Interview de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à "RTL" le 15 mars 2011, sur la catastrophe nucléaire au Japon et la demande d'un grenelle du nucléaire de responsables d'associations d'environnement, sur l'affaire d'espionnage chez Renault.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE Peut-on parler ce matin de catastrophe nucléaire au Japon ?

ERIC BESSON On est sur le chemin, la situation s’est considérablement dégradée cette nuit, elle s’est aggravée, c’est une certitude. Si je comprends bien ce qui s’est passé hier, l’explosion très forte du réacteur numéro 3 a non seulement provoqué des dégâts matériels, mais elle a aussi touché les forces, les pompiers qui interviennent sur le site, humainement et matériellement, et considérablement amoindri les capacités de réaction de nos amis japonais.

JEAN-MICHEL APHATIE Et c’est la preuve que l’on n’arrive pas à maîtriser quand un accident se produit dans une centrale nucléaire, l’énergie nucléaire et ses conséquences.

ERIC BESSON C’est en tout cas la preuve que lorsqu’on construit une centrale sur une zone extrêmement sismique et que le pire scénario arrive, c’est-à-dire un séisme de magnitude 9 plus un tsunami qui, si on comprend bien ce que nous expliquent maintenant les Japonais, qui avaient prévu une barrière anti-tsunami de dix mètres à proximité de cette centrale, et il semble que la vague qui a touché la centrale était de 14, certains disent même 17 mètres, ça veut dire que malgré les précautions immenses qu’ils croyaient avoir prises, le pire peut effectivement arriver.

JEAN-MICHEL APHATIE Angela MERKEL, chancelière allemande, citée dans LE FIGARO ce matin : « ce qui se passe au Japon change la situation en Allemagne, aussi, nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était » ; en France, on fait comme si de rien n’était, Eric BESSON ?

ERIC BESSON On ne peut pas dire ça, parce que dès la conception de nos centrales, en exploitation et lorsqu’il y a des procédures de révision, systématiquement, tous les risques sont intégrés, et notamment…

JEAN-MICHEL APHATIE On est plus fort que les autres…

ERIC BESSON Non, je ne dis pas cela, mais on a une exigence de sûreté qui est extrême, l’Autorité de sûreté nucléaire est en France considérée par nos homologues étrangers, par les ministres étrangers, que je rencontre, comme l’Autorité la plus exigeante, donc personne ne dit, et moi, je ne suis pas capable de dire : le risque zéro n’existe pas, le risque n’existe pas. En France, de toute façon, il n’y a pas de risque zéro en matière industrielle et singulièrement pas en matière nucléaire. Nous, tout ce que nous pouvons dire, c’est que nous prenons toutes les précautions possibles pour que ce type de risque n’existe pas, j’ajoute – mais ça, c’est géographique et géologique à la fois – que l’extrême concentration d’un risque de séisme magnitude 9 et d’un tsunami équivalent à celui du Japon ne peut toucher la France dans ces conditions, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la volonté humaine.

JEAN-MICHEL APHATIE Les associations d’environnement, les responsables d’associations d’environnement qui ont rencontré le président de la République hier souhaitent que soit organisé un Grenelle du nucléaire ; faut-il le faire, Eric BESSON, et y êtes-vous prêt ?

ERIC BESSON Je ne sais pas ce que veut dire exactement un Grenelle du nucléaire…

JEAN-MICHEL APHATIE Se poser les questions qui peut-être se posent…

ERIC BESSON Mais les questions ont été posées, j’ai moi-même participé il y a quelques années à l’Assemblée nationale, à un grand débat sur l’avenir du nucléaire, lorsque j’étais député, et c’est quelque chose qui revient régulièrement. Maintenant, ne fermons pas la porte, bien évidemment, l’onde de choc de ce qui est en train de se passer au Japon va toucher l’Europe et la France, et il y aura, quelles qu’en soient les formes, un débat autour de notre production énergétique et notre production nucléaire. Maintenant, il faut aller jusqu’au bout, il faut que ceux qui prônent la sortie du nucléaire disent exactement comment ils entrevoient cela, et surtout, quelles seraient les conséquences économiques, financières, sociales pour les Français ; je rappelle quand même que 80% de notre électricité est d’origine nucléaire, que ça contribue à l’indépendance énergétique de la France, en tout cas, une indépendance partielle énergétique de la France, et que ça nous permet d’avoir une électricité 40% moins chère que dans le reste de l’Union européenne, même si les Français qui nous écoutent ont déjà l’impression qu’elle est d’un prix élevé.

JEAN-MICHEL APHATIE Mais si tout cela est vrai, l’angoisse est quand même importante, et on a l’impression quand même parfois d’être confronté à une forme d’arrogance de la part des industriels du nucléaire…

ERIC BESSON Je ne crois pas…

JEAN-MICHEL APHATIE Et de ceux qui défendent le nucléaire…

ERIC BESSON Je ne crois pas, l’histoire du lobby nucléaire est un mythe absolu, en tout cas, s’il existe, moi, je ne l’ai pas rencontré…

JEAN-MICHEL APHATIE Vraiment ? C’est vrai ?

