Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur le processus de transition démocratique dans les pays arabes et en Egypte notamment, son impact dans la région, la répression en Libye, et l'engagement français et européen auprès de l'Egypte, Le Caire le 6 mars 2011.

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Circonstance : Voyage d'Alain Juppé en Egypte les 5 et 6 mars 2011 : allocution devant la communauté française au Caire le 6

Texte intégral

Je voudrais d'abord vous remercier de vous être assembler ici ce matin à l'ambassade. Je sais que vous avez tous des obligations professionnelles et je suis très sensible à votre présence. Je voudrais aussi remercier l'ambassadeur et l'ensemble de ses collaborateurs, non seulement pour avoir organisé cette rencontre, mais aussi pour s'être fortement mobilisés au plus fort de la crise que vous venez de traverser, à la fois pour faciliter le retour en France des touristes et également être disponibles pour l'ensemble de nos expatriés.
Comme vous le savez sans doute, c'est mon premier déplacement à l'étranger depuis ma nomination au Quai d'Orsay qui ne date que de lundi dernier. Ce voyage et ce choix sont évidemment tout à fait symboliques. J'ai voulu, en venant ici, marquer publiquement l'engagement de la France face aux bouleversements extraordinaires - le mot n'est pas trop fort - qui sont en train de secouer l'ensemble de la rive sud de la Méditerranée et au-delà. Ces révolutions, soyons francs, nous ont tous pris de court. Personne, ni en France, ni en Europe, ni en Amérique n'avait vu l'imminence de leur déclenchement ni l'effet de contagion qui s'est propagé à partir de la «révolution du Jasmin» en Tunisie.
Bien sûr, aujourd'hui, on nous dit que la diplomatie française était particulièrement peu perspicace. J'aimerais bien qu'on nous cite une autre chancellerie à travers l'Europe ou en Amérique du Nord, un «think tank», un spécialiste des relations internationales qui a vu venir le coup. Et il n'est pas exact de dire que nous avons pris trop de temps avant de réagir. La France a exprimé très vite sa confiance dans la capacité des peuples arabes à réussir leur transition vers la démocratie. Très vite, nous nous sommes déclarés disponibles pour les accompagner dans leur marche vers la liberté, non pas pour leur dicter ce qu'ils ont à faire, ils sont souverains, mais pour les aider à atteindre leurs objectifs. Parce que c'est notre intérêt d'avoir, de part et d'autre de la Méditerranée, une aire de stabilité et, demain je l'espère, de prospérité partagée.
C'est ce que je suis venu dire publiquement ici en Égypte. En Égypte d'abord, parce que c'est - ce n'est pas à vous que j'ai besoin de le dire -, un pays clé pour l'avenir de tout le monde arabe. C'est un pays avec lequel la France a des liens multiples, historiques, intellectuels, culturels, économiques bien sûr. Ce pays qui donne l'exemple, je crois qu'on peut le dire sans être exagérément optimiste, de ce que peut être un processus de libération maîtrisée. Je voudrais, à ce titre, rendre hommage à la jeunesse égyptienne dont je vais rencontrer tout à l'heure un certain nombre de représentants en coordination près de la place Tahrir. Je voudrais aussi rendre hommage aussi à l'armée égyptienne qui pilote actuellement la transition.
Les Français, en France, qui ont vu vivre la place de la Libération tout au long de ces journées cruciales, en ont conçu, il faut que vous le sachiez, un respect et une admiration accrue pour le peuple égyptien.
Certes, rien n'est gagné. Nous avons bien sûr confiance, mais le pire n'est pas exclu. Et, lorsque que l'on voit ce qui se passe aujourd'hui même en Libye, on voit bien que cette transition peut être douloureuse. Vis-à-vis de la Libye, là aussi notre position a été très claire et très rapidement exprimée. La France, mais aussi l'Europe et les Nations unies, ne peuvent tolérer la folie criminelle du régime de Tripoli et nous sommes en train de nous mobiliser en ce sens. Vous avez vu qu'une résolution a été prise au Conseil de sécurité des Nations unies. Pour la première fois, les Nations unies ont mis en œuvre ce principe de la responsabilité de protéger qui avait été adopté en 2005 et qui veut dire, tout simplement, que lorsqu'un gouvernement est incapable de protéger sa propre population contre des crimes de guerre ou des violences, il appartient à la communauté internationale de s'y substituer.
Cette situation en Libye nous préoccupe évidemment quotidiennement. C'est la raison pour laquelle j'ai prévu au cours de mon séjour de rencontrer le Secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa, que je connais bien puisque nous étions ministres des Affaires étrangères ensemble dans les années 93-95, afin d'évoquer avec lui la situation dans l'ensemble de la région.
