Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, avec France 24 le 8 mars 2011, notamment sur la position de l'Union européenne face à la situation politique et humanitaire en Libye.

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Circonstance : Session plénière du Parlement européen, à Strasbourg (Bas-Rhin) le 8 mars 2011

Média : France 24

Texte intégral

Q - Bonjour, vous êtes le ministre français des Affaires européennes, vous êtes évidemment très concerné par ce qui se passe au niveau européen. Vendredi, c'est un Sommet très attendu sur la crise libyenne et également sur la crise de l'euro.
On commence par l'actualité la plus brûlante, la Libye avec l'information de certains médias arabes qui disent que M. Kadhafi serait prêt à partir avec une cagnotte, des négociations qu'il souhaiterait entamer, comme une sortie honorable. Est-ce crédible ? Est-ce même souhaitable ?
R - On va être très clair, non.
D'abord, soyons prudents, les informations que vous avez évoquées ont été relayées par Al Jazeera. A ce stade, elles ne sont pas confirmées, ce sont de simples bruits et rumeurs, on ne sait pas ce qu'il y a derrière. Sur cette crise libyenne où tout change d'heure en heure, soyons prudents.
La seconde chose, s'il s'agissait pour M. Kadhafi de faire un marchandage, c'est non. S'il s'agit pour lui de faire un chantage, c'est également non. S'il s'agit pour lui de troquer son départ contre un pécule - je ne sais pas ce que l'on nomme un pécule lorsque l'on s'appelle M. Kadhafi -, ou de nous dire d'abandonner les poursuites à son encontre dans le cadre de la Cour pénale internationale, c'est non aussi.
Il ne peut pas y avoir de marchandage, il ne peut pas y avoir de chantage, nous avons un devoir d'exemplarité sur la Libye et à l'égard de M. Kadhafi.
Si vous me permettez, je voudrais juste m'arrêter un instant sur ce sujet. C'est la première fois que dans l'histoire des relations internationales que le Conseil de sécurité des Nations unies au complet, la Chine comprise, a décidé de saisir, contre M. Kadhafi, la CPI pour les crimes qu'il a commis. Nous n'allons pas faire marche arrière maintenant.
Q - D'autant moins que la France et la Grande-Bretagne travaillent à un projet commun pour une résolution de l'ONU sur une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Qu'est-ce que cela changerait concrètement et cette mesure va-t-elle passer ?
R - Cela fait partie des options que la France étudie.
Notre approche sur la Libye est celle-ci : notre première priorité est d'arrêter la répression meurtrière. Pour cela il faut être simple, il faut couper le robinet.
Qu'est-ce qui permet à M. Kadhafi de tenir ? Une armée de mercenaires. Comment finance-t-il son armée ? Par le biais de l'argent du pétrole ou en vendant éventuellement les actifs, les stock-options qui ont été accumulés par l'État libyen.
Q - Et L'Union européenne, en effet a, par exemple coupé les vivres aux fonds souverains libyens qui gère les revenus du pétrole.
R - Exactement, j'avais parlé de ce sujet avec Hillary Clinton. Nous avions évoqué cette question en disant qu'il fallait à la fois que l'on empêche M. Kadhafi d'encaisser l'argent du pétrole mais il faut aussi qu'on l'empêche de pouvoir vendre les actifs libyens et ainsi d'être en mesure de récupérer de l'argent. L'Union européenne a été en pointe à un moment où l'on critique souvent sa diplomatie; c'est elle qui a été la première à agir. Nous avons vraiment été à l'avant-garde.
La deuxième priorité, c'est évidemment de l'empêcher de s'alimenter en armes, d'où l'embargo, qui concerne toutes les armes : bien sûr les armes militaires, mais aussi les armes dites de maintien de l'ordre.
La troisième priorité, c'est l'impératif humanitaire. Nous avons tous été touchés par la situation des réfugiés, par ces images des flots de réfugiés aux frontières égyptienne et tunisienne, poussés par les massacres et la peur. Donc l'Europe se doit également d'agir vigoureusement et rapidement.
Q - Quand l'Italie demande par exemple le renfort, le partage du fardeau pour les autres pays européens pour accueillir ces réfugiés ou ces demandeurs d'asile, beaucoup de pays lui ont répondu non quand même !
