Texte intégral
Monsieur le Ministre, cher Jean-Noël JEANNENEY, Monsieur le Préfet, Monsieur le Recteur
Je voudrais saluer l'ensemble des élus qui sont ici présents
Messieurs les Députés, cher Maurice, cher Nicolas, Monsieur le Président du Conseil Régional, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les élus, Monsieur le Doyen du Groupe d'Histoire, cher Laurent WIRTH.
Je voudrais saluer l'ensemble des Inspecteurs Généraux qui sont ici présents, les Inspecteurs Pédagogiques Régionaux, les corps d'Inspection, Mesdames et Messieurs les Professeurs, Mesdames et Messieurs.
L'Histoire est une passion française, une passion partagée : d'ailleurs, les interventions auxquelles nous venons d'assister le démontrent, une nouvelle fois. Une passion qui légitime les Rendez-vous de l'Histoire de Blois, consacrés cette année au thème de la justice. Une passion qui fonde la nécessité de cette manifestation qui porte si bien son nom. C'est à Blois que se donnent rendez-vous chaque année à l'automne les Historiens de France et du monde entier, c'est à Blois qu'ils confrontent leurs analyses et les résultats de leurs dernières recherches, qu'ils y rencontrent leurs lecteurs, qu'ils y échangent avec les Professeurs de notre pays. Enfin, c'est tout simplement à Blois que, chaque automne, l'Histoire, Monsieur le Maire, envahit la ville. Et ce n'est pas un hasard si ces rendez-vous sont désormais imités au-delà de nos frontières, à Rabat ainsi qu'à Weimar. Imités également dans notre pays par un Festival d'Histoire de l'Art qui se déroulera bientôt à Fontainebleau.
Si j'ai souhaité venir parmi vous ce matin, c'est d'abord pour goûter et partager avec vous cette passion de l'Histoire. Pour rencontrer celles et ceux qui l'entretiennent à travers leurs travaux. Mais c'est aussi pour vous rencontrer, vous, les Professeurs d'histoire, qui avez choisi de faire de cette passion un métier et de transmettre votre goût de l'histoire aux enfants que la Nation vous confie.
J'ai eu moi aussi, comme beaucoup de Français, un grand professeur d'Histoire qui a su me transmettre cette passion. Aujourd'hui, je veux vous faire part de l'ambition de l'Éducation Nationale pour la discipline que vous incarnez et de l'ambition qui est la mienne pour cet enseignement qui, plus que jamais, constitue l'un des fondements de notre école républicaine. Je veux vous faire part de ma confiance et du soutien de l'institution tout entière dans l'exercice de cette mission, ô combien difficile, que vous exercez au quotidien.
Mieux que quiconque, vous connaissez la passion de nos concitoyens pour l'Histoire, dans ses vertus comme dans ses excès. Vous connaissez le discours décadentiste qui voudrait que l'on n'enseigne plus l'Histoire à nos enfants. Vous connaissez la voix de ceux qui estiment que l'on devrait faire une place plus grande à l'histoire de telle période, de tel pays ou de telle communauté. Vous connaissez également les reproches de ceux qui ne se reconnaissent pas tout simplement dans notre enseignement. Et vous éprouvez quotidiennement la difficulté d'enseigner l'Histoire.
Vous savez que l'enseignement de l'Histoire est plus que tout, au sens étymologique du terme, un acte politique puisqu'il concerne la vie de la cité, la cité tout entière. Un acte particulièrement sensible puisqu'il touche à l'identité de votre pays et qu'il engage la représentation que nous avons de nous-mêmes, de notre pays et du monde qui nous environne.
L'enjeu est d'autant plus crucial en France puisque l'enseignement de l'Histoire a toujours été au coeur du projet éducatif de la république, au coeur même de notre projet républicain. En effet, c'est bien sur l'enseignement de l'Histoire que les pères fondateurs avaient voulu asseoir la reconstruction d'une nation bouleversée par la défaite de 1870 ; mais, également, sur celui de la Géographie puisque, pour reprendre la formule d'ELISEE RECLUS : « L'Histoire n'est que la Géographie dans le temps comme la Géographie n'est que l'Histoire dans l'espace ».
