Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à France Inter le 29 mars 2011, sur l'intervention militaire en Libye sous mandat de l'ONU et sur le débat sur la laïcité.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN L'objectif de la coalition n'est pas de renverser par la force le régime KADHAFI, a déclaré hier soir Barack OBAMA, c'est aussi la position de la France ?
 
GERARD LONGUET La résolution 1973 protège les populations civiles, elle ne se propose pas en effet de renverser KADHAFI. La position de la France et de la Grande-Bretagne est différente, elle consiste à souhaiter… enfin, à demander le départ de KADHAFI.
 
PATRICK COHEN Oui, mais il y a pourtant eu des frappes militaires sur Tripoli, parfois toutes proches de la résidence de KADHAFI, elles ne visaient pas à éliminer le numéro un libyen ?
 
GERARD LONGUET Elles visaient à éliminer les centres de décision qui commandaient les chars et les canons tirant sur la population civile. La résolution des Nations Unies nous donne la possibilité de protéger les populations civiles, on le fait en frappant ceux qui sont au contact directement, et on le fait en frappant et la logistique et les centres de décision.
 
PATRICK COHEN Donc les objectifs sont à 100% militaires…
 
GERARD LONGUET Les objectifs sont à 100% militaires…
 
PATRICK COHEN Même quand ils frappent des têtes politiques…
 
GERARD LONGUET Ils sont à 100% militaires, mais je vous rappelle que dans ce pays, comme d'ailleurs souvent, les militaires obéissent à un pouvoir politique, et il peut arriver en effet que des hommes politiques, qu'est-ce qu'un homme politique libyen, soient dans un centre de décision militaire.
 
PATRICK COHEN Alors, dans ce contexte, quand pourrez-vous dire, Monsieur le ministre : mission accomplie, et stopper les frappes sur la Libye ?
 
GERARD LONGUET Je crois qu'il faut que les démocraties, qui mènent un combat juste, en alliance avec des pays arabes, très responsables, doivent surtout avoir de la patience. Nous avons un vrai combat qui est légitime, celui de mettre en oeuvre définitivement cette résolution de 2005 des Nations unies, qui permet désormais de condamner un pouvoir politique utilisant des moyens militaires contre sa population, il y a une base juridique. Encore fallait-il lui donner du contenu. Et cette occasion, cette résolution de 1973, c'est pour la première fois les Nations Unies déléguant à une coalition la responsabilité d'interdire à un pouvoir politique d'utiliser les moyens militaires contre sa population.
 
PATRICK COHEN Mais aujourd'hui, on voit bien que l'armée de KADHAFI est exsangue, viendra le jour prochain, bientôt, où tous les objectifs militaires seront détruits.
 
GERARD LONGUET Alors, elle est exangue avec deux bémols, le premier – vous avez tout à fait raison – elle ne peut pas frapper avec de la longe, c'est-à-dire que Benghazi n'est plus à sa portée…
 
PATRICK COHEN Il n'y a plus de moyens aériens…
 
GERARD LONGUET La moitié de la Cyrénaïque n'est plus à sa portée, le Fezzan n'est sans doute pas à sa portée, en revanche, la Tripolitaine et l'agglomération de Tripoli est contrôlée par un petit nombre de soldats, de gardes prétoriennes, peut-être de milices politiques, là, c'est un vrai sujet, et je dois reconnaître, et je dois reconnaître que sur ce type d'interventions, le choix de la résolution des Nations Unies ne permet pas de séparer le bon grain de l'ivraie.
 
PATRICK COHEN Donc – pour reprendre la question de Bernard GUETTA, que pourrait-il se passer si KADHAFI regroupe ses forces à Tripoli…
 
GERARD LONGUET J'ai écouté Bernard GUETTA…
 
PATRICK COHEN Et se barricade dans sa capitale ?
 
