Entretien de M. Laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, dans le quotidien "Direct Matin" du 11 mars 2011, notamment sur l'Union européenne face à la situation politique en Afrique du Nord.

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Média : Direct Matin

Texte intégral

Q - La France pourrait proposer des frappes aériennes ciblées sur la Libye. Est-ce à l'Union européenne de le décider ?
R - Comme l'a dit Alain Juppé, la France est disponible pour intervenir avec d'autres pour protéger les civils, y compris en empêchant Kadhafi d'utiliser ses moyens aériens. Il faut un mandat des Nations unies et l'Union européenne doit aussi en discuter.
Q - L'Union européenne a-t-elle une vision unique de la situation en Libye ?
R - Dès le 20 février, lors d'une réunion des ministres des Affaires européennes, nous avons eu une réaction unanime. Ce processus doit aller jusqu'au bout avec la chute de Kadhafi. Il a franchi une ligne rouge en s'attaquant à son propre peuple. Et aujourd'hui, ce Conseil historique marque le retour de l'Europe politique, une Europe qui s'affirme, va de l'avant et surtout une Europe unie.
Q - Y a-t-il un tel consensus sur les moyens pour y parvenir ?
R - Nous sommes d'accord sur le fait qu'il n'y aura ni marchandage ni négociation avec Kadhafi. Ensuite, il y peut y avoir des différences d'approche. Notre priorité a été de couper le robinet afin qu'il n'utilise pas l'argent du pétrole pour payer une armée de mercenaires.
Q - Avant la Libye, il y a eu la Tunisie et l'Egypte. La France n'a-t-elle pas tardé à prendre la mesure des événements ?
R - Ces révolutions appartiennent au peuple arabe et se précipiter, c'est s'exposer à faire de lourdes erreurs. En même temps, il ne faut pas attendre trop longtemps, sinon on manque le train de l'Histoire, comme M. Mitterrand en 1989 avec la chute du Mur de Berlin. Aujourd'hui, la situation est différente. Nous sommes désormais à l'initiative. Mais il faut aussi comprendre qu'il y a une demande d'Europe. Soyons fiers des espoirs qu'incarne l'Europe.
Q - Au point d'accepter que la position française soit portée par Catherine Ashton, le Haut représentant de l'Union européenne ?
R - Rien ne serait plus puéril que d'imaginer la diplomatie française capable d'agir seule. Il ne faut pas avoir de faux orgueil. Notre intérêt, c'est de mettre des sujets sur la table et qu'ils soient réappropriés par la diplomatie européenne. Cela montre que la France est à l'initiative et que l'Europe est en mouvement. C'est ce qui se passe avec ce Conseil européen demandé par Nicolas Sarkozy.
Q - Et concrètement, comment aider ces pays ?
R - Il faut faire vite, car une transition démocratique est un moment fragile. Et il faut que l'aide soit visible et concrète afin que les espoirs ne soient pas déçus. Nous préconisons un plan Marshall international pour la rive Sud de la Méditerranée axé sur des points précis. J'en citerai deux : la Tunisie a besoin d'infrastructures pour relier les côtes à l'intérieur des terres et de plans de formation plus efficaces pour sa jeunesse. Il est de notre intérêt d'investir dans la démocratie pour montrer que l'avenir se construit là-bas. On risque, sinon, un afflux illégal de population.
Q - Marine Le Pen se rend lundi à Lampedusa, l'île italienne où arrivent ces migrants…
R - Ce déplacement de Marine Le Pen est caricatural, car elle n'est intéressée que par les caméras et les micros. Elle est députée européenne mais n'a pris aucune initiative sur la gestion de nos frontières par l'Europe, et n'a fait aucune proposition pour la gestion de nos flux migratoires.
Q - Cet après-midi, les chefs d'État évoqueront aussi l'euro. Lundi, la note de la Grèce a été abaissée par l'agence Moody's. Que faut-il en penser ?
Les marchés testent à nouveau notre détermination. Mais il n'y a aucun doute, la détermination de l'Europe à sauver l'euro est totale. Regardons le chemin parcouru depuis dix-huit mois grâce à l'entente Sarkozy-Merkel et au travail de Christine Lagarde. Parler de gouvernance économique était alors un gros mot.
Aujourd'hui, on y arrive ! Ce qui se négocie actuellement, c'est un fonds à utiliser si l'euro est attaqué. Nous aurons aussi une gouvernance économique commune pour mieux surveiller les déséquilibres budgétaires et enfin un pacte de compétitivité pour faire converger nos différentes économies vers ce qui se fait de mieux dans chaque domaine. On sortira de tout ça avec un euro plus fort, plus stable et armé pour se défendre.
Q - Mais certains reprochent à ce pacte d'être franco-allemand…
R - Il est basé sur une proposition franco-allemande, mais il ne peut en aucun cas être un diktat franco-allemand. Il ne réussira que si les 17 pays de la zone euro se l'approprient. C'est à la France et l'Allemagne d'alimenter le moteur européen, mais sans rien imposer. C'est ce qui a été fait.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2011