'en tracer les contours, de lui donner un nom. L'occasion est de baptiser le bateau avant qu'il largue les amarres.
Avec vous comme capitaine ?
Un vrai capitaine ne se dérobe pas à ses responsabilités. Je me sens un devoir d'engagement.
Etes-vous sûr d'avoir le soutien de toute l'UDF pour cette traversée ?
Oui. L'UDF l'a dit à plus de 95% lors de son Congrès d'Angers. S'il avait des transfuges, ils se trouveraient coupés de la base, privés de leurs amis. La France veut qu'on la regarde aux fonds des yeux et qu'on lui parle de son avenir. Ce ne sont pas les manuvres qui l'intéressent mais les convictions.
Le résultat des municipales vous a conforté dans ce sens.
Même moi qui ne croit pas aux sondages j'avais fini par être intoxiqué. Toutes les enquête prédisaient la vague rose, mais l'électeur est redevenu le patron quoi qu'on lui ait seriné. L'abondance de la moisson UDF et sa variété m'ont réjoui : Strasbourg, Rouen, Blois, Drancy, Saint-Brieuc, Epinay 125 villes de plus de 10 000 habitants. Qui l'aurait cru ?
Mais Lyon vous a échappé
Oui, comme à Paris, la profondeur de la fracture entre les deux droites lyonnaises a empêché le regroupement de deuxième tour.
Comment avez-vous apprécié le rôle de Jacques Chirac entre les deux tours ?
No comment.
Avez-vous eu des contacts récents avec l'Elysée ?
J'ai vu le Président de la République pour la dernière fois au début de l'année. Nous avons parlé du traité de Nice, sur lequel nous avons des appréciations divergentes. Chaque fois que le Président le souhaitera, je le rencontrerai avec plaisir. On peut avoir des visions différentes de l'avenir et préserver des liens amicaux. J'y veillerai
Alain Madelin ne marche-il pas sur vos plates-bandes ?
Nullement. Il défend l'ultralibéralisme et prône le " zéro licenciement ". C'est contradictoire.
Propos recueillis par Virginie Le Guay
(source http://www.udf.org., le 26 avril 2001)
Le " sens ", c'est presque pour vous une marque déposée ?
Si vous faites allusion au livre que j'ai écrit sur ce sujet, alors que j'étais ministre de l'Education nationale dans le gouvernement Juppé, alors oui. Je pourrais en réécrire chaque mot cinq ans après. Donner du sens à sa vie, c'est une aspiration que chacun doit légitimement avoir dans sa sphère privée. Mais imaginez l'importance de cette obligation dans l'engagement public ! Lorsque le sens de l'action est illisible, que reste-t-il ? La pure et simple gestion, rien d'autre. C'est de cela que Lionel Jospin est victime aujourd'hui. L'action de son gouvernement a perdu de ses perspectives. Il est confronté à son impuissance face aux événements et aux choses. De cela, sans doute, venait l'impression d'ennui et de grisaille de son intervention. C'est un homme face à sa propre usure
Avez-vous été convaincu par son hésitation apparente à être candidat à l'élection présidentielle de 2002 ?
Il y a sans doute une part de tactique, de coquetterie, la volonté de se faire désirer. Mais cela traduit aussi un manque. Pour gagner, il ne suffit pas de se placer face aux élections et de dire : " Désirez-moi ". Il faut dire sa propre envie, sa propre volonté, son propre courage. On connaissait la crise de la droite. Voilà maintenant la crise de la gauche. Tant de gens se sentent floués, tous ceux à qui on a fait croire que le socialisme peut changer les choses. Aujourd'hui, c'est autant d'orphelins et de gens en colère.
Et les déçus de la politique à droite ?
Bien sûr, ils sont nombreux aussi. Il y a des décennies que la droite n'a que deux chapitres dans son discours : la fiscalité et le thème sécuritaire. Et même sur ces deux plans, on ne peut pas dire que les résultats aient été au rendez-vous quand nous étions au pouvoir. Mais il y a tant d'autre chapitres à ouvrir : la politique, c'est fait pour construire un monde. Il nous faut parler de culture, d'héritage culturel autant que de création. Il nous faut parler de morale, définir les valeurs de vie, de générosité, de solidarité. Nous ne sommes pas les défenseurs de l'individualisme satisfait, à la panse bien pleine et qui se fichent de ceux qui les entourent. Ce désespoir de droite, comme il y a un désespoir de gauche, mérite une réponse nouvelle.