GERARD LONGUET Alors, j'ai écouté Bernard GUETTA avec beaucoup d'attention, je trouve que toutes ces questions sont légitimes, et en effet, la logique des Nations Unies, c'est la désagrégation du pouvoir ou la renonciation du pouvoir de KADHAFI à utiliser la force contre sa population, bon. Nous, nous considérons qu'il faut obtenir plus, nous, Français, nous, les Anglais, nous considérons qu'il faut obtenir plus. Mais si nous obtenions déjà le fait que les milices, que les chars, que les automitrailleuses, que les pickups, armés de 12,7 ou de 20 millimètres restent dans leur caserne et que les Libyens puissent s'exprimer librement par la manifestation, nous aurions gagné ce pari. Pour l'instant…
 
PATRICK COHEN Donc le reste appartient au peuple libyen…
 
GERARD LONGUET Le reste appartient – c'est exactement la formule – le reste appartient au peuple libyen. Nous voulons simplement que s'il s'exprime, il ne soit pas sous la menace d'automitrailleuses.
 
PATRICK COHEN Le processus politique, c'est l'objet de la conférence de Londres aujourd'hui, la France pourrait-elle approuver l'idée d'une médiation avec KADHAFI ou certains de ses proches, comme le suggère la Turquie ?
 
GERARD LONGUET La France est solidaire des pays de la coalition, nous avons lancé cette coalition, nous avons lancé cette initiative, nous avons interdit l'irréversible, qui eut été que les forces de KADHAFI s'emparent de Benghazi, aujourd'hui, nous, nous sommes pour les solutions politiques, et les solutions politiques, elles se font avec des gens qui sont sur place. Il n'y a pas en Libye de société civile traditionnelle, des partis politiques, des syndicats, des organisations, il faut donc faire avec les gens qui se présentent, et ceux qui se présentent – et ils sont nombreux – et qui s'adressent aux Américains, aux Anglais, aux Français, aux Arabes, à l'Union africaine, sont des proches de KADHAFI, tous, parce que depuis quarante ans, tous, à un moment ou à un autre, ont été des proches de KADHAFI. Ce que nous leur demandons simplement, nous, c'est la certitude que le peuple libyen puisse s'exprimer librement, le reste appartiendra au peuple libyen.
 
PATRICK COHEN Y a-t-il, comme le pensent la plupart des observateurs militaires, des forces spéciales au sol, chargées de guider les frappes aériennes…
 
GERARD LONGUET Alors, sur le plan technique, vous avez raison, les frappes aériennes sont d'autant plus pertinentes qu'elles sont guidées par des forces au sol. Aucun pays de la coalition n'a pris ce risque, parce que nous sommes dans le cadre de la résolution de 1973 qui l'interdit formellement.
 
PATRICK COHEN Elle interdit l'engagement terrestre, l'engagement de fantassins, mais pas forcément ce qu'on peut appeler des barbouzes ou de forces spéciales…
 
GERARD LONGUET Oui, mais je vais vous dire… naturellement, naturellement, mais vous pouvez avoir des civils qui rendent service, ce n'est pas le cas. En tous les cas, ce n'est pas le cas de la France, ce n'est pas le cas de l'armée dont j'ai la charge.
 
PATRICK COHEN Je reviens à la question à laquelle vous n'avez pas répondu, quand pourrez-vous dire : mission accomplie en Libye, Gérard LONGUET ?
 
GERARD LONGUET Quand les faits permettront au peuple libyen de s'exprimer sans être réprimé.
 
PATRICK COHEN Ça peut prolonger les frappes pendant…
 
GERARD LONGUET Ça peut, comme vous dites, ça peut durer…
 
PATRICK COHEN Pendant plusieurs semaines et plusieurs mois ?
 
GERARD LONGUET Vous savez, il y a une dimension, comme dans tout projet politique, les gens se posent la question vers où allons-nous, et on sait, l'entourage de KADHAFI sait désormais qu'il ne peut pas obtenir de solutions par la force, il en a la certitude. Au fond, que s'est-il passé en Tunisie, que s'est-il passé en Egypte, lorsque ces pouvoirs ont mesuré qu'ils ne pouvaient plus s'appuyer sur la force, ils en ont tiré eux-mêmes les conséquences, ils sont partis. Cette démonstration n'est pas totalement aboutie en Libye, elle est en train de se mettre sur place. Vous êtes KADHAFI, vous regardez, et vous vous rendez compte que votre vocation est de rester terré dans un bunker, vous pouvez à la limite souhaiter le faire par obstination personnelle, vous entraînez peu de gens autour de vous dans ces perspectives.
 
