Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les priorités et les objectifs de sa mission ministérielle, Paris le 1er mars 2011.

Prononcé le 1er mars 2011

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Circonstance : Cérémonie de passation de pouvoirs entre Michèle Alliot-Marie et Alain Juppé le 1er mars 2011 à Paris

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord dire à Michèle Alliot-Marie toute mon estime et mon amitié. Nous nous connaissons depuis longtemps, trop longtemps peut-être, mais tout au long de votre parcours politique, cette superbe carrière qui vous a amené aux plus hautes fonctions dans la République, vous avez toujours su faire preuve de ce professionnalisme, de cette capacité de travail, de cette détermination, de cette hauteur de vue, qui sont associés à votre nom ; y compris ici, au ministère des Affaires étrangères et européennes, dans un passage qui a été bref mais qui a été marqué, vous venez de le rappeler à l'instant, par toute une série d'initiatives heureuses. Je suis assez bien placé pour savoir que la vie politique est parfois brutale et injuste. Je suis aussi aujourd'hui bien placé pour savoir que la roue tourne et je vous souhaite à vous aussi, Ma Chère Michèle, bon vent et bonne mer !

Vous imaginez, et vous l'avez dit à l'instant Michèle, que je ne reviens pas ici sans une certaine émotion. C'est vrai que j'y ai vécu vraisemblablement deux des plus belles années de ma vie publique. Mais dissipons toute ambigüité, je ne reviens pas avec un esprit de nostalgie pour vous parler du passé. Ni avec une baguette magique d'ailleurs, pour régler tous les problèmes qui se sont accumulés dans cette maison depuis dix ou quinze ans.
J'y viens avec un esprit de confiance. D'abord, confiance en vous, Mesdames et Messieurs les Diplomates, Mesdames et Messieurs les Collaborateurs du ministère des Affaires étrangères et européennes. Quinze ans se sont écoulés mais je n'ai pas perdu le contact, et lorsque le président de la République m'a demandé d'animer, il y a trois ans, le Livre blanc sur la politique étrangère de la France, j'ai eu l'occasion de renouer beaucoup de ces contacts avec vous.

Je sais le potentiel humain considérable qui existe dans cette administration. Je sais quel est votre sens de l'Etat que vous incarnez lorsque vous êtes en poste à l'étranger. Je sais quelle est votre conscience professionnelle. Je sais que vous avez souffert parfois des propos tenus sur le manque de vision de la diplomatie française… Qui a vu ce qui vient de se produire au sud de la Méditerranée, avec les révolutions qui s'enchaînent les unes aux autres ? Quelle chancellerie, quel gouvernement, quel spécialiste des relations internationales, quel think tanks ? Il serait donc injuste de le reprocher à la diplomatie française.

Sachez que je vous fais confiance. Sachez que, comme je l'avais fait lors de mon précédent passage, j'essaierai de consacrer une grande partie de mon temps à vous écouter et à animer cette équipe parce qu'il n'y a pas de politique étrangère efficace s'il n'y a pas un outil diplomatique de qualité. J'y attacherai la plus haute importance.
Je viens ici aussi avec confiance parce que je sais que la voix de la France est entendue dans le monde. Et quand j'entends dire le contraire, je me dis qu'hélas, la polémique politicienne l'emporte souvent sur l'objectivité.

Notre voix est entendue aux Nations unies ; j'y étais il y a peu de temps encore. Ce n'est pas à vous que je rappellerai que c'est sur une initiative à la fois britannique et française que le Conseil de sécurité s'est saisi de la question de la Libye.
Notre voix est entendue au G8 et au G20 où le président de la République a pris des initiatives qui sont difficiles bien sûr à mener à terme, mais qui font preuve en tout cas de la capacité d'innovation et d'imagination de la France.

Notre voix est entendue à Bruxelles, au cœur de l'Union européenne où, là aussi, la France montre la voie et où le président de la République a su en particulier faire avancer un dossier qui n'était pas évident, celui de l'intégration économique et financière de l'Union.

Cette voix, nous allons la renforcer ensemble, parce que nous avons beaucoup de choses à dire, et c'est mon troisième motif de confiance : nous savons ce que nous avons à faire. La voie est tracée dans nos institutions : c'est le chef de l'Etat qui fixe le cap ; à nous de faire en sorte que ces orientations se concrétisent. Je voudrais en évoquer brièvement deux ou trois.
D'abord, il va nous falloir ensemble refonder l'Union pour la Méditerranée. C'était une initiative prémonitoire que d'essayer de constituer, sur les rives de la Méditerranée, une union qui ne soit pas simplement économique, mais aussi culturelle et politique. Bien sûr, ce qui se passe aujourd'hui au sud de la Méditerranée change complètement la donne, et nous avons le devoir d'y réfléchir et de reprendre l'initiative ; ce sera une de nos ambitions prioritaires.

Il faut ensuite que nous poussions plus avant - et j'ai prononcé le mot tout à l'heure - l'intégration, non seulement économique et financière, mais aussi dans le domaine de la politique de défense et de sécurité de l'Union européenne. De ce point de vue, ma conviction est fortement établie, dans un monde qui a complètement changé : la France doit faire entendre sa voix mais elle ne le pourra durablement qu'en osmose, en synergie avec l'ensemble de ses partenaires de l'Union européenne.

En troisième lieu, il nous faut resserrer les partenariats stratégiques que nous avons développés avec les nouvelles puissances émergentes sur la planète. Le monde a changé, nous devons bien évidemment en tirer les conséquences, avec la Chine, avec la Russie, avec le Brésil avec d'autres encore. Cette volonté de partenariat stratégique ne doit pas être exclusive du combat que nous menons pour le multilatéralisme, parce que nous ne pouvons pas nous résigner à un monde qui en reviendrait au concert des puissances, dont on sait les dégâts qu'il a provoqué dans les siècles passés. Là aussi, la gouvernance mondiale sera pour nous un enjeu important.

Et puis enfin, pour ne pas être trop long, je voudrais aussi souligner que nous devrons anticiper ce qui me parait une évolution non seulement incontournable mais aussi souhaitable, c'est à dire l'essor de l'Afrique au XXIème siècle. Ce serait pour nous une faute stratégique que de relâcher notre présence sur ce continent avec lequel tant de liens ont été construits au fil de l'histoire.

Vous voyez que nous avons du pain sur la planche. Je suis très heureux dans cette tâche d'être très bien entouré. Je voudrais dire à Henri de Raincourt et à Laurent Wauquiez toute ma confiance, pour réutiliser ce mot. Je connais leur dévouement au bien public et leur capacité à s'investir dans la mission qui est la leur. Voilà dans quel état d'esprit je viens ici. Je n'ai aucun doute, cela sera très difficile, pour des tas de raisons, qui ne sont pas des raisons franco-françaises, qui sont des raisons liées a l'état du monde, imprévisible et donc dangereux. Je suis convaincu que de ce qui se passe au sud de la Méditerranée peut sortir le meilleur, et notre devoir c'est de faire en sorte qu'il en sorte le meilleur, mais il peut en sortir le pire aussi.
Nous allons donc avoir fort à faire dans la vigilance, dans la disponibilité, dans la capacité de proposition et d'imagination aussi, parce que je voudrais que la diplomatie française reste fidèle à sa tradition en n'étant pas simplement observatrice ou commentatrice, mais aussi innovatrice et imaginative ; nous allons le faire ensemble. Je viens ici avec beaucoup d'enthousiasme, beaucoup de joie et beaucoup de confiance.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2011