Jacques Chirac, en 1995, n'avait-il pas fait rêver avec sa " fracture sociale " ?
C'est bien pour cette raison qu'il y a crise. Tant d'illusions si vite dissipées : six mois, trois mois, tant de désillusions. Plus forte est l'illusion, plus cruelle est la désillusion. C'est toute la différence que je fais entre les promesses électorales, qui n'engagent que ceux qui les reçoivent, et les convictions, qui inspirent toute une vie.
Mais vous, qu'allez-vous faire ?
Proposer un nouveau chemin, assez dégagé pour qu'on ne puisse pas le trahir au premier virage. Par exemple, lors des élections européennes, j'ai voulu respecter mon engagement de rester au Parlement européen. Presque tous les leaders sont partis. Mais, j'ai tenu parole.
Quand allez-vous annoncer officiellement votre candidature à l'Elysée ?
A la fin de l'année. La déclaration de candidature, c'est déjà la campagne. Or les Français ne sont pas dans la campagne présidentielle. Ils sortent à peine des municipales. Mais pour récolter au printemps 2002, il faut commencer à semer. Il y a tant à faire pour tracer le portrait de la France qui va naître une fois tournée la page du siècle dernier qui était celle de l'impuissance et des promesses trahies. Un an, c'est à la fois long et si court.
L'inversion du calendrier, qui sera définitivement adoptée mardi à l'Assemblée nationale, vous sert-elle ?
Nous allons revenir à l'ordre naturel des institutions de notre République. Celle qui marque la priorité logique de l'élection présidentielle sur les autres. C'est la position que j'ai toujours défendue en dénonçant, le premier, le calendrier " dingo ".
Votre conseil national, samedi, sera-il un acte fondateur ?
Une étape importante. Le moment est venu de dessiner le projet, d'en tracer les contours, de lui donner un nom. L'occasion est de baptiser le bateau avant qu'il largue les amarres.
Avec vous comme capitaine ?
Un vrai capitaine ne se dérobe pas à ses responsabilités. Je me sens un devoir d'engagement.
Etes-vous sûr d'avoir le soutien de toute l'UDF pour cette traversée ?
Oui. L'UDF l'a dit à plus de 95% lors de son Congrès d'Angers. S'il avait des transfuges, ils se trouveraient coupés de la base, privés de leurs amis. La France veut qu'on la regarde aux fonds des yeux et qu'on lui parle de son avenir. Ce ne sont pas les manuvres qui l'intéressent mais les convictions.
Le résultat des municipales vous a conforté dans ce sens.
Même moi qui ne croit pas aux sondages j'avais fini par être intoxiqué. Toutes les enquête prédisaient la vague rose, mais l'électeur est redevenu le patron quoi qu'on lui ait seriné. L'abondance de la moisson UDF et sa variété m'ont réjoui : Strasbourg, Rouen, Blois, Drancy, Saint-Brieuc, Epinay 125 villes de plus de 10 000 habitants. Qui l'aurait cru ?
Mais Lyon vous a échappé
Oui, comme à Paris, la profondeur de la fracture entre les deux droites lyonnaises a empêché le regroupement de deuxième tour.
Comment avez-vous apprécié le rôle de Jacques Chirac entre les deux tours ?
No comment.
Avez-vous eu des contacts récents avec l'Elysée ?
J'ai vu le Président de la République pour la dernière fois au début de l'année. Nous avons parlé du traité de Nice, sur lequel nous avons des appréciations divergentes. Chaque fois que le Président le souhaitera, je le rencontrerai avec plaisir. On peut avoir des visions différentes de l'avenir et préserver des liens amicaux. J'y veillerai
Alain Madelin ne marche-il pas sur vos plates-bandes ?
Nullement. Il défend l'ultralibéralisme et prône le " zéro licenciement ". C'est contradictoire.
Propos recueillis par Virginie Le Guay
(source http://www.udf.org., le 26 avril 2001)