Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "France 2" le 2 février 2011, sur la position de la France face à l'évolution de la situation en Egypte, et la controverse autour de son séjour en Tunisie et de l'offre de coopération policière avec ce pays.

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Média : France 2

Texte intégral

Q - Bonsoir Madame le Ministre, merci d'être avec nous. Nous allons parler tout à l'heure de cette controverse sur votre séjour en Tunisie.
Un mot tout de même de la position de la diplomatie française sur l'évolution de cette situation en Egypte.
R - Ce matin-même, le président de la République a appelé l'Egypte à engager sans tarder un processus de transition qui soit pacifique. Le président de la République a demandé instamment à ce que ceci puisse se faire sans violence et l'on voit ce soir que ce n'était pas sans raison qu'il faisait cet appel.
Q - Condamnez-vous ces violences de la contre-manifestation ?
R - Je condamne toutes les violences d'où quelles soient et j'appelle chacun à la retenue.
Je suis profondément choquée : On manifeste ses idées et on risque la mort, quelle que soit la situation dans le monde. Il y a des années que je fais de la politique, que je défens les libertés, les droits de l'Homme où que ce soit. Perdre une vie, lorsque c'est pour défendre des idées, c'est vraiment quelque chose de tout à fait traumatisant et révoltant ; ce n'est pas digne de l'humanité.
Il y a des problèmes en Egypte. Je souhaite qu'il y ait une évolution de l'Egypte pour répondre aux aspirations du peuple égyptien qui concernent l'économie, la politique, le social. C'est quelque chose de normal, nous sommes dans un monde qui bouge, il faut aussi prendre en compte ces aspirations, mais il faut que cela se fasse sans violence. Aujourd'hui, il faut que le processus de transition s'effectue sans violence, régulièrement et sans tarder.
Q - Commençons par l'affaire de ces vacances. Michèle Alliot-Marie, d'abord avez-vous pensé à démissionner ?
R - Non, parce que je suis franchement surprise, outrée. Je considère qu'il y a un caractère extravagant dans les propos de M. Ayrault, de M. Cochet ou dans un certain nombre d'attaques qui sont portées contre moi. A tel point d'ailleurs qu'il y a dans un grand Journal du soir, qui est aussi mon journal, comme probablement le vôtre, tout un article monté autour du fait que comme ministre de l'Intérieur au mois de novembre dernier, j'aurais donné des autorisations de faire passer des grenades lacrymogènes. Je vous rappelle que je ne suis plus ministre de l'Intérieur depuis 18 mois.
Q - Concernant les vacances, n'y a-t-il pas un risque de connivence, même si c'est une visite privée, en tant que chef de la diplomatie française à se trouver dans l'avion privé d'un homme d'affaires qui, de fait est un proche du clan Ben Ali et qui, de fait a signé cette pétition ?
R - Compte tenu de tous les mensonges qui ont été proférés, je comprends que certains s'interrogent. Je peux également comprendre que des Français se posent des questions lorsqu'ils entendent dire que je suis allée dans un avion privé. Si vous me donnez deux minutes - et je répondrai ensuite à toutes vos questions -, je voudrais redire exactement comment les choses se sont passées.
Lorsque je suis ministre, je suis ministre ; lorsque je suis en vacances, je suis comme tous les Français. Je prends des avions que je paie, je vais dans des hôtels que je paie.
Je suis effectivement partie quelques jours en Tunisie après Noël. Je suis allée jusqu'à Tunis, comme je le fais toujours, par une ligne régulière et m'attendait cet ami, qui est un ami de ma famille depuis plusieurs années et qui vient chez nous à Saint-Jean-de-Luz où nous le recevons. Il est hébergé dans ma famille, nous le connaissons bien.
Et, puisque je devais, de Tunis, aller passer quelques jours à Tabarka où il n'y a pas de liaisons aériennes pendant l'hiver, il m'a dit qu'il devait se rendre dans cette ville dans son hôtel et qu'il avait son avion privé qui a douze places. Il m'a dit : «je suis tout seul, voulez-vous m'accompagner plutôt que de faire deux heures de voiture ?»
Q - N'est-ce pas compromettant ?
R - M. Milad ne m'a jamais rien demandé. Je ne lui ai d'ailleurs jamais rien demandé et très honnêtement, lorsqu'il m'a dit qu'il allait dans la même ville que moi et qu'il y avait de la place dans l'avion, très honnêtement, je n'ai pas pensé que cela pouvait poser le moindre problème.
Q - Comprenez en même temps que les événements avaient déjà commencé en Tunisie, la répression aussi de fait. Vous vous trouvez dans l'avion de quelqu'un qui a signé une pétition de soutien à celui qui a été chassé...
