Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le processus de transition démocratique en Egypte et l'éventualité d'une intervention militaire en Libye, Le Caire le 6 mars 2011.

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Circonstance : Voyage d' Alain Juppé en Egypte les 5 et 6 mars 2011

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Merci d’assister à ce point de presse au terme du voyage que je viens de faire en Égypte et qui, comme vous le savez, a été mon premier déplacement à l’étranger en tant que ministre des Affaires étrangères et européennes.
Depuis plusieurs mois maintenant, une profonde aspiration au changement et à la démocratie a été portée par les peuples arabes. La France qui est profondément attachée à ces valeurs, aux valeurs de la démocratie et des droits de l’Homme, ne peut qu’affirmer sa solidarité et elle l’a fait, à plusieurs reprises, en direction des populations principalement concernées.
En Égypte, ce mouvement a été conduit d’une manière que l’on peut qualifier d’admirable et qui fait en tout cas honneur au peuple égyptien. L’ensemble des acteurs qui ont eu et qui ont encore à gérer cette révolution, depuis le 25 janvier, ont fait preuve d’un sens tout à fait remarquable de la responsabilité. L’attitude des forces armées et des manifestants, rassemblés place Tahrir dans des moments très délicats, a été exemplaire.
L’Égypte a une longue tradition politique. Elle a été l’un des foyers de la renaissance arabe ; elle le redevient aujourd’hui. Les Égyptiens ont, eux-mêmes, renversé un régime autoritaire et c’est aux seuls Égyptiens qu’il appartient, aujourd’hui, de définir les contours du régime démocratique qu’ils souhaitent. Je suis là tout simplement pour leur dire que nous les accompagnerons dans ce difficile cheminement. Le monde leur fait confiance pour aller au bout du chemin vers la démocratie.
Cette journée que je viens de passer au Caire m’a permis de rencontrer le maréchal Tantawi à qui j’ai remis une lettre du président de la République, M. Nicolas Sarkozy. Je l’ai assuré de la confiance que la France place dans le Conseil suprême des forces armées pour conduire la suite du processus de transition politique.
J’ai également rencontré les représentants des jeunes qui ont animé la révolution du 25 janvier. Je me suis longuement entretenu avec une dizaine de membres de la «Coalition des Jeunes pour la Révolution» qui expriment les revendications d’une nouvelle Égypte. Ils ont partagé avec moi leurs préoccupations, mais aussi leurs ambitions pour l’avenir et je dois dire que cet échange a été, pour moi, particulièrement dense et impressionnant.
J’ai rencontré le secrétaire général de la Ligue arabe, M. Moussa, que je connais bien puisque dans les années 93 et 95, lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères de la France, il l’était aussi de l’Égypte, et j’ai évoqué avec lui les grands dossiers régionaux.
Comme je l’ai dit dès mon arrivée, je ne suis pas venu ici avec des recettes toutes faites ou des conseils à appliquer mais tout simplement pour exprimer la disponibilité de la France. Cette disponibilité se manifestera, tout particulièrement dans le domaine économique et social puisque nous mesurons bien les défis que l’Égypte a à relever dans ces domaines.
S’agissant du tourisme, la France a été l’un des premiers pays à souhaiter que se réamorce le flux touristique.
J’ai également indiqué que notre Agence française pour le développement était prête à augmenter les efforts qu’elle fait déjà en Égypte, et tout particulièrement en direction des petites et moyennes entreprises qui sont le tissu économique de ce pays et les principaux pourvoyeurs d’emplois.
Enfin, j’ai évoqué la volonté de la France de mobiliser l’ensemble de ses partenaires de l’Union européenne pour l’Égypte, mais aussi pour l’ensemble des pays du Sud de la Méditerranée, en refondant sous d’autres formes possibles ce beau projet de l’Union pour la Méditerranée lancé en 2008.
Ce voyage, malgré sa brièveté, est pour moi important et, au-delà même de son importance diplomatique, émouvant sur le plan humain. On voit bien ici qu’il y a un des plus grands changements qu’ait connu non seulement cette région mais, de façon plus générale, la scène internationale depuis longtemps. C’est donc de tout cœur que nous souhaitons la réussite des peuples arabes dans leur marche vers la démocratie et l’affirmation des droits de l’Homme.
