Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, à "France Culture" le 23 février 2011, sur la diplomatie française face aux événements politiques en Tunisie et en Libye.

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Texte intégral

Q - Quand il a quitté le ministère chargé des Relations avec le Parlement, où a été nommé Patrick Ollier, pour devenir ministre chargé de la Coopération rattaché au ministère des Affaires étrangères de Michèle Alliot-Marie, notre invité ne se doutait pas forcément de ce qui se passerait dans son secteur international : la Tunisie, l'Egypte, la Libye, la révolution du monde arabe et une crise majeure de la diplomatie française. Bonjour Henri de Raincourt.
R - Bonjour.
Q - Cette présentation, vous vous y reconnaissez ou vous trouvez que j'en rajoute ?
R - Vous avez oublié la Côte d'Ivoire, vous avez oublié la Guinée Conakry qui vient de se doter démocratiquement d'un président. Certes, le tableau général est en pleine ébullition, je le reconnais bien volontiers, et nous sommes donc dans une grande période d'incertitudes.
Q - Mais je parlais aussi de crise majeure de la diplomatie française : cela vous l'acceptez, vous l'admettez ?
R - Ce que j'admets, c'est que toutes les diplomaties du monde entier ont été prises au dépourvu par la rapidité et l'ampleur des mouvements que nous constatons dans d'innombrables pays, parce qu'il y a ceux qui sont sous le feu de l'actualité car c'est là que les évènements ont le plus d'intensité, mais il y a aussi d'autres pays dans lesquels cela bouge.
Q - Mais dans tous les pays, il n'y a pas eu la déclaration que l'on a entendue de la part de Mme Alliot-Marie, puis les affaires qui ont suivi, puis cette remise en question ? Par exemple, hier une délégation gouvernementale a été reçue à Tunis et Mme Alliot-Marie n'était pas là. Est-ce que l'on ne marche pas sur la tête ?
R - Il faut regarder les faits. Ils sont très simples. D'une part, la date du voyage de Mme Alliot-Marie au Brésil était retenue de longue date. Deuxièmement, Mme Lagarde et M. Wauquiez sont en Tunisie pour préparer la conférence de Carthage, au cours de laquelle on va parler de sujets économiques et de l'ouverture du statut avancé - qui est une possibilité pour la Tunisie d'être très proche de l'Union européenne. Il est donc normal que ce soit les ministres en charge de l'Economie et de l'Europe qui soient à Tunis pour y représenter la France.
Q - Qu'ils soient là, c'est normal, que la ministre des Affaires étrangères n'ait pas pu bouger son calendrier, là vous faites votre job parce que vous êtes obligé de la défendre, parce que c'est votre ministre ?
R - Non, j'essaye de m'en tenir aux faits, sans commentaire superflu, parce que cela ne sert à rien. Les faits sont ce qu'ils sont et après chacun est libre de les commenter comme il l'entend.
Q - Bien, on a entendu votre réponse. La Libye est en situation de guerre civile, il n'y a plus qu'un seul aéroport à Tripoli, que se passe-t-il, que va-t-il se passer pour les ressortissants français ?
R - La situation en Libye est totalement inacceptable. Elle a fait l'objet d'une condamnation très forte de la part du président de la République française, comme de très nombreux autres chefs d'Etat et responsables gouvernementaux de par le monde. Cette situation ne peut absolument pas durer. Le colonel Kadhafi, et ceux qui sont avec lui, ne peuvent pas continuer à tirer sur les habitants de la Libye, qui ne demandent rien d'autre qu'un peu de liberté et un peu d'espace pour pouvoir vivre convenablement.
Quant aux ressortissants français, vous savez qu'il y en a un peu moins d'un millier. Certains reviennent par leurs propres moyens, d'autres souhaitent y rester, et d'autres, enfin, ont la possibilité de profiter des moyens de rapatriement qui sont mis en place par le gouvernement.
Q - N'a-t-on pas fait une énorme bêtise en recevant, comme on l'a fait, il y a trois ans, le colonel Kadhafi, comme si après tout ce qu'il avait fait il pouvait être un repenti ?
R - Il faut situer cette visite, je sais que c'est difficile dans la période actuelle de m'exprimer comme je vais le faire, mais il faut resituer cette visite dans son contexte et peut-être rappeler que le colonel Kadhafi est au pouvoir depuis 1969, que l'on a été habitué à de très nombreuses reprises à ses dérapages verbaux et, pire, que la Libye a été reconnue comme responsable d'un attentat qui a coûté la vie à 170 personnes qui étaient dans un avion au-dessus du désert, et...
Q - ... donc il ne fallait pas le recevoir ?
R - ... et donc pendant des années et des années, le colonel Kadhafi a été mis au ban de la communauté internationale. C'est seulement au mois de septembre 2011, quand des avions ont détruit les deux Twins Towers à New York, que le colonel Kadhafi a condamné ces évènements et qu'à partir de ce moment-là, petit à petit, il a été réintégré dans la communauté internationale avec beaucoup de prudence et avec beaucoup de réserve. Encore une fois on ne peut pas indéfiniment ne pas parler aux responsables des Etats. Ce n'est pas parce qu'on leur parle que l'on approuve leur politique. Ce n'est pas parce qu'on leur parle que l'on approuve leur comportement. Jamais la France n'a approuvé ni la politique, ni le comportement du colonel Kadhafi.
Q - On n'est pas allé tout de même au-delà de la real politik ? Au-delà de ce que peut permettre la nécessité de rencontrer les dirigeants comme vous venez de le dire ?
R - Je crois que le président de la République française et son prédécesseur, qui avait déjà engagé ses discussions avec le colonel Kadhafi, voulaient montrer par là même que l'épisode épouvantable de l'avion qui avait été abattu était en train de se terminer, que les familles avaient été indemnisées et qu'il fallait y mettre un point final. Pour autant ce n'était certainement pas une marque d'approbation de la politique menée en Libye.
Q - La politique de la France est critiquée en ce moment. L'atonie de l'Europe, on l'a entendue très fort. Vous revenez d'une réunion de Bruxelles, qu'êtes-vous en train de faire au niveau européen, si vous faites quelque chose, pour essayer de tourner cette page et essayer de repartir positivement ?
R - Tout le problème qui existe dans cette crise est de voir comment on peut anticiper, c'est d'ailleurs l'un des grands problèmes de la diplomatie d'une manière générale. Pour un pays c'est difficile, a fortiori pour un ensemble de pays réunis dans l'Union européenne qui est composée de 27 pays. Cela veut dire que le laps de temps est d'autant plus large pour réagir. L'Europe, c'est donc une belle machine, mais c'est aussi une énorme machine. Pour la mettre en mouvement, il faut du temps. Tout ce que les responsables sont en train de faire en ce moment, c'est de voir comment, pour répondre à la problématique actuelle, accélérer le temps de réactivité de l'Europe, comment mobiliser l'énergie politique des uns et des autres, coordonner ce qu'est l'action des pays en direction de tel ou tel pays, avec les propres priorités européennes, et comment dégager des moyens, parce que les moyens existent, sans pour autant les disperser.
Q - Merci Henri de Raincourt
R - Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 février 2011