Déclaration de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur les raisons de la présence militaire française en Afghanistan, au Sénat le 3 mars 2011.

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Circonstance : Questions cribles thématiques au Sénat, le 3 mars 2011

Texte intégral

L'observation légitime et forte de M. Jacques Gautier recoupe le point de vue de tous les observateurs qui, sur le terrain, constatent le formidable travail des forces mobilisées au titre de la résolution 1386 de l'ONU, car il s'agit bien d'une action internationale.
S'agissant de la France et du ministère de la Défense, puisque vous interrogez le ministre, le chef d'état-major des armées, CEMA, et ses services de communication organisent le plus systématiquement possible la présence des journalistes qui le souhaitent en Afghanistan en général et naturellement dans les secteurs dont nous avons la charge : Obi et Kapisa.
Pour vous donner des indications quantitatives, deux ou trois journalistes français en moyenne sont présents sur le terrain de façon constante. L'année précédente, ce sont soixante-quatre médias français différents qui, grâce aux services de communication du CEMA, ont pu être présents sur le site et non seulement partager la vie de nos soldats, mais également accéder à chacun des interlocuteurs afghans qu'ils souhaitaient rencontrer. Au total, ce sont plus de deux cents journalistes qui ont été présents sur le terrain. C'est à eux qu'il appartient ensuite d'opérer un choix.
Cette séance de questions cribles thématiques est particulièrement pertinente, car elle va permettre de montrer que, au-delà de l'aspect tragique et malheureusement inéluctable de la présence de nos forces en Afghanistan, un formidable travail de reconstruction est accompli, travail que parfois la presse omet de faire connaître à ses lecteurs !
(...)
Monsieur le Sénateur, vous avez évoqué de très nombreux sujets, mais je me limiterai à votre seule question extrêmement précise.
Dans le cadre de la résolution 1386, les troupes françaises de l'Alliance ont vocation à rétablir la sécurité et à transférer les responsabilités au gouvernement afghan.
Deux élections présidentielles et des élections législatives ont eu lieu. C'est la lente et difficile reconstruction d'un État. Cela me permet, entre parenthèses, de dire tout le bonheur que l'on a d'avoir un État qui tienne la route !
Notre mission se traduit donc par une politique de transfert de responsabilités et une «afghanisation» de la sécurité, secteur par secteur. Le Joint Afghan Nato Inteqal Board, ou JANIB, pour employer l'un des nombreux acronymes utilisés en matière de politique de défense, en France comme à l'étranger, évalue chaque situation.
Pour répondre précisément à votre question, ce comité dont nous faisons partie - ce qui signifie très clairement que nous sommes associés aux décisions les plus importantes de la conduite des opérations de paix et de reconstruction de l'État en Afghanistan - examinera, nous l'espérons profondément et nous le proposerons, la situation du district de Surobi en 2011.
Mais le transfert des responsabilités dans ce district ne s'effectuera qu'en accord avec le comité, la décision définitive appartenant au président Karzaï. Je vous confirme que nous avons la volonté de l'afghanisation et que, à la fin de l'année 2011, ce comité sera saisi.
Toutefois, il serait bien imprudent de tirer aujourd'hui une conséquence définitive, car nous sommes dans un système dialectique, au sein duquel nos actions sont naturellement contrebattues. C'est la raison pour laquelle je ne puis, en cet instant, être plus catégorique sur cette date, même si, en effet, elle correspond au calendrier souhaité et au résultat obtenu sur le terrain par notre armée.
(...)
Madame Demessine, je vous remercie pour l'hommage que vous avez rendu à l'armée française et à son action.
Justement, parlons-en, des résultats globaux de l'Alliance ! Sans revenir sur les élections, je citerai la reconstruction d'un État dans lequel la liberté d'expression est désormais garantie par près de 700 journaux, 110 radios et 30 chaînes de télévision.
Je me tourne vers votre collègue Jean-Louis Carrère : cet État se reconstruit avec une prise en considération de la femme qui n'existait plus, nous le savons. En Afghanistan, près de 28 % des parlementaires sont des femmes et les jeunes filles, pour 35 % d'entre elles, sont désormais scolarisées.
Sur le plan de la santé, qui est un indicateur de paix sociale et de sérénité de vie, la mortalité infantile chute de façon particulièrement spectaculaire. Quant aux soins de première nécessité, 85 % de la population y ont maintenant accès, contre 8 % seulement en 2001. Il y a bien les éléments de la reconstruction d'une société.
Je vous épargne l'accès à l'éducation, les infrastructures réhabilitées, le triplement de la production de l'électricité et la diffusion des communications, qui est sûrement un bien. Quoi qu'il en soit, 30 % de la population sont couverts par le téléphone. Auparavant, cela n'existait en rien. La France prend naturellement une part toute particulière dans cette reconstruction.
