Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, en réponse à des questions sur le conflit du Kosovo et l'aide aux réfugiés, au Sénat le 1er avril 1999.

Prononcé le 1er avril 1999

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Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Monsieur le sénateur,
Dabord, on ne répétera jamais assez que si nous avons dû en venir aux actions militaires qui sont en cours en ce moment, cest parce que, pendant des mois et des mois, pour ne pas dire des années, tout ce qui était politiquement ou diplomatiquement possible a été tenté pour asseoir la coexistence des Serbes, des Kosovars et des autres minorités du Kosovo, sur une base qui permette de sortir du cycle sans fin des tragédies. Tout a été tenté par beaucoup de pays européens, dont la France et la Grande-Bretagne, mais beaucoup dautres dont on a oublié un peu le travail avaient tout tenté, dont les Russes.
Cest donc vraiment parce que, à un moment donné, il fallait conjurer une escalade plus grande et les drames qui se produisent mais qui se seraient produits de toute façon, comme ils sétaient produits il y a un an, comme ils sétaient produits lété dernier. A lautomne - il y a encore donc peu de mois - nous avons dû nous résoudre à employer, à un moment donné, des moyens différents pour essayer de briser cette machine de répression qui a provoqué ce que lon sait depuis des années et des années, dans lex-Yougoslavie. Il faut le rappeler sans arrêt parce que cest le cadre de toute cette action.
Au moment où nous en sommes, le travail pour essayer de porter un coup décisif à ce système, à cette machine de répression dont je parlais, est en cours. Je peux vous dire que les contacts sont maintenus et quils sont quotidiens entre tous les membres du Groupe de contact, y compris la Russie qui nest pas dans la même posture que les autres par rapport aux actions militaires. Cela veut dire, en pratique, que, presque tous les deux jours, le président de la République a au téléphone M. Eltsine ou M. Primakov, que jai mon collègue russe au téléphone tous les jours et que nous réfléchissons, nous travaillons ensemble.
Cela veut dire que les membres du Groupe de contact se parlent tous les jours, ainsi que les autres Européens et que nous avons, par ailleurs, des contacts réguliers avec les pays voisins. Mais, pour avancer, pour préparer létape suivante qui viendra forcément à un moment ou à un autre, il faut un certain nombre de choses sur lesquelles on ne peut pas transiger. Il faut un arrêt immédiat de toutes formes de répressions et dexactions. Il faut que tout ce qui est entrepris pour terroriser les populations du Kosovo sarrête. Il faudrait, au minimum, que les forces serbes et yougoslaves soient amenées au niveau qui avait été fixé en octobre dernier. Il faudrait que cet engagement soit pris sans condition. Ce nest pas un élément de négociation : cest une exigence immédiate, impérative, non négociable.
Si on était dans cette situation, on pourrait se retrouver dans un contexte dans lequel il faudrait, en effet, reprendre la recherche dune solution politique. Je ne veux pas répondre définitivement aujourdhui, cest encore trop tôt, à votre dernière question, qui est peut-être la plus importante, mais je rappelle que les Accords de Rambouillet, qui avaient essayé de bâtir une autonomie substantielle pour les Kosovars et les autres minorités du Kosovo, dans le cadre dune souveraineté yougoslave maintenue, supposaient un minimum, je ne dirais pas de confiance, mais un minimum de capacité à faire fonctionner, ensemble, ce qui restait dune structure fédérale. Chaque jour qui passe, avec ce que nous savons, même sil ne faut pas ajouter foi à toute information, chaque jour qui passe rend ce contexte plus précaire.
Monsieur le Président,
Monsieur le Sénateur,
La question des réfugiés se pose depuis longtemps autour du Kosovo et cest la raison pour laquelle il y a tant de réfugiés Kosovars en Allemagne, en Suisse et dans beaucoup de pays dEurope. Nous avons eu à faire face à des vagues de réfugiés au cours de lannée passée. Le drame, qui a pris aujourdhui une ampleur encore plus considérable et plus visible, était en cours depuis longtemps et il fallait mettre un terme à tout cela.
Je crois quil faut se référer aux chiffres du HCR plus quà ceux qui sont répandus de sources variées, parce que les chiffres les plus fantaisistes circulent. Ceux du HCR, depuis la fin des pourparlers de Rambouillet jusquà maintenant : 85.000 réfugiés supplémentaires en Albanie, 14.500 en Macédoine, 20.000 au Monténégro, qui sajoutent aux déplacements considérables de populations depuis le début de la crise. Cest la première chose.
Nous agissons naturellement pas uniquement à titre français, cest-à-dire que nous voulons faire le maximum en ce qui nous concerne, mais nous agissons avec tous nos partenaires européens. Nous avons demandé quune coordination européenne soit faite plus intensément. M. Fischer a proposé une conférence que nous avons acceptée tout de suite. Nous travaillons, dautre part, étroitement avec le HCR. En Albanie, il y a une mission franco-germano-italienne qui est en train dévaluer les besoins supplémentaires. Le Premier ministre a demandé à M. Josselin de se rendre en Albanie et en Macédoine. Il est parti aujourdhui. LUnion européenne a déjà débloqué 2 millions deuros daide durgence pour la Macédoine, 10 millions supplémentaires pour lensemble de la crise humanitaire. Il y a une mission conjointe de Mme Bonino et dun ministre allemand en Macédoine et en Albanie.