Il suffit pour comprendre ce lien étroit et singulier entre l'Histoire et la Géographie, qui est au coeur de notre enseignement, de relire le célèbre « Tour de la France par deux enfants » ou encore les manuels de Lavisse.
Pourtant, au fil des décennies, cette exception française avait fini par s'émousser, au point qu'au cours des années 70, l'Histoire avait été reléguée au rang des activités d'éveil à l'école primaire. J'appartiens à une génération qui était à l'école primaire à la fin des années 60 : en primaire, nous avons à peine appris l'Histoire.
Aujourd'hui, par delà les difficultés et les polémiques, ma responsabilité de Ministre de l'Éducation Nationale est de veiller à la transmission d'une culture historique partagée, à la fois ambitieuse et ouverte, à tous les enfants de France. Et cette responsabilité est d'autant plus lourde que cet enseignement est également porteur d'un message civique et qu'il est constitutif de notre ambition culturelle pour la jeunesse de notre pays. Une ambition culturelle qui veut surtout que l'école soit ce lieu sans égal capable de créer la seule communauté acceptable : celle de la transmission de la connaissance et du respect de l'autre ; étrangère à toute idée de privilèges qu'ils soient culturels, économiques, sociaux.
L'école a pour ambition de conduire chaque élève vers la réussite. Par là même, elle est donc le premier vecteur de l'intégration sociale et elle doit le conduire vers l'exercice de la citoyenneté et les responsabilités de l'âge adulte.
La refonte récente de l'ensemble de nos programmes d'enseignement dans toutes les disciplines, de l'école jusqu'au lycée, est précisément marquée par cette ambition exigeante et également par la volonté d'introduire à tous les niveaux de la scolarité, un enseignement d'Histoire des Arts dont l'Histoire constitue un support naturel.
A l'école primaire, l'enseignement de l'Histoire est au coeur des savoirs que nous voulons transmettre à nos enfants. Il a pour ambition : de faire connaître et d'ancrer les repères fondamentaux qui accompagneront l'élève tout au long de sa scolarité et de sa vie d'adulte, et avant tout, de lui transmettre le sens de la chronologie, en l'amenant à découvrir, à comprendre, à retenir les grandes dates, les grands faits, les grands Hommes qui jalonnent l'Histoire de la France et du monde.
Au collège, le récit et la chronologie restent naturellement centraux. Mais les programmes esquissent les premiers éléments de la réflexion historique.
En outre, ils s'ouvrent sur l'Histoire du monde : en cela, je pense que nous sommes les disciples de Marc BLOCH qui, dès 1938, évoquait l'intérêt de proposer aux élèves - je cite : « quelques leçons sur les civilisations de l'Inde, de la Chine ». Ce qui était, dans l'entre-deux-guerres, un enrichissement intellectuel est naturellement aujourd'hui, à l'heure de la mondialisation, une nécessité absolue.
Mais contrairement à ce que j'ai pu lire ces dernières semaines, cette ouverture à l'Histoire de l'Inde, de la Chine, de l'Afrique, ne se fait en aucun cas au détriment de l'Histoire de France. Je le dis avec force : Louis XIV et Napoléon seront toujours enseignés au collège dans nos classes.
Au lycée enfin, les nouveaux programmes, dont beaucoup soulignent d'ailleurs l'ambition intellectuelle, s'ouvrent à une Histoire plus réflexive, plus problématisée. Il ne s'agit plus de porter un regard encyclopédique sur l'Histoire du monde, mais plutôt de se concentrer sur des moments clés pour tenter de les comprendre d'abord dans toute leur dimension, mais aussi dans toute leur complexité.
Je sais que certains d'entre vous se sont interrogés sur les décisions prises il y a un an dans le cadre de la réforme du lycée : je vais vous expliquer les raisons qui nous ont conduits à repenser l'enseignement de l'Histoire au lycée.
