Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'avenir des relations entre l'Europe et les pays du sud de la Méditerranée, Paris le 31 mars 2011.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur l'Europe et la Méditerranée : intervention d'Alain Juppé, à Paris le 31 mars 2011

Texte intégral

Je tiens, tout d'abord, à vous remercier, Messieurs les Présidents de commission, d'avoir pris l'initiative de ce débat sur l'Europe et la Méditerranée. Au-delà de la crise libyenne, nous devons, en effet, réfléchir à l'avenir des relations euro-méditerranéennes dans leur ensemble. C'est pour la France, pour l'Europe, pour les pays du sud de la Méditerranée, un enjeu majeur.

Depuis 1995, l'Union européenne a fait de ses relations avec la Méditerranée une priorité, en engageant, dans le cadre du Processus de Barcelone, une politique d'association et d'ouverture commerciale en direction de ses voisins du Sud. Cette politique, pour diverses raisons que je n'analyserai pas ici, n'a pas donné les résultats souhaités. C'est la raison pour laquelle, en 2008, le président de la République a lancé le projet d'Union pour la Méditerranée, avec pour objectif de créer un partenariat équilibré, d'égal à égal, entre les rives Nord et Sud, reposant sur des projets concrets. Malheureusement, l'Union pour la Méditerranée s'est heurtée - et j'y reviendrai - au blocage du processus de paix au Proche-Orient.

Aujourd'hui, les bouleversements en cours sur la rive Sud montrent à quel point cette initiative était prémonitoire. Ils montrent à quel point nous partageons une communauté de destin avec nos voisins méditerranéens. Si la démarche de partenariat qui sous-tend l'Union pour la Méditerranée prend tout son sens, c'est bien aujourd'hui, au moment où nous allons avoir pour interlocuteurs de nouveaux gouvernements responsables et incarnant une volonté de changement démocratique.

En Tunisie, avec la «révolution du jasmin», en Égypte, avec la journée du 25 janvier, la jeunesse arabe - dont le président Poniatowski a souligné le rôle décisif - a, en effet, exprimé son aspiration à la démocratie et à l'État de droit. À travers son courage, sa maturité et son esprit de responsabilité, elle a donné l'exemple. De proche en proche, c'est un grand vent de liberté qui se propage dans l'ensemble de la région. Chacun à son rythme, les peuples sont en train d'écrire une nouvelle page de leur histoire. Chacun avec ses spécificités, ils sont en train de créer leur propre modèle.

Cette nouvelle donne qui se dessine au sud de la Méditerranée, l'Europe doit l'accompagner. Elle doit d'abord l'accompagner, sans paternalisme ni idée préconçue, pour que la transition démocratique puisse être menée à bien. C'est dans cet esprit que l'Union européenne a proposé son appui au processus électoral, pour l'organisation des élections ou l'envoi de missions d'observation, aux pays qui le souhaitent. C'est également dans cet esprit que le Conseil européen a salué le discours du roi du Maroc annonçant des réformes institutionnelles ouvrant la voie à une monarchie constitutionnelle et confirmé le soutien de l'Union européenne à la transition démocratique en Égypte.

C'est aussi la raison pour laquelle le Conseil européen a réaffirmé son soutien à la Tunisie, y compris au moyen d'un statut avancé Union européenne-Tunisie, en vue de l'élection d'une assemblée constituante le 24 juillet. La Tunisie a donné le signal de la «nouvelle renaissance arabe». Elle doit être demain un État démocratique, laïc et moderne, point d'ancrage majeur de la démocratie sur la rive sud de la Méditerranée. J'ai été très intéressé, Monsieur Poniatowski, par l'évocation de votre récent voyage en Tunisie. J'envisage, moi-même, de m'y rendre, dans un délai aussi rapproché que possible.

C'est enfin la raison pour laquelle l'Union européenne entend jouer tout son rôle pour trouver une issue à la crise en Libye : d'abord, en continuant à accentuer la pression par des sanctions pour obtenir le départ de Kadhafi ; ensuite, en marquant sa disponibilité à soutenir le peuple libyen dans la transition qu'il lui appartient de conduire vers la démocratie, dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Libye ; enfin, en appuyant des opérations humanitaires et de protection civile, y compris par des moyens maritimes.
Je ne reviens pas sur l'affaire libyenne, que j'ai eu l'occasion d'évoquer tout à l'heure, en réponse à une question d'actualité, notamment après le sommet de Londres. Mais je vais quand même vous donner, Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères, quelques éléments de réponse à la question que vous vous posiez sur les sanctions de l'Union européenne vis-à-vis de ceux qui ont détourné des fonds au détriment des peuples du Sud.
En ce qui concerne la Tunisie, l'Union européenne a procédé au gel des fonds de Ben Ali et de sa femme le 31 janvier 2011, et quarante-six individus supplémentaires ont été visés par l'Union européenne le 4 février.

