Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de participer à cette conférence qui permet aux représentants des salariés que vous êtes de réfléchir en commun à l'avenir du secteur naval militaire en Europe. J'apporte un soutien convaincu à cette démarche novatrice initiée par la fédération européenne de la métallurgie et le comité économique et social européen, avec le soutien de la Commission européenne.
Cette démarche de dialogue et d'échanges sera précieuse pour les partenaires - Etats, industriels et représentants des salariés- pour prendre, chacun en ce qui le concerne, les orientations nécessaires au développement de ce secteur d'activités, porteur de hautes technologies et important en terme d'emplois. Elle contribuera à améliorer la vision d'ensemble des syndicats européens des restructurations à venir et donc leur capacité à uvrer par le dialogue social à la préservation des garanties collectives.
Pour appréhender correctement la situation actuelle et future de notre industrie navale militaire, il faut rappeler l'environnement général des Marines européennes. Elles ont été confrontées dans la dernière décennie à une réduction importante en effectifs et en nombre de navires. Le processus d'adaptation est cependant désormais bien engagé : à titre d'exemple, la marine française atteindra dès la fin de cette année son nouveau format.
Cette démarche s'accompagne d'un effort important de modernisation des équipements afin que les Marines européennes jouent tout le rôle attendu d'elles dans la nouvelle situation stratégique, et en particulier dans la construction de la défense européenne commune que nous sommes en train de construire. Je vous rappelle qu'à Helsinki, les Européens ont décidé de se donner les moyens militaires nécessaires pour pouvoir défendre leurs intérêts et leurs valeurs de façon autonome. L'objectif est d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer en 60 jours, pour une durée au moins égale à un an et hors du territoire de l'Union, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée, soit cinquante à soixante mille hommes. Les Marines européennes jouent un rôle essentiel dans ce processus. Pour que les Européens puissent se doter d'une véritable capacité d'action dans la gestion des crises, ils doivent disposer d'une autonomie d'action navale permettant d'agir loin et dans la durée pour la maîtrise du milieu aéro-maritime et le soutien des opérations terrestres.
Ajoutons que, en fonction des choix politiques nationaux, les Marines de nos pays assurent une grande variété d'autres missions, de l'application des règles internationales sur la pêche à l'emploi de la force pour rétablir la paix au nom des Nations Unies, comme l'ont fait plusieurs de nos nations il y a 18 mois dans une région aussi éloignée que Timor.
Dans ce contexte, les budgets d'équipement des Marines européennes, après avoir sensiblement baissé depuis 10 ans, devraient désormais se stabiliser pour pouvoir répondre au niveau d'exigence technique élevé que requiert l'exercice de leurs missions. Mais les besoins évoluent : la part des systèmes de combat, des systèmes d'armes et des moyens de communications dans la conception, la réalisation et l'utilisation des navires est croissante. Ces besoins se rapprochent, ce que prouve le développement et l'importance des programmes en coopération, mais j'y reviendrai. J'ajoute enfin que les Marines européennes, confrontées à des contraintes budgétaires fortes, mettront une pression accrue sur leurs fournisseurs pour réduire les coûts des équipements, et exerceront leur pouvoir d'acheteur dans toute sa force pour obtenir les performances et la fiabilité des matériels dont dépend leur succès opérationnel.
Comme dans les autres secteurs de l'industrie de défense, des adaptations à cette nouvelle période sont donc engagées dans l'industrie navale de défense. Le maintien de la compétitivité et le développement de nouveaux produits passent par le développement de partenariats entre les différents acteurs européens de cette industrie et par des adaptations progressives des capacités industrielles. C'est nécessaire pour assurer la pérennité même de ces industries et des emplois qui y sont liés. C'est aussi nécessaire pour garantir l'autonomie industrielle de l'Europe dans ce secteur politiquement décisif.
