Interview de Mme Nadine Morano, ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, à Canal Plus le 14 janvier 2011, sur le congrès du Front National et le développement de l'apprentissage.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Canal Plus

Texte intégral


 
 
 
M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : N. Morano est sur notre plateau. Ministre chargée de l'Apprentissage et de la Formation professionnelle. Son portefeuille est l'un des principaux leviers sur lequel le Gouvernement entend jouer pour faire baisser le chômage. Ce sera un des sujets clés de la présidentielle, peut-être un moyen de contenir le score du Front national. M. le Pen sera ce week-end, sauf surprise, élue présidente du Front. Bonjour N. Morano.
 
Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez la bienvenue.
 
Merci.
 
M. Biraben : Et bonne année à vous.
 
Merci.
 
C. Roux : Nous sommes, effectivement, la veille du congrès du Front national. La question qui se pose ce matin c'est est-ce que M. Le Pen vous fait plus peur que J.-M. Le Pen ?
 
Mais qu'est-ce qui va se passer ce week-end ? C'est que, en fait, le Front national va rester le Front national, que le Front national va juste simplement changer de prénom, c'est tout. Donc, évidemment, ce sera du Le Pen habituel, ce ne sera pas du Le Pen light, c'est ça qu'il faut se dire.
 
C. Roux : Sur le fond, ça ne change rien ?
 
Sur le fond, ça ne change rien, c'est les mêmes ingrédients, c'est-à-dire très peu d'idées politiques, mais surtout l'ingrédient de la peur distillée, aucun projet économique, et c'est ce qui est important aussi, parce que lorsque on propose le repli sur soi, la protection, l'ultra protection. Lorsqu'on a comme unique ligne de conduite politique la lutte contre l'immigration, ça fait un peu court pour avoir un projet politique pour la France.
 
C. Roux : Pourtant, ce sont des idées qui séduisent, y compris dans votre famille politique, j'allais dire surtout dans votre famille politique : 43 % des sympathisants UMP sont favorables à des alliances avec le Front national - c'est un sondage TNS - Sofres - « La matinale » Canal + -Le Monde-France Inter qu'on a présenté longuement cette semaine. Comment est-ce que vous réagissez à ces chiffres-là ?
 
Moi, à ces chiffres-là, d'abord je réagis en me disant que la vocation d'un parti politique c'est de répondre aux préoccupations des Français, d'analyser évidemment les besoins, et surtout d'avoir des réponses politiques très concrètes. Lorsqu'on parle, par exemple, du respect de la laïcité dans la République, eh bien il s'agit de dire exactement comment on va faire, ce qu'on va faire. Par exemple, sur les prières dans la rue, il n'y a aucune justification des prières dans la rue, que ce soit par des chrétiens ou par des musulmans. Donc, il y a des mesures à prendre sur ces sujets. Il ne suffit pas de dénoncer un problème politique sans en apporter une réponse. Je crois qu'un parti responsable se doit d'avoir des réponses politiques très claires, que ça soit sur l'emploi des jeunes...
 
C. Roux : ce n'est pas le cas aujourd'hui, parce qu'on a l'impression que ce discours-là on l'entend depuis que N. Sarkozy est arrivé aux responsabilités ?
 
Si, attendez, quand vous regardez ce qu'a fait N. Sarkozy à la fois en termes d'immigration, et notamment le pacte européen sur l'immigration qui nous a permis d'avoir des bases européennes sur la gestion de l'immigration humaine. Voilà des réponses politiques concrètes. Il n'y a pas non plus que le phénomène de retour à la frontière, il y a d'autres, évidemment, messages politiques très forts.
 
C. Roux : Alors, je résume, ça veut dire que votre famille politique doit s'emparer sérieusement de ces thèmes. Vous savez que J.-F. Copé lance une mission sur la stratégie à adopter face au Front national. Vous souhaitez y participer à cette mission ?
 
Ecoutez, moi, stratégie face au Front national, je pense que ce n'est pas la question. La vraie question est quelles réponses apportons-nous aux Français, quel est le projet que nous allons présenter aux Français ? Je crois que c'est ça qui est important. C'est pas une stratégie face à quelqu'un, c'est comment est-ce qu'on parle aux Français et ce qu'on leur propose. Vous savez, les Français sont des gens intelligents, responsables, un peuple responsable, et donc ils attendent des réponses politiques. Donc, J.-F. Copé a sa liberté de parole, moi j'ai la mienne également. Je crois que nous devons nous adresser à chacun des électeurs. Il n'y a pas des électeurs qui appartiennent au Front national ou à l'UMP. Donc, il n'y a d'ailleurs aucun tabou sur tous les sujets politiques que nous devons aborder. Aucun ! Voilà ! La place de l'Islam en France...
 
C. Roux : vous pensez à quoi ? Allez, allons-y !
 
L'immigration, le mieux vivre ensemble, l'intégration dans notre société, l'emploi des jeunes, le milieu économique, la place de la France en Europe, le contexte de la mondialisation.
 
C. Roux : Ca veut dire que vous pensez...
 
... l'environnement, tous ces thèmes nous devons en débattre. C'est la vie quotidienne des Français.
 
C. Roux : N. Morano, la question qu'on se pose c'est est-ce que N. Sarkozy, donc l'UMP, peut refaire le coup de 2007 vis-à-vis des thèses du Front national ?
 
