Texte intégral
Q - Tout indique désormais qu'à l'échelle du Japon et de la planète, Fukushima est, et restera, une catastrophe nucléaire majeure. Qu'en pensez-vous ?
R - La situation est extrêmement grave. Nous avons eu, hier soir à Paris, un entretien avec le ministre japonais - qui était là parmi nous -, qui nous a donné toutes les informations dont il dispose. Le risque est donc extrêmement élevé. Nous l'avons assuré de notre solidarité et également de notre concours technique ; l'Agence internationale de l'énergie est mobilisée, comme tous nos experts.
Q - Il est inquiet lui-même ?
R - Il est inquiet, naturellement, et l'ensemble des autorités japonaises sont très mobilisées. Je voudrais d'ailleurs en profiter pour saluer l'extraordinaire courage, l'extraordinaire sang-froid du peuple japonais dans une épreuve épouvantable. Il y a l'enjeu nucléaire, il y a aussi la situation humanitaire ; vous savez que nous avons déjà envoyé des sauveteurs - un peu plus d'une centaine -, du matériel. Toute la communauté internationale est aux côtés du Japon.
Q - C'est-à-dire qu'il y a le tremblement de terre, le tsunami qui endeuillent le Japon et en plus le Japon qui est frappé dans son économie. Comment peut-on être solidaire ? Comment peut-on aider le Japon ?
R - Nous avons dit à notre collègue japonais que nous étions à sa disposition. C'est aux Japonais de nous dire comment on peut les aider.
Le président de la République souhaite que le G20 en particulier, qui représente l'essentiel des grandes puissances économiques du monde, se mette, entre guillemets, au service du Japon.
Q - Le président de la République, d'après ce qu'il a dit à des élus UMP, écarte l'idée de faire sortir la France du nucléaire. Êtes-vous d'accord avec cette idée, qui est controversée ?
R - Il faut un débat bien sûr sur le nucléaire. Sur la sûreté nucléaire, nous devons être d'une vigilance de tous les instants. Notre Autorité de sûreté nucléaire doit faire son travail avec le maximum de rigueur, mais dire aux Français qu'on va sortir du nucléaire, c'est leur mentir. Dans les vingt ou trente prochaines années, nous ne sortirons pas complètement du nucléaire. Il faut évidemment faire monter en puissance les énergies renouvelables, c'est ce que nous faisons avec un grand programme d'énergie éolienne offshore, en mer, et avec le photovoltaïque qu'on pourrait développer encore plus. Il faut aussi être bien conscient qu'aujourd'hui on construit radicalement différemment de ce qui se passait avant. On construit des bâtiments à faible consommation énergétique.
Q - Est-ce qu'ici on est plus sûrs qu'au Japon ?
R - Mais attendez, Monsieur Elkabbach, tout cela, tout ce programme d'énergie renouvelable, ce sera au maximum 20 % de nos besoins dans les années qui viennent. Et donc, on ne peut pas se passer du nucléaire dans les prochaines décennies. Il faut être évidemment, je l'ai dit, d'une extrême vigilance ; il faut renforcer encore les mesures de sûreté. Il faut s'assurer que nos centrales, qui sont pour certaines d'entre elles anciennes, sont à un niveau de sûreté de plus en plus exigeant et c'est ce que nous faisons.
Q - Pensez-vous qu'il faut consulter les Français sur le nucléaire ? Faut-il un référendum ?
R - Il faut un débat, je ne suis pas sûr qu'un référendum fasse beaucoup avancer les choses.
Q - Encore un mot, le Parti socialiste ne demande pas de renoncer au nucléaire, il réclame un audit des centrales nucléaires et d'abord des plus anciennes ?
R - Il arrive au Parti socialiste de faire preuve du sens des responsabilités. Ils savent bien que laisser entendre aux Français que dans les dix ans qui viennent, on pourra se passer du l'énergie nucléaire, c'est un mensonge. Un audit, bien sûr, c'est ce que nous faisons, en permanence et il faut, je le répète, que l'Agence de sûreté nucléaire soit encore plus exigeante qu'elle ne l'est.