Comme vous le savez, un mouvement de consolidation s'est réalisé dans l'industrie aéronautique et électronique avec, dans l'opinion de notre Gouvernement, un réel succès que j'attribue notamment à 2 facteurs : la volonté des Etats et la forte implication des industriels pour bâtir ces alliances.
Tout d'abord la volonté des Etats. Je vous rappelle qu'en décembre 1997, les chefs d'Etat et de Gouvernement français, britannique et allemand ont demandé, dans une déclaration commune, une consolidation de l'industrie de défense en Europe. Un traité entre les 6 Etats les plus concernés par l'industrie européenne de défense pour donner des règles légales d'activité adaptées à ces groupes transnationaux a été signé le 27 juillet 2000 ; cet accord-cadre constitue l'aboutissement de la démarche de la " LOI " initiée en 1998. Enfin, l'OCCAR - l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement - opère sa montée en puissance. Elle a acquis depuis le 28 janvier dernier la personnalité juridique ce qui devrait lui permettre d'améliorer la coopération d'armement entre les pays partenaires et donc la compétitivité de la base technologique et industrielle de défense européenne, en développant des programmes communs.
Dans le domaine naval, c'est déjà le cas pour le programme de frégates anti-aériennes Horizon, dont la production s'appuie sur une coopération industrielle importante entre la France et l'Italie. Il constitue une avancée déterminante pour les marines des deux pays, et marque une étape importante dans le développement de la coopération européenne.
Les systèmes qui équiperont ces frégates sont également réalisés en coopération européenne. Le développement et la production initiale du système principal de missiles anti-aériens PAAMS ont été lancés par la France, l'Italie et le Royaume-Uni en août 1999.
Enfin, le programme franco-italien de torpilles légères MU 90 est en phase de fabrication. C'est d'ailleurs un excellent exemple du caractère fédérateur d'une coopération d'armement pour les industriels impliqués, en l'occurrence DCN, Thales et l'entreprise italienne WASS : en complément de la collaboration sur la MU 90, les industriels souhaitent étendre leurs coopérations aux torpilles lourdes.
La multiplication des programmes en coopération menés par les Etats constitue donc un point d'appui précieux pour l'avenir de ce secteur industriel et donc pour la capacité de l'Europe de disposer de façon durable des équipements nécessaires à nos Marines. Je suis persuadé que les programmes structurants futurs, notamment les frégates multi-missions, seront développés dans un contexte largement multinational entre européens, ce qui suppose que les industriels sachent coopérer et atteignent des degrés d'efficacité industrielle comparables pour que ces coopérations soient équilibrées et mutuellement bénéfiques.
Les industriels eux-mêmes ont déjà su avec succès bâtir des alliances. Le mouvement des alliances et des regroupements de l'industrie navale européenne est engagé. Dès 1990, le groupe néerlandais SIGNAAL intègre le groupe Thomson-CSF, aujourd'hui Thales. Depuis, les chantiers navals de GEC Marine ont été repris par BAe Systems, concrétisant la constitution d'un pôle britannique et européen de dimension mondiale. Kockums Naval Systems a fusionné avec le groupe allemand HDW. A côté de ces alliances capitalistiques, je n'oublie pas les multiples partenariats qui ont été développés, comme celui de DCN et du groupe espagnol " Bazan ", devenu IZAR, sur le sous-marin de type " Scorpène ".
Je note également une tendance de plusieurs partenaires européens à rapprocher les activités civiles et militaires : la fusion des chantiers civils et militaires est en cours en Espagne ; Fincantieri, très impliqué dans la construction navale civile, souhaite se renforcer dans le domaine militaire à l'occasion du programme " Horizon ". En France, nous travaillons à renforcer la coopération entre les Chantiers de l'Atlantique et DCN, grâce au programme de nouveau transport de chalands de débarquement NTCD.
Il est donc clair que la motivation des industriels est désormais forte et qu'ils ont compris l'importance de mener ce processus de consolidation.