Au sujet des cinquante-quatre morts que vous avez évoqués, madame le sénateur, leurs familles peuvent avoir la fierté de considérer qu'ils ont participé à une ?uvre de paix, à la reconstruction d'un État. Il s'agit de permettre à près de 20 millions d'habitants d'espérer accéder, à un moment ou à un autre, au minimum de sérénité. Nous devons notamment faire en sorte que les droits de l'homme qui sont inscrits dans la Constitution afghane soient une réalité, déclinée sur le terrain.
Nous passons du Moyen Age au siècle actuel, en épousant progressivement des valeurs qui sont des valeurs de démocratie et de République. C'est une ?uvre de longue haleine, à laquelle nous sommes associés, prenant notre part de responsabilité. Les résultats en termes de société sont suffisamment significatifs pour que chacun mesure que cet effort porte des fruits, même s'il ne porte pas tous les fruits.
(...)
Cher Yves Pozzo di Borgo, les questions que vous avez posées sont absolument fondamentales. Au coeur de la reconstruction d'un État, il y a ce qui répond à cet État, l'évolution d'une société.
J'ai eu le privilège, grâce à l'initiative du président Larcher, de me rendre sur place avec les présidents de groupe et en compagnie du sénateur Jacques Gautier.
Nous avons bien mesuré l'extraordinaire diversité de ce pays, son caractère compartimenté, qui facilite la poursuite d'organisations traditionnelles assez hermétiques, on peut bien le dire, aux valeurs et mécanismes d'une grande démocratie moderne que vous appelez de vos voeux et dont le caractère inéluctable est profondément souhaité par les uns et les autres mais à un rythme que nous ne maîtrisons pas.
Le préalable à la démocratie, c'est l'échange. Après avoir évoqué tout à l'heure la liberté de la presse, la communication et les télécommunications, je voudrais dire un mot des transports. Lorsqu'une population peut échanger, comparer, commercer, elle se libère de l'emprise de systèmes qu'il n'est pas complètement agressif de traiter de féodaux, de traditionnels ou de claniques. C'est l'idée de cette circulation de l'information, des biens, des services et des personnes - que seul le maintien de l'ordre peut d'ailleurs garantir - qui est en mesure de faire bouger sur le long terme cette société.
Tel est l'objectif de notre présence. C'est un but ambitieux. Je dois reconnaître qu'il est long à construire.
(...)
Cher Jean-Pierre Chevènement, il y a un projet politique. Il consiste à transmettre à un État afghan, à une structure afghane, à une armée afghane, à une police afghane la responsabilité de gérer un grand pays, qui a une très longue histoire mais qui n'est assurément pas une société moderne au sens où le sont les démocraties d'aujourd'hui.
L'intervention de M. Yves Pozzo di Borgo nous le rappelait - bien qu'il s'agisse non du monde arabe mais, en l'occurrence, du monde musulman -, il se produit un immense changement. Il bouscule les idées communes, notamment le sentiment que c'était un monde à part, hermétique aux idées de liberté, de responsabilité individuelle et de démocratie, un monde qui, au fond, semblait condamné à choisir entre des régimes autoritaires plus ou moins laïcs ou laïcisants et, au contraire, des régimes islamiques.
Nous avons quelque chose de nouveau, dont nous ne savons pas ce qu'il sortira.
En Afghanistan, nous essayons de faire évoluer une société en créant une structure d'État.
Très concrètement, s'agissant du secteur de Surobi, nous pensons pouvoir saisir le JANIB afin d'obtenir une décision du président Karzaï et de pouvoir en effet passer la main.
En ce qui concerne la Kapisa, les efforts sont en cours, le calendrier ne sera absolument pas le même.
Il existe une différence profonde entre les deux situations : lorsque nous aurons transmis la responsabilité, nous redeviendrons libres de nos moyens. Et je n'imagine pas un seul instant que le gouvernement ne propose pas, à un moment ou un autre, un débat public, et d'abord au Parlement, sur l'évolution de nos engagements quand nous aurons fait notre travail et passé la main aux responsables afghans. Car tel est bien le projet politique de l'alliance internationale : faire émerger un État.
Nous sommes loin des ambiguïtés que vous évoquiez voilà quelques instants et qui ont attristé des pages de notre histoire.
(...)
Cher André Dulait, votre question est d'une pertinence totale.
Depuis vingt ans, plus de 200.000 soldats français ont été engagés dans des OPEX de natures extrêmement différentes. Cela me conduit, sur ce point précis, à vous indiquer que le ministère s'est mobilisé et a envoyé un questionnaire à plus de 5.000 militaires de tous grades, afin de comprendre le ressenti de ceux qui ont participé à ces OPEX au cours des vingt dernières années, et de savoir comment ils souhaitent qu'une reconnaissance nationale leur soit accordée.