J'aurai aussi l'occasion de dire au maréchal Tantaoui notre volonté d'apporter une aide concrète à l'Égypte dans cette phase très difficile de son histoire. Nous avons d'abord été très présents sur le plan humanitaire puisque, avec d'autres pays européens et les États-Unis et d'autres pays encore, nous avons participé très activement au pont aérien qui a permis de ramener en Égypte un grand nombre de réfugiés qui se massaient à la frontière tunisienne. Nous sommes prêts à continuer.
Notre BPC Mistral, notre bâtiment de projection et de commandement, a quitté Toulon et rejoindra bientôt le port tunisien de Zarzis pour voir comment il peut participer à ce pont maritime. Il apportera aussi bien sûr une grande quantité d'équipements et de produits humanitaires.
Au-delà de l'aide humanitaire, nous sommes tout à fait décidés à développer notre aide bilatérale pour contribuer à la stabilisation économique et sociale de l'Égypte. Vous avez vu que nous avons donné aux touristes des conseils à la fois de prudence et de responsabilité mais aussi de confiance, de façon à ne pas tarir complètement ce flux qui est si important pour l'économie égyptienne. Je dirai aussi aux autorités égyptiennes que la France est prête à aider notamment au financement des moyennes et petites entreprises par le biais de l'Agence française du développement qui est déjà très présente ici mais qui est prête à augmenter son concours.
Enfin, nous agissons aussi au niveau européen. Vous savez que le président de la République souhaite que nous puissions réfléchir avec nos partenaires à une refondation de l'Union pour la Méditerranée. Nous en parlerons cette semaine à Bruxelles où un Conseil européen se tiendra sur la question de la Libye mais, plus largement, sur la situation dans le sud de la Méditerranée et à nouveau lors d'un autre Conseil à la fin du mois.
Parfois, ici ou là, on nous dit que l'idée de l'Union pour la Méditerranée est morte. Je trouve que ce à quoi nous conduisent les événements d'aujourd'hui, c'est exactement le contraire. On voit bien que c'était une idée prémonitoire, certes, qui s'est heurtée à un certain nombre d'obstacles : d'abord le blocage du processus de paix puis, aujourd'hui, les bouleversements dans les différents régimes du sud de la Méditerranée.
Mais ce n'est pas une raison pour renoncer. Il faut, au contraire, en harmonie avec nos partenaires européens, et bien sûr en concertation avec les pays du sud, imaginer la façon de relancer ce processus parce que vous voyez bien que si nous ne sommes pas capables de réduire les écarts de développement entre le Nord et le Sud de favoriser l'harmonie de cette région, la paix ne sera pas au bout du chemin.
On parle beaucoup de flux migratoires aujourd'hui. La seule façon de les maîtriser, c'est de permettre aux hommes et aux femmes du Sud de vivre chez eux, dans la liberté, dans la démocratie, avec du travail et avec des perspectives de développement. C'est cela tout l'enjeu de l'Union pour la Méditerranée.
Dans tout cela, Mesdames et Messieurs les Compatriotes installés ici au Caire en Égypte, vous avez évidemment un rôle important à jouer. Vous avez vécu, je le sais, des heures d'incertitude, peut-être parfois même d'angoisse et je voudrais vous féliciter pour le sang-froid dont vous avez fait preuve tout au long de ces semaines.
Vous êtes ici l'image de la France et cela vous crée des obligations, notamment l'obligation de donner une image d'unité et de cohésion. Nous avons, chez nous dans l'hexagone, la spécialité de nous disputer très copieusement sur des sujets en général médiocres. Il faudrait éviter de le faire à l'étranger parce que nous sommes observés par nos amis.
Je fais appel à vous aussi pour que vous manifestiez avec le peuple égyptien tout l'esprit de solidarité qui convient, je sais que c'est déjà le cas, dans le respect bien sûr de leur souveraineté. Je ne suis pas venu ici pour dire aux Égyptiens : «Voilà ce qu'il faut faire». Je suis venu pour leur dire : «Nous respectons vos choix et nous sommes prêts à vous aider pour que vous les concrétisiez».
Enfin, je fais appel à votre esprit de responsabilité pour favoriser le retour à une vie normale, notamment au Lycée français du Caire qui doit rester l'une des vitrines de l'excellence française.
Vous avez, aujourd'hui, beaucoup de chance. Je ne sais pas si vous la mesurez autant qu'on la mesure vu de Paris. Oui, vous avez la chance de vivre un moment d'histoire tout à fait exceptionnel. C'est une nouvelle fierté arabe qui est en train de se développer, une nouvelle «Nahda», une renaissance faite d'aspiration à la liberté et d'ouverture au monde. C'est une bonne nouvelle, malgré tous les risques que j'ai évoqués tout à l'heure. A votre place, soyez-en les acteurs dans un esprit de confiance et d'amitié. Je sais que je peux compter sur vous pour porter haut et fort ce message de la France.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2011