Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur le vieillissement de la population et l'évolution de la dépendance des personnes âgées, Paris le 8 février 2011.

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Circonstance : Deuxième table ronde sur la dépendance du Conseil économique, social et environnemental à Paris le 8 février 2011

Texte intégral

Monsieur le président du Conseil économique social et environnemental (CESE), cher Jean-Paul Delevoye,
Monsieur le ministre, cher Philippe Richert,
Mesdames les secrétaires d'Etat, chère Marie-Anne Montchamp, chère Nora Berra,
Mesdames, messieurs les parlementaires,
Monsieur le président, cher David Gordon-Krief,
Mesdames, messieurs les membres du Conseil économique, social et environnemental,
Mesdames, messieurs,
La qualité des échanges qui se sont tenus ce matin, lors de ces deux tables rondes, montre à quel point la question de la dépendance nous intéresse et nous interroge.
Je veux saluer la qualité de vos contributions fécondes et la force de votre engagement. Elles seront l'architecture pour le débat citoyen que le Président de la République a lancé.
Vous l'avez dit et vous l'avez illustré : la dépendance est un sujet complexe, dont nous devons explorer tous les aspects, sans a priori, sans parti pris.
Sur la dépendance, nous n'avons, au fond, qu'une seule certitude : réfléchir à la dépendance, c'est l'envisager de manière globale. Nous devons en effet répondre à toutes les exigences qu'elle pose : la diversité et la qualité des prises en charge, la proximité avec les besoins de nos concitoyens et la pérennité du modèle que nous voulons construire.
C'est donc sur le mode interrogatif que je voudrais à présent vous proposer une synthèse à partir des quatre grands thèmes qui se dégagent de vos différentes interventions : la prévention, le rôle des aidants, la gouvernance et le financement.
I. L'entrée dans la dépendance n'est pas une fatalité ; elle peut être retardée, sinon évitée : c'est tout le rôle de la prévention.
D'abord, gardons-nous bien de confondre vieillesse et dépendance.
Comme l'a dit Jean-Michel CHARPIN, nous vivons plus longtemps, et plus longtemps en bonne santé. Cette période de vie après le temps du travail, cette « longévité », constitue donc une chance.
Le développement de l'activité sociale, l'engagement associatif, l'approfondissement du lien intergénérationnel : autant de réalités qui font de cet âge un âge particulièrement riche.
C'est dans cet âge que nous devons agir, grâce à la prévention, pour réduire la proportion de personnes dépendantes. Et c'est possible !
La prévention a d'ailleurs inspiré l'ensemble de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST). Elle a également nourri les grands plans de santé publique du Gouvernement, notamment le plan AVC et le plan Alzheimer. Elle est enfin au coeur de la philosophie des agences régionales de santé (ARS), à la naissance desquelles vous avez beaucoup oeuvré, cher Alain VASSELLE.
Prévenir, c'est d'abord dépister. Pour cela, il faut mettre au point des moyens techniques pour repérer les premiers signes de fragilité.
Mais de multiples autres facettes devront aussi être envisagées et j'attends beaucoup des recommandations que formulera le groupe de travail sur la « Société et le vieillissement », animé par Annick MOREL.
Prévenir, comme l'ont souligné Valérie ROSSO-DEBORD et Marie-Sophie DESAULLE, c'est aussi améliorer la coordination autour de la personne âgée pour éviter que son état de santé ne s'aggrave, notamment à certains moments cruciaux, comme par exemple en cas de retour à domicile après une hospitalisation.
Comme l'a rappelé François EWALD, le vieillissement nous impose, enfin, de revisiter l'ensemble de nos politiques publiques. Car prévenir, c'est adapter le cadre de vie et l'environnement urbain et social, c'est bâtir une véritable politique publique d'adaptation du logement, en recourant notamment aux nouvelles technologies.
Ne nous y trompons pas : vivre à domicile, cela doit être un choix libre, et non un confinement.
II. La dépendance n'est donc pas une fatalité. Mais, lorsqu'elle survient, il faut accompagner non seulement les personnes âgées qui en souffrent, mais aussi leurs proches, ceux et surtout celles qui sont des aidants.
L'isolement des familles face à la dépendance de l'un des leurs est une réalité bien connue. Aujourd'hui, on compte 4 millions d'aidants et surtout d'aidantes dans notre pays.
Or, lorsqu'une personne est en situation de dépendance, c'est également l'état de santé de ses proches qui s'en trouve fragilisé, car il s'agit d'une épreuve physique et psychologique.
Dans ses interventions, Florence LEDUC et Monique WEBER ont indiqué combien les femmes, notamment, après avoir élevé leurs enfants et mis bien souvent leur carrière de côté, se retrouvent confrontées à la dépendance de leurs parents ou beaux-parents, à l'âge où elles auraient voulu, enfin, profiter de la vie et s'occuper d'elles.
C'est à elles aussi que nous devons penser, pour préserver leur santé, leur vie familiale et leur activité professionnelle.