En ce qui concerne l'Égypte, l'Union européenne a gelé, le 21 mars, les fonds de Hosni Moubarak, de sa femme et de dix-sept de ses proches.

En ce qui concerne la Libye, l'Union européenne a transposé, les 2 et 24 mars, les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité établissant un embargo et des mesures de gel de fonds contre les individus.

Au-delà de la transition démocratique qu'il lui faut soutenir, l'Europe doit favoriser l'émergence d'une zone de stabilité et de prospérité dans son voisinage méridional immédiat. C'est tout le sens du nouveau «partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée au sud de la Méditerranée», présenté par Catherine Ashton et la Commission, que nous souhaitons mettre en place dans le cadre de l'Union européenne.

Ce partenariat, les Conseils européens des 4 février, 11 mars et 25 mars en ont posé les premiers jalons. Il se veut à la fois global et différencié pour chaque pays de la rive Sud. Il sera fondé sur une intégration économique plus poussée et une coopération politique plus étroite. Il suppose une refondation de la politique européenne de voisinage méditerranéen, selon deux grands axes.

Le premier axe, c'est la priorité financière que l'Union européenne doit accorder au voisinage méditerranéen. C'est vrai d'abord dans le cadre de l'enveloppe de la politique européenne de voisinage. Cette politique, nous voulons lui préserver un cadre unique, avec le «Partenariat oriental» pour le voisinage Est et le volet méditerranéen pour le voisinage Sud. Dans ce contexte, nous souhaitons que les deux tiers au moins de son enveloppe continuent à être consacrés à la Méditerranée, notamment dans les perspectives financières pour 2014-2020. C'est un combat qu'il va falloir mener parce que l'unanimité n'est pas évidente sur ce point à Bruxelles.

Catherine Ashton et la Commission souhaitaient une approche de conditionnalité, pour donner davantage aux pays qui se réforment et organisent des élections libres, et pénaliser ceux qui ne respectent pas leurs engagements de gouvernance ou de respect des droits de l'homme.

C'est une bonne idée mais j'ai plaidé, pour ma part, pour une conditionnalité intelligente, c'est-à-dire qui tienne compte des orientations et pas encore des résultats obtenus, qui ne viendront évidemment qu'avec le temps. C'est ainsi que nous avons obtenu que le Conseil européen retienne une logique plus incitative, fondée sur les résultats, mais qui n'ignore pas l'ampleur des besoins auxquels l'Union européenne doit répondre, notamment en Tunisie et en Égypte.
Cette priorité financière à accorder au voisinage méditerranéen concerne également les investissements. Au Conseil européen du 25 mars, nous avons obtenu un accord pour relever d'un milliard d'euros les capacités d'intervention de la Banque européenne d'investissement en Méditerranée - BEI - et pour étudier l'extension des activités de la Banque européenne de reconstruction et de développement - BERD - au sud de la Méditerranée. Nous estimons qu'il faut également continuer à avancer sur l'idée d'un instrument d'investissement spécifique à la Méditerranée - une banque d'investissement pour la Méditerranée -, par exemple à partir de la facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat, ce qu'on appelle la FEMIP.
Le second axe de la refondation de la politique européenne de voisinage, c'est la promotion d'une approche globale des migrations. Cette approche passe d'abord par une action déterminée des pays de la rive Sud dans le contrôle de leurs frontières et la lutte contre l'immigration clandestine, action que l'Union européenne doit encourager politiquement et soutenir concrètement.

