Déclaration de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, sur les leçons à tirer par la France de l'accident nucléaire au Japon, Paris le 16 mars 2011.

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Circonstance : Audition du ministre par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) et les Commissions des Affaires économiques et du développement durable de l'Assemblée nationale et du Sénat, à Paris le 16 mars 2011

Texte intégral

Monsieur le président de l’Office Parlementaire des Choix Scientifiques et Technologiques, cher Claude BIRRAUX,
Monsieur le Président de la commission des Affaires économiques, cher Serge POIGNANT,
Monsieur le Président de la commission du Développement durable, cher Serge GROUARD,
Monsieur le Président de la commission de l’Economie, cher Jean-Paul EMORINE,
Monsieur le Président de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), cher André-Claude LACOSTE,
Monsieur le Directeur Général de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), cher Jacques REPUSSARD,
Monsieur l’administrateur général du CEA, cher Bernard BIGOT,
Mesdames et messieurs les présidents des entreprises du secteur nucléaire,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Le Japon vient de subir l’une des catastrophes naturelles les plus brutales de l’histoire de l’humanité. Le tremblement de terre du 11 mars 2011, d’une magnitude de 9 sur l’échelle de Richter, restera comme l’un des quatre plus puissants que notre planète ait subi, et le plus puissant de tous à une telle proximité des côtes. Les instituts de géophysique ont pu mesurer que l’archipel s’était déplacé de plus de 2 mètres 40 et que l’axe de rotation de la planète terre a été modifié de 10 centimètres, en une seule journée. Un tsunami de plus de 10 mètres de hauteur a achevé de dévaster les zones côtières.
Nos premières pensées doivent aller vers les dizaines de milliers de victimes de cette catastrophe naturelle, auxquelles notre Nation adresse un message d’affection et de solidarité. La tragédie que vit aujourd’hui le Japon est une tragédie pour toute l’humanité.
L’une des composantes de cette tragédie est aussi un accident nucléaire d’une extrême gravité, la centrale de Fukushima étant située à la fois au plus près de l’épicentre du séisme et en première ligne du tsunami.
Je voudrais rapidement revenir sur les causes de cet accident nucléaire, à la lumière des informations qui nous été transmises.
Le séisme ne semble pas avoir endommagé les systèmes de sûreté des centrales, qui ont été automatiquement mises à l’arrêt dès les premières secousses. Cependant, même à l’arrêt, un réacteur nucléaire continue à dégager une chaleur résiduelle, et il faut donc maintenir son refroidissement.
Or, le tsunami a rendu inopérant le système de refroidissement. Premièrement, il a obstrué les conduites permettant d’amener au réacteur la source froide de l’eau de mer. Deuxièmement, il a détruit l’alimentation électrique permettant le pompage de cette eau. Troisièmement, il a mis hors d’usage l’alimentation électrique de secours. En l’absence de refroidissement, dans chacun des réacteurs, la température et la pression se sont élevées. Pour sauvegarder l’enceinte de confinement, l’exploitant a, en conformité avec les procédures d’urgence, ouvert les vannes de dépressurisation. Malgré tout, le cœur est monté en température et s’est endommagé, produisant de l’hydrogène et émettant dans l’enceinte de confinement des matières radioactives. Les relâchements de vapeur dans l’atmosphère se sont donc accompagnés d’émissions radioactives. Et la présence d’hydrogène est à l’origine des explosions constatées.
A ces difficultés, il faut ajouter une dégradation partielle probable de l’enceinte de confinement des réacteurs N°2 et N°3, d’où des rejets radioactifs plus importants et permanents, et enfin un incendie sur le réacteur N°4, qui a affecté la piscine de stockage des combustibles usés. A leur tour, ceux-ci émettent désormais des particules radioactives, qui sont relâchées dans l’atmosphère en raison d’une dégradation du confinement de la piscine.
Les prochaines 48 heures seront cruciales pour rétablir le niveau d''eau dans cette piscine de stockage du réacteur N°4.
Les réacteurs N°5 et N°6, à l’heure actuelle sont intègres. Nous sommes cependant préoccupés par les informations les plus récentes selon lesquelles la température dans les piscines des réacteurs N°5 et N°6 augmenterait elle aussi désormais.
Vous l’avez compris, l’enjeu central est le refroidissement des réacteurs et l’alimentation en eau des piscines de stockage. Les exploitants et les autorités font tous leurs efforts pour l’obtenir.
Comme vous le savez, ces événements ont entraîné une augmentation sensible de la radioactivité sur le site. Les opérateurs japonais travaillent donc dans des conditions particulièrement difficiles, et le gouvernement a ordonné l’évacuation des populations dans un rayon de 20 km autour de la centrale. Les mesures radiologiques ont également montré une élévation de la radioactivité à Tokyo, sans impact sur la santé à ce stade.
Nous n’avons, je vous le dis, qu’une information partielle sur ce qui s’est passé, et nos experts, ici présents, travaillent à recueillir le plus d’éléments possible. De toute évidence, l’analyse des causes et de l’enchaînement de ce drame est une priorité.
Je voudrais d’ailleurs insister sur l’effort de transparence qui entoure cet accident. Dès samedi, Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même avons rassemblé tous les acteurs de la filière nucléaire et rendu publiques l’ensemble des informations en notre possession. Depuis, l’ASN, l’IRSN et le gouvernement informent sans relâchent nos concitoyens.