Q - Alain Juppé, vous présidez à Paris un G8 des ministres des Affaires étrangères. Allez-vous les convaincre de décider une intervention pour détruire les aéroports et les avions de Kadhafi ? Ou est-ce trop tard ?
R - Pour l'instant, je ne les ai pas convaincus. La France a été avec la Grande-Bretagne dans ce domaine tout à fait à l'initiative, en permanence. Quelle est la situation aujourd'hui ? Kadhafi marque des points. Si nous avions utilisé la force militaire la semaine dernière, pour neutraliser un certain nombre de pistes d'aviation et les quelques dizaines d'avions dont il dispose, peut-être que le renversement qui se produit actuellement en défaveur de l'opposition ne se serait pas produit, mais c'est le passé. Je voudrais simplement signaler que la France l'a souhaité et que beaucoup de ses partenaires se sont montrés plus prudents.
Q - Et ils ont eu tort ?
R - Ce qui se passe aujourd'hui montre que nous avons peut-être laissé passer une chance de rétablir la balance. Ce qui s'est passé hier soir est beaucoup moins négatif que ce que j'ai entendu ici ou là. Nous nous sommes mis d'accord sur deux points qui sont très importants. D'abord, relancer immédiatement, et c'est en cours aujourd'hui, une discussion au Conseil de sécurité des Nations unies pour reprendre une résolution afin d'accentuer la pression contre le régime de Kadhafi. Ça, nous allons le faire. Tout le monde est d'accord.
Q - Mais comment ? Comment contre le régime de Kadhafi ?
R - Nous allons en parler à New York. Il y a plusieurs manières de renforcer les sanctions, de décréter un embargo maritime par exemple. Eventuellement d'envisager ce que pourrait être, même s'il n'y a pas consensus là-dessus, une zone d'exclusion aérienne - encore que ce n'est pas la panacée. Bref, il y a là un consensus. Et le deuxième point, sur lequel nous sommes tombés d'accord hier, c'est que cela ne peut pas se faire si les pays arabes ne prennent pas pleinement leurs responsabilités.
Il y a eu une déclaration de la Ligue arabe, la semaine dernière, très encourageante en ce sens, mais nous allons poursuivre le dialogue avec eux. Le président de la République, comme l'a décidé le Conseil européen de la semaine dernière, va organiser une rencontre, avec la Ligue arabe et l'Union africaine, pour que les pays qui sont les plus directement concernés prennent leurs responsabilités.
Q - Mais c'est une véritable course contre la montre ?
R - C'est vrai.
Q - Estimez-vous qu'il faille reconnaître que les insurgés ont perdu, ce matin ?
R - Je ne dirais certainement pas cela. Ils sont dans une situation difficile et c'est la raison pour laquelle ce qui va se passer à New York est important.
Q - Mais peut-on empêcher la reconquête de Benghazi par les armés de Kadhafi ?
R - Aujourd'hui, nous n'en avons pas les moyens militaires puisque la communauté internationale n'a pas décidé de s'en doter.
Q - Et si Kadhafi reprend la maîtrise de la Libye et qu'il se livre à une répression sanglante des opposants et des règlements de compte arbitraires, la communauté internationale peut-elle agir ?
R - Ce serait un scénario extraordinairement négatif. D'abord pour la communauté internationale, parce que je vous rappelle que tout le monde a dit : Kadhafi doit partir. Je pense aussi que cela ferait entrer la Libye dans une longue période d'instabilité politique, parce que ceux qui refusent la dictature de Kadhafi ne s'avoueront pas battus.
Q - Donc Alain Juppé, vous nous dites que personne au niveau international ne s'accommodera de Kadhafi même si il reconquiert son territoire ?
R - Regardez ce qui se passe dans l'ensemble du monde arabe et même au-delà, les peuples ne supportent plus les dictateurs. Je voudrais quand même rappeler que le Conseil de sécurité a demandé au procureur de la Cour pénale internationale d'instruire une action contre Kadhafi, qui est donc considéré aujourd'hui, comme auteur présumé de crimes contre l'humanité. Donc vous voyez bien que les choses ont changé et que, aujourd'hui, le métier de dictateur est devenu un métier à haut risque.