Quant à la réunion de la présidence allemande dont je vous parlais, elle a lieu aujourdhui. Elle associe les organismes que jai cités, plus lOSCE, plus les pays de la région. Ce qui ressort des indications que nous avons, cest quil ny a pas de problème dacheminement à lheure actuelle. On a tous les moyens logistiques. La France a mis à la disposition, de lensemble des programmes daide, 10 avions qui peuvent faire la navette en permanence. Il ny a pas un problème de quantité. Il y a, sur place, un problème de coordination et il y a un problème de choix des emplacements les plus adéquats, compte tenu de lavenir. Or, comme le Premier ministre la rappelé, un des éléments importants dans cette lutte que nous avons entamée, est de réaffirmer le droit absolu de ces réfugiés à rentrer chez eux. Il faut absolument refuser que cela sinscrive dans un plan consistant à les faire partir sans espoir de retour. Cela a donc des conséquences sur la façon de les héberger, de les traiter et de localiser les secours.
Le Premier ministre a dailleurs arrêté un programme supplémentaire de 75 millions de francs qui sajoute à notre contribution à lensemble des programmes européens. Pour le reste, nous ferons le point au retour de M. Josselin et après la conférence qui a lieu en Allemagne aujourdhui.
Monsieur le Président,
Monsieur le Sénateur,
Je crois que la France prend toute sa part, que nous cherchons à être le plus efficace possible, que cest pour cela que nous avons demandé à M. Josselin daller sur place pour compléter les évaluations que nous avons déjà en contact avec nos partenaires européens et avec le HCR.
Je redis à ce sujet que je crois que, parmi les différentes sources, il faut plutôt se fier aux chiffres du HCR quà ceux des autres organismes, dont ce nest pas la vraie vocation que de dénombrer les réfugiés. Si nous travaillons comme cela, cest parce que nous voulons arriver à une situation qui soit la plus compatible possible avec les moyens et les responsabilités, les demandes de lAlbanie, de la Macédoine ou du Monténégro, et - ce nest pas tout à fait sur le même plan, des pays européens qui peuvent être également des pays daccueil, mais qui lont déjà été beaucoup - jai cité lAllemagne et la Suisse, et je pourrais citer lItalie naturellement. Nous voulons donc arriver à une approche globale.
Ce nest pas un problème de moyens qui est posé, cest un problème donc de coordination pour que ces organismes travaillent bien ensemble, au lieu de se concurrencer de façon stérile. Toute cette action doit être placée sous le signe absolu du refus de cette politique qui consiste à terroriser les populations. Il faut donc les installer, il faut les aider dans des endroits qui préfigurent le retour le plus proche possible qui sera, naturellement, un des éléments de tout règlement politique quand on en reviendra sur ce plan. En tout cas, je ne peux que vous dire que nous faisons absolument tout ce qui est en notre pouvoir pour atténuer le sort de ces populations. Monsieur le Président,
Monsieur le Sénateur,
Je voudrais rappeler que les trois résolutions du Conseil de sécurité, qui avaient été votées à lautomne dernier, avaient été votées sous lempire du chapître VII et que certaines nétaient pas aussi détaillées que la France aurait pu le souhaiter à lépoque quant à la mise en oeuvre mais quelles étaient extraordinairement exigeantes par rapport aux autorités yougoslaves en ce qui concerne larrêt de la répression, le retrait des troupes, lengagement sincère dans la recherche dune solution politique et que jamais ces exigences nont été satisfaites.
Je voudrais aussi dire que, deux jours après le début des frappes, la Russie a introduit un projet de résolution au Conseil de sécurité pour larrêt immédiat des frappes et que le Conseil de sécurité a rejeté ce texte par 12 voix sur 15. Donc, à un moment donné, même si ce nest pas sous une forme aussi complète que nous le souhaiterions pour des raisons de principe, le conseil a été mêlé à ce qui sest passé.
Pour avoir naturellement vécu à chaque étape les efforts qui ont été déployés pour aboutir à une solution qui aurait permis déviter davoir à en passer par ce que nous connaissons aujourdhui, je voudrais porter témoignage que les autorités yougoslaves, non seulement nont pas saisi les occasions qui étaient proposées mais ont combattu méthodiquement tout compromis à tout moment. Il a semblé que, pour eux, le compromis, la solution politique que nous avions élaborée au sein du Groupe de contact, était la pire de menaces. Voilà ce qui a dû être malheureusement constaté, au bout du compte, après que de nombreux délais aient été donnés, à la demande des Européens, mais des Américains aussi qui ne se sont pas séparés sur ce point.
Je dirais donc que toute recherche de solutions politiques est bonne, que ce soit dans le cadre de lONU, dans le cadre de lOSCE, dont vous avez parlé aussi, dans le cadre de lUnion européenne, dans le cadre du Groupe de contact qui a toujours sa légitimité, bonne à condition que linitiative politique puisse commencer par obtenir larrêt des exactions et larrêt des méthodes visant à terroriser les populations. Il ny a pas dinitiative politique utile, valable sur laquelle on puisse travailler si elle consiste à rassembler des gens qui mènent une politique pacifique, qui sont daccord entre eux, si, pendant le même temps, les autorités de Belgrade poursuivent la politique que nous voyons. Donc, la bonne initiative politique est celle qui réussira à peser sur ce comportement que nous voyons encore au Kosovo après quil se soit malheureusement illustré depuis des années dans lex-Yougoslavie et ce à quoi nous voulons mettre un terme.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 1999)