R - Il y avait quelques événements en Tunisie, qui n'ont rien à voir avec les événements très importants qui sont intervenus après le 1er janvier ; c'est la première des choses.
Par ailleurs, la personne en question est un homme d'affaires extrêmement respecté en Tunisie. C'est quelqu'un qui a toujours été considéré comme étant spolié, comme j'ai eu l'occasion de le dire, par la famille de M. Ben Ali puisque ceux-ci lui ont imposé - parce qu'il faut savoir qu'en Tunisie, il y avait aussi certaines choses qui étaient imposées -, de donner 20 % de sa société de transport aérien à M. Trabelsi et, en plus, avec ces 20 %, celui-ci a exigé de devenir président de la société.
Je crois que la personne en question est plutôt une victime qu'autre chose.
Q - Avez-vous hésité, d'abord à aller en Tunisie alors que ces événements étaient déjà engagés, même s'ils n'avaient pas l'intensité qu'ils ont eu un peu plus tard et, ensuite, à monter dans cet avion ?
R - Pour ce qui est de la Tunisie, je l'ai décidé au dernier moment. Reprenez les journaux de l'époque si vous le voulez bien, on savait qu'il y avait des mouvements dans le centre de la Tunisie de la part de gens qui avaient des problèmes. Il n'y avait aucune répression et je vous signale que même le suicide qui a été à l'origine des événements s'est produit à la fin de mon séjour. C'est du moins le sentiment que j'en ai et le souvenir que j'ai.
Si on ne doit aller que dans les pays où il ne se passe rien, je vous signale qu'il n'y en a pas beaucoup que vous allez pouvoir visiter.
Q - Un ministre ne doit-il pas s'interdire de monter dans un avion privé ?
R - D'une façon générale, oui. Cela fait vingt ans que je fais de la politique, on me reproche plutôt souvent d'être un peu trop rigide et je fais toujours extrêmement attention.
Pourquoi n'ai-je pas fait attention ? Probablement parce qu'il s'agissait d'un ami, lorsqu'ils viennent en France, que je les promène dans ma voiture, que je fais des excursions avec eux, cela ne me pose pas de problèmes.
Lorsque je suis partie en Tunisie cet hiver, passer cinq jours que j'avais mérité me semble-t-il, n'ayant pas pris de vacances ni même de week-ends depuis l'été, je n'ai pas, sur le moment, vu de mal à prendre un avion ou à aller faire une excursion avec lui.
Q - Et si c'était à refaire ?
R - Ecoutez, quand je vois l'émotion que cela semble susciter ou la polémique que cela semble créer, je vous dis tout de suite que je ne le referai pas car vraiment, je n'ai pas pensé à mal.
Q - Mais vous comprenez malgré tout que comme vous êtes ministre des Affaires étrangères et que l'on a reproché à la France une certaine complaisance vis-à-vis du régime du président Ben Ali, on ne puisse pas s'empêcher de faire le rapprochement.
R - Je voudrais dire aussi que l'on a très mal interprété et volontairement les propos.
Q - Non, je parlais de manière générale, je ne veux pas reparler de vos propos car nous en avons déjà discuté.
R - Soyons très clair sur ce point, j'ai été, avec le premier ministre, la première à condamner l'usage disproportionné de la force. Les Américains eux-mêmes, le 12, je le rappelle, condamnaient l'attitude des manifestants pendant que moi j'étais en train de dire qu'au contraire, il faut toujours préserver les vies humaines et l'on doit pouvoir manifester tout en protégeant sa sécurité.
Je donnais effectivement l'exemple de la France en disant que dans ce pays, on peut avoir des manifestations violentes, pour autant, les forces de l'ordre ne tirent pas.
Moi qui aime les Tunisiens, tous les Tunisiens car j'ai des amis riches mais j'ai également des amis qui sont très peu riches en Tunisie, je suis profondément attachée à la Tunisie. Alors, je vais vous le dire, je suis meurtrie de voir ce dont on m'accuse. Je suis meurtrie de voir que l'on essaie de monter une opération autour de ce qui n'existe pas et probablement encore plus maintenant où nous devrions au contraire essayer d'aider les Tunisiens à pouvoir se redresser le plus rapidement possible.
Nous devons être très attentifs à ce qui se passe en Egypte. Nous devons être attentifs au processus de paix. Il y a d'énormes dossiers, des dossiers que je traite tous les jours avec les ministres des Affaires étrangères y compris le ministre tunisien qui vient déjeuner avec moi après-demain et que j'ai régulièrement au téléphone pour voir comment la France peut aider la Tunisie parce que c'est ce qui est important.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 février 2011