Déclaration de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale, sur la dépendance des personnes âgées, le vieillissement et l'accueil et la prise en charge médicale des personnes âgées dépendantes, Paris le 8 février 2011.

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Circonstance : Colloque sur la dépendance au Conseil Economique social et environnemental à Paris le 8 février 2011

Texte intégral


Longtemps, la dépendance des personnes âgées s'est vue reléguée au rang de ces sujets auxquels le politique n'osait vraiment s'attaquer. On évoquait alors avec gêne la viabilité financière de notre modèle social, dans le déni l'approche sociologique du vieillissement, avec une tristesse parfois désinvolte les conditions de vie de nos aînés.
A l'évidence, les échanges de notre table ronde vont dans le sens des constats dressés par tous les responsables politiques, les chefs d'administration, les intellectuels et les praticiens : la réforme de la dépendance dépasse très largement les batailles de chiffres et la presse à billets et nous montre en quoi la réforme de la dépendance peut constituer une chance pour la société française, justifiant le choix politique de ne pas remettre à plus tard la mise en oeuvre de ce grand chantier.
Comme le précédent grand chantier mené avec succès par le Président de la République, celui de la réforme des retraites, la réforme de la dépendance renvoie les décideurs politiques face à leur première responsabilité, celle de traiter ce sujet si important en amont, avant qu'il ne soit trop tard, avant 2050, et de prendre le risque de proposer une solution collective à une addition de problématiques particulières
A contre-courant des idées reçues, il apparaît que le vieillissement n'est ni l'un de ces maux des économies dites développées, ni le présage de mauvaises augures qui annoncerait comme certains ont voulu le faire entendre, un prétendu déclin.
C'est une chance pour chacun d'entre nous et pour notre société toute entière.
Comme nous l'a fait remarquer le Professeur Gilles BERRUT, la grande majorité de nos concitoyens aura la chance de vivre plus longtemps, et, ce qui est essentiel, en bonne santé. L'attention toute particulière portée sur les signes précurseurs, les petites fragilités, qui, si elles sont traitées suffisamment tôt, ralentissent ou éliminent les évolutions vers la dépendance n'est pas vaine. L'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens, imputable aux progrès cumulés de la médecine, de la lutte contre la précarité, de la prise en compte de la pénibilité au travail, est une réalité et un objectif que nous devons poursuivre en intensifiant nos efforts en matière de recherche et de prévention.
Nos aînés sont également une chance pour notre société, car ce sont eux qui donnent de leur temps, qui font vivre les associations, qui s'engagent pour les autres. Cette capacité de don de soi est inestimable si l'on reconnaît leur irremplaçable expérience de la vie partagée avec plusieurs générations.
Cette approche, cette conception, nous la devons à tous nos aînés, mêmes ceux qui sont davantage affectés la dépendance. Croire que la réforme est possible, croire en l'avenir de notre pays, c'est croire en l'avenir de chacun, c'est avoir foi dans les capacités résiduelles de tous. C'est se poser la question de savoir ce que la société peut leur apporter, et de savoir ce qu'ils peuvent apporter à la société.
La réforme devra aussi intégrer comme le principe essentiel de la participation, qui concoure à la liberté du choix car de là nait le respect.
Le respect que nous devons à nos aînés. Non pas parce qu'ils auraient le privilège de l'âge. Non pas parce que la charité nous imposerait une empathie teintée de condescendance. Mais parce que ce sont nos concitoyens, des hommes, des femmes. C'est pour cela que nous leur devons du respect.
Et ceci n'est pas incompatible avec le fait de reconnaître toute la fragilité qui est la leur, celle de leur capacité physique diminuée, celle de leur état psychique diminué, mais aussi l'instabilité inhérent à la dépendance, celle du glissement vers un état parfois plus grave.