Q - Même s'il donne le mauvais exemple, on voit que pour la première fois, l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe, interviennent militairement à la demande de Bahreïn pour mater son opposition. Alain Juppé, selon le journal Le Monde, la reconnaissance par la France du Conseil libyen de transition a consterné le Quai d'Orsay. Il paraît que personne n'avait été prévenu, et qu'il y a eu une explication assez directe entre vous et Nicolas Sarkozy. Est-ce vrai ?
R - Jean-Pierre Elkabbach, malgré ma longue expérience politique, je suis toujours sidéré par les rumeurs. Le Quai d'Orsay n'a absolument pas été ulcéré. J'étais parfaitement dans la boucle, puisque le président de la République m'avait invité à l'Élysée, pour recevoir les représentants
Q - Mais vous étiez à Bruxelles.
R - Et je lui ai dit que j'étais à Bruxelles, que je ne pouvais pas y être. Et j'ai reçu moi-même lesdits représentants à Bruxelles, dans l'après-midi. Vous voyez donc que cette rumeur selon laquelle le Quai d'Orsay aurait été court-circuité est une affabulation.
Q - Vous étiez en accord et en pleine ligne
R - En revanche, ce qui est vrai, c'est que l'annonce, non pas par le président de la République mais par les membres du Conseil de transition, a été
Q - Qui n'était pas seul d'ailleurs
R - qui n'était pas seul -, oui, a été prématuré. Voilà, c'est tout.
Q - Mais la France a promis un ambassadeur à Benghazi, la promesse tient-elle toujours ?
R - Nous sommes en train de voir dans quelle condition notre diplomate peut se rendre à Benghazi ; il y a des conditions de sécurité à réunir, bien entendu.
Q - Est-ce que ce matin, vous refusez toujours l'exercice personnel et solitaire de la diplomatie autant que la diplomatie parallèle ?
R - Tout cela est absurde. Il y a des institutions ; dans ces institutions, c'est le président de la République qui définit les grandes lignes de notre politique étrangère. Il m'associe pleinement à la définition de ces lignes et ensuite, mon travail c'est de relayer cette politique et de la mettre en uvre avec l'outil diplomatique qui est un excellent outil diplomatique. Je préfère vous dire que les diplomates aujourd'hui sont pleinement mobilisés dans leur travail.
Q - En Côte d'Ivoire, la guerre civile et ethnique bat son plein, l'ex-président déchu Laurent Gbagbo fait tuer des civils. Est-ce que les Nations unies, l'Europe, la France vont abandonner la Côte d'Ivoire à elle-même ?
R - Nous ne l'avons pas abandonnée. Nous ne cessons de dire que nous ne voulons pas de Gbagbo, qu'il est illégitime, et que le seul président légal et légitime est Ouattara. Et là encore
Q - Et comment on fait sortir Gbagbo ?
R - Ecoutez, nous avons pris toute une série de mesures qui peu à peu sont en train de donner un effet. Les sanctions financières, cela ne marche pas à 15 jours, cela marche à plusieurs mois. Et on voit bien, aujourd'hui, que Gbagbo est progressivement asphyxié. Là encore, ce qui compte, c'est l'engagement des pays africains. On ne peut pas demander à la France ou à l'Europe de s'occuper de tout et de s'ingérer dans les affaires de tous les pays. Et l'Union africaine a pris ses responsabilités, à Addis Abeba. Les pays africains ont dit : le seul président légitime, c'est M. Ouattara et M. Gbagbo doit partir. Et je pense qu'on va y arriver.
Q - Les jours de Gbagbo sont comptés ?
R - Je ne vais pas faire de pronostic mais, en tout cas, nous ferons tout pour que la légalité l'emporte et que M. Ouattara, qui est le président légalement élu, exerce réellement le pouvoir ; c'est ce qui est en train petit à petit, je pense, de se passer en Côte d'Ivoire.
