Interview de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "Les Echos" le 21 mars 2011, sur l'initiative française demandant une intervention des banques centrales du G7 sur le marché des changes en faveur du yen.

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Texte intégral

Q - Les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales du G7 ont décidé d’intervenir sur le marché des changes en faveur du yen, vendredi. Quelles ont été les raisons qui vous ont conduits à cette première intervention depuis l’automne 2000 ?
R - Devant les événements dramatiques affectant la nation japonaise, j’ai pris la décision, la France présidant le G7 et le G20 cette année, de convoquer une conférence téléphonique dans la nuit de jeudi à vendredi. Au regard de cette catastrophe et des évolutions constatées sur le marché des changes, cette décision se justifiait. Cependant, après les discussions qui ont eu lieu un peu plus tôt dans la matinée entre les directeurs du Trésor et les adjoints des gouverneurs de banques centrales du G7, la décision de mettre en place une intervention n’était pas acquise. Les autorités japonaises avaient seulement indiqué qu’elles souhaitaient un message de soutien des pays du G7. Au départ, cette réunion téléphonique interministérielle avait l’intention de rappeler les règles de fonctionnement des marchés que le G7 martèle depuis quelques années. A savoir éviter une volatilité excessive et des mouvements désordonnés des taux de change. Or, en l’espace de quatre jours la semaine dernière, la situation s’était considérablement détériorée pour le yen. Jamais nous n’avons assisté à une telle appréciation d’une devise sur le marché en quelques jours. Au terme de nos discussions, nous avons donc pris la décision d’intervenir conjointement.
Q - Est-ce à la demande des autorités japonaises ?
R - Oui. Les autorités monétaires japonaises étaient déjà intervenues massivement sur leur marché par l’injection de liquidités. Les marchés financiers japonais, je tiens à le souligner, ont continué de fonctionner normalement malgré les énormes problèmes d’alimentation électrique dus au tsunami et au tremblement de terre. Les autorités nous ont demandé de les épauler pour calmer le jeu sur leur monnaie. Une appréciation trop rapide aurait pu déstabiliser un peu plus leur économie. Il ne fallait pas ajouter l’insulte à la calomnie et laisser un début de spéculation s’installer sur le marché. Certes, la catastrophe à laquelle la nation japonaise fait face a certainement eu pour conséquence des opérations de couverture de change des investisseurs et, sans doute, des rapatriements de capitaux de la part des compagnies d’assurances qui ont conduit à un renforcement du yen. Mais nous devions couper court à tout mouvement spéculatif qui aurait pu suivre. Au regard de l’évolution de la monnaie japonaise, vendredi, qui a effacé quatre séances de hausse, l’intervention des banques centrales est un succès incontestable.
Q - Faut-il s’attendre à d’autres opérations de ce type si le yen reprend sa course ascendante ?
R - L’efficacité d’une intervention des banques centrales dépend, en partie, de l’effet de surprise. Il n’y a donc pas de calendrier établi pour une autre opération d’intervention. Nous aviserons en temps voulu.
Q - Jusqu’ici le message du G20 était que les pays disposant d’importants excédents commerciaux devaient laisser leur monnaie s’apprécier. Or l’intervention de vendredi avait un objectif inverse. Ne craignez-vous pas d’envoyer un message de confusion à la communauté des investisseurs internationaux ?
R - Les interventions de vendredi ont pour objectif de stopper tout effet d’emballement et d’enrayer toute velléité de spéculation. Le message n’est pas d’indiquer aux marchés que la monnaie japonaise doit, à partir d’aujourd’hui, inverser une tendance haussière et se déprécier. En attendant, je constate que nous avons réactivé un G7 qui s’était quelque peu décrédibilisé ces derniers temps. Une réactivation entièrement justifiée vu les circonstances actuelles.
Q - Que peut-on attendre du G20 ou du G7 pour aider le Japon à surmonter ses difficultés ?
R - Le Fonds monétaire international est prêt à fournir tous les besoins de financement qui seraient nécessaires au Japon dont la puissance financière est considérable. Certes, l’endettement public est élevé par rapport au produit intérieur brut. Mais la dette nette globale est raisonnable. Cela dit, il est vrai que le coût de la catastrophe actuelle va dépasser celui induit par le tremblement de terre de Kobe en 1995. Les autorités japonaises vont sans aucun doute adopter une loi de Finances rectificative pour dégager un budget de reconstruction. Les pays du G7 seront prêts à aider le Japon si nécessaire.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2011