Les Etats, en complément de la politique commune menée en matière d'armement cherchent à faciliter ce processus. Vous avez sans doute noté l'annonce conjointe, en octobre 2000, du Gouvernement et des industriels allemands en faveur d'une consolidation nationale puis européenne dans ce secteur. En France, le Gouvernement a une ambition comparable à travers l'alliance entre Thales et DCN pour les contrats à l'exportation.
Ainsi, peu à peu, mais plus rapidement que ce que les acteurs imaginaient il y a encore deux ans, le nouveau paysage industriel européen se constitue et les grands industriels nationaux renforcent leur collaboration.
Je veux insister sur le bien-fondé de cette politique de rapprochement et d'alliances, qui n'est pas issue d'une volonté abstraite. Nos industries européennes ont des concurrents très solides en Amérique du Nord, et de plus en plus en Asie. Les investissements de R D nécessaires pour être au meilleur niveau sont élevés, alors que les séries de production assurées sont restreintes. L'immobilité devant la dispersion européenne signifierait à coup sûr que, dans une décennie, la capacité de fournir les navires et les armements du meilleur niveau se serait fortement réduite en Europe, et peut-être aurait entièrement disparu dans certaines spécialités.
Il me semble que les prochaines alliances transnationales prendront, dans un premier temps, la forme d'alliances par métier (par exemple sous la forme de société commune), plutôt que des fusions. C'est ce qui s'est passé dans les domaines aéronautiques et électroniques. Dans le domaine naval, la société commune de Thales et Bae Systems " Thomson Marconi Sonar " est un exemple caractéristique.
Je terminerai ce tour d'horizon de l'évolution du secteur en évoquant la question sérieuse des éventuelles surcapacités européennes du secteur, notamment dans les chantiers navals. Une certaine rationalisation sera sans doute nécessaire à moyen-long terme, mais nous n'avons pas à envisager de restructuration lourde comme nous avons connu en Europe dans d'autres secteurs (chantiers navals civils, sidérurgie), et cela grâce à nos perspectives correctes de plan de charges. Cela suppose cependant de réussir ensemble les mutations et les modernisations qui s'imposent pour répondre aux besoins des Marines européennes et pour garder notre place sur les marchés à l'exportation militaires et sur les marchés civils. Or je rappelle que les premiers de ces marchés sont ceux de nos partenaires et amis européens n'ayant pas d'industrie nationale, qui font jouer la concurrence à plein, aussi bien en direction de producteurs extérieurs à l'Europe que de constructeurs européens.
La modernisation et la consolidation de nos industries navales militaires se développent dans un contexte relativement favorable grâce à la stabilité des commandes potentielles envisageable dans le proche avenir. Encore faut-il que nos budgets de défense ne soient pas affectés par trop de réductions ou de remises en question. C'est une question politiquement essentielle, à laquelle mes collègues Ministres de la défense et moi-même apportons toute notre volonté pour obtenir le soutien nécessaire de nos opinions démocratiques.
Permettez-moi, pour illustrer mon propos sur les nécessaires modernisations industrielles à mener pour renforcer notre efficacité industrielle, d'évoquer le cas de DCN, que je connais le mieux et auquel j'apporte, comme vous le savez, une attention toute particulière car il s'agit d'une de mes priorités dans la tâche d'adaptation de notre défense.
Le plan d'entreprise destiné à restaurer la compétitivité de DCN est en cours de mise en uvre. Il prévoit notamment un ambitieux programme de réduction des coûts à hauteur de 5 MdFs sur 5 ans, notamment dans le domaine des achats et un plan de réaménagement des sites de DCN incluant 600 MF d'investissements.
Dans ce contexte, les succès récents à l'exportation, en particulier la vente de corvettes à Singapour, sont des signes particulièrement encourageants pour DCN. DCN et Thales vont d'ailleurs joindre leurs forces commerciales en créant une société commune qui assurera la commercialisation et la maîtrise d'uvre d'ensemble des navires et des systèmes de combat à l'exportation et des programmes en coopération. Les bénéfices que nous attendons de ce rapprochement se sont déjà faits sentir depuis plusieurs mois dans la coordination commerciale des 2 partenaires à l'exportation, dans la gestion du programme " Horizon ".
