Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, avec "RMC" et "BFM TV" le 1er mars 2011, sur le retour d'Alain Juppé au poste de ministre des affaires étrangères et sur l'attitude de la France et de la communauté internationale face à la situation politique en Libye.

Prononcé le 1er mars 2011

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Média : BFM TV - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - On l’évoquait dans le journal de BFM TV : vous revenez de Genève, vous avez croisé là-bas, plus que croisé, vous étiez avec Hillary Clinton pour cette réunion des Nations unies à propos de la Libye - on va parler de la Libye. C’était votre place plutôt que celle d’Alain Juppé ?
R - La diplomatie française, c’est un travail d’équipe. Et pourquoi est-ce que j’y étais ? Parce que le but, c’était de voir si les positions de l’Europe et des Etats-Unis sur Kadhafi sont les mêmes. C’était donc une réunion de travail entre des collègues européens et Hillary Clinton.
Q - Alain Juppé prend son temps à Bordeaux, c’est son choix. Il est indépendant finalement cet Alain Juppé ?
R - Je vais vous donner mon sentiment personnel.
Q - Allez, mon cher Laurent Wauquiez. Allez-y !
R - Je trouve qu’il y a une certaine élégance de sa part là-dessus. La vie politique française, c’est beaucoup de précipitation et d’agitation. La diplomatie, cela demande un peu de recul. Et qu’Alain Juppé prenne son temps, je trouve que cela a une certaine élégance.
Q - Alors on va finir avec ça.
R - Oui.
Q - «Il sera moins présent à Bordeaux» - c’est ce qu’a dit François Fillon. Réponse d’Alain Juppé : «Je fais confiance surtout à moi-même pour organiser mon emploi du temps». Au moins, c’est clair.
R - Oui, mais Alain Juppé il occupait quel poste juste avant ? Ministre de la Défense. Il a su concilier cela avec ses responsabilités de maire de Bordeaux. Il est très attendu sur le poste de ministre des Affaires étrangères et il faut bien se rappeler que, quand il y était, de 1993 à 1995, cela a été un des âges d’or de la diplomatie française, une des périodes où vraiment on a fait face à des crises majeures en Europe et où cela a bien fonctionné. Donc, on l’attend pour assurer la bonne marche de notre diplomatie.
Q - Cela marchait moins bien ces derniers temps parce que c’était géré de l’Elysée si je comprends bien, Laurent Wauquiez, non ? Il faut un homme indépendant à la tête de la diplomatie française, Laurent Wauquiez ?
R - On a besoin d’un esprit libre et en même temps, il ne faut pas se tromper. La diplomatie française, et cela a toujours été sa force, c’est un continuum : c’est-à-dire il faut qu’il y ait une continuité depuis le premier rédacteur du Quai d’Orsay…
Q - Un pont, quoi. Un pont entre les deux rives de la Seine.
R - Oui, un pont entre le premier rédacteur du Quai qui apporte des idées, jusqu’au président de la République. Et c’est cette continuité qu’il faut tenir absolument : il ne peut pas y avoir d’opposition.
Q - «Mon peuple m’adore, il mourrait pour me protéger» : vous avez vu la dernière déclaration et interview de Kadhafi. Mais qu’allez-vous faire ? Qu’est-ce que vous vous êtes dit hier tous ensemble, l’Europe, les Etats-Unis, aux Nations unies ? Qu’allez-vous faire de Kadhafi ?
R - D’abord, notre approche repose sur deux idées simples. La politique en Libye doit marcher sur deux jambes.
Pour l’instant, dans l’urgence, la première idée : pression maximale, et notamment de l’Union européenne, sur Kadhafi pour le pousser dehors. Et la deuxième : la situation humanitaire.
Q - On va revenir sur la situation humanitaire, mais comment le pousser dehors ? Comment ?
R - D’abord, premièrement : le gel complet des avoirs. Deuxièmement : l’embargo sur les armes.
Q - C’est décidé ?
R - Exactement. Embargo sur les armes et sur tout le matériel de répression.
Troisièmement : interdiction de visas pour le circonscrire.
Parallèlement à cela, on a saisi - et c’est une première - la Cour pénale internationale de façon unanime.
Cela n’était jamais arrivé dans la diplomatie internationale. La Chine est d’accord, la Russie a été d’accord, les Etats-Unis ont été d’accord, les pays de l’Union européenne sont d’accord. Donc cela signifie qu’aujourd’hui Kadhafi est sous le coup d’un mandat de la Cour pénale internationale où il devra rendre compte de ce qu’il fait.
Ensuite, se pose la question de jusqu’où il va tenir.
Q - Qu’il démissionne ou qu’il meure, quoi ; c’est ce que vous dites ?