PATRICK COHEN Vous êtes KADHAFI, vous vous dites, là, si vous êtes doué de raison ou si vous êtes sain d'esprit, et on n'arrête pas de dire que c'est un leader fou, donc, on peut s'attendre à tout…
 
GERARD LONGUET Non, mais, oui, enfin, je ne sais pas s'il est fou, ce que je sais simplement, c'est que sa folie n'est pas nécessairement contagieuse, et que ses premiers, deuxièmes et troisièmes cercles sont quand même sensibles au fait qu'il n'y a aucun espoir avec lui.
 
PATRICK COHEN Voilà pour la Libye, Gérard LONGUET. On parle un peu de politique…
 
GERARD LONGUET Mais si vous voulez…
 
PATRICK COHEN Et de l'UMP en crise. Vous êtes en politique depuis près de quarante ans, avez-vous déjà vu un patron…
 
GERARD LONGUET 45 ans…
 
PATRICK COHEN 45 ans, si vous voulez. Avez-vous déjà vu un patron de la majorité ou du parti majoritaire fustiger, fusiller publiquement à la télévision le chef du gouvernement, comme Jean-François COPE l'a fait hier soir à l'égard de François FILLON ?
 
GERARD LONGUET Alors, je l'ai vu à de très nombreuses reprises, je me souviens que les relations du président MITTERRAND et de Michel ROCARD n'étaient pas excellentes, je crois me souvenir que POMPIDOU et CHABAN, ce n'était pas formidable non plus…
 
PATRICK COHEN Ce n'était pas un règlement de comptes public à la télévision non plus…
 
GERARD LONGUET Et je crois… ce n'est pas un règlement de comptes public. Moi, je constate simplement que le sujet est grave, la laïcité, c'est un vrai débat qui mérite un véritable approfondissement, c'est un sujet extraordinairement sensible, moi, qui ai la passion de l'histoire, je me souviens de la loi de 1905, à travers les textes, naturellement, et ça a présenté des mois et des mois de débats. Pourquoi n'arriverions-nous pas en France à avoir des débats approfondis à l'intérieur de l'UMP d'abord, ce que propose COPE, dans le respect des sensibilités, ce que demande François FILLON, et ensuite, un débat au Parlement, le lieu naturel où sont votées les lois. Alors, beaucoup de sang-froid, le sang-froid est indispensable dans un monde médiatique, et vous le connaissez mieux que quiconque, dans un monde où on aime l'émotion, où on aime l'instantané, moi, je souhaite vraiment qu'il y ait le maximum de sang-froid, de respect mutuel, aucun procès d'intention, et on doit y arriver parce que le sujet le mérite.
 
PATRICK COHEN Mais pourquoi les nerfs lâchent alors aujourd'hui, Gérard LONGUET ?
 
GERARD LONGUET Sans doute parce que la vie est dure, parce que les pressions sont intenses, mais ce n'est pas comme ça que ça marche.
 
PATRICK COHEN Bon. Donc, vous, vous êtes pour un compromis…
 
GERARD LONGUET La paix des braves. Je suis pour la paix des braves…
 
PATRICK COHEN La paix des braves, mais sur quelle ligne, c'est ça qu'on ne mesure pas bien, parce que…
 
GERARD LONGUET Non, non, laissons le fond s'exprimer…
 
PATRICK COHEN Donc il faut un débat sur la laïcité et l'islam…
 
GERARD LONGUET Je vous donne un exemple, je suis ministre de la Défense, et nous avons au sein de notre armée plus de 300.000 personnes, des aumôniers catholiques, protestants, musulmans, juifs, et ça marche bien, ce sont des gens qui se connaissent et qui se respectent. Moi, j'ai – enfin, grâce à cette expérience – des choses à dire sur le sujet, sur ce que l'on peut faire. J'aimerais que le débat soit apaisé et qu'il n'y ait aucun procès d'intention de l'un à l'autre, j'ai un profond respect pour le Premier ministre, qui est le patron dans mon gouvernement, je crois qu'un parti politique est un lieu de débats, on doit pouvoir faire l'un et l'autre sans procès d'intention et avec sérénité…
 
 PATRICK COHEN Et vous faites partie…
 
GERARD LONGUET Alors, je vais vous dire, là aussi, deuxième exemple de l'armée, c'est très bien, les formes dans l'armée, on respecte, on salue, ça n'interdit pas de ne pas être d'accord, mais on respecte les formes, et la vie des familles se trouve ainsi apaisée.
 