L'objectif premier de cette réforme, est d'abord de rééquilibrer les séries pour mettre fin à un paradoxe très français d'une série scientifique dominante (la moitié des élèves environ) et pourtant insuffisamment tournée vers les études supérieures scientifiques : 1/4 des élèves reçus à Normal Sup Lettres sont issus de la filière scientifique.
Par conséquent, notre ambition était de personnaliser davantage notre enseignement, de rendre l'orientation plus progressive, plus réversible aussi : accepter les changements de trajectoire, les changements de série, notamment grâce aux enseignements d'exploration qui sont la marque de la nouvelle classe de Seconde. Grâce également aux 2 heures d'accompagnement personnalisé qui vont permettre à chaque élève de construire son propre parcours. Cela sans alourdir un emploi du temps qui est déjà très chargé pour ces élèves.
II s'agissait de bâtir d'une part une classe de Première plus générale, mieux à même de renforcer notre ambition culturelle pour la Jeunesse tout en autorisant les réorientations de parcours évoquées à l'instant. D'autre part, le but était de créer aussi, une classe de Terminale plus spécialisée, susceptible de véritablement préparer les lycéens aux défis qu'ils rencontreront au-delà du baccalauréat, dans l'enseignement supérieur. Et dans ce cadre, nous avons eu la conviction que l'Histoire, la Géographie, l'Éducation Civique valaient mieux que de servir d'appoint dans la formation des Scientifiques.
Regardons les choses en face : aujourd'hui, pour un élève de Terminale Scientifique qui a 31 de coefficient, l'Histoire représente 3, sur 31 de coefficient, contre 21 pour les disciplines scientifiques.
Nous avons voulu donner une place plus importante à cette matière pour les élèves de Scientifique. Nous avons voulu que la classe de Première constitue en quelque sorte un socle commun, une culture commune partagée pour tous les élèves dans le domaine de l'Histoire et de la Géographie. C'est ainsi qu'en première S, l'horaire de ces deux disciplines va passer l'année prochaine de 2 heures 30 à 4 heures, pour avoir cette connaissance en commun. C'est une volonté importante.
Nous avons un point encore plus important sur lequel je souhaite insister : notre ambition de proposer une classe de terminale plus spécialisée, qui prépare mieux aux études supérieures et, en particulier, aux études de Sciences Humaines qui devraient être les débouchés plus naturels des filières Littéraires -L- et des filières Économiques -ES-.
Je souhaite par conséquent que l'enseignement de l'Histoire et de la Géographie soit profondément repensé au niveau de la Terminale et permette à des élèves de plus en plus nombreux de se familiariser avec les outils et les méthodes de l'Historien : réflexion sur les sources, découverte de l'historiographie, ouverture à toutes les périodes de l'Histoire et à différentes parties du monde.
Je souhaite, que l'enseignement de l'Histoire en Terminale L et ES soit particulièrement ambitieux et permette aux Professeurs que vous êtes, d'exprimer leur talent et leur passion pour la discipline qu'ils ont choisie.
Les programmes sont en cours de rédaction. Je ne veux pas bien entendu empiéter sur le travail du groupe d'experts, mais je crois que nous avons un beau chantier permettant de donner un souffle nouveau à l'enseignement de cette discipline. Fondement de la culture commune partagée jusqu'à la fin de la classe de Première, l'enseignement de l'Histoire résolument tourné vers les exigences de l'enseignement supérieur devient pour la première fois un vecteur de spécialisation à partir de la Terminale et d'excellence au lycée.
C'est en effet un magnifique chantier qui permet de réaffirmer le lien entre l'enseignement et la recherche, auquel je suis évidemment très attentif : c'est la deuxième raison de ma présence parmi vous ce matin.
Je suis en effet profondément convaincu que pour donner sa pleine mesure, l'enseignement de l'Histoire doit être vivant et pour cela, nécessairement se nourrir des apports de la recherche contemporaine. Ce lien s'exprime naturellement dans nos programmes d'enseignement qui s'appuient sur les évolutions de cette recherche. C'est bien pour cela que l'Inspection Générale a le souci permanent de s'appuyer sur les conseils de grands universitaires : Maurice SARTRE, Claude GAUVARD, Joël CORNETTE, Gilles PECOUT et Antoine PROST ont ainsi été consultés pour les programmes du collège. II en va de même avec Gilles PECOUT et Jean-François CHANET pour les programmes de lycée rédigés par un groupe d'experts qui comprend également des Professeurs de lycée, des Inspecteurs Pédagogiques Régionaux ou des Inspecteurs Généraux.
