Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Est-il vrai que récemment vous avez croisé J. Chirac ?
Oui, bien sûr.
Vous vous souvenez dans quelles circonstances ?
Oui, tout à fait !
Qu'est-ce qu'il vous a dit ? Racontez-moi. Racontez-nous tout.
Il m'a fait une sortie à propos de Dominique.
De D. de Villepin ?
De Villepin. Très au deuxième degré. Vous savez avec le président Chirac, quand on a une relation de proximité comme c'est mon cas, de temps en temps il y a des espèces d'échanges dont on ne sait pas à quel degré il s'exprime. En l'occurrence, effectivement, il m'a parlé de ma décision de quitter le porte-parolat D. de Villepin. Voilà.
On va en parler. Mais il vous a dit : « Tu es venue avec Dominique ». C'est vrai ?
C'est ça, oui.
Ajoutant : « Tu es entrée au Gouvernement ». C'est vrai ?
Oui.
« Tu as quitté D. de Villepin ».
Oui.
Et il a conclu : « Tu as trahi Dominique et ce n'est pas bien ».
Oui, c'est ça. Mais dans une espèce de - comment vous dire ? - de phrase qui était à la fois une boutade et, en effet, je pense une interrogation.
Vous l'avez trahi ?
Certainement pas. Certainement pas. Je porte tous les jours les idées d'une République solidaire et quand je pense que ces idées de République solidaire doivent être présentes dans la famille majoritaire qui est notre famille à D. de Villepin et à moi-même, puisqu'il est adhérent de l'UMP, puisqu'il a été un des Premiers ministres importants de cette majorité, de cette même majorité, je pense que j'ai raison. Et limiter D. de Villepin dans une espèce de centrisme que personne ne comprend, le sous-calibrer, le sous-positionner, c'est une mauvaise idée. Et j'ai souvent dit à Dominique : « Il faut parler de République Solidaire, de ses idées gaullistes-sociales dans notre famille majoritaire ». Nous devons les porter.
On va en parler. On va parler de solidarité et de cohésion sociale, mais en décembre 2009 - il y a un peu plus d'un an, un an seulement, vous disiez, je vous cite : « Je suis écoeurée par le fonctionnement de l'Élysée et de l'UMP, brutal, cynique et marketing ». En un an tout a changé ?
Parce que les choses ont bougé.
Vous n'êtes plus du tout écoeurée, plus du tout par le fonctionnement de l'Élysée ? Par l'UMP ?
Attendez. Attendez.
Oui, M.-A. Montchamp.
J.-J. Bourdin, j'écoute ce que vous me dites.
Moi je lis ce que vous dites.
Mais je ne retire pas un mot. Quand on est allés sur certains sujets, en particulier sur les sujets qui touchaient à l'identité nationale, dans des conditions qui n'étaient pas les bonnes, qui ont semé le trouble dans l'esprit de nos compatriotes, je pense que nous étions sur un mauvais chemin.
Mais ça veut dire que le président de la République a commis une faute.
Il ne s'agit pas de donner des bons et des mauvais points : on fait de la politique.
Vous êtes extraordinaire ! Vous critiquiez il y a un an le président de la République, et un an après vous dites : « Ah non ! ».
Mais attendez. On n'est pas dans le marivaudage. Moi je vous donne ma vérité.
Mais on est dans l'honnêteté intellectuelle, M.-A. Montchamp !
Parfaitement.
Est-ce que vous pensez que vous avez été honnête intellectuellement.
Je l'ai été totalement. Sur les combats de ma vie, sur, véritablement mon engagement. Quand j'entends aujourd'hui qu'on a relégué cette question de l'identité nationale pour la transformer en cet objectif de Cohésion sociale qui est portée aujourd'hui par ce ministère...
On a reparlé de la possibilité de rouvrir ce débat d'identité nationale, non ? Vous n'avez pas entendu ?
...quand on ouvre le débat sur l'identité nationale, on le fait aujourd'hui sur une tonalité qui n'a plus rien à voir avec la tonalité d'alors. Si dans la famille majoritaire des gens comme moi et d'autres n'ont pas le courage de dire quand ça ne va pas que cela ne va pas, je pense qu'il faut arrêter de faire de la politique. Chaque fois que les choses me choquent, je le dis.
Alors maintenant que vous êtes au Gouvernement...
Je ne serais pas allée sur d'autres sujets que ceux que je suis capable de porter. Je ne serais pas entrée dans un Gouvernement qui aurait continué d'aller sur ce terrain-là que je ne partage pas. Aujourd'hui, les choses sont apaisées, le président de la République a dans son remaniement mis l'option sur une année utile, une année au service des Français, au service d'une France pour laquelle la question de la solidarité est absolument décisive, a relégué la question de l'identité nationale à sa juste place avec d'un côté, les préoccupations d'ordre public et de l'autre, les préoccupations de Sécurité sociale qui sont dans ce Gouvernement portées avec le même équilibre. Je crois à ça. C'est l'esprit de ce gaullisme-social qui m'anime. Je n'ai pas changé et je continuerai, que ça plaise ou que cela ne plaise pas, quand je ne suis pas d'accord à le dire et quand je suis d'accord à l'exprimer. À l'exprimer !