R - Les réfugiés dont on parle ne sont pas principalement en Italie, ils sont en Égypte et en Tunisie. Souvent, on a par exemple en Égypte, des Tunisiens et en Tunisie des Égyptiens. L'objectif est de faire en sorte de pouvoir ramener tout le monde à la maison.
La France s'est donc engagée. Nous avons mis des avions à disposition et nous travaillons sur des solutions maritimes qui permettront aux uns et aux autres de revenir chez eux. C'est cela l'impératif humanitaire. Aujourd'hui, il y a des camps dans lesquels beaucoup de populations sont concentrées et qui se retrouvent dans des situations, notamment sanitaires, très difficiles si nous n'agissons pas.
Q - Ne craignez-vous pas un exode biblique que dénoncent les Italiens ? C'est le terme employé par le ministre de l'Intérieur de ce pays.
R - Pour l'instant, ce que l'on craint surtout, c'est cet afflux de réfugiés, des deux côtés de la Libye. Ensuite il y a aussi le risque que se renouvelle ce qui s'est passé à Lampedusa. Du jour au lendemain, 5.000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes. Là encore, la réponse doit être européenne.
Comme vous le savez, je suis pro-européen, mes convictions sont profondément européennes et sur la crise libyenne, je constate que c'est l'Europe qui peut nous permettre d'apporter la bonne réponse, y compris pour protéger nos frontières contre des flux d'immigration illégale.
Q - Pour autant, la France ne privilégie pas l'option d'une intervention pleine et entière de l'OTAN, de peur de s'aliéner, à long terme, la «rue arabe». Mais, justement, les opinions publiques arabes ne sont-elles pas sensibles à un possible bain de sang sur fond d'impuissance des Occidentaux ?
R - Actuellement en Libye, il y a des affrontements de rues et des tensions extrêmement fortes qui conduisent à une situation assez inextricable. A-t-on envie de mettre des soldats de l'OTAN au milieu de tout cela maintenant, s'agit-il de la structure adaptée à la situation ? Alain Juppé s'est déclaré défavorable à une intervention de l'OTAN.
Le risque d'une intervention militaire, c'est notamment qu'elle soit caricaturée. D'abord certains voudront l'utiliser en disant que c'est le retour des croisades. L'Occident vient chez nous et y installe des militaires. La deuxième chose qu'ils diront surtout, c'est que l'Occident agit de la sorte parce qu'il y a du pétrole. Et lorsqu'il y a du pétrole, les forces militaires occidentales sont là ; quand il n'y en a pas, elles n'interviennent pas.
Ne prêtons donc pas le flanc à ces interprétations. On constate que la situation en Libye évolue, qu'elle va dans le sens d'un effritement de Kadhafi. Là où nous devons agir, c'est en coupant les vivres, en empêchant l'alimentation du régime de Kadhafi et, du même coup, en précipitant sa chute. En revanche une intervention militaire pourrait s'avérer contre-productive.
Q - Néanmoins, l'Union européenne organise vendredi un Sommet extraordinaire sur ce thème.
R - Oui, tout à fait, à la demande de la France et du président de la République.
Q - Et l'on se demande pourquoi ce n'est pas à la demande de Catherine Ashton d'ailleurs ? On a l'impression que l'Europe a été un peu lente à la réaction sur cette crise comme sur les autres. La toute nouvelle chef de la diplomatie européenne, Mme Ashton est-elle en cause, donnant parfois l'impression de jouer les figurantes ?
R - Puis-je vous donner mon sentiment personnel ? Je trouve que l'on est vraiment très dur avec Mme Ashton. Dans cette période, Lady Ashton a fait un très beau travail même si c'est vrai qu'elle n'est peut-être pas très tournée vers les lumières des caméras. En revanche, elle fait un véritable travail de terrain et je trouve qu'elle le fait bien.
Au moment où la crise libyenne a commencé, il me revient un souvenir. Lady Ashton avait décidé de réunir tous les ministres des Affaires européennes pour échanger ensemble sur l'évolution et on a suivi la montée de cette tension avec elle qui avait d'emblée anticipé les choses en nous réunissant.