Mais il faut aller plus loin : comment par exemple permettre aux aidants de mieux concilier leur vie professionnelle et personnelle avec leur rôle d'aidant ?
Les choses évoluent : les nouvelles générations d'aidants ont un nouveau rapport à la prise en charge de la dépendance.
Ils ont davantage recours, et de manière décomplexée, aux services à la personne, comme l'a rappelé Florence LEDUC. Cette évolution laisse entrevoir une possible complémentarité entre les aidants et les professionnels pour intervenir auprès des personnes âgées.
Comme l'a dit le Professeur Gilles BERRUT, le maintien à domicile d'une personne dépendante peut devenir difficile pour tous. D'ailleurs, 60% des cas de maltraitance ont lieu au domicile.
Contrairement aux idées reçues, le recours aux professionnels est donc un moyen de réintroduire de l'humanité dans la prise en charge et témoigne d'une volonté de respecter la dignité de la personne dépendante en confiant ses soins à des personnes qualifiées.
III. Prévenir et accompagner, donc, mais aussi proposer des structures et une gouvernance adaptées aux besoins des personnes en situation de dépendance.
Pour garantir la qualité de nos prises en charge, nous devrons concilier deux exigences :
- assurer une prise en charge de proximité ; c'est le rôle des conseils généraux, mais cela peut susciter, comme le constate Jean-Marie ROLLAND, des disparités d'un territoire à un autre. Sur ce sujet, je sais que je pourrai travailler en lien étroit avec mon collègue Philippe Richert.
- il faut garantir dans le même temps une égalité de traitement sur tout le territoire, mais sans verser pour autant dans la gestion centralisée et technocratique.
J'ai bien entendu la définition que Bertrand FRAGONARD a donnée d'une prise en charge de qualité. Les travaux du groupe qu'Evelyne RATTE animera sur « l'Accueil et l'accompagnement des personnes âgées » sauront faire des propositions stimulantes sur le sujet.
A qui confier la gouvernance pour garantir qu'elle soit de qualité optimale ?
Et cette qualité, comment se déclinera-t-elle ?
De quelles capacités d'hébergement aurons-nous besoin dans les années à venir ?
A cet égard, l'analyse de Jean-Michel CHARPIN a mis en lumière les incertitudes qui entourent les estimations de la prévalence de la dépendance au cours des prochaines années, compte tenu des évolutions thérapeutiques et des changements dans l'environnement familial et social des personnes concernées.
Imaginons par exemple, comme nous y invite Marie-Odile DESANA, qu'un traitement efficace contre la maladie d'Alzheimer soit trouvé demain. Dans ce cas, si l'on multiplie aujourd'hui les capacités d'accueil, ne risque-t-on pas de se retrouver avec des structures de prises en charges qui, demain, seront à moitié vides ?
A la lumière de ces débats, je retiens surtout que l'« aquarelle » des structures de prise en charge des personnes âgées dépendantes, pour reprendre une expression de Jean-Marie ROLLAND, constitue sans doute l'un des points forts de notre système actuel de prise en charge.
Comme l'a dit Yves VEROLLET, elle peut sans doute encore évoluer pour permettre, à volume égal de financement, une amélioration de la prise en charge pour les personnes âgées les plus lourdement dépendantes.
L'un des enjeux du débat sera donc de mettre en évidence, à partir de cette palette de solutions, la nuance de couleur que nous devrons accentuer.
IV. Prévenir, accompagner, garantir la qualité de la prise en charge : tout cela devra naturellement s'inscrire dans la pérennité.
Alain VASSELLE et Valérie ROSSO-DEBORD ont bien souligné que nous ne partons pas de rien. La prise en charge de la dépendance représente aujourd'hui un effort public de plus de 23 milliards d'euros.
Faut-il faire évoluer nos prestations ? Faut-il les redéployer pour mieux répondre aux besoins de nos concitoyens ?
Plus largement, pour prendre en charge la dépendance, faut-il faire prévaloir la solidarité nationale, la solidarité familiale ou la prévoyance individuelle ou collective, comme cela existe déjà dans le champ de la santé par exemple ?
Des pistes de financement sont évoquées et le débat permettra, j'en suis sûre, de faire émerger des solutions innovantes.
Mais l'essentiel est d'abord de déterminer ce que nous voulons améliorer pour ensuite savoir comment nous allons financer cette réforme.
Prévenir la perte d'autonomie, accompagner les personnes dépendantes et leurs familles, inventer les structures dont nous avons besoin, assurer un financement pérenne : tels sont les principaux enjeux de la réforme.
Vos interventions l'ont bien montré : pour l'heure, nous ne pouvons nous prévaloir d'aucune certitude et la question de la dépendance ne trouvera pas de réponse unique.
Nous devrons y apporter des solutions multiples, individualisées et adaptées, allant de l'adaptation de nos villes pour mieux accueillir les personnes âgées à l'accompagnement de nos aidants. C'est un sujet global qui mérite une réflexion globale.
Le Président de la République, l'ensemble du Gouvernement et moi-même sommes mobilisés, avec vous toutes et vous tous, pour repenser notre contrat social à l'aune de ces nouvelles exigences.Source http://www.dependance.gouv.fr, le 10 février 2011