L'Union devra aussi favoriser les contacts entre sociétés civiles, par des partenariats ciblés pour la mobilité, avec ceux des partenaires qui seront suffisamment avancés dans leur processus de réforme et qui coopéreront dans la lutte contre l'immigration illégale. Dans ce cadre, nous sommes prêts à utiliser les dispositions les plus favorables du code communautaire des visas pour favoriser les migrations circulaires de certaines catégories de demandeurs, notamment les hommes d'affaires, les chercheurs ou les étudiants. Parallèlement, le Conseil européen a demandé d'aboutir, avant juin, à une extension des missions et des moyens de l'agence FRONTEX. C'est une mesure que nous souhaitons vivement, notamment pour faciliter le retour des migrants et étendre la coopération avec Europol dans la lutte contre les filières d'immigration clandestine, dont on connaît la nocivité.
Cette nouvelle politique européenne de voisinage méditerranéen, l'Union pour la Méditerranée doit plus que jamais en être la matrice. C'est la raison pour laquelle, au-delà de l'aide de l'Union européenne à chaque pays de la rive Sud, nous souhaitons que les trois quarts au moins de l'enveloppe des programmes de coopération régionale de l'Instrument européen de voisinage et de partenariat - IEVP - soient consacrés aux financements de projets de l'Union pour la Méditerranée. Vous connaissez ces projets, qui sont très concrets : ils vont du plan solaire méditerranéen aux réseaux d'aide aux PME, très importants dans le développement économique des pays du Sud, en passant par la protection civile, les projets d'Erasmus méditerranéen ou d'office méditerranéen de la jeunesse, le projet de chaîne euro-méditerranéenne ou encore ce que l'on appelle les autoroutes de la mer.

Ces projets concrets sont la raison d'être de l'Union pour la Méditerranée et sa plus value, si je puis m'exprimer ainsi. C'est grâce à eux que nous pourrons relancer cette initiative, créer des solidarités de fait avec les pays de la rive Sud et renforcer le rôle de l'Union européenne dans cette région du monde. La chancelière Angela Merkel s'est, elle-même, exprimée très clairement en ce sens.

Cette relance de l'Union pour la Méditerranée par des projets concrets passe aussi par la désignation rapide d'un nouveau secrétaire général. Depuis octobre dernier, en effet, le secrétariat de l'Union pour la Méditerranée, chargé d'identifier, de sélectionner, de labelliser et de financer les projets, est pleinement opérationnel à Barcelone. Il s'appuie sur des secrétaires généraux adjoints, qui sont déjà en place, parmi lesquels on compte un Palestinien, chargé des questions liées à l'eau, et un Israélien, chargé de la recherche. Son fonctionnement est assuré par l'Union européenne, avec une contribution de plus de 3 millions d'euros, auxquels s'ajoutent des contributions nationales, dont 500 000 euros pour la France, 500 000 euros pour l'Espagne et 400 000 euros pour l'Allemagne.

Conformément au consensus agréé entre les quarante-trois pays participants, le nouveau secrétaire général sera originaire de la rive Sud. Le délai de dépôt des candidatures court jusqu'à la fin du mois d'avril. Nous invitons nos partenaires du Sud à présenter dès que possible des candidats susceptibles d'incarner le renouveau de l'Union pour la Méditerranée dans toutes ses dimensions. Certains pays l'ont déjà fait et nous avons déjà des candidats de qualité.

Par ailleurs, nous devons faire progresser la réflexion sur la refondation du fonctionnement institutionnel de l'Union pour la Méditerranée, en répondant à deux exigences.

La première exigence est d'assurer l'implication de l'Union européenne, elle-même, et de tous ses États membres dans le processus. Dans le nouveau contexte issu du traité de Lisbonne, il conviendrait donc que le président du Conseil européen, la Haute représentante de l'Union européenne, le nouveau Service européen d'action extérieure et la Commission puissent coprésider, chacun à leur niveau, les réunions de l'Union pour la Méditerranée relevant de leurs compétences.

La seconde exigence est de renforcer l'appropriation du processus par les pays du Sud.

L'Égypte a annoncé son intention de passer la main de la coprésidence Sud. Nous devons donc veiller à la réussite de cette transition.

Comme l'a rappelé le président Lequiller, aucun projet euro-méditerranéen ne pourra réussir durablement sans des progrès décisifs du processus de paix israélo-palestinien. Les aspirations du peuple palestinien ne sont pas moins légitimes que celles des autres peuples de la rive Sud. Israël, pour sa part, a le droit de vivre en sécurité et en paix. Vous savez que, pour la France, c'est une exigence absolue.