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La France, depuis une quinzaine de jours, dans ces affaires de la Libye, comme au Conseil européen de la semaine dernière, a été le pays qui a ouvert la voie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2011
R - La situation est extrêmement grave. Nous avons eu, hier soir à Paris, un entretien avec le ministre japonais - qui était là parmi nous -, qui nous a donné toutes les informations dont il dispose. Le risque est donc extrêmement élevé. Nous l'avons assuré de notre solidarité et également de notre concours technique ; l'Agence internationale de l'énergie est mobilisée, comme tous nos experts.
Q - Il est inquiet lui-même ?
R - Il est inquiet, naturellement, et l'ensemble des autorités japonaises sont très mobilisées. Je voudrais d'ailleurs en profiter pour saluer l'extraordinaire courage, l'extraordinaire sang-froid du peuple japonais dans une épreuve épouvantable. Il y a l'enjeu nucléaire, il y a aussi la situation humanitaire ; vous savez que nous avons déjà envoyé des sauveteurs - un peu plus d'une centaine -, du matériel. Toute la communauté internationale est aux côtés du Japon.
Q - C'est-à-dire qu'il y a le tremblement de terre, le tsunami qui endeuillent le Japon et en plus le Japon qui est frappé dans son économie. Comment peut-on être solidaire ? Comment peut-on aider le Japon ?
R - Nous avons dit à notre collègue japonais que nous étions à sa disposition. C'est aux Japonais de nous dire comment on peut les aider.
Le président de la République souhaite que le G20 en particulier, qui représente l'essentiel des grandes puissances économiques du monde, se mette, entre guillemets, au service du Japon.
Q - Le président de la République, d'après ce qu'il a dit à des élus UMP, écarte l'idée de faire sortir la France du nucléaire. Êtes-vous d'accord avec cette idée, qui est controversée ?
R - Il faut un débat bien sûr sur le nucléaire. Sur la sûreté nucléaire, nous devons être d'une vigilance de tous les instants. Notre Autorité de sûreté nucléaire doit faire son travail avec le maximum de rigueur, mais dire aux Français qu'on va sortir du nucléaire, c'est leur mentir. Dans les vingt ou trente prochaines années, nous ne sortirons pas complètement du nucléaire. Il faut évidemment faire monter en puissance les énergies renouvelables, c'est ce que nous faisons avec un grand programme d'énergie éolienne offshore, en mer, et avec le photovoltaïque qu'on pourrait développer encore plus. Il faut aussi être bien conscient qu'aujourd'hui on construit radicalement différemment de ce qui se passait avant. On construit des bâtiments à faible consommation énergétique.
Q - Est-ce qu'ici on est plus sûrs qu'au Japon ?
R - Mais attendez, Monsieur Elkabbach, tout cela, tout ce programme d'énergie renouvelable, ce sera au maximum 20 % de nos besoins dans les années qui viennent. Et donc, on ne peut pas se passer du nucléaire dans les prochaines décennies. Il faut être évidemment, je l'ai dit, d'une extrême vigilance ; il faut renforcer encore les mesures de sûreté. Il faut s'assurer que nos centrales, qui sont pour certaines d'entre elles anciennes, sont à un niveau de sûreté de plus en plus exigeant et c'est ce que nous faisons.
Q - Pensez-vous qu'il faut consulter les Français sur le nucléaire ? Faut-il un référendum ?
R - Il faut un débat, je ne suis pas sûr qu'un référendum fasse beaucoup avancer les choses.
Q - Encore un mot, le Parti socialiste ne demande pas de renoncer au nucléaire, il réclame un audit des centrales nucléaires et d'abord des plus anciennes ?
R - Il arrive au Parti socialiste de faire preuve du sens des responsabilités. Ils savent bien que laisser entendre aux Français que dans les dix ans qui viennent, on pourra se passer du l'énergie nucléaire, c'est un mensonge. Un audit, bien sûr, c'est ce que nous faisons, en permanence et il faut, je le répète, que l'Agence de sûreté nucléaire soit encore plus exigeante qu'elle ne l'est.