ERIC BESSON Il faut me dire où il loge, je rencontre des industriels et des autorités qui parlent, qui vous disent en privé exactement, heure par heure, depuis 48h, quelle est la potentialité du risque, ce qu’ils savent, ce qu’ils ne savent pas, en ce moment même, la structure du réacteur numéro 2, la structure de confinement est visiblement entamée, et donc il y a des radionucléides qui s’échappent, et donc un seuil de radioactivité qui devient maintenant extrêmement inquiétant, eh bien, quand vous discutez, ce qui était mon cas, au téléphone, il y a quelques minutes, avant d’entrer dans ce studio, avec les spécialistes, ils n’ont rien d’arrogant, ils ne vous disent pas : la catastrophe est désormais inéluctable, ils disent que c’est un chemin de crête dangereux sur lequel nous sommes, et ils vous décrivent les différents scénarii, personnellement, je ne rencontre pas d’arrogance chez eux.

JEAN-MICHEL APHATIE Vous avez dit, vous, samedi, Eric BESSON, c’est un accident grave, ce n’est pas une catastrophe nucléaire, vous regrettez d’avoir dit ça ?

ERIC BESSON Non, je ne regrette pas, parce que, il y avait des précisions qui restent valables, samedi, à 17h, nous étions dans un accident grave et pas une catastrophe nucléaire, et j’ai dit en même temps ce que serait la catastrophe nucléaire, la perte…

JEAN-MICHEL APHATIE Et vous dites que nous sommes sur le chemin de la catastrophe, nous n’y sommes pas déjà dans la catastrophe nucléaire au Japon ?

ERIC BESSON Je ne sais pas, c’est minute par minute, on verra dans quelques heures, mais j’avais dit : la catastrophe, ce serait la perte de la structure de confinement du réacteur, il semble que nous sommes en train d’aller vers ça, avec émissions dans l’atmosphère de quantités de matériels de fission radioactifs ; nous sommes peut-être maintenant sur ce chemin, samedi, à 17h, nous n’y étions pas. Et puis, pour ce qui concerne Tchernobyl, nous n’avons pas le temps visiblement…

JEAN-MICHEL APHATIE Je n’y ai pas fait référence…

ERIC BESSON Je vous indique…

JEAN-MICHEL APHATIE Volontairement, je n’y ai pas fait référence…

ERIC BESSON Oui, mais je vous indique quand même que ce n’est pas…

JEAN-MICHEL APHATIE Nous le savons…

ERIC BESSON Ça peut être une catastrophe nucléaire, mais ce n’est pas le scénario de Tchernobyl.

JEAN-MICHEL APHATIE Carlos GHOSN, PDG de RENAULT, s’est lourdement trompé, l’affaire d’espionnage chez RENAULT se transforme en escroquerie interne. Carlos GHOSN a-t-il encore la crédibilité suffisante pour diriger la grande entreprise qu’il dirige ?

ERIC BESSON Avant de parler de Carlos GHOSN, ayons ensemble une pens??e pour les salariés et leurs familles, les excuses de RENAULT étaient indispensables, parce qu’ils ont été touchés dans leur honneur dans cette Département Veille et Ressources d’informations – 01.42.75.54.58 16 affaire, et c’est bien que le président de RENAULT ait présenté tout de suite ses excuses publiques. Pour le reste, vous avez vu qu’il y a un audit qui a été… d’abord, il y a l’enquête judiciaire qui se poursuit, qui sont les vrais coupables et responsables, ni vous ni moi ne le savons à cette heure-ci, deuxièmement, il y a un audit interne par une personnalité externe qui a été demandé, diligenté, et qui va permettre de connaître les responsabilités exactes dans l’entreprise. Ce qu’a dit Carlos GHOSN hier, c’était très important, c’est une étape indispensable, et il a bien fait en plus de renoncer à une partie importante de sa rémunération, mais ça n’est pas la fin de cette histoire interne.

JEAN-MICHEL APHATIE Le degré d’incompétence dans cette affaire est incroyable, disait la DCRI, citée hier dans LES ECHOS, l’Etat est actionnaire à 15% de RENAULT, incompétence…

ERIC BESSON On peut être surpris, c’est le moins que l’on puisse dire, en même temps, vous me permettrez en tant que ministre de l’Industrie, au regard des enjeux – innovations, emplois – ce que représente RENAULT avec PEUGEOT dans l’industrie française, de ne pas chercher, moi, à déstabiliser en plus RENAULT.

JEAN-MICHEL APHATIE Mais qui c’est qui a déstabilisé RENAULT ?

ERIC BESSON C’est pour ça que je vous ai dit « en plus ».

JEAN-MICHEL APHATIE En plus. Eric BESSON, pour une interview difficile, complexe. On est sur le chemin de la catastrophe nucléaire, a-t-il dit, au Japon.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 21 mars 2011