L'Union européenne doit jouer tout son rôle, y compris au plan politique, pour pousser à la relance d'un processus de paix aujourd'hui inexistant. Je l'ai dit récemment au ministre des affaires étrangères d'Israël, qui était de passage à Paris. Le statu quo n'est pas tenable.

Nous devons d'abord préparer l'échéance, fixée par le Premier ministre palestinien et par le Quartet, de la reconnaissance en septembre prochain d'un État palestinien démocratique, viable, continu, vivant en paix et en sécurité aux côtés de l'État d'Israël. Cela suppose d'apporter notre appui financier à la construction de cet État ; ce sera l'objet de la deuxième conférence des donateurs, qui devrait avoir lieu à Paris en juin prochain. Pour être un succès, elle devra s'inscrire dans une dynamique politique, en lien, notamment, avec cette échéance de 2011. Je rappelle que la première Conférence de Paris, que nous avions organisée en décembre 2007, avait permis de lever plus de 7,7 milliards de dollars.

Cela suppose également que l'Union européenne confirme qu'elle est disponible pour contribuer aux garanties de sécurité dans la perspective d'une solution. L'Union doit donc se réinvestir pleinement au sein du Quartet pour contribuer à la définition des paramètres d'un règlement sur le statut final.

L'Union européenne doit également poursuivre ses efforts dans le cadre des deux missions d'appui menées au titre de la politique de sécurité et de défense commune. Je pense à EUPOL COPPS, qui vise à former des policiers palestiniens, et aussi à EUBAM Rafah, qui peut apporter une contribution utile à la question des points de passage entre Israël, l'Égypte et la bande de Gaza.

Le mandat du représentant de l'Union européenne pour le Proche-Orient s'est achevé le 28 février dernier. La fonction a été reprise à titre intérimaire par le service européen d'action extérieure. Nous devons aider Catherine Ashton à trouver le candidat qui sera le mieux à même d'assurer en permanence, au contact de toutes les parties, la visibilité de l'Union européenne sur le terrain et sa présence au sein du Quartet.
Madame la Présidente, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs les Députés, les pays du sud de la Méditerranée ont pris rendez-vous avec l'histoire, mais ce rendez-vous concerne aussi l'Europe. En accompagnant la transition démocratique, en mettant en place un nouveau partenariat avec ses voisins méditerranéens, en s'investissant pleinement dans le processus de paix, l'Union européenne a la possibilité de gagner en crédibilité. N'ayons pas peur de ce mouvement historique. Ce peut être une chance formidable pour le nord et pour le sud de la Méditerranée. C'est dans cet esprit, je le sais, que nous entamons notre réflexion. Nous l'engageons aujourd'hui, nous devrons la prolonger au fur et à mesure de la consolidation des transitions démocratiques en cours sur la rive sud de la Méditerranée. Je serai bien sûr disponible pour le faire avec vous.

Interventions des Parlementaires

Je voudrais tout d'abord remercier à nouveau M. le président Lequiller d'avoir pris l'initiative de ce débat, et remercier également M. le président Poniatowski. Le débat est ce qu'il est : je l'ai trouvé, pour ma part, intéressant.

Le premier constat, c'est celui de la quasi-totale convergence de vues entre nous pour dire qu'entre le nord et le sud de la Méditerranée, il existe une communauté de destin.
Vous l'avez tous dit, Monsieur Myard avec le lyrisme qui lui est habituel et M. Dupré encore à l'instant, en concluant. J'aime le lyrisme, Monsieur Myard ! C'est pour cela que je vous en ai fait compliment.

Communauté de destin : Braudel a été cité, « notre mer », notre mère aussi, le berceau des grandes religions du Livre... On pourrait parler longtemps de ce thème, qui prend aujourd'hui une plus grande actualité que jamais.

Je suis très heureux d'avoir entendu les orateurs s'exprimer avec confiance et enthousiasme sur ce qui se passe au sud de la Méditerranée. C'est une révolution porteuse de promesses formidables. Il y a des risques, bien sûr, mais nous ne devons pas en avoir peur. Il faut nous engager le plus possible pour soutenir ces transitions.