Mais le lien entre la recherche et l'enseignement scolaire, c'est ici, à Blois, qu'il s'exprime le mieux, grâce à la présence aujourd'hui de nombreux Professeurs, qui seront encore plus nombreux demain et après-demain. Depuis l'origine au coeur de ce festival, ils sont les plus assidus au côté des Inspecteurs Généraux et des Inspecteurs Pédagogiques Régionaux.
Je crois que par votre présence ici, vous faites vivre le lien nécessaire entre la transmission du savoir historique aux jeunes générations et les explorations de la recherche. C'est à mon sens la vraie force et le prix du partenariat entre l'Éducation Nationale et Monsieur le Président des Rendez-vous de l'Histoire de Blois.
Je voudrais également penser à tous les Professeurs qui ne viendront pas à Blois ce weekend, qui n'auront pas la chance d'être parmi vous et qui souhaiteraient aussi assister à ces conférences et débats. C'est pourquoi nous avons convenu avec Jean-Noël JEANNENEY de la nécessité de mettre à la disposition de ces professeurs l'ensemble des conférences et débats qui seront filmés ici, dans la Halle aux Grains.
Dans le cadre de la réorganisation de nos portails disciplinaires, je demande au CNDP de prévoir un espace sur le nouveau portail d'Histoire et Géographie, qui sera exclusivement dédié aux Rendez-vous de l'Histoire de Blois, afin que ce patrimoine immatériel et inestimable, soit accessible à tous les Professeurs de France.
Étant en train de parler de numérique à l'école, de ressources pour l'enseignement de l'Histoire ; je vais vous faire part d'une conviction profonde : vous savez que notre système éducatif est en train de vivre progressivement une évolution - certains parlent d'une révolution sans précédent - avec le développement de l'utilisation des technologies, de l'information et de la communication dans l'enseignement. Ma conviction est que l'Histoire peut et doit être au coeur de ce mouvement, car le numérique permet de faire entrer toute la richesse, la diversité des sources historiques dans la classe.
Nous disposons d'ailleurs de partenariats existants avec l'Institut National de l'Audiovisuel, la réunion des Musées Nationaux qui mettent leurs ressources numériques à notre disposition. Nous venons également de mettre en ligne une plate-forme Ciné Lycée avec le soutien de France Télévision. Je crois qu'il faudra aller plus loin et aider chaque Professeur à se saisir de ces outils. Aujourd'hui, je souhaite que tous les Professeurs d'Histoire s'emparent du numérique et je me réjouis, Monsieur le Doyen, que l'Inspection Générale ait choisi d'organiser un séminaire sur cette question au prochain printemps.
Mesdames et Messieurs, avec un enseignement rénové, avec des ressources nouvelles, avec le tournant du numérique que j'évoquais à l'instant et grâce surtout à l'expertise et à l'engagement de nos Professeurs, l'Histoire est plus que jamais au coeur de notre enseignement. Bien plus : son enseignement est au coeur de la cité et du projet éducatif de la Nation. Cette exigence fait peser sur vous, Professeurs d'Histoire, une lourde responsabilité et ce matin, je voudrais vous dire toute ma confiance.
Pierre NORA a noté dans le texte d'ouverture des « Lieux de Mémoire » que « l'Histoire appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l'universel ». C'est une magnifique définition qui vous confère une responsabilité toute particulière, car c'est à vous, Professeurs d'Histoire, qu'il revient de l'enseigner et de faire accéder chaque enfant de France à l'universel. C'est ce qui fait le prix de votre enseignement et je le crois profondément, la grandeur de votre mission.
Merci.
Source http://www.rdv-histoire.com, le 12 janvier 2011