Q - Alain Juppé, vous présidez à Paris un G8 des ministres des Affaires étrangères. Allez-vous les convaincre de décider une intervention pour détruire les aéroports et les avions de Kadhafi ? Ou est-ce trop tard ?
R - Pour l'instant, je ne les ai pas convaincus. La France a été avec la Grande-Bretagne dans ce domaine tout à fait à l'initiative, en permanence. Quelle est la situation aujourd'hui ? Kadhafi marque des points. Si nous avions utilisé la force militaire la semaine dernière, pour neutraliser un certain nombre de pistes d'aviation et les quelques dizaines d'avions dont il dispose, peut-être que le renversement qui se produit actuellement en défaveur de l'opposition ne se serait pas produit, mais c'est le passé. Je voudrais simplement signaler que la France l'a souhaité et que beaucoup de ses partenaires se sont montrés plus prudents.
Q - Et ils ont eu tort ?
R - Ce qui se passe aujourd'hui montre que nous avons peut-être laissé passer une chance de rétablir la balance. Ce qui s'est passé hier soir est beaucoup moins négatif que ce que j'ai entendu ici ou là. Nous nous sommes mis d'accord sur deux points qui sont très importants. D'abord, relancer immédiatement, et c'est en cours aujourd'hui, une discussion au Conseil de sécurité des Nations unies pour reprendre une résolution afin d'accentuer la pression contre le régime de Kadhafi. Ça, nous allons le faire. Tout le monde est d'accord.
Q - Mais comment ? Comment contre le régime de Kadhafi ?
R - Nous allons en parler à New York. Il y a plusieurs manières de renforcer les sanctions, de décréter un embargo maritime par exemple. Eventuellement d'envisager ce que pourrait être, même s'il n'y a pas consensus là-dessus, une zone d'exclusion aérienne - encore que ce n'est pas la panacée. Bref, il y a là un consensus. Et le deuxième point, sur lequel nous sommes tombés d'accord hier, c'est que cela ne peut pas se faire si les pays arabes ne prennent pas pleinement leurs responsabilités.
Il y a eu une déclaration de la Ligue arabe, la semaine dernière, très encourageante en ce sens, mais nous allons poursuivre le dialogue avec eux. Le président de la République, comme l'a décidé le Conseil européen de la semaine dernière, va organiser une rencontre, avec la Ligue arabe et l'Union africaine, pour que les pays qui sont les plus directement concernés prennent leurs responsabilités.
Q - Mais c'est une véritable course contre la montre ?
R - C'est vrai.
Q - Estimez-vous qu'il faille reconnaître que les insurgés ont perdu, ce matin ?
R - Je ne dirais certainement pas cela. Ils sont dans une situation difficile et c'est la raison pour laquelle ce qui va se passer à New York est important.
Q - Mais peut-on empêcher la reconquête de Benghazi par les armés de Kadhafi ?
R - Aujourd'hui, nous n'en avons pas les moyens militaires puisque la communauté internationale n'a pas décidé de s'en doter.
Q - Et si Kadhafi reprend la maîtrise de la Libye et qu'il se livre à une répression sanglante des opposants et des règlements de compte arbitraires, la communauté internationale peut-elle agir ?
R - Ce serait un scénario extraordinairement négatif. D'abord pour la communauté internationale, parce que je vous rappelle que tout le monde a dit : Kadhafi doit partir. Je pense aussi que cela ferait entrer la Libye dans une longue période d'instabilité politique, parce que ceux qui refusent la dictature de Kadhafi ne s'avoueront pas battus.
Q - Donc Alain Juppé, vous nous dites que personne au niveau international ne s'accommodera de Kadhafi même si il reconquiert son territoire ?
R - Regardez ce qui se passe dans l'ensemble du monde arabe et même au-delà, les peuples ne supportent plus les dictateurs. Je voudrais quand même rappeler que le Conseil de sécurité a demandé au procureur de la Cour pénale internationale d'instruire une action contre Kadhafi, qui est donc considéré aujourd'hui, comme auteur présumé de crimes contre l'humanité. Donc vous voyez bien que les choses ont changé et que, aujourd'hui, le métier de dictateur est devenu un métier à haut risque.