R - Ce qui est important pour nous surtout, c’est que son départ, quelle que soit la forme que cela prenne, ne se traduise pas par un bain de sang.
Q - Vous pensez qu’un pays pourrait l’accueillir ? Non ? Ce n’est plus possible maintenant puisque la Cour pénale internationale est saisie.
R - En tout cas, ce qu’il y a de clair, c’est que où qu’il aille, il devra rendre des comptes et cela doit être bien clair. Et vraiment j’insiste là-dessus parce que je crois que, sur la Libye, on a un devoir d’exemplarité.
Q - Mais Laurent Wauquiez, la sixième flotte américaine croise en Méditerranée. Est-ce que des navires français s’approchent des côtes libyennes aussi ? Des navires militaires, je parle de navires militaires.
R - On va se parler franchement sur les approches, et notamment les approches américaines et les approches européennes. Il y a en ce moment un débat de savoir si on doit mettre en place une opération aérienne pour interdire le survol du territoire libyen.
Q - Oui. Zone d’exclusion aérienne dans le ciel libyen.
R - C’est cela, ce qu’on appelle, ce qu’Hillary Clinton appelle la «no flying zone». Dans ce cadre-là, quelle est notre analyse ?
D’abord la première chose : comment ce serait perçu ? L’OTAN met en place une opération militaire au-dessus de la Libye. Est-ce que cela ne peut pas être caricaturé ? Est-ce que cela ne peut pas se retourner contre nous en disant : voilà, l’Occident agresse parce qu’il y a du pétrole en Libye ? C’est la première chose à laquelle on doit être attentif : quel signal politique serait envoyé si on met en place cette zone d’interdiction de survol ?
La deuxième chose : la Libye fait deux fois la taille de la France. Est-ce qu’on est capable de mettre en place une zone d’interdiction aérienne rapidement et qui soit efficace ?
Et puis la troisième chose, c’est que, nous, il faut qu’on reste dans le cadre du droit et dans le respect du droit international. Donc si cela devait être mis en place, cela ne peut être que sur la base d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Les Etats-Unis y sont favorables.
R - Les Etats-Unis y sont favorables. Nous, notre position, c’est que ce n’est pas la priorité. La priorité, c’est de couper les avoirs, de couper les vivres, de couper les ressources disponibles de Kadhafi. Pourquoi ? Parce que le principal risque, c’est qu’il utilise cet argent pour se payer des mercenaires et que cela lui permette de tenir la guerre.
Donc, ce qu’on doit faire, c’est couper le robinet. D’abord, un, s’assurer que l’argent du pétrole ne va pas à Kadhafi, et, deux, j’insiste beaucoup sur ce point, faire en sorte qu’il ne puisse pas vendre des avoirs et notamment des stock-options qui lui permettent ensuite de se payer une armée de mercenaires. Et sur ce point-là, la France est favorable à ce que l’Union européenne aille un peu plus loin que, pour l’instant, ce qui est prévu.
Q - C’est-à-dire ?
R - Par exemple : le gouvernement libyen ou l’Etat libyen possède des participations dans tel ou tel groupe européen ; l’objectif c’est de s’assurer qu’il ne puisse pas vendre ses participations et récupérer par le biais des stock-options cet argent pour pouvoir ensuite se payer des mercenaires.
Et donc on pousse une initiative européenne qui nous permette vraiment de contrôler tous les circuits d’alimentation financiers qui pourraient nourrir la guerre en Libye.
Q - Sommet extraordinaire de l’Union européenne avant la fin de la semaine ?
R - En tout cas, cela fait partie de propositions qui ont été faites par la France.
Q - Je le sais. Soutenu par Catherine Ashton.
R - Oui, on travaille, on a un bon lien en ce moment là-dessus.
Q - Alors, c’est Van Rompuy qui doit décider ?
R - Exactement, il est chargé de la coordination.
Q - Qui est chargé de la coordination. Cela va se faire ou pas ?
R - Je me suis entretenu de ce sujet hier avec la Présidence hongroise. Tout le monde est partisan.
Q - Donc il y aura un sommet extraordinaire avant la fin de la semaine de l’Union européenne ?
R - C’est à M. Van Rompuy de trouver le calendrier et le moment.
Q - Au début de la semaine prochaine au plus tard ? Il y aura un sommet ?
R - Oui, en tout cas, c’est le souhait et la proposition de la France. Après pour l’Europe, c’est à vingt-sept que les décisions se prennent.
Q - Oui, et vous le savez, Laurent Wauquiez, mieux que moi : ce n’est pas facile.
R - Oui. Ce n’est pas facile mais cela marche.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2011