Je suis donc confiant sur la capacité de DCN à atteindre progressivement le niveau de compétitivité de ses principaux concurrents. De nouvelles actions seront nécessaires pour y parvenir mais je suis convaincu que les partenaires concernés en France - salariés, management de DCN et le Gouvernement - y parviendront car nous sommes animés d'une même ambition commune : faire de DCN un acteur important de la construction navale militaire pour renforcer l'industrie européenne au service d'une ambition politique commune en matière de Défense.
Aucune de ces mutations en Europe ne sera possible sans un dialogue social exemplaire. J'attache donc une importance toute particulière à ce que les salariés et leurs représentants soient pleinement associés à ces évolutions de l'industrie navale de défense. C'est ainsi qu'au sein de DCN, par exemple, a été mise en place avec succès une démarche d'aménagement et de réduction du temps de travail adaptée à ses missions industrielles, à l'issue d'un processus de large consultation des syndicats et de l'ensemble des personnels. Cette participation de tous au changement est la clef de la réussite des évolutions qui sont aujourd'hui souhaitables dans l'intérêt de tous.
Comme je l'ai dit, l'industrie navale est confrontée à de profondes mutations qu'il faut assurer en responsabilité et les salariés doivent être associés à ce processus. C'est dans ce contexte qu'une attention particulière doit être apportée à la représentation des salariés au sein des sociétés européennes de défense. J'avais demandé aux dirigeants d'EADS, dès l'annonce de la constitution de ce groupe en octobre 1999, que soient recherchés des modes nouveaux de représentation des salariés dans un contexte trinational. Je note avec satisfaction qu'un comité de groupe européen, que des comités de branche, que des comités nationaux se mettent en place avec un large consensus syndical ; les 5 organisations syndicales françaises représentatives ont signé un accord en ce sens. Je suis très heureux de constater que le secteur des industries de défense sait, dans le domaine social également, faire preuve des capacités d'innovation et d'excellence qui lui sont reconnues du point de vue technique. C'est une ambition sociale identique qui doit nous guider dans ce processus de modernisation qui s'engage dans l'industrie navale militaire.
Outre un dialogue social exemplaire, ce secteur industriel doit aussi veiller à accompagner les réorganisations qu'imposent ces mutations sur les bassins d'emplois concernés. Je pense notamment aux sous-traitants qui doivent trouver de nouveaux débouchés pour ne plus être dépendants exclusivement de ce secteur. Ils doivent également être en mesure de prendre en charge des sous-systèmes et ne pas être seulement des " façonniers ". Les industriels maîtres d'uvre doivent veiller à faciliter ces mutations chez leurs sous-traitants. Les Etats de leur côté y contribuent également par les aides européennes et nationales à la reconversion de bassins d'emploi en difficultés.
L'objectif de ce colloque, et son originalité, était de donner aux fédérations syndicales concernées en Europe, la possibilité d'acquérir une vue d'ensemble des évolutions industrielles en cours ou à venir, afin de parvenir entre elles autant que possible à des orientations communes. De ce point de vue, cette rencontre est un grand succès et représente un acquis collectif de nature à faciliter les futures négociations sociales qui sont indispensables dans le secteur naval.
Je suis également sûr que cette conférence a permis de créer un réseau européen des représentants des salariés qui sera une force de propositions vis à vis des entreprises qui se sont déjà organisées en réseau et qui ont engagé des discussions pour mener le processus de consolidation industrielle du secteur.
C'est donc avec attention que je vais écouter les conclusions et les propositions que Reinhard Kuhlmann tire de ces deux journées de réflexion.
Je vous remercie.