Q - Même s'il donne le mauvais exemple, on voit que pour la première fois, l'Arabie Saoudite et les pays du Golfe, interviennent militairement à la demande de Bahreïn pour mater son opposition. Alain Juppé, selon le journal Le Monde, la reconnaissance par la France du Conseil libyen de transition a consterné le Quai d'Orsay. Il paraît que personne n'avait été prévenu, et qu'il y a eu une explication assez directe entre vous et Nicolas Sarkozy. Est-ce vrai ?
R - Jean-Pierre Elkabbach, malgré ma longue expérience politique, je suis toujours sidéré par les rumeurs. Le Quai d'Orsay n'a absolument pas été ulcéré. J'étais parfaitement dans la boucle, puisque le président de la République m'avait invité à l'Élysée, pour recevoir les représentants
Q - Mais vous étiez à Bruxelles.
R - Et je lui ai dit que j'étais à Bruxelles, que je ne pouvais pas y être. Et j'ai reçu moi-même lesdits représentants à Bruxelles, dans l'après-midi. Vous voyez donc que cette rumeur selon laquelle le Quai d'Orsay aurait été court-circuité est une affabulation.
Q - Vous étiez en accord et en pleine ligne
R - En revanche, ce qui est vrai, c'est que l'annonce, non pas par le président de la République mais par les membres du Conseil de transition, a été
Q - Qui n'était pas seul d'ailleurs
R - qui n'était pas seul -, oui, a été prématuré. Voilà, c'est tout.
Q - Mais la France a promis un ambassadeur à Benghazi, la promesse tient-elle toujours ?
R - Nous sommes en train de voir dans quelle condition notre diplomate peut se rendre à Benghazi ; il y a des conditions de sécurité à réunir, bien entendu.
Q - Est-ce que ce matin, vous refusez toujours l'exercice personnel et solitaire de la diplomatie autant que la diplomatie parallèle ?
R - Tout cela est absurde. Il y a des institutions ; dans ces institutions, c'est le président de la République qui définit les grandes lignes de notre politique étrangère. Il m'associe pleinement à la définition de ces lignes et ensuite, mon travail c'est de relayer cette politique et de la mettre en uvre avec l'outil diplomatique qui est un excellent outil diplomatique. Je préfère vous dire que les diplomates aujourd'hui sont pleinement mobilisés dans leur travail.
Q - En Côte d'Ivoire, la guerre civile et ethnique bat son plein, l'ex-président déchu Laurent Gbagbo fait tuer des civils. Est-ce que les Nations unies, l'Europe, la France vont abandonner la Côte d'Ivoire à elle-même ?
R - Nous ne l'avons pas abandonnée. Nous ne cessons de dire que nous ne voulons pas de Gbagbo, qu'il est illégitime, et que le seul président légal et légitime est Ouattara. Et là encore
Q - Et comment on fait sortir Gbagbo ?
R - Ecoutez, nous avons pris toute une série de mesures qui peu à peu sont en train de donner un effet. Les sanctions financières, cela ne marche pas à 15 jours, cela marche à plusieurs mois. Et on voit bien, aujourd'hui, que Gbagbo est progressivement asphyxié. Là encore, ce qui compte, c'est l'engagement des pays africains. On ne peut pas demander à la France ou à l'Europe de s'occuper de tout et de s'ingérer dans les affaires de tous les pays. Et l'Union africaine a pris ses responsabilités, à Addis Abeba. Les pays africains ont dit : le seul président légitime, c'est M. Ouattara et M. Gbagbo doit partir. Et je pense qu'on va y arriver.
Q - Les jours de Gbagbo sont comptés ?
R - Je ne vais pas faire de pronostic mais, en tout cas, nous ferons tout pour que la légalité l'emporte et que M. Ouattara, qui est le président légalement élu, exerce réellement le pouvoir ; c'est ce qui est en train petit à petit, je pense, de se passer en Côte d'Ivoire.
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La France, depuis une quinzaine de jours, dans ces affaires de la Libye, comme au Conseil européen de la semaine dernière, a été le pays qui a ouvert la voie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 mars 2011