Interview de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à "France Inter" le 14 mars 2011, sur l'hypothèse d'une catastrophe nucléaire de grande ampleur au Japon et sur les réflexions sur l'avenir du nucléaire.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN Le gouvernement français est-il tenu informé de la menace nucléaire par les autorités japonaises ?

ERIC BESSON Oui, oui, c’est le cas. Nous n’avons pas toujours toutes les informations, à la décharge des Japonais, il faut dire qu’ils gèrent dans des conditions très, très difficiles, une crise majeure et même des crises majeures, puisque qu’ils ont eu aussi, des raffineries en feu, ils ont eu les conséquences du séisme, du tsunami, etc. mais oui, ils tiennent informés, à tout le moins, l’Agence Internationale la IEA, et donc nous avons des informations.

PATRICK COHEN Et donc vous avez des informations en temps réel. Donc vous savez, ce matin, si oui ou non, la situation est sous contrôle ? Si l’exploitant japonais des centrales dispose ou non, des moyens de refroidir les réacteurs endommagés ?

ERIC BESSON La situation est préoccupante, et d’ailleurs les Japonais ne le contestent pas eux-mêmes, ils disent très clairement, voilà ! Nous avons procédé à des dégazages et d’ailleurs il y a eu finalement des dégazages relativement importants. Donc avec des risques de contamination malheureusement pour les personnes à proximité des sites. Et nous avons procédé disent-ils à ces dégazages pour faire chuter la pression, et pour protéger ce qui est le coeur du coeur de l’affaire, c'est-à-dire l’enceinte de béton qui recouvre le réacteur. Et tant qu’elle tient cette enceinte de béton, on est dans un accident nucléaire, grave puisqu’il y a eu des fuites radioactives, mais on n’est pas dans une catastrophe. La catastrophe, ça serait, la fusion du réacteur et surtout la rupture de cette enveloppe qui enserre le réacteur.

PATRICK COHEN Mais à l’heure où nous parlons, on ne peut pas écarter l’hypothèse d’une catastrophe de grande ampleur ?

ERIC BESSON On ne peut pas l’écarter. Absolument ! On ne peut pas l’écarter. Il y a deux scenarii si vous voulez, un scénario où les autorités japonaises gardent le contrôle du refroidissement de ses réacteurs, le 1, le 3 et peut-être dans les heures qui viennent le 2. Visiblement…

PATRICK COHEN Le 2, puisque le système est en panne, nous a-t-on annoncé, il y a un peu plus d’une demi-heure.

ERIC BESSON Visiblement, l’explosion sur le réacteur numéro 3, a été d’une puissance beaucoup plus importante que celle qui avait eu lieu, avant-hier ou hier sur le réacteur numéro 1. Donc la situation est effectivement, critique, préoccupante, on verra comment elle évolue dans les prochaines heures.

PATRICK COHEN Accident grave en tout cas, dans un pays où les centrales nucléaires étaient considérées comme très sûres. Vous êtes, Eric BESSON un ardent défenseur du nucléaire, est-ce que cette catastrophe ne remet pas en cause aujourd’hui, quelques-unes de vos certitudes ?

ERIC BESSON Je suis, « ardant » je vous laisse juge. En tout cas, je crois que le nucléaire civil apporte à notre pays, il apporte en terme d’indépendance relative, pour aller vite, le nucléaire, c’est 20 % de notre consommation finale d’énergie. 80 % de notre électricité, mais 20 % de notre consommation finale d’énergie. Donc une part d’autonomie, d’indépendance. Deuxièmement, c’est ce qui nous permet pour les consommateurs comme pour les industriels, d’avoir une électricité 40 % moins chère que dans la moyenne des autres pays européens. Donc c’est un atout.

PATRICK COHEN A quel risque, c’est la question posée ?

ERIC BESSON Un risque, qui est, pour l’heure, bien maîtrisé. Ce qu’a vécu le Japon, il faut quand même dire, que c’est l’apocalypse en terme de scénario. C'est-à-dire à la fois le séisme le plus brutal que l’on puisse imaginer, force 8,9 ou force 9 à 30 kilomètres des côtes. Et un tsunami d’une centaine de kilomètres de large, une vague de 10 mètres de haut. C'est-à-dire le scénario apocalyptique. Malgré ça, la centrale a résisté au tremblement de terre, et visiblement, c’est le tsunami qui a engendré par des débris la rupture des éléments de refroidissement.

PATRICK COHEN Donc en France, pas de débat, nous ne sommes pas concernés ? Il n’y a rien à voir ?

ERIC BESSON Le débat, il est permanent et il est toujours légitime, ce qu’il faut éviter, ce sont les amalgames. D’abord de dire, il faudrait que la France réfléchisse et prenne des mesures anti-sismiques ou anti-inondation. Vous vous doutez bien qu’on n’a pas attendu en France, l’accident très grave, peut-être la catastrophe si elle se produit dans les heures ou dans les jours qui viennent du Japon, pour prendre ces mesures en France. Les centrales nucléaires qui en France, sont sur des zones sismiques à risques modérés ont toutes fait l’objet de mesures de prévention très importantes. C'est-à-dire prenant la plus haute hypothèse sismique que la France n’aie jamais connu…

PATRICK COHEN Même les plus anciennes, comme Fessenheim, 30 ans d’âge, construite sur une faille sismique ?