Au-delà de cette large convergence de vues, je reviendrai sur quelques observations des uns et des autres

M. Vauzelle a parlé de ligne Maginot. Je souhaite à ce propos l'interroger : cela signifie-t-il que nous devons renoncer à lutter contre les trafics de migrants qui sont une nouvelle forme de traite humaine ? Je suis sûr qu'il répondra «non» à cette question. Il faut être très vigilant pour combattre cette immigration clandestine, avec tous les risques qu'elle comporte.
Je le rejoins cependant sur un point : nous ne construirons pas un mur en Méditerranée. Partout où des murs ont été construits, cela a été un échec. La vraie solution est dans la réduction des inégalités de développement entre le Nord et le Sud, dans la capacité qui sera la nôtre de donner à cette extraordinaire jeunesse de l'Égypte, de la Tunisie et de tous les autres pays du Sud des chances de rester sur ses terres pour y jouir de la liberté à laquelle elle aspire, mais aussi pour y travailler et y trouver un développement à la mesure de ses ambitions.

De ce point de vue - je l'ai dit dans mon discours -, certaines formes de migration, les migrations circulaires, doivent être encouragées, car elles permettent à des jeunes du Sud de se former au Nord et de repartir ensuite chez eux pour faire profiter leurs pays de l'expérience qu'ils ont acquise.

M. Vauzelle a craint que je ne sois un peu trop incisif à son égard et que je lui dise qu'il réinventait l'Union pour la Méditerranée. Je ne le dirai donc pas. Toutefois, sa Conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée reprend beaucoup des idées qui sont au cœur du concept d'Union pour la Méditerranée, par exemple l'implication des collectivités décentralisées. J'ai comme vous, monsieur Vauzelle, une expérience d'élu local et je crois beaucoup à la coopération décentralisée. J'ai même eu l'audace, un jour, d'affirmer que Bordeaux était une ville méditerranéenne et qu'elle devait donc s'engager dans les différentes associations. C'est en tout cas une ville latine.

M. Lecoq a évoqué avec beaucoup de sévérité ce qui se passe au Maroc. Je ne connais aucun rapport d'aucune ONG internationale sérieuse qui ait fait état de violations des droits de l'Homme au Sahara occidental telles qu'il les a présentées.

À ma connaissance, cette organisation n'a pas présenté la situation dans les termes que vous avez employés.

Notre position est connue et claire ; je l'ai encore renouvelée ce matin au ministre marocain des Affaires étrangères que j'ai reçu. Nous pensons que le Maroc a fait des efforts considérables, en proposant notamment un statut d'autonomie qui lui permet de se diriger vers ce que souhaitent les Nations unies. De nouvelles mesures viennent d'être prises par le gouvernement marocain pour assurer un suivi du respect des droits de l'Homme sur ce territoire. Nous l'avons encouragé à aller de l'avant en lui disant que le statu quo n'était pas tenable et nous continuerons à soutenir les efforts du Maroc en ce sens.
Mme Ameline a rappelé que l'aide au développement était une action stratégique dans nos relations avec le sud de la Méditerranée. Elle a tout à fait raison. J'ai été très frappé, en Égypte, où j'étais il y a un mois, et cela a dû aussi beaucoup vous frapper en Tunisie,

Monsieur le Président de la commission des Affaires étrangères : les questions économiques conditionnent le succès de la transition démocratique. Quand un pays est confronté, comme l'Égypte, à la chute brutale de son tourisme, au recul des investissements, au retour des immigrés de Libye, ainsi qu'aux aspirations des peuples qui ont réalisé cette forme de révolution et souhaitent en tirer les bénéfices, on voit que les défis économiques sont majeurs.

C'est la raison pour laquelle j'ai insisté tout à l'heure sur l'absolue nécessité pour l'Europe de s'engager fortement dans le soutien aux économies égyptienne et tunisienne ainsi que de tous les pays qui entreront dans ce processus de transition démocratique.

La Turquie a été évoquée par Mme Ameline et M. Garrigue. C'est un sujet majeur. Vous connaissez la position du gouvernement, qui est aussi celle d'une très large majorité de l'Assemblée nationale. Nous devons développer avec la Turquie, partenaire proche et pays clé, des relations aussi étroites que possible. Je vous rappelle qu'elle était dans l'Union pour la Méditerranée. De même, j'aurais pu, perfidement, faire remarquer à M. Garrigue, qui n'aime guère l'OTAN, que la Turquie en est membre. C'est ce qui lui permet d'être un partenaire très actif : nous le voyons dans l'intervention en Libye en ce moment.

Nous avons demandé à Mme Ashton de relancer les relations entre l'Union européenne et la Turquie sur tous les sujets. Je souhaite pour ma part que nos relations avec ce grand pays soient aussi étroites que possible.

