Texte intégral
Q - En 2008, Nicolas Sarkozy avait promis une «Europe qui protège». Depuis la crise, on n'y croit plus. Comment convaincre ?
R - L'Europe n'est plus la même. La crise a obligé les esprits à évoluer sur plusieurs sujets : politique commerciale, services publics, politique d'investissements, volonté de l'Europe d'être plus offensive sur la protection de ses frontières. Le défi pour la France est d'utiliser cette fenêtre de tir où des pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas sont plus ouverts à ses préoccupations, et de faire évoluer le logiciel européen.
Q - Peut-on en dire autant de l'euro ? Ne sort-il pas affaibli ?
R - Il ne faut pas se tromper. L'euro a été une protection dans la crise. On ne peut confondre la maladie européenne (les déficits et la mauvaise gestion), avec l'euro, qui est le médicament. En 1993, on avait le franc. Quel était le taux d'intérêt que les classes moyennes devaient endurer pour le financement du moindre projet ? 9 % à 10 %. Aujourd'hui, l'euro, pourtant dans une crise de déstabilisation majeure, d'attaques et de spéculation, nous permet toujours des taux de financement aux alentours de 3,5 %.
L'euro est une protection pour maintenir le pouvoir d'achat et la croissance. Ceux qui appellent à une sortie de l'euro oublient une chose : ce serait une catastrophe économique et politique, et les premiers à payer l'addition seraient les classes moyennes et les familles modestes.
Q - L'euro ne peut pas tenir sans une coordination des politiques budgétaires, qui se heurte à la divergence des économies...
R - Pour que l'euro existe, on n'a pas besoin que les économies européennes soient toutes standardisées. Ce qu'il faut, c'est une vision commune. D'abord, arrêter cette situation absurde où chaque pays fait son petit budget avec ses oeillères nationales sans prendre en compte le cadre européen.
Ensuite, réactiver un instrument qu'on a oublié, mis en place lors de la naissance de l'euro : les grandes orientations. A savoir une convergence économique, salariale, fiscale, au-delà de la Banque centrale européenne et de la discipline budgétaire indispensable.
Q - L'Allemagne est opposée à un «eurobond» (bon du Trésor européen). Et vous ?
R - Ce qui me gêne dans le débat sur les eurobonds, c'est qu'il revient à dire : «on n'est plus capable de s'endetter au niveau national, on va créer un endettement supplémentaire au niveau européen». On doit certes assainir les finances publiques, mais aussi continuer à porter des dépenses d'avenir. On a besoin d'une Europe qui investit, de politiques de relances ciblées sur des grands dossiers d'infrastructure.
Dans ce cadre, nous devons envisager la mise en place de project bonds : l'Europe apporterait sa garantie financière à des projets, privés ou pas, de grands investissements. Le financement serait moins cher et on rendrait possible la réalisation de grandes infrastructures qui, sinon, ne seraient pas rentables.
Par exemple, la mise en place d'un réseau européen pour le très haut débit, d'un réseau électrique intelligent pour mieux moduler nos consommations énergétiques, ou de gazoducs-oléoducs pour diversifier nos sources d'approvisionnement. C'est le raisonnement français : oui, on doit mettre de l'ordre dans nos finances publiques, mais pas en arrêtant d'investir. L'Europe a besoin de ces grandes causes mobilisatrices.
Q - Que pensez-vous de la proposition du commissaire italien, refusée par l'Allemagne et le Royaume-Uni, de créer une agence pour protéger l'Europe des investissements étrangers ?
R - Il faut défendre une vision offensive de l'Europe. Sa principale richesse, c'est sa technologie et son innovation. Le risque, c'est qu'on vende à la découpe le savoir-faire européen. On l'a vu avec le TGV : des pans majeurs de la technologie européenne ont été vendus à la Chine, qui est aujourd'hui capable de nous concurrencer sur ce terrain. La proposition du commissaire italien va dans le bon sens.
Il ne s'agit pas de fermer la porte aux investissements étrangers, qui sont une bonne chose, mais de ne pas se faire piller notre savoir-faire.
Q - L'Europe n'est-elle pas naïve de prôner un libre-échange fondamentaliste quand les grandes puissances se protègent ?
R - L'Europe a toujours défendu le libre-échange, mais quand on discute avec des pays qui ne pratiquent pas les mêmes règles que nous, il faut savoir siffler la fin de la récréation. Le principe majeur, c'est celui de la réciprocité. Là encore, les esprits évoluent à la faveur de la crise. Avant, tout le monde était fermé sur le sujet. On soupçonnait la France de faire du protectionnisme.
Ce que nous voulons, c'est nous protéger sur une base simple : nos frontières sont ouvertes quand celles d'en face le sont aussi. Par exemple, l'Europe s'astreint à ouvrir à la concurrence la totalité de ses marchés publics. Celui de la construction d'autoroutes en Pologne a été remporté par des entreprises chinoises, alors que les marchés publics chinois sont fermés. On n'a même pas le droit d'être candidat. C'est inacceptable. Il n'y a aucune raison qu'on autorise les entreprises étrangères à être candidates sur les marchés européens sans réciproque.
Autre exemple : les aides d'Etat. On les interdit dans les secteurs de la politique industrielle, notamment les chantiers de construction navale, et on a raison. Dans le même temps, la Corée pratique massivement les aides d'Etat sur ses chantiers. Là aussi, on pèche par naïveté. Ni la France seule, ni l'Allemagne seule ne peuvent rien contre cela. Seule l'Europe peut peser sur la balance. Or une vraie coalition européenne est en train de se construire sur ce principe de réciprocité. La réciprocité est devenue un des principes de notre politique commerciale européenne.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2011
R - L'Europe n'est plus la même. La crise a obligé les esprits à évoluer sur plusieurs sujets : politique commerciale, services publics, politique d'investissements, volonté de l'Europe d'être plus offensive sur la protection de ses frontières. Le défi pour la France est d'utiliser cette fenêtre de tir où des pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas sont plus ouverts à ses préoccupations, et de faire évoluer le logiciel européen.