Voilà, je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
Q - Je voudrais vous poser deux questions Monsieur le Ministre, si vous le permettez. Premièrement, est-ce qu’il serait possible pour les pays occidentaux, l’Union européenne, non pas d’annuler mais de suspendre quelques dettes égyptiennes de façon momentanée, le temps que l’Égypte puisse sortir de ses problèmes ? Deuxième question : quelle est l’opinion de la France sur ce qu’on dit et qu’on répète actuellement sur une éventuelle intervention militaire en Libye ?
R - Sur le premier point, c’est une question qu’il faut approfondir en en mesurant bien toutes les conséquences sur le crédit de l’Égypte. Il n’est jamais bon, je pense, de ne pas payer ses dettes et il ne me semble pas - je parle sous le contrôle de notre ambassadeur - que l’Égypte soit, aujourd’hui, dans une situation telle qu’une annulation puisse véritablement l’aider.
Sur la Libye, c’est bien sûr notre principal sujet de préoccupation au moment où je vous parle. Compte-tenu de l’attitude qui a été la sienne et notamment de la violence et de la brutalité dont il a fait preuve à l’égard des populations libyennes et dont il continue à faire preuve à l’égard de ses populations, le colonel Kadhafi et son régime sont, pour nous, discrédités et doivent partir.
Cette position est celle du Conseil de sécurité des Nations unies qui a mis en œuvre ce nouveau principe de la responsabilité de protéger, adopté à l’unanimité en 2005. Le Conseil de sécurité a aussi, pour la première fois, saisi le procureur de la Cour pénale internationale en lui demandant d’examiner l’opportunité de poursuites contre ceux qui ont eu de tels agissements. Cette position est également celle de l’Union européenne qui est prête à mettre en œuvre les sanctions dont le principe a été décidé par le Conseil de sécurité. C’est la position des États-Unis d’Amérique, bien sûr. C’est la position de l’Union africaine. C’est la position de la Ligue arabe comme me l’a confirmé, à midi, M. Moussa.
Faut-il aujourd’hui aller plus loin et envisager une intervention militaire ? La situation sur le terrain est difficile à saisir entre les offensives et les contre-offensives qui opposent les deux camps. La France, mais aussi plusieurs de ses partenaires que j’ai cités tout à l’heure ne sont pas favorables à une intervention militaire occidentale en Libye qui pourrait avoir des effets tout à fait négatifs. Cela dit et dans l’hypothèse où les combats deviendraient plus meurtriers, nous devons nous préparer à réagir. C’est la raison pour laquelle nous avons accepté la planification d’une zone d’interdiction aérienne au dessus de la Libye. Pour nous, une telle intervention ne peut se concevoir, bien sûr, que sous un mandat des Nations unies et avec la participation de la Ligue arabe et de l’Union africaine. Nous suivrons donc l’évolution de la situation, heure par heure.
Q - Vous avez rencontré, tout à l’heure, parmi les jeunes, plusieurs membres des Frères musulmans. Est-ce que cela veut dire que les Frères musulmans sont, désormais, des interlocuteurs à part entière pour la France comme les autres forces politiques ?
R - D’abord, je ne veux pas m’immiscer dans les affaires intérieures de l’Égypte. Aux Égyptiens, eux-mêmes, de déterminer quels doivent être les acteurs de cette transition démocratique que nous appelons tous de nos vœux. Pour ma part, j’ai souhaité rencontrer la coordination du 25 janvier et il se trouve que parmi les participants il figurait plusieurs personnes qui se réclament du mouvement des Frères musulmans. Le dialogue que j’ai eu avec l’ensemble de cette coordination, en particulier avec les membres des Frères musulmans a été intéressant et m’a permis de bien mesurer que la présentation qui est faite, parfois de ce mouvement mérite d’être éclairée et approfondie ; car plusieurs d’entre eux m’ont fait part de leur vision d’un islam libéral et respectueux des principes démocratiques.
C’est donc un dialogue qui mérite d’être poursuivi, à la fois au sein de la société égyptienne mais aussi plus largement dans ce contexte de l’Union pour la Méditerranée que j’évoquais tout à l’heure.
