Interview de M. Jacques Freidel, président de la CGPME, à France inter le 3 mars 2001, sur le devenir du système de formation professionnelle continue, le passage des PME à l'euro et sur les 35 heures.

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Média : France Inter

Texte intégral

Question journaliste : "Le système actuel de formation professionnelle fonctionne bien, il ne faut pas en changer mais plutôt y apporter des améliorations". C'est la substance du message que vous avez largement diffusé dans la presse récemment. Nouveau chantier de la refondation sociale, la formation professionnelle est d'actualité en ce moment. C'est important pour la CGPME ?
Jacques Freidel : C'est effectivement un problème crucial. Notre position est claire. Nous considérons que le système actuel de formation professionnelle continue fonctionne bien. Il faut donc le conserver dans ses grandes lignes. Cela concerne notamment l'obligation de contribution des entreprises, la mutualisation des sommes collectées, le plan de formation des salariés qui est un instrument fondamental et enfin les organismes paritaires collecteurs agréés chargés de collecter et de gérer les contributions des entreprises.
Ce point de vue est partagé par les PME. Le sondage IPSOS que j'ai fait réaliser auprès d'un échantillon représentatif d'entreprises de 10 à 499 salariés est tout à fait net à cet égard. Il révèle notamment que 73 % des PME sont satisfaites de l'actuel système de formation professionnelle continue. Nous avons donc le soutien de la base des PME françaises sur cette défense du système actuel.
C'est pourquoi nous sommes opposés à l'idée d'un " droit individuel transférable et garanti collectivement " proposé par les Pouvoirs Publics, au moins tel qu'il nous est présenté en ce moment. En effet, dans sa version actuelle, ce " droit individuel " pourrait se substituer, en partie au moins, au plan de formation des salariés qui est du ressort de la direction des entreprises. Par là même, il détournerait les formations des besoins réels des entreprises et priverait de financement le plan de formation des salariés qui est l'instrument majeur de formation dans les PME.
Nous sommes toutefois prêts, car il faut toujours améliorer les choses, à apporter des aménagements au dispositif actuel. Par exemple, nous sommes prêts à réfléchir à un aménagement des formules dites de congé individuel de formation et de capital de temps de formation pour mieux tenir compte des évolutions économiques qui interviennent de plus en plus rapidement et pour permettre une meilleure mobilité des salariés.
Par ailleurs, s'agissant des entreprises de moins de dix salariés où d'importants efforts concernant la formation des personnels sont nécessaires, nous estimons qu'il faut augmenter les moyens financiers. Pour cela, nous sommes prêts à favoriser une augmentation raisonnable du taux de contribution, fixé actuellement à 0,15 %.
En conclusion, je le redis, ce dossier est capital pour la CGPME qui souhaite préserver le système actuel favorable au développement de la formation dans les PME, tout en l'améliorant sur un certain nombre de points.
Question journaliste : Monsieur le Président, dans moins d'un an, l'euro fera partie de notre vie quotidienne. Les PME sont en première ligne et la plupart des indicateurs soulignent leur faible degré de préparation. Quel est votre analyse et quelles seront vos actions ?
Jacques Freidel : Vous avez raison de dire que les PME ne sont pas aussi bien préparées qu'elles devraient l'être. Les derniers résultats du Baromètre IFOP-Ministère de l'Economie enregistrent une situation qui stagne depuis un an.
En gros, 10 % des entreprises entre 250 et 499 salariés n'ont toujours pas commencé leur préparation. C'est le cas également pour 17 % des entreprises de 50 à 249 salariés et pour 20 % de celles qui emploient entre 10 et 49 salariés.
Du côté du secteur bancaire, le constat est aussi peu encourageant :
Moins de 10 % des comptes ont basculé à fin 2000 et le paiement par chèque ne s'intensifie pas : 2 pour 1000 en janvier 2001.
Face à cette situation, la CGPME a souhaité s'associer à une initiative qui s'inscrit parfaitement dans le prolongement des actions d'information et de sensibilisation qu'elle mène depuis 1997 :
Nous sommes signataires de la Charte de mobilisation des Petites Entreprises du Commerce, de l'Artisanat et des Services que Messieurs Fabius et Patriat ont présenté au cours de la conférence de presse qui s'est tenue à Bercy le 16 février.
Cette Charte a pour objectif que toute petite entreprise puisse bénéficier, en temps voulu, de toutes les informations et de tous les conseils, outils et soutiens disponibles pour surmonter ses propres difficultés et faciliter notamment le passage à l'euro de ses propres clients.
De plus, dans le cadre des campagnes nationales et notamment de la campagne de communication du Ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, la CGPME va poursuivre son action de relais auprès des PME, via les Fédérations et syndicats professionnels adhérents, ainsi qu'à travers nos structures territoriales.