Le cas d'Israël a été évoqué à plusieurs reprises. J'ai trouvé que M. Lecoq faisait un peu de militantisme anti-israélien. À chacun ses options, mais je ne pense pas que cela fasse avancer les choses de prendre systématiquement fait et cause pour l'un contre l'autre. La politique de la France consiste à dire que nous sommes parfaitement conscients des exigences de sécurité et d'intégrité d'Israël, qui pour nous ne sont pas négociables, mais que, d'un autre côté, le peuple palestinien a le droit de vivre dans un État présentant les caractéristiques que j'ai rappelées dans mon discours introductif. C'est pourquoi nous nous engageons fortement.

Comme je l'ai dit, le statu quo n'est pas tenable ; l'Europe doit jouer un rôle accru car nous avons vu que les Américains n'y arrivaient pas. Au sein du Quartet, nous avons donc l'intention de tenir un discours très ferme en ce sens.

Je souhaite également préciser à M. Lecoq que le rehaussement de la relation entre l'Union européenne et Israël a été suspendu après l'opération à Gaza. En outre, l'Union européenne a imposé un contrôle des règles d'origine et n'applique pas ses préférences douanières aux produits des colonies. Je ne pense donc pas que l'on puisse parler d'inaction de l'Union.

Je crois avoir abordé les principaux points des interventions. J'ai été inquiet de ce que M. Myard a dit sur les relations entre un parlementaire et son suppléant. Souhaite-t-il la suppression du poste de suppléant ? Entre le multilatéralisme le bilatéralisme, ne tombons pas d'un excès dans l'autre ! Certes, le bilatéral est important, mais la France ne peut pas agir seule.

Le multilatéral est aussi important, et nous le voyons bien avec l'opération de Libye. Je connais, Monsieur Myard, votre allergie à l'Union européenne, nous en avons longuement parlé. Quand vous dites que la France a disparu dans l'anonymat, ce n'est pas vrai : la France est en mesure de jouer pleinement son rôle, de prendre des initiatives, mais elle le fait en coopération avec les pays de l'Union européenne. Le Conseil européen, malgré les divisions que vous connaissez, a finalement validé l'initiative française, lors de ses réunions du 11 et du 24 mars.

Vous avez aussi expliqué que le multilatéral était la disparition de la diplomatie. Ce n'est pas le cas ! Il faut trouver un point d'équilibre. Je pense que nous l'avons trouvé dans l'affaire libyenne. Nous sommes en initiative et nous travaillons avec les autres.

C'est aussi une façon de répondre à M. Garrigue, qui m'a interrogé sur l'intervention de l'OTAN. Il faut être tout à fait clair et je pense l'avoir été dans ma réponse lors des questions d'actualité. Nous nous sommes trouvés confrontés à une interrogation très précise : qui a la capacité de planifier et de conduire opérationnellement une intervention complexe ? Il n'y a pas trente-six solutions. Dans les premiers jours de l'intervention, ce sont les États-Unis qui ont assuré le commandement, alors que 30 % des avions étaient français. Dans un second temps, quand les Américains ont souhaité prendre un peu de recul, nous avons pensé que l'OTAN était la meilleure structure pour ce faire.

Cela ne nous a pas amenés à renoncer au dialogue avec les pays arabes. J'ai vérifié moi-même, hier à Londres, en interrogeant les représentants des cinq pays arabes présents, que non seulement ces pays ne refusaient pas l'intervention de l'OTAN mais qu'ils pensaient qu'à condition d'y être associés, c'était la meilleure façon de procéder. Ce que nous avons obtenu hier, à Londres, c'est précisément que l'OTAN soit dans son rôle : le commandement militaire.

En revanche, le pilotage politique ou political guidance - pardon, cette gouvernance politique - est confiée à un groupe de pays qui se réunira périodiquement, la prochaine fois au Qatar et la fois suivante, sans doute, en Italie.

Nous avons donc trouvé là un point d'équilibre entre l'initiative française, la coopération européenne et la solidarité entre tous les pays qui souhaitent voir se concrétiser cette fantastique émergence de l'aspiration à la liberté. Comme vous tous, je pense que c'est une chance qu'il faut saisir, ce qui va bien sûr nous demander effort, générosité, solidarité et courage. Mais, au total, nous en profiterons nous aussi car c'est notre communauté de destins.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2011