Q - Peut-on en dire autant de l'euro ? Ne sort-il pas affaibli ?
R - Il ne faut pas se tromper. L'euro a été une protection dans la crise. On ne peut confondre la maladie européenne (les déficits et la mauvaise gestion), avec l'euro, qui est le médicament. En 1993, on avait le franc. Quel était le taux d'intérêt que les classes moyennes devaient endurer pour le financement du moindre projet ? 9 % à 10 %. Aujourd'hui, l'euro, pourtant dans une crise de déstabilisation majeure, d'attaques et de spéculation, nous permet toujours des taux de financement aux alentours de 3,5 %.
L'euro est une protection pour maintenir le pouvoir d'achat et la croissance. Ceux qui appellent à une sortie de l'euro oublient une chose : ce serait une catastrophe économique et politique, et les premiers à payer l'addition seraient les classes moyennes et les familles modestes.
Q - L'euro ne peut pas tenir sans une coordination des politiques budgétaires, qui se heurte à la divergence des économies...
R - Pour que l'euro existe, on n'a pas besoin que les économies européennes soient toutes standardisées. Ce qu'il faut, c'est une vision commune. D'abord, arrêter cette situation absurde où chaque pays fait son petit budget avec ses oeillères nationales sans prendre en compte le cadre européen.
Ensuite, réactiver un instrument qu'on a oublié, mis en place lors de la naissance de l'euro : les grandes orientations. A savoir une convergence économique, salariale, fiscale, au-delà de la Banque centrale européenne et de la discipline budgétaire indispensable.
Q - L'Allemagne est opposée à un «eurobond» (bon du Trésor européen). Et vous ?
R - Ce qui me gêne dans le débat sur les eurobonds, c'est qu'il revient à dire : «on n'est plus capable de s'endetter au niveau national, on va créer un endettement supplémentaire au niveau européen». On doit certes assainir les finances publiques, mais aussi continuer à porter des dépenses d'avenir. On a besoin d'une Europe qui investit, de politiques de relances ciblées sur des grands dossiers d'infrastructure.
Dans ce cadre, nous devons envisager la mise en place de project bonds : l'Europe apporterait sa garantie financière à des projets, privés ou pas, de grands investissements. Le financement serait moins cher et on rendrait possible la réalisation de grandes infrastructures qui, sinon, ne seraient pas rentables.
Par exemple, la mise en place d'un réseau européen pour le très haut débit, d'un réseau électrique intelligent pour mieux moduler nos consommations énergétiques, ou de gazoducs-oléoducs pour diversifier nos sources d'approvisionnement. C'est le raisonnement français : oui, on doit mettre de l'ordre dans nos finances publiques, mais pas en arrêtant d'investir. L'Europe a besoin de ces grandes causes mobilisatrices.
Q - Que pensez-vous de la proposition du commissaire italien, refusée par l'Allemagne et le Royaume-Uni, de créer une agence pour protéger l'Europe des investissements étrangers ?
R - Il faut défendre une vision offensive de l'Europe. Sa principale richesse, c'est sa technologie et son innovation. Le risque, c'est qu'on vende à la découpe le savoir-faire européen. On l'a vu avec le TGV : des pans majeurs de la technologie européenne ont été vendus à la Chine, qui est aujourd'hui capable de nous concurrencer sur ce terrain. La proposition du commissaire italien va dans le bon sens.
Il ne s'agit pas de fermer la porte aux investissements étrangers, qui sont une bonne chose, mais de ne pas se faire piller notre savoir-faire.
Q - L'Europe n'est-elle pas naïve de prôner un libre-échange fondamentaliste quand les grandes puissances se protègent ?
R - L'Europe a toujours défendu le libre-échange, mais quand on discute avec des pays qui ne pratiquent pas les mêmes règles que nous, il faut savoir siffler la fin de la récréation. Le principe majeur, c'est celui de la réciprocité. Là encore, les esprits évoluent à la faveur de la crise. Avant, tout le monde était fermé sur le sujet. On soupçonnait la France de faire du protectionnisme.
Ce que nous voulons, c'est nous protéger sur une base simple : nos frontières sont ouvertes quand celles d'en face le sont aussi. Par exemple, l'Europe s'astreint à ouvrir à la concurrence la totalité de ses marchés publics. Celui de la construction d'autoroutes en Pologne a été remporté par des entreprises chinoises, alors que les marchés publics chinois sont fermés. On n'a même pas le droit d'être candidat. C'est inacceptable. Il n'y a aucune raison qu'on autorise les entreprises étrangères à être candidates sur les marchés européens sans réciproque.
Autre exemple : les aides d'Etat. On les interdit dans les secteurs de la politique industrielle, notamment les chantiers de construction navale, et on a raison. Dans le même temps, la Corée pratique massivement les aides d'Etat sur ses chantiers. Là aussi, on pèche par naïveté. Ni la France seule, ni l'Allemagne seule ne peuvent rien contre cela. Seule l'Europe peut peser sur la balance. Or une vraie coalition européenne est en train de se construire sur ce principe de réciprocité. La réciprocité est devenue un des principes de notre politique commerciale européenne.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 janvier 2011