En partenariat avec la Banque de France, nous diffuserons un certain nombre d'informations sur la future monnaie fiduciaire pour accoutumer les dirigeants d'entreprise et leurs salariés, en contact avec les consommateurs, au maniement de la nouvelle monnaie.
Enfin, comme je l'ai déjà annoncé dans les médias, une action de formation tendant à rendre les dirigeants de PME-PMI du commerce, de l'industrie et des services et leurs salariés directement opérationnels pour l'organisation et la planification du passage à l'euro dans leur entreprise, va être définie au niveau national et déployée sur l'ensemble du territoire.
J'ajoute que cette formation sera prise en charge tant pour les chefs d'entreprise que pour leurs salariés et qu'elle se déroulera entre mars et juillet 2001.
(source http://www.cgpme.net, le 19 avril 2001)
Question journaliste : Les 35 h, encore et toujours, votre cheval de bataille. Est-ce que c'est un combat perdu d'avance, ou y a t-il encore quelque chose à faire ?
Jacques Freidel : J'aborderai un premier point sur lequel la CGPME a d'ailleurs communiqué lundi dernier (26 février) : j'ai en effet exprimé publiquement mon indignation en constatant que, selon les termes du rapport du Sénateur Descours, il manquera, sur les deux années 2000-2001, entre 28 et 33 milliards de francs pour " boucler " le financement des aides destinées à favoriser la mise en place des 35 heures.
Ceci confirme ce que nous subodorions depuis longtemps, à savoir que le dispositif financier d'aides pour les 35 heures était pour partie au moins financé à crédit.
A cet égard, il convient d'ajouter qu'en tout état de cause, si le dispositif arrive à sa vitesse de croisière, les aides coûteront de l'ordre de 120 Milliards de francs annuellement.
Aucun Ministre des Finances n'acceptera de garder indéfiniment une telle charge fixe dans son budget et donc, très probablement, dans les années qui viennent ces aides seront progressivement réduites, comme nous n'avons cessé de le dire. Le trou déjà constaté avant même que le système atteigne sa vitesse de croisière augmentera encore cette inéluctable réduction des aides. Les victimes seront alors les entreprises et les salariés qui avaient cru aux promesses du Gouvernement en la matière et qui, pour cela, avaient tenté l'aventure des 35 heures. C'est donc à une véritable tromperie que s'est livré et que continue à se livrer le Gouvernement.
L'affaire est tellement grave que le Président de l'ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) vient d'écrire, au nom du Conseil d'Administration où sont représentés tous les partenaires sociaux, au Ministre de l'Emploi et de la Solidarité pour s'indigner des insuffisances de recettes du Fonds de Financement des Allègements de Charges - FOREC - (qui doit prendre en charge les aides aux 35 heures) et pour marquer son refus absolu de voir les Pouvoirs Publics prélever sur la trésorerie de la Sécurité Sociale les fonds nécessaires pour abonder les aides aux 35 heures. On notera d'ailleurs que ce FOREC n'a pas encore été officiellement installé.
Sur le fond, selon le principe célèbre, les seuls combats perdus d'avance sont ceux qui ne sont pas menés. Nous sommes persuadés que la pression des faits imposera tôt ou tard aux Pouvoirs Publics, quelle que soit leur couleur politique, un aménagement du dispositif légal sur le temps de travail issu des deux lois Aubry. A cet égard, je dois rappeler que pour exprimer pleinement le sentiment des PME, j'ai fait réaliser il y a quelques mois un sondage sur un échantillon représentatif de PME sur le thème : "35 heures, vers une loi rectificative ?".
Les résultats de ce sondage sont extrêmement clairs :
D'abord, le nouveau dispositif légal sur le temps de travail, qui s'appuie sur la réduction de la durée légale hebdomadaire du travail à 35 heures, est inapplicable tel quel dans la très grande majorité des entreprises petites et moyennes (73 %).
Ensuite, une loi rectificative est considérée comme nécessaire par une écrasante majorité de ces entreprises petites et moyennes (79 %).
Dans le même sondage, les PME interrogées considèrent comme indispensable que figurent dans cette loi quatre assouplissements principaux :
o L'augmentation du contingent d'heures supplémentaire libre (qui devrait passer à 200 heures au lieu de 130 heures actuellement).
o Un accès direct (sur la base du volontariat), sans nécessité d'un accord avec des représentants syndicaux, à l'annualisation.
o La pérennisation de la rémunération limitée (10 %) des quatre premières heures supplémentaires.
o Le principe du paiement des heures supplémentaires sous forme de salaire majoré (et non de repos compensateur).
o En dernier lieu, compte tenu de l'extrême sensibilité de ces entreprises aux problèmes liés au temps de travail, la date d'application du dispositif légal sur les 35 heures dans les entreprises de 20 salariés et moins doit être reportée.
Comme nous n'entendons pas diminuer la pression sur les Pouvoirs Publics, nous envisageons de mener un certain nombre d'actions en 2001.