(Source http://defense.gouv.fr, le 26 avril 2001)
Je suis très heureux de participer à cette conférence qui permet aux représentants des salariés que vous êtes de réfléchir en commun à l'avenir du secteur naval militaire en Europe. J'apporte un soutien convaincu à cette démarche novatrice initiée par la fédération européenne de la métallurgie et le comité économique et social européen, avec le soutien de la Commission européenne.
Cette démarche de dialogue et d'échanges sera précieuse pour les partenaires - Etats, industriels et représentants des salariés- pour prendre, chacun en ce qui le concerne, les orientations nécessaires au développement de ce secteur d'activités, porteur de hautes technologies et important en terme d'emplois. Elle contribuera à améliorer la vision d'ensemble des syndicats européens des restructurations à venir et donc leur capacité à uvrer par le dialogue social à la préservation des garanties collectives.
Pour appréhender correctement la situation actuelle et future de notre industrie navale militaire, il faut rappeler l'environnement général des Marines européennes. Elles ont été confrontées dans la dernière décennie à une réduction importante en effectifs et en nombre de navires. Le processus d'adaptation est cependant désormais bien engagé : à titre d'exemple, la marine française atteindra dès la fin de cette année son nouveau format.
Cette démarche s'accompagne d'un effort important de modernisation des équipements afin que les Marines européennes jouent tout le rôle attendu d'elles dans la nouvelle situation stratégique, et en particulier dans la construction de la défense européenne commune que nous sommes en train de construire. Je vous rappelle qu'à Helsinki, les Européens ont décidé de se donner les moyens militaires nécessaires pour pouvoir défendre leurs intérêts et leurs valeurs de façon autonome. L'objectif est d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer en 60 jours, pour une durée au moins égale à un an et hors du territoire de l'Union, une force de réaction rapide de l'importance d'un corps d'armée, soit cinquante à soixante mille hommes. Les Marines européennes jouent un rôle essentiel dans ce processus. Pour que les Européens puissent se doter d'une véritable capacité d'action dans la gestion des crises, ils doivent disposer d'une autonomie d'action navale permettant d'agir loin et dans la durée pour la maîtrise du milieu aéro-maritime et le soutien des opérations terrestres.
Ajoutons que, en fonction des choix politiques nationaux, les Marines de nos pays assurent une grande variété d'autres missions, de l'application des règles internationales sur la pêche à l'emploi de la force pour rétablir la paix au nom des Nations Unies, comme l'ont fait plusieurs de nos nations il y a 18 mois dans une région aussi éloignée que Timor.
Dans ce contexte, les budgets d'équipement des Marines européennes, après avoir sensiblement baissé depuis 10 ans, devraient désormais se stabiliser pour pouvoir répondre au niveau d'exigence technique élevé que requiert l'exercice de leurs missions. Mais les besoins évoluent : la part des systèmes de combat, des systèmes d'armes et des moyens de communications dans la conception, la réalisation et l'utilisation des navires est croissante. Ces besoins se rapprochent, ce que prouve le développement et l'importance des programmes en coopération, mais j'y reviendrai. J'ajoute enfin que les Marines européennes, confrontées à des contraintes budgétaires fortes, mettront une pression accrue sur leurs fournisseurs pour réduire les coûts des équipements, et exerceront leur pouvoir d'acheteur dans toute sa force pour obtenir les performances et la fiabilité des matériels dont dépend leur succès opérationnel.
Comme dans les autres secteurs de l'industrie de défense, des adaptations à cette nouvelle période sont donc engagées dans l'industrie navale de défense. Le maintien de la compétitivité et le développement de nouveaux produits passent par le développement de partenariats entre les différents acteurs européens de cette industrie et par des adaptations progressives des capacités industrielles. C'est nécessaire pour assurer la pérennité même de ces industries et des emplois qui y sont liés. C'est aussi nécessaire pour garantir l'autonomie industrielle de l'Europe dans ce secteur politiquement décisif.