Q - Vous avez visité la place Tahrir ; quelle est l’importance de cette visite pour vous ?
R - Cela fait plusieurs semaines que sur tous les écrans de télévision français, on voit la place de la Libération, la place Tahrir, et que l’on perçoit bien le rôle qu’ont joué les manifestations qui s’y sont déroulées dans la révolution que vient de connaître l’Égypte. Il était donc normal que je me rende sur cette place pour mieux percevoir les événements qui s’y sont déroulés et, surtout, pour affirmer le soutien de la France à tout ce qui va dans le sens de plus de liberté et plus de démocratie en Égypte et, de façon générale, dans le monde arabe.
Q - Maintenant, la France a décidé de soutenir la formation de la démocratie en Égypte ; comment ?
R - En étant là, présent à côté du peuple égyptien.
Alors, il y a ce qu’il ne faut pas faire et ce qu’il faut faire. Ce qu’il ne faut pas faire, c’est se mettre à la place des Égyptiens. Ce sont les Égyptiens qui décideront de leur transition démocratique, de l’organisation de leurs élections, des changements de leur constitution, de ce qu’ils décideront ensemble et la France n’a pas l’intention de s’y immiscer. Mais, d’un autre côté, nous ne pouvons pas rester indifférents à ce qui se passe ici parce que la Méditerranée est notre mer commune. Nous sommes donc concernés et c’est la raison pour laquelle, de la manière dont le souhaiteront les Égyptiens, nous voulons les accompagner et les aider dans ce processus ; c’est à eux de nous dire comment.
Q - Quelles sont les mesures que la France et l’OTAN ont pris pour la Libye ?
R - Je viens de répondre, je crois assez longuement, sur cette question.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez évoqué le fait que la France va accompagner le renouveau de l’Égypte dans les mois qui viennent et les années à venir. Maintenant, concrètement, comment cette aide va-t-elle se matérialiser ? Est-il question d’aides financières au niveau de la France, de l’Union européenne et vers quels acteurs ?
R - J’évoquais ces trois points tout à l’heure dans mon propos. La France est prête à aider en bilatéral. J’ai évoqué l’Agence française de Développement qui est l’un de nos outils d’aide au développement. J’ai évoqué, aussi, l’Union pour la Méditerranée rénovée, donc l’implication de l’Union européenne qui a les moyens de contribuer à ce renouveau, à cette modernisation économique et sociale de l’Égypte. Et puis, nous sommes prêts à aider aussi dans le domaine juridique : nous avons une certaine expertise en matière constitutionnelle, en matière de processus démocratique et de garanties des droits de l’Homme. Voici aussi un sujet sur lequel, si on nous le demande, nous sommes prêts à faire part de notre savoir-faire.
Q - Vous avez parlé de la Méditerranée tout à l’heure. J’aimerais savoir si votre venue au Caire vous a aussi permis d’évoquer aussi l’Union pour la Méditerranée et sur ce qu’elle va devenir maintenant ?
R - Oui, bien sûr. J’en ai parlé à la fois avec mes interlocuteurs égyptiens, avec le secrétaire général de la Ligue arabe. L’Union pour la Méditerranée est une belle idée. C’est l’idée, tout simplement, d’une solidarité accrue entre le nord et le sud de ce que j’ai appelé, tout à l’heure, notre mer commune. Et cette solidarité s’impose plus que jamais aujourd’hui dans tous les domaines : dans le domaine politique, dans le domaine de la sécurité, dans le domaine économique, dans le domaine des flux migratoires. Nos destins sont communs, il faut travailler ensemble.
Alors, l’Union pour la Méditerranée, telle qu’elle a été lancée en 2008, mérite aujourd’hui d’être refondée puisque les choses ont changé notamment dans plusieurs pays du Sud. C’est le travail auquel nous allons nous attacher maintenant. Je n’ai pas, évidemment, la réponse à cette question au bout de quatre jours mais c’est à l’ordre du jour de nos travaux à Bruxelles, dès cette semaine, et puis en étroite concertation, bien sûr, avec nos partenaires du Sud.
Je voulais remercier notre excellente interprète et puis, remercier M. l’Ambassadeur et l’ensemble des services de l’ambassade qui ont organisé ce déplacement et m’ont permis de vous rencontrer.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2011