Avant même de connaître les résultats de cette étude d'opinion, qui débouchera sur des propositions, le gouvernement a accepté d'accorder le bénéfice de la campagne double aux militaires actuellement engagés en Afghanistan.
Je voudrais développer certains points, que vous avez implicitement évoqués.
Le premier concerne les familles de nos soldats disparus. Le soutien matériel qui leur est accordé est solide, mais les procédures sont complexes. Mon prédécesseur, avec l'aide de ses collaborateurs, avait préparé un plan facilitant ces procédures. Ainsi, les familles n'auront plus à se battre pour s'orienter au sein d'un dédale administratif qui peut revêtir, dans certains cas, un caractère kafkaïen.
Le deuxième point a trait au statut de nos soldats blessés. Vous avez évoqué ceux qui sont hospitalisés à Percy. En effet, il nous faut prévoir des reconversions et des réorientations, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'armée, pour les hommes qui ont été atteints par les mines, ces armes particulièrement meurtrières. Le ministère de la Défense se mobilise pour leur apporter des solutions de bon sens et de suivi individualisé. Nous sommes en mesure de le faire. C'est le devoir, l'honneur et la tradition de notre armée.
(...)
Je remercie M. Bel d'avoir évoqué le déplacement à Kaboul, organisé sur votre initiative, monsieur le président Larcher et que nous avons effectué il y a presque dix-huit mois. Ce déplacement m'a sans doute permis de connaître un peu plus rapidement ce dossier majeur du ministère que j'ai l'honneur de diriger.
Je vous le dis d'une façon catégorique, monsieur Bel : l'armée française, directement ou indirectement, n'intervient pas au Pakistan. Peut-être d'autres le font-ils - vous avez évoqué quelques hypothèses... -, mais pas l'armée française ! Sa mission se limite à l'Afghanistan et à l'application de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies. En aucun cas notre armée ne sort du mandat que nous tenons de cette résolution, et des territoires situés à l'est de Kaboul, mais très clairement à l'intérieur des frontières de l'Afghanistan.
En revanche, vous avez mille fois raison de dire que nous avons le devoir, sur le plan diplomatique, - mais ce dossier relève de la responsabilité de mon collègue Alain Juppé ! - d'aider le Pakistan à rétablir des relations apaisées avec la communauté internationale.
Je me garderai bien de porter un jugement sur les inquiétudes et les conflits qui traversent ce pays, mais nous savons bien que ceux-ci troublent la sérénité du sous-continent indien. Des conflits majeurs l'opposent en effet à son grand voisin, et l'on peut tout à fait supposer que les décisions prises par le Pakistan concernant son voisin de l'ouest sont conditionnées par les inquiétudes qu'il ressent à l'est. Le débat international est donc au coeur du sujet.
L'Afghanistan est l'un des éléments d'un système complexe, qui comprend la société afghane, dont j'ai parlé lors d'une réponse à un précédent orateur, et la situation particulière de ce pays, d'où sont parties les dynasties mogholes qui ont contrôlé l'Inde.
Vus de l'extérieur, il s'agit de pays différents. Lorsqu'on les connaît, la réalité s'avère être plus complexe. Vous avez donc raison, une réflexion diplomatique d'ensemble est nécessaire, mais celle-ci relève de la responsabilité du ministère des affaires étrangères, sous l'autorité du président de la République. C'est donc M. Juppé que vous devriez interroger sur ce sujet.
(...)
D'abord, Monsieur le Sénateur, vous avez eu raison d'évoquer les deux journalistes de France 3 enlevés en décembre 2009 dans l'exercice de leur mission et bloqués depuis.
L'armée française avait tout fait pour qu'ils soient en mesure d'assurer leur mission en les faisant bénéficier de son soutien ; ils ont souhaité aller au-delà, avec un courage dont, très clairement, ils sont aujourd'hui les victimes.
Je m'incline devant ce courage qui est partagé par tous les journalistes qui font l'effort de venir en Afghanistan pour essayer de comprendre et d'expliquer.
J'ajoute que, toutes les semaines, un haut fonctionnaire permanent de la direction de la communication du ministère de la Défense est à la disposition des journalistes dans un point de presse au cours duquel il expose très clairement la situation des opérations sur le terrain et répond à l'ensemble des questions qui lui sont posées.
Très honnêtement, j'estime donc que l'armée fait son travail d'information sur la mission qu'elle assume pour le compte de la FIAS et celui de la communauté internationale.
Ensuite, s'agissant des hélicoptères Caracal déployés en Afghanistan, je dois avouer que ce sujet très précis ne m'est pas encore parfaitement familier, mais, s'il y avait eu à un moment une perspective d'exportation d'un appareil, elle n'a manifestement pas été suivie d'effet. La priorité est effectivement que le matériel soit disponible sur le théâtre des opérations. Je me dois donc de dire très clairement que le risque que vous avez évoqué n'est pas confirmé.
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2011