C'est pas un coup de 2007 ! Vous parlez chiffres, j'entendais ce matin les résultats notamment en matière de sécurité et d'homicides qui ont très, très, très nettement baissés. Aujourd'hui, on est face à un autre problème qui est les violences intra familiales qui sont de plus en plus dénoncées. Voilà des sujets très concrets en matière de sécurité. Quand vous regardez les chiffres sur l'immigration illégale, les chiffres ont totalement reculé. On le voit aussi par rapport aux demandes de titres de séjour qui sont déposés.
 
C. Roux : Ca ne fait pas encore baisser les scores du Front national dans les sondages. Il y a un sondage qui sort ce matin dans Marianne : une intention de vote, le Front national serait à 18 %.
 
Mais il ne faut pas l'ignorer. Simplement, la vraie réponse c'est quoi ? C'est pas une alliance avec le Front national, c'est de répondre concrètement aux questions que se posent les Français. Et donc, l'objectif de l'UMP ce sera cela à travers le projet que nous aurons à proposer et à travers tous les débats que nous allons mener dans nos fédérations.
 
M. Biraben : Alors, des réponses concrètes à propos de l'emploi maintenant.
 
C. Roux : Oui, puisque M. Aubry lors de ses voeux a été très claires, elle dit la priorité de N. Sarkozy c'est l'emploi, l'emploi, l'emploi. C'est le cas ?
 
C'est une liberté intentionnelle, ça ! On ne comprend pas très bien ce qu'elle veut vraiment dire, parce qu'elle envoie toujours des mots à la tribune, mais sur le fond, regardez, très concrètement, M. Aubry nous dit qu'il y aura un projet quand au Parti socialiste ? Au printemps. Au printemps seulement ! Alors que, nous, nous travaillons très concrètement. Nous sommes en action d'une part...
 
C. Roux : c'est un peu le sujet, oui.
 
Voilà ! Et de l'autre côté, alors je parle du gouvernement, c'est d'ailleurs une de mes tâches puisque j'ai en charge l'apprentissage et la formation professionnelle, j'observe que nous sommes très en retard par rapport à l'Allemagne aujourd'hui puisque 60 % des entreprises ont recours à l'apprentissage, que cette formation duale est utilisée depuis des décennies, et qu'en France si le taux de chômage des jeunes est aussi important c'est parce que nous les préparons mal à l'entrée sur le marché du travail.
 
C. Roux : On a bien entendu, c'est encore le modèle allemand qui revient sur la question de l'emploi et de l'apprentissage.
 
Ah, sur ce sujet, très clairement. Il n'est pas question d'aller faire du copier-coller, mais il est question de s'inspirer de leur dispositif. Et c'est pourquoi nous aurons tous des efforts à faire parce qu'il nous faut changer complètement de mentalité dans notre pays, c'est une véritable révolution culturelle. C'est-à-dire qu'il faut agir dès l'orientation, c'est-à-dire qu'il faut arrêter de dire qu'il y a des filières nobles et négliger l'intelligence de la main. Il y a des grands noms de notre milieu économique qui sont passés par l'apprentissage, et on voit qu'en passant par l'apprentissage on peut devenir ingénieur, chef d'entreprise, et donc avoir une vraie progression professionnelle. D'ailleurs, vous avez des noms connus à Canal qui sont passés par l'apprentissage, vous le savez ?
 
C. Roux : Alors, dites-nous !
 
T. Ardisson, B. Gaccio aussi est passé par l'apprentissage.
 
M. Biraben : Ca ne lui a pas beaucoup réussi, il faut quand même bien le dire.
 
Pourquoi ?
 
M. Biraben : Je rigole, je rigole !
 
Je pense qu'ils ont tous les deux du talent, et je pense qu'ils peuvent être aussi des exemples pour les jeunes.
 
C. Roux : Alors, vous annoncez, ce matin, le relèvement...
 
...F. Provost aussi, le coiffeur, est très content parce que je vais les associer dans un club, dans une task force. Ils vont valoriser l'apprentissage.
 
C. Roux : N. Morano, vous annoncez quelque chose, ce matin, le relèvement à 4 % du quota des jeunes en apprentissage en entreprise.
 
Oui.
 
C. Roux : Vous êtes d'accord avec les partenaires sociaux ou vous avez annoncé ça unilatéralement ?
 
Non, d'abord nous avons eu des entretiens avec les partenaires sociaux. Moi, en bilatéral dans un premier temps, ensuite avec X. Bertrand nous avons dégagé des pistes, ce sont des propositions, comme vous l'avez vu, qui je dirais recueillent à peu près l'unanimité sur ce sujet de se dire que chacun doit faire des efforts, et notamment également les entreprises parce que aujourd'hui nous avons un quota de 3 %, dans les grandes entreprises il y a des marges de manoeuvre. Nous allons leur proposer de passer ce quota à 4 %. Nous voudrions aussi inciter les petites entreprises, c'est-à-dire les moyennes entreprises, à partir de 50 salariés à 249, là plutôt à travers un bonus, parce que nous sommes encore en situation de crise économique et financière, qu'il nous faut préparer cette sortie, et qu'il n'est pas question d'alourdir les charges sur les entreprises. Donc, plutôt bonus pour les petites entreprises, les moyennes entreprises, et plutôt quota renforcé pour les grandes entreprises. Voilà les propositions que nous leur ferons, mais voilà les propositions dont nous avons déjà débattues avec les partenaires sociaux.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 17 janvier 2011