Comme vous le savez, un mouvement de consolidation s'est réalisé dans l'industrie aéronautique et électronique avec, dans l'opinion de notre Gouvernement, un réel succès que j'attribue notamment à 2 facteurs : la volonté des Etats et la forte implication des industriels pour bâtir ces alliances.
Tout d'abord la volonté des Etats. Je vous rappelle qu'en décembre 1997, les chefs d'Etat et de Gouvernement français, britannique et allemand ont demandé, dans une déclaration commune, une consolidation de l'industrie de défense en Europe. Un traité entre les 6 Etats les plus concernés par l'industrie européenne de défense pour donner des règles légales d'activité adaptées à ces groupes transnationaux a été signé le 27 juillet 2000 ; cet accord-cadre constitue l'aboutissement de la démarche de la " LOI " initiée en 1998. Enfin, l'OCCAR - l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement - opère sa montée en puissance. Elle a acquis depuis le 28 janvier dernier la personnalité juridique ce qui devrait lui permettre d'améliorer la coopération d'armement entre les pays partenaires et donc la compétitivité de la base technologique et industrielle de défense européenne, en développant des programmes communs.
Dans le domaine naval, c'est déjà le cas pour le programme de frégates anti-aériennes Horizon, dont la production s'appuie sur une coopération industrielle importante entre la France et l'Italie. Il constitue une avancée déterminante pour les marines des deux pays, et marque une étape importante dans le développement de la coopération européenne.
Les systèmes qui équiperont ces frégates sont également réalisés en coopération européenne. Le développement et la production initiale du système principal de missiles anti-aériens PAAMS ont été lancés par la France, l'Italie et le Royaume-Uni en août 1999.
Enfin, le programme franco-italien de torpilles légères MU 90 est en phase de fabrication. C'est d'ailleurs un excellent exemple du caractère fédérateur d'une coopération d'armement pour les industriels impliqués, en l'occurrence DCN, Thales et l'entreprise italienne WASS : en complément de la collaboration sur la MU 90, les industriels souhaitent étendre leurs coopérations aux torpilles lourdes.
La multiplication des programmes en coopération menés par les Etats constitue donc un point d'appui précieux pour l'avenir de ce secteur industriel et donc pour la capacité de l'Europe de disposer de façon durable des équipements nécessaires à nos Marines. Je suis persuadé que les programmes structurants futurs, notamment les frégates multi-missions, seront développés dans un contexte largement multinational entre européens, ce qui suppose que les industriels sachent coopérer et atteignent des degrés d'efficacité industrielle comparables pour que ces coopérations soient équilibrées et mutuellement bénéfiques.
Les industriels eux-mêmes ont déjà su avec succès bâtir des alliances. Le mouvement des alliances et des regroupements de l'industrie navale européenne est engagé. Dès 1990, le groupe néerlandais SIGNAAL intègre le groupe Thomson-CSF, aujourd'hui Thales. Depuis, les chantiers navals de GEC Marine ont été repris par BAe Systems, concrétisant la constitution d'un pôle britannique et européen de dimension mondiale. Kockums Naval Systems a fusionné avec le groupe allemand HDW. A côté de ces alliances capitalistiques, je n'oublie pas les multiples partenariats qui ont été développés, comme celui de DCN et du groupe espagnol " Bazan ", devenu IZAR, sur le sous-marin de type " Scorpène ".
Je note également une tendance de plusieurs partenaires européens à rapprocher les activités civiles et militaires : la fusion des chantiers civils et militaires est en cours en Espagne ; Fincantieri, très impliqué dans la construction navale civile, souhaite se renforcer dans le domaine militaire à l'occasion du programme " Horizon ". En France, nous travaillons à renforcer la coopération entre les Chantiers de l'Atlantique et DCN, grâce au programme de nouveau transport de chalands de débarquement NTCD.
Il est donc clair que la motivation des industriels est désormais forte et qu'ils ont compris l'importance de mener ce processus de consolidation.