Un autre exemple : sur la Tunisie, qui a été la première à s'y rendre ? C'est Mme Ashton. Elle a été la première à mettre en place un plan de soutien. A propos de la Libye, elle a permis la coordination de nos positions et la mise en place d'une aide humanitaire. Sur ces différents sujets, elle nous a apporté beaucoup.
Le problème, c'est que l'on voudrait que la diplomatie européenne résolve tous les problèmes en un claquement de doigts. Ce n'est pas le cas car les sujets que nous avons à traiter sont très complexes. L'Europe ne peut pas et ne doit pas être aussi simple qu'un claquement de doigts.
Q - Vendredi prochain, il faudra aussi trouver une harmonie entre 17 pays de la zone euro. Nous n'avons toujours pas un pacte de compétitivité qui a été signé à 17. Il va même être édulcoré probablement à l'occasion de ce Sommet. On sait déjà par exemple qu'il y aura bien un relèvement de l'âge de la retraite, règle d'or du budget donc orthodoxie budgétaire renforcée ; mais aussi abandon de l'indexation des salaires sur l'inflation. Cela vous satisfait-il pleinement ?
R - Ce qui est important, comme souvent dans le cadre de la construction européenne, c'est le chemin que l'on trace. L'Europe, c'est une leçon de modestie parce que tout ne se fait pas du jour au lendemain. On progresse et ce qui est important c'est que chaque étape soit un progrès.
Q - Qu'est-ce qui s'améliore actuellement ?
R - Avant l'euro était une construction un peu artificielle qui reposait sur cette idée que l'on a fait une monnaie qui résistera grâce à une surveillance du déficit et de la dette. Mais, une monnaie c'est autre chose, c'est quelque chose qui renvoie à la réalité de votre économie, qui renvoie au chômage, à la formation, à la politique de recherche et d'innovation. Une monnaie, ce sont des racines qui vont très profondément dans votre économie. Et la prise de conscience que nous a apportée la crise, c'est de nous dire que si nous voulons garder notre monnaie, alors, nous devons davantage nous rassembler. Il faut que le travail en équipe soit plus fort pour se défendre ensemble.
Q - Selon vous, y aura-t-il un accord avant la fin du mois de mars ?
R - Oui, j'en suis convaincu. Nous trouverons un système pour défendre notre euro qui sera plus efficace et nous bénéficierons donc d'une meilleure convergence de nos économies. Je pense que nous en récolterons ensuite les bénéfices rapidement.
Ceux qui voudront continuer de spéculer sur le dos de l'euro risquent d'en être pour leurs frais.
Q - Sur un sujet qui tient à l'image de la France en Europe ; Marine Le Pen est donnée par un sondage ce matin, face à tout opposant potentiel, en tête du premier tour de l'élection présidentielle. Cela vous inquiète-t-il ? Les débats sur l'identité nationale, sur la laïcité organisés par votre gouvernement n'ont-ils pas propulsé cette figure qu'est le leader du Front national ?
R - On parle d'Europe. Le principal talon d'Achille de Marine Le Pen, c'est l'Europe. C'est là où elle est faible et là où il faut la mettre face à ses responsabilités.
Quand elle dit qu'il faut abandonner l'euro pour revenir au franc, les Français ne la suivent pas. Ils savent que ce qu'elle propose, c'est de l'utopie complète et ils savent bien que le franc, dépourvu du socle de solidité que constitue le tandem franco-allemand, serait une monnaie ballottée par les turbulences financières.
Quand elle dit que la solution est de tout remettre au niveau national, de se renfermer à l'intérieur de nos frontières, les Français savent bien que c'est une erreur et que c'est l'Europe qui est une précieuse protection. Dans une période comme celle-ci, pour faire face à la Chine à l'Inde, pour gérer des problèmes comme ceux du terrorisme ou ceux des flux migratoires, c'est de l'Europe dont nous avons besoin. Il faut donc l'attaquer sur ce sujet-là, son sujet de fragilité, c'est l'Europe.
Car c'est là où l'on voit - appelons un chat un chat - qu'elle est ringarde, que ce dont elle parle, c'est de l'utopie et que ce qu'elle vend, c'est de la poudre aux yeux.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 mars 2011