PATRICK COHEN Mais vous êtes dans le camp de ceux qui pensent qu'il y a nécessité d'un débat ?
 
GERARD LONGUET Je pense que, on ne doit jamais esquiver une discussion difficile, que ce soit les 35h, l'endettement de la France, le sens de cette coalition en Libye ou la laïcité, au début, est le verbe, c'est-à-dire, au début, on parle et on réfléchit, simplement, c'est long, c'est difficile, et il faut accepter de temps en temps de ne pas réfléchir sous les projecteurs, parce que – les vôtres – ces projecteurs dévoilent des projets qui ne sont pas encore mûrs. La plupart des produits que nous achetons, si nous devions les acheter au moment de leur élaboration, sans doute, les achèterions-nous jamais.
 
PATRICK COHEN Que peut faire, que doit faire Nicolas SARKOZY pour reprendre autorité sur son camp ?
 
GERARD LONGUET C'est le patron, et je pense que c'est un patron respecté, parce que c'est un homme de courage, vous savez, quand il a décidé de parler avec les gens du CNTL, le Conseil national de transition libyen, je dois reconnaître que même dans la majorité, y compris au sein du gouvernement, on s'est dit : est-ce qu'il ne va pas un peu vite et un peu loin, c'est lui qui avait raison, parce que, il y a des sujets aujourd'hui où il faut savoir aller vite et un peu loin. Nous, nous sommes restés avec Alain JUPPE, avec François FILLON, moi-même, naturellement, très solidaires de sa démarche, et c'est lui qui a eu gain de cause, et c'est lui qui a entraîné la coalition. Donc je pense que, allez, laissons faire cet esprit de responsabilité, j'ai toute confiance dans la capacité de Nicolas SARKOZY à rétablir de l'ordre, car tous ceux qui se parlent entre eux et qui s'affrontent ont été élus grâce à Nicolas SARKOZY ; ils ne devraient pas l'oublier.
 
PATRICK COHEN Tout va rentrer dans l'ordre, François FILLON…
 
GERARD LONGUET Non, ça sera difficile, mais il y a un patron, qui a entraîné l'élection d'une majorité, et je crois qu'il faut que les uns et les autres, nous en ayons quand même le souvenir immédiat. PATRICK COHEN François FILLON est bien à Matignon, Jean-François COPE à la tête de l'UMP et Nicolas SARKOZY…
 
GERARD LONGUET Avec du respect mutuel, et en se souvenant que c'est la victoire de Nicolas SARKOZY hier et la victoire de Nicolas SARKOZY demain qui permet aux uns et aux autres d'exercer les responsabilités.
 
PATRICK COHEN Demain donc, Nicolas SARKOZY candidat évident de son camp pour la présidentielle de 2012 ?
 
GERARD LONGUET Je le souhaite profondément.
 
PATRICK COHEN Merci Gérard LONGUET d'être venu au micro de FRANCE INTER. On doit vous libérer, vous êtes attendu en Conseil des ministres, puis, sur le porte-avion Charles De Gaulle.
 
GERARD LONGUET C'est exactement cela, au contact de nos aviateurs, et là, en l'occurrence des marins aviateurs, qui sont des hommes et des femmes formidables, et je pense que vraiment, la France doit être fière de son armée, c'est une banalité de le dire, mais pourquoi se priver de rappeler des banalités fortes et justes. Et si la France est écoutée dans le monde, c'est peut-être parce qu'il y a des femmes et des hommes qui consacrent leur carrière, leur vie professionnelle au service des armées de la France.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 29 mars 2011