ERIC BESSON Même les plus anciennes, et peut-être surtout Fessenheim, justement, et ont fait l’objet d’une précaution, c'est-à-dire que vous prenez l’hypothèse la plus haute et vous ajoutez une précaution supplémentaire et ça a été la même chose pour les risques d’inondations par fleuve, type Rhône, auprès duquel je vis, puisque je suis maire d’une commune proche de la centrale…

PATRICK COHEN De la centrale du Tricastin.

ERIC BESSON Du Tricastin et la centrale de Cruas au nord de Montélimar. Vous prenez l’hypothèse la plus haute, là aussi, en terme d’inondation, fleuve ou maritime, et l’Autorité de Sûreté Nucléaire qui est en France particulièrement exigeante a incité, a demandé, a exigé même de l’opérateur, EDF, prennent des précautions supplémentaires en matière de lutte contre les inondations et de prévention. Donc vous voyez, on prend toutes les précautions nécessaires.

PATRICK COHEN Peut-être avez-vous entendu, après d’autres, l’appel de Nicolas HULOT, sur FRANCE INTER, c’était tout à l’heure, dans le journal de 8 heures, on ne peut pas remettre le sort de l’humanité dans une vulgaire et tragique roulette russe, dit Nicolas HULOT, qui réclame un débat et au-delà, un référendum que lui répondez-vous ?

ERIC BESSON D’abord, je pense que c’est grave de parler de « roulette russe » on ne joue pas, et certainement pas avec la vie de nos concitoyens, tous dans nos Etats.

PATRICK COHEN Mais il dit : on joue avec un système de probabilité, Eric BESSON sur l’éventualité de catastrophe…

ERIC BESSON Non, on ne joue pas, on joue, absolument pas. Ce qui est vrai, c’est que le risque zéro en matière d’activité humaine et singulièrement en matière industrielle n’existe pas. Donc le risque zéro n’existe pas. En revanche, vous pouvez prendre toutes les précautions requises, et convenons qu’à ce jour, en France, ça a été plutôt bien fait. Quant à l’idée d’un référendum, puisque j’entends que depuis 24 ou 36 heures, dans la bouche d’un certain nombre d’écologistes, de Verts, c’est la thèse en vigueur. Je trouve qu’on devrait d’abord attendre la fin de la crise japonaise et ne serait-ce que par solidarité avec les Japonais attendre avant de nous empoigner en France, la fin du scénario en cours au Japons. Mais pour le reste, il y aura une élection présidentielle l’année prochaine, ceux qui sont partisans de la sortie du nucléaire ce qui n’est pas une position très nouvelle, convenez-en, auront largement l’occasion de défendre leur thèse l’année prochaine.

PATRICK COHEN On reviendra évidemment sur cette situation au Japon et sur ce débat en France, dans « Inter-Activ » à 9 heures moins 20, avec les appels des auditeurs d’INTER. Dans l’actualité qui vous concerne, directement, Eric BESSON, il y a aussi l’affaire RENAULT, avec des accusateurs devenus accusés. Que dit l’Etat actionnaire de la gestion de ce dossier par la première entreprise française ?

ERIC BESSON L’Etat actionnaire, en tout cas, moi, je ne dis strictement rien, parce que l’enquête judiciaire est en cours, je me réjouis d’ailleurs qu’elle avance. Puisque le scénario, puisque le directeur général de RENAULT avait ouvert récemment dans une interview dans LE FIGARO deux hypothèses. Il maintenait l’hypothèse de l’espionnage et il disait : mais il y a aussi la thèse de la manipulation sur laquelle nous avons un certain nombre de doutes.

PATRICK COHEN Le gouvernement français sera donc le dernier à parler ? On attend une communication du Parquet dans les heures qui viennent sur le numéro 2 de la sécurité du groupe est en prison, il a été mis en examen ?

ERIC BESSON Le Parquet est dans son rôle, puisqu’une enquête judiciaire est en cours. C’est normal que le Parquet communique, en revanche, le Gouvernement, tant que l’enquête judiciaire est en cours, n’a pas à commenter une instruction en cours.

PATRICK COHEN Ce que je vous demande de commenter, c’est plutôt le management de RENAULT et la façon dont RENAULT a géré cette histoire ?

ERIC BESSON Peut-être qu’il faut, là aussi, attendre, si je puis dire la fin de l’histoire, connaître tout le dénouement avant, éventuellement, d’en débattre et d’en tirer toutes les conclusions qui s’imposent.

PATRICK COHEN La réputation écornée de RENAULT, ça ne vous émeut pas, Eric BESSON ?

ERIC BESSON Bien sûr que ça m’émeut, en tant que ministre de l’Industrie, je note que comme vous, que RENAULT est l’un des fleurons industriels, que nous avons avec RENAULT et PEUGEOT deux industriels, majeurs pour notre compétitivité, pour nos emplois, pour notre innovation. Et au-delà de cette affaire qui méritera tous les éclaircissements et toutes les conséquences voulues en temps utile, je voudrais en même temps, ne pas contribuer moi-même à déstabiliser une grande entreprise, dont nous avons besoin, et des emplois dont nous avons besoin.

PATRICK COHEN C’est déjà fait, j’ai peur que le mal soit déjà là, Eric BESSON ?

ERIC BESSON Il n’est pas incurable pour autant.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 17 mars 2011