Les Etats, en complément de la politique commune menée en matière d'armement cherchent à faciliter ce processus. Vous avez sans doute noté l'annonce conjointe, en octobre 2000, du Gouvernement et des industriels allemands en faveur d'une consolidation nationale puis européenne dans ce secteur. En France, le Gouvernement a une ambition comparable à travers l'alliance entre Thales et DCN pour les contrats à l'exportation.
Ainsi, peu à peu, mais plus rapidement que ce que les acteurs imaginaient il y a encore deux ans, le nouveau paysage industriel européen se constitue et les grands industriels nationaux renforcent leur collaboration.
Je veux insister sur le bien-fondé de cette politique de rapprochement et d'alliances, qui n'est pas issue d'une volonté abstraite. Nos industries européennes ont des concurrents très solides en Amérique du Nord, et de plus en plus en Asie. Les investissements de R D nécessaires pour être au meilleur niveau sont élevés, alors que les séries de production assurées sont restreintes. L'immobilité devant la dispersion européenne signifierait à coup sûr que, dans une décennie, la capacité de fournir les navires et les armements du meilleur niveau se serait fortement réduite en Europe, et peut-être aurait entièrement disparu dans certaines spécialités.
Il me semble que les prochaines alliances transnationales prendront, dans un premier temps, la forme d'alliances par métier (par exemple sous la forme de société commune), plutôt que des fusions. C'est ce qui s'est passé dans les domaines aéronautiques et électroniques. Dans le domaine naval, la société commune de Thales et Bae Systems " Thomson Marconi Sonar " est un exemple caractéristique.
Je terminerai ce tour d'horizon de l'évolution du secteur en évoquant la question sérieuse des éventuelles surcapacités européennes du secteur, notamment dans les chantiers navals. Une certaine rationalisation sera sans doute nécessaire à moyen-long terme, mais nous n'avons pas à envisager de restructuration lourde comme nous avons connu en Europe dans d'autres secteurs (chantiers navals civils, sidérurgie), et cela grâce à nos perspectives correctes de plan de charges. Cela suppose cependant de réussir ensemble les mutations et les modernisations qui s'imposent pour répondre aux besoins des Marines européennes et pour garder notre place sur les marchés à l'exportation militaires et sur les marchés civils. Or je rappelle que les premiers de ces marchés sont ceux de nos partenaires et amis européens n'ayant pas d'industrie nationale, qui font jouer la concurrence à plein, aussi bien en direction de producteurs extérieurs à l'Europe que de constructeurs européens.
La modernisation et la consolidation de nos industries navales militaires se développent dans un contexte relativement favorable grâce à la stabilité des commandes potentielles envisageable dans le proche avenir. Encore faut-il que nos budgets de défense ne soient pas affectés par trop de réductions ou de remises en question. C'est une question politiquement essentielle, à laquelle mes collègues Ministres de la défense et moi-même apportons toute notre volonté pour obtenir le soutien nécessaire de nos opinions démocratiques.
Permettez-moi, pour illustrer mon propos sur les nécessaires modernisations industrielles à mener pour renforcer notre efficacité industrielle, d'évoquer le cas de DCN, que je connais le mieux et auquel j'apporte, comme vous le savez, une attention toute particulière car il s'agit d'une de mes priorités dans la tâche d'adaptation de notre défense.
Le plan d'entreprise destiné à restaurer la compétitivité de DCN est en cours de mise en uvre. Il prévoit notamment un ambitieux programme de réduction des coûts à hauteur de 5 MdFs sur 5 ans, notamment dans le domaine des achats et un plan de réaménagement des sites de DCN incluant 600 MF d'investissements.
Dans ce contexte, les succès récents à l'exportation, en particulier la vente de corvettes à Singapour, sont des signes particulièrement encourageants pour DCN. DCN et Thales vont d'ailleurs joindre leurs forces commerciales en créant une société commune qui assurera la commercialisation et la maîtrise d'uvre d'ensemble des navires et des systèmes de combat à l'exportation et des programmes en coopération. Les bénéfices que nous attendons de ce rapprochement se sont déjà faits sentir depuis plusieurs mois dans la coordination commerciale des 2 partenaires à l'exportation, dans la gestion du programme " Horizon ".
