Interview de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à "RTL" le 18 février 2011, sur les relations franco-tunisiennes passées et à venir, sur la possible candidature de Dominique Strauss-Kahn à l'élection présidentielle 2011 et sur la promotion des produits français à l'export.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

A. Ventura.- Bonjour, P. Lellouche.

Bonjour, madame Ventura.

La droite a rendu un grand service, sans doute, à D. Strauss-Kahn avec vos attaques. Vous en avez au moins fait la vedette du week-end, si je puis dire ?

Je crois qu’il n’a besoin de personne pour faire son plan com’. Il est d’ailleurs soigneusement organisé, je crois. Et moi, je ne suis pas là pour commenter ça.

Mais vous le connaissez bien. Vous avez, pardon, un avantage, c’est que vous l’avez affronté en campagne, à Sarcelles en 1993.

Et je l’ai même battu, oui. J’ai même commencé ma carrière politique comme ça puisque j’étais le conseiller diplomatique de J. Chirac à l’époque. Et c’est moi qui ai voulu aller à Sarcelles et voulu me coltiner, me confronter à un ministre socialiste.

Pourquoi lui ?

Pourquoi lui ? Pour des raisons qui tenaient justement à ces quartiers difficiles où beaucoup des gens qui étaient là, ont un peu le même parcours que moi. Il se trouve que j’en sors moi aussi de la transplantation du Maghreb après l’indépendance. Et donc, j’ai vécu ça, et j’ai vécu cette pauvreté là, j’ai vécu cette transplantation là...

... On va en parler.

... Et je prétends que c’est pour ça que je l’ai battu d’ailleurs parce que j’ai été beaucoup plus - et je suis toujours, un peu de par mes origines - beaucoup plus en phase avec cette France qui souffre que d’autres qui sont, en effet, de grands bourgeois, et c’est tout...

D. Strauss-Kahn est un grand bourgeois. C’est ce que vous avez dit ?

Ce que j’ai dit, ce n’est même pas une attaque, c’est complètement factuel et ce n’est pas pour le booster. Je ne veux pas me mêler non plus de la primaire socialiste. Je dis que nous sommes dans un pays et une Europe qui souffrent, qui souffrent de la crise la plus grave depuis quatre-vingts ans. Ce n’est pas fini, il y a eu quand même 400.000 ou 500.000 emplois détruits en France. On est en train de les reconstruire progressivement. Il y a une population qui souffre avec une extrême-droite qui pousse dans toute l’Europe, y compris en France, regardez les sondages. Et ce sera une campagne très dure. Je dis simplement que ce candidat-là, c’est un peu ironique, mais c’est plus un candidat de droite qu’un candidat de gauche en réalité, pour rassembler son camp, et surtout pour coller à cette réalité du peuple qui souffre. Je vais vous dire, j’étais la semaine dernière à Hénin- Beaumont, exprès...

... Chez M. Le Pen...

Chez M. Le Pen, dans une fonderie qui était en difficulté que l’Etat a sauvée et qui exporte 70% de sa production. Tout le monde est de gauche naturellement. Le maire est allé en prison. Les repreneurs d’entreprise sont en prison. Et c’est une population en déshérence. Pas un immigré. Personne à part le Front National, personne ne m’a parlé immigration. Ils m’ont dit : "Monsieur, s’il vous plaît, amenez des usines. Amenez les usines !" Voilà le sujet. Donc, après, il y a une consultation devant tous les Français. Que le meilleur gagne ! On verra quelles sont les lignes politiques qui seront proposées par les uns et par les autres pour réindustrialiser notre pays et pour le rendre plus fort face à la mondialisation, c’est ça le sujet.

Il nous a simplement semblé avec la multiplication des attaques contre D. Strauss-Kahn, qu’il vous faisait d’une manière, un peu peur ?

Ecoutez madame, je peux vous dire vraiment -c’est la vérité- rien de tout cela n’a été coordonné. J’étais dans une émission de radio...

L’Elysée ne vous a pas demandé d’agir de cette manière ?

En aucun cas. Vous avez ma parole. J’étais dans une émission qui était d’ailleurs consacrée aux convulsions du monde arabe. Il y a eu une question sur D. Strauss-Kahn, c’est celle-là qui a été retenue par la presse et j’avais parlé pendant une demi-heure du monde arabe. Mais comme d’habitude, c’est les petites phrases qu’on retient et pas les analyses de fond sur la géopolitique du monde arabe. Je le regrette.

Alors, on va essayer de vous satisfaire, P. Lellouche. Dans l’actualité, ce matin, il y a ces dizaines de migrants tunisiens qui arrivent dans le sud-est de la France après avoir échoué en Italie. Malgré la révolution, ils fuient, ces gens-là ?

Eh oui, et ça c’est un paradoxe qui va être très compliqué à expliquer aux Français. Comment, est-ce qu’au moment où la démocratie s’installe, les gens fuient ? Et c’est tout le problème. Comment gérer une transition démocratique où les partis politiques ne sont pas organisés. Il y a eu un régime autoritaire, pas de partis politiques. C’est un des points communs de tous ces pays. Il y en a un autre : c’est que si vous regardez la carte de toute cette région du monde, en dehors de la langue, en dehors de l’Islam, entre 50% et 70% de la population a moins de 25 ans. La pression pour l’emploi et l’insertion de jeunes qui d’ailleurs, dans le cas de la Tunisie, sont formés, parlent français, connaissent notre société de consommation, ont envie de s’intégrer dans cette mondialisation, c’est là le problème... Et c’est pour ça que depuis le début, la France a plaidé pour la prudence. On n’est pas ceux de l’autre côté de l’Atlantique qui ont dit : tout, tout de suite, maintenant. Il faut accompagner cette transition en sachant que chacun de ces pays va devoir organiser des partis politiques, une vie démocratique et surtout de la formation. Donc moi, au Commerce extérieur, qu’est-ce que j’ai dit depuis le premier jour ; à nos entreprises : Restez !