Pour mieux cerner le risque dépendance, c'est-à-dire être en mesure de savoir combien de nos aînés auront besoin de la solidarité de la société et sur combien de citoyens la société pourra compter pour soutenir les projets d'accompagnement de nos aînés, nous bénéficierons des projections démographiques de Jean-Michel CHARPIN qui semble nous indiquer que le risque ne concernera en réalité qu'une minorité.
Je voudrais ainsi souligner que la dépendance des personnes âgées constitue bien un risque, avec une occurrence incertaine, et qu'en cela elle se différencie du handicap et comme l'a très bien dit le Sénateur VASSELLE, ces deux situations de dépendance ne peuvent répondre aux mêmes logiques de compensation.
Et si, comme l'a souligné François EWALD, le principe de précaution nous oblige à exagérer la menace, sachons toutefois raison garder et préparons-nous au vieillissement avec optimisme et détermination.
Cette préparation, nous l'avons compris, devra passer par une réforme qui touchera à la solidarité nationale, conformément à l'idée que nous en avons, et qui interrogera les valeurs que tous nous partageons. Mais les enjeux du vieillissement touchent aussi aux solidarités familiales et intergénérationnelles, qui sont à la fois le ciment et les structures de notre société, dépassant l'aune des transferts financiers.
La mutation de la société et des rythmes de vie vont certes dans le sens du développement des services marchands. Mais, comme l'a développé Madame Florence LEDUC, une grande partie de la prise en charge de la dépendance repose encore aujourd'hui sur des aidants et des solidarités de proximité. Le maintien de ce tissu social est déterminant pour l'avenir de notre société car c'est lui qui la façonne, dans toutes ses composantes. Nous devons veiller à ne pas rompre les liens entre générations et nous assurer que la réforme de la dépendance ne vise à remplacer systématiquement par une aide publique standardisée, le « cousu main » des solidarités de proximité . Penser les solidarités de proximité, c'est comme l'a justement souligné Madame Monique Weber, c'est penser aux familles, à ceux qui doivent accompagner, parfois décider. Aussi, faudra-t-il réaliser de réels progrès dans transparence de l'offre des établissements de prise en charge des personnes âgées.
Pour réussir cette réforme, c'est-à-dire pour assigner un objectif de dignité au futur système et pour garantir sa viabilité , en faveur de nos aînés, mais aussi pour notre génération dans quelques années, et pour nos enfants dès demain, il nous faudra nous astreindre à cette juste reconnaissance des solidarités que ce soit dans le monde du travail, dans la vie quotidienne, en envisageant les dispositions réglementaires et fiscales qui peuvent contribuer à cette juste reconnaissance.
Madame Annick MOREL a montré que le troisième enjeu essentiel de la réforme était bien celui de l'aménagement des territoires ruraux, urbains ou périurbains, celui de l'environnement social, produit et crée par l'activité humaine. Les défis pour l'accessibilité sont en effet nombreux, notamment en matière de transport, d'urbanisme, d'organisation des services à la personne, de la structuration des offres de logement, tout cela, dans une France aux besoins et aux gisements d'emplois géographiquement recomposés par la mobilité des retraités.
J'aimerais pour conclure souligner qu'en effet, comme l'a si bien dit Annick MOREL, le vieillissement qui peut se traduire par une situation de dépendance, nous interpelle de façon centrale sur des questions d'éthique. L'obstination thérapeutique inappropriée, la maltraitance qui surgit parfois, la responsabilité des familles dans l'accompagnement psychologique - je pense à la lutte contre la solitude qui ne peut se résoudre par l'entrée dans un établissement - la dignité de la personne âgée dépendante, sans doute plus largement évoquée dans la seconde table ronde sont autant de sujets qui devront guider notre réflexion dans les mois à venir.
La réforme de la dépendance questionnera véritablement notre capacité de cohésion sociale. En nous conduisant à construire un modèle social moderne, viable, moral même, nous sommes appelés à réaffirmer ce qui fait, je crois, la valeur qui fonde, je crois, notre identité nationale : la solidarité. Nous sommes appelés à construire l'Etat providence du XXI siècle, l'Etat prévoyance.
Je vous remercie.
Source http://www.dependance.gouv.fr, le 10 février 2011