Je suis donc confiant sur la capacité de DCN à atteindre progressivement le niveau de compétitivité de ses principaux concurrents. De nouvelles actions seront nécessaires pour y parvenir mais je suis convaincu que les partenaires concernés en France - salariés, management de DCN et le Gouvernement - y parviendront car nous sommes animés d'une même ambition commune : faire de DCN un acteur important de la construction navale militaire pour renforcer l'industrie européenne au service d'une ambition politique commune en matière de Défense.
Aucune de ces mutations en Europe ne sera possible sans un dialogue social exemplaire. J'attache donc une importance toute particulière à ce que les salariés et leurs représentants soient pleinement associés à ces évolutions de l'industrie navale de défense. C'est ainsi qu'au sein de DCN, par exemple, a été mise en place avec succès une démarche d'aménagement et de réduction du temps de travail adaptée à ses missions industrielles, à l'issue d'un processus de large consultation des syndicats et de l'ensemble des personnels. Cette participation de tous au changement est la clef de la réussite des évolutions qui sont aujourd'hui souhaitables dans l'intérêt de tous.
Comme je l'ai dit, l'industrie navale est confrontée à de profondes mutations qu'il faut assurer en responsabilité et les salariés doivent être associés à ce processus. C'est dans ce contexte qu'une attention particulière doit être apportée à la représentation des salariés au sein des sociétés européennes de défense. J'avais demandé aux dirigeants d'EADS, dès l'annonce de la constitution de ce groupe en octobre 1999, que soient recherchés des modes nouveaux de représentation des salariés dans un contexte trinational. Je note avec satisfaction qu'un comité de groupe européen, que des comités de branche, que des comités nationaux se mettent en place avec un large consensus syndical ; les 5 organisations syndicales françaises représentatives ont signé un accord en ce sens. Je suis très heureux de constater que le secteur des industries de défense sait, dans le domaine social également, faire preuve des capacités d'innovation et d'excellence qui lui sont reconnues du point de vue technique. C'est une ambition sociale identique qui doit nous guider dans ce processus de modernisation qui s'engage dans l'industrie navale militaire.
Outre un dialogue social exemplaire, ce secteur industriel doit aussi veiller à accompagner les réorganisations qu'imposent ces mutations sur les bassins d'emplois concernés. Je pense notamment aux sous-traitants qui doivent trouver de nouveaux débouchés pour ne plus être dépendants exclusivement de ce secteur. Ils doivent également être en mesure de prendre en charge des sous-systèmes et ne pas être seulement des " façonniers ". Les industriels maîtres d'uvre doivent veiller à faciliter ces mutations chez leurs sous-traitants. Les Etats de leur côté y contribuent également par les aides européennes et nationales à la reconversion de bassins d'emploi en difficultés.
L'objectif de ce colloque, et son originalité, était de donner aux fédérations syndicales concernées en Europe, la possibilité d'acquérir une vue d'ensemble des évolutions industrielles en cours ou à venir, afin de parvenir entre elles autant que possible à des orientations communes. De ce point de vue, cette rencontre est un grand succès et représente un acquis collectif de nature à faciliter les futures négociations sociales qui sont indispensables dans le secteur naval.
Je suis également sûr que cette conférence a permis de créer un réseau européen des représentants des salariés qui sera une force de propositions vis à vis des entreprises qui se sont déjà organisées en réseau et qui ont engagé des discussions pour mener le processus de consolidation industrielle du secteur.
C'est donc avec attention que je vais écouter les conclusions et les propositions que Reinhard Kuhlmann tire de ces deux journées de réflexion.
Je vous remercie.
(Source http://defense.gouv.fr, le 26 avril 2001)