Je le dis solennellement : toute l’information dont nous disposons, nous la diffusons. Nous ne travestissons aucune réalité. L’audition que vous tenez aujourd’hui en est la meilleure preuve.
Nous voulons aussi assurer le gouvernement japonais du soutien de la France et de la communauté internationale. Le Japon a demandé le 14 mars l’activation de la convention internationale d’assistance en matière de sûreté nucléaire. L’Agence Internationale de l’Energie Atomique est désormais compétente pour coordonner l’assistance internationale aux efforts japonais sur les sites nucléaires. J’ai donc immédiatement demandé à l’Autorité de sûreté nucléaire de préparer la contribution technique de la France, en liaison étroite avec les différents ministères et avec les exploitants et industriels. Je voudrais saluer l’annonce faite ce matin par le PDG d’EDF, Henri PROGLIO, de mobiliser des moyens robotiques, des stocks de bore (élément chimique permettant de stopper une réaction nucléaire) ainsi que ses équipes. Une importante réunion se tient à l’ASN à 17h00. L’objectif est que la proposition d’assistance de la France soit à la hauteur de notre savoir-faire dans le domaine nucléaire.
La France doit tirer tous les enseignements de cette catastrophe.
La France a fait le choix depuis plus d’un demi-siècle de l’énergie nucléaire.
Ce choix me semble pertinent pour quatre raisons principales :
* Premièrement, il assure l’indépendance énergétique de notre pays, ce qui, dans ces temps d’instabilité internationale, ne doit pas être négligé.
* Deuxièmement, les prix des autres énergies disponibles, et en particulier du pétrole, augmentent et resteront élevés en toute hypothèse. Notre parc nucléaire permet aujourd’hui aux Français de bénéficier d’une électricité 40% moins cher qu’ailleurs en Europe. Ce parc nucléaire est l’un des éléments de compétitivité de la France.
* Troisièmement, l’énergie nucléaire est la moins émettrice de gaz à effet de serre. Et la limitation des émissions de gaz à effets de serre doit être une priorité.
* Quatrièmement, la France dispose non seulement d’un parc de 58 réacteurs et d’un exploitant qui dispose de références en matière de sûreté, mais aussi de capacités industrielles et de compétences reconnues partout dans le monde.
Mais ce choix en faveur de l’énergie nucléaire a une contrepartie indissociable : une exigence absolue en matière de sûreté nucléaire.
La Loi sur la Transparence et la sécurité nucléaire de 2006 a doté la France d’une organisation et d’outils puissants en matière de sûreté nucléaire. Cette organisation s’appuie notamment sur l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), autorité administrative indépendante et véritable gendarme du nucléaire. Elle contrôle les sites nucléaires et peut imposer des prescriptions aux exploitants pouvant aller jusqu’à la fermeture en cas de risque grave. L’ASN s’appuie également sur l’expertise pointue de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), ici présent également, qui exerce la surveillance de la radioprotection sur notre territoire.
La France a fait de la transparence un fondement de la sûreté nucléaire. Le moindre incident ou dysfonctionnement, même minime, doit être signalé automatiquement à l’ASN. L’ASN évalue et qualifie l’importance de ces incidents et les rend publics dans des délais très courts.
Le Gouvernement a également mis en place, en application de la loi de 2006, le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) présidé par Henri REVOL ici présent, un organe collégial qui permet notamment d’améliorer l’information auprès du grand public.
Notre système de sûreté et d’information est ainsi robuste et reconnu dans le monde entier pour son excellence technique, pour son intransigeance, pour son indépendance et pour sa transparence. Armé de ces outils, nous devons désormais faire toute la lumière sur l’accident japonais et surtout en tirer toutes les conséquences sur notre propre parc.
Comme l’a annoncé le Premier ministre, il sera procédé, en toute transparence, à une revue complète de sûreté de chaque réacteur au regard des événements de type séisme ou inondation et à la lumière du drame de Fukushima. Les résultats en seront rendus publics et les prescriptions de l’ASN seront systématiquement prises en compte. Nous tirerons tous les enseignements de la catastrophe de Fukushima, je m’y engage.
Cette revue portera sur les 4 points suivants :
* le risque sismique ;
* le risque d’inondation ;
* le risque de rupture des moyens de refroidissement ;
* les outils permettant de faire face aux situations extrêmes de fusion totale ou partielle du cœur d’un réacteur, comme le récupérateur de corium que nous avons prévu pour l’EPR.
Pour tirer les leçons de Fukushima, la France n’agira pas seule. Elle souhaite partager son exigence au niveau international et entraîner la communauté internationale vers plus de sûreté. C’est pourquoi la France apporte son plein soutien à la démarche d’évaluation de la sûreté des centrales engagée au niveau européen. C’est pourquoi également la France intensifiera ses efforts pour élever et harmoniser les normes de sûreté au niveau européen et international, conformément aux engagements pris lors de la conférence sur le nucléaire de Paris en mars 2010.
L’association du public à nos choix énergétiques est un facteur essentiel de notre démocratie. Le gouvernement français écoutera avec attention les propositions soumises pour améliorer notre système énergétique. Le gouvernement français prendra aussi l’initiative, dans les prochaines semaines, de réunir l’ensemble des ministres de l’énergie du G20 pour examiner ensemble les grandes questions relatives à la politique énergétique.
Source http://www.minefe.gouv.fr, le 17 mars 2011