Vous direz vos désaccords publiquement ?
Mais évidemment ! Et puis je vais vous dire : la responsabilité du politique...
Et là, aujourd'hui, vous avez des désaccords avec le président de la République ?
Je n'en ai aucun.
Aucun ?
Je n'en ai aucun.
Plus aucun ? Vous en aviez il y a encore quelques mois mais aujourd'hui plus aucun. Tout est aplani.
Les choses changent. Regardez l'évolution de ce Gouvernement, regardez la tonalité, regardez la manière dont le président de la République s'exprime. Je partage totalement aujourd'hui ce qu'il dit et je vais vous dire, et je vais vous dire, quand on n'est pas d'accord, on s'en va. D'accord ? Et c'est à partir de là...
Donc vous partirez si vous n'êtes pas d'accord ?
Il faut être conséquent. Et aujourd'hui je suis pleinement d'accord au service de mes compatriotes.
Donc, vous partiriez si vous n'êtes pas d'accord ?
Mais évidemment ! C'est la logique de l'engagement politique.
Bon. Est-ce que D. de Villepin a un destin national ?
Il a un destin national au sens où tous les Français savent l'homme de l'ONU, savent même citer les mots qu'il a prononcés : « Je viens d'un pays, la France, etc - je viens d'un vieux pays, la France » ; mais ce qui est certain c'est que pour 2012, il n'y a pas de place pour une division dans la famille majoritaire, sinon ce sont les extrêmes ou la gauche.
Doit-il être candidat ? Doit-il être candidat ?
Mais ça n'est raisonnable, il ne va pas faire une candidature de témoignage. D. de Villepin, l'homme de l'ONU, ne se réduit pas à un score qui dans les sondages - regardez...
Mais vous le réduisez à "une candidature de témoignage" si j'ai bien compris, M.-A. Montchamp.
Attendez, vous permettez : je ne représente pas l'électorat français.
Alors doit-il se présenter ?
Moi je pense que c'est déraisonnable. Je pense qu'il est beaucoup plus...
Vous dites non.
Je pense que non, en effet. Je pense qu'il est dix fois préférable que les idées de République Solidaire, les idées formidables qu'il porte et que je partage avec lui soient présentes dans la famille majoritaire, pèsent dans le programme et pèsent dans l'exécutif. C'est ce que je fais au quotidien. Je n'ai pas changé sur mes convictions politiques et j'ai la possibilité, même si je suis une femme en politique, de ne pas résumer mon action à un marivaudage.
Alors on va terminer avec ça. Il vous a appelée depuis votre entrée au Gouvernement ?
Nous nous sommes parlé longuement à l'occasion de cette entrée au Gouvernement.
Et que vous a-t-il dit ?
Si vous me permettez, je lui ai dit que c'était les combats de ma vie et je lui ai dit sur quels dossiers j'entrais, et il m'a dit qu'il me comprenait et il m'a dit son estime. Ce jour-là, nous avons eu une conversation comme jamais nous n'avions eu de conversation. Nous nous sommes dit les choses en vérité parce que les sujets que je porte, je sais qu'il en partage la nature, qu'il en partage l'importance pour les Français, et même qu'à titre personnel, comme c'est mon cas, il les comprend.
Si vous aviez à choisir entre ces deux hommes, N. Sarkozy et D. de Villepin, lequel choisiriez-vous ?
Moi je choisis la France, je choisis les Français.
Ah non ! mais ça... l'échappatoire est facile !
Mais attendez, je vais vous dire quelque chose : vous me parlez de quel type de choix ?
Je vous pose la question, choix politique d'abord.
Mais le choix politique, je l'ai fait. Je suis entrée au Gouvernement. Je suis solidaire du Gouvernement.
N. Sarkozy. Choix amical ? Choix personnel ?
Ce sont deux personnes... Écoutez, je refuse de choisir l'un plutôt que l'autre J'ai de l'admiration pour l'action du président de la République, pour sa capacité à réformer, pour son courage. Et vous voulez que je vous dise, quand il est tellement critiqué, tellement parfois brocardé, je trouve qu'il y a une injustice. Quant à D. de Villepin, avec son talent, son intelligence, son indépendance...
Qui devait "être pendu à un croc de boucher". Ce n'est pas ce que j'avais entendu à une époque, M.-A. Montchamp ?
C'était brutal et c'était violent et c'est pour ça que j'ai réagi.
Mais qui avait prononcé cela ? Qui avait dit cela ?
Vous le savez très bien, J.-J. Bourdin, qui l'avait dit, et vous savez très bien comment j'ai réagi. Et je pense que j'ai eu raison de réagir. Ce n'est pas le bon chemin. Le Président de tous les Français, celui qu'on entend aujourd'hui, celui que les Français entendent s'exprimer, quelque part il n'a pas à entrer dans cette logique, et moi j'aime aujourd'hui le ton que le président de la République a choisi, y compris sur les sujets les plus polémiques.
Donc, vous n'êtes pas traître ?
Jamais de la vie.
Vous ne vous sentez pas...
Non. Je suis cohérente et je suis engagée auprès des Français.
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 10 janvier 2010