Restez. Voilà les entreprises installées en Tunisie.

Nous, on paie ; les entreprises françaises, on paie 100.000 salaires à la fin du mois pour des Tunisiens en Tunisie.

Mais la situation, elle est bloquée aujourd’hui. La production est au ralenti en Tunisie ?

Non, non ça reprend...

Pourquoi ces jeunes viennent ici ? Il n’y a pas d’espoir qu’ils soient embauchés dans les entreprises, même françaises ?

Parce qu’ils avaient déjà, le régime Ben Ali avait un problème majeur : c’était cette classe de jeunes à la fois diplômés et déclassés. Donc, le problème, il demeure. Simplement, il y a aujourd’hui une structure étatique qu’il faut reconstruire. Donc, l’urgence pour nous Français pour l’Europe, c’est d’accompagner cette transition avec de l’argent, des formateurs. D’ailleurs, c’est ce que nous comptons faire puisque le Président a l’objectif d’organiser une conférence des donateurs à Carthage, le mois prochain. C. Lagarde va mardi à Tunis. Moi-même je prépare une réunion des chefs d’entreprise français en Tunisie aussi au début du mois prochain. Donc, on travaille là-dessus mais ça va être difficile et nous aurons un problème migratoire, ça c’est clair.

Pourquoi, vous, vous avez toujours défendu Ben Ali ?

Je n’ai pas toujours défendu Ben Ali. C’est faux de dire ça. D’abord, je l’ai rencontré en tout et pour tout, une fois lors d’une visite officielle.

Vous avez dit qu’il était un véritable homme d’Etat. A l’époque.

Je ne sais pas quel communiqué on m’a attribué, mais enfin bon ! C’est la règle du jeu dans ce genre de période où on règle des comptes a posteriori. La France, l’Europe, les Etats-Unis ont traité avec ces gouvernements depuis trente ans. Tous. Pour une raison simple c’est qu’ils étaient en place et que ce n’est pas à l’extérieur qu’on réorganise les gouvernements. La Tunisie, j’en sais quelque chose...

Vous y êtes né.

Voilà. Et à l’âge de 5 ans, on a été mis dehors. Donc, je ne suis pas un thuriféraire ou un supporter nécessairement de gens qui nous ont poussés dehors. C’est la vérité. Je me suis retrouvé dans une situation très, très difficile.

Chacun a sa vérité sur la Tunisie !

Non, mais je veux dire : qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi est-ce que nous avons ensuite soutenu Bourguiba, puis Ben Ali ? Parce que ce pays a libéré la femme et c’est le seul du monde arabe : droit de vote, planning familial, contrôle des naissances, éducation. Parce que les jeunes étaient formés, il y avait des universités, parce qu’ils étaient ouverts à l’économie de marché ; mais ce que tout le monde a sous-estimé y compris moi mais bien d’autres, c’est à quel point le pays avait été vampirisé par cette équipe Trabelsi depuis une dizaine d’années ; mais ça, bon ... ! Je fais partie de tous ceux qui n’ont pas vu cela, pas assez vu cela. Le président de la République l’a fort bien dit...

Une forme de mea culpa, on entend. Permettez-moi de vous ramener en France, P. Lellouche...

Mais c’est tellement facile, si vous voulez, de faire des règlements de compte ex post sur des situations...

On aura compris. Je vous ramène en France parce que le Salon de l’Agriculture ouvre demain...

Alors ça, ça m’intéresse aujourd’hui.

Et vous êtes concerné quand même parce que vous faites la promotion de nos produits français à l’étranger. Vous lancez une opération à l’étranger qui s’appelle "So french, So good"

"So french, So good"...

Traduisez ! Expliquez !

J’ai voulu simplement réagir face à une situation qui est celle-ci : l’agroalimentaire, c’est 250.000 emplois, c’est 15% de nos exploits à égalité de l’aéronautique, donc c’est très important ; et en même temps, nous n’arrêtons pas de perdre des parts de marchés, depuis dix ans. On avait 9% des parts de marché mondial, on en a plus que 6%, et les Allemands sont passés devant nous. Alors les Allemands qui passent devant la France en matière de gastronomie...

C’est dingue !

... Effectivement, il y a un côté dingue au moment même d’ailleurs où nous venions de recevoir le label Unesco : patrimoine mondial de l’Humanité. Donc, qu’est-ce que j’ai voulu faire ? Arriver devant l’industrie alimentaire depuis la fourche jusqu’à la fourchette, des arts de la table jusqu’au digestif en disant voilà un plan com’ mondial : en 2011, il y a 170 salons et événements à travers le monde, voilà un plan com’ sympa, moderne qui va donner envie à des millions de gens à travers la planète de consommer français, de découvrir une part de France. Donc, cette campagne, elle est destinée à donner "envie de France". Je la commence au Salon de l’Agriculture avec mes collègues B. Le Maire et bien d’autres, et le Premier ministre, la semaine prochaine ; et puis, à Tokyo le 3 mars pour le premier Salon Food-Ex.

Parfait ! "So French, So Good". Merci P. Lellouche.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 3 mars 2011