Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le programme de prévention et de lutte contre l'exclusion, l'insertion des personnes en difficulté et la politique sociale, Montpellier le 14 mai 2001.

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Circonstance : Congrès de la FNARS à Montpellier le 14 mai 2001

Texte intégral

Je suis particulièrement heureuse d'ouvrir votre Congrès national au moment où se prépare le nouveau programme de prévention et de lutte contre les exclusions que le Gouvernement a décidé d'engager, dans le prolongement de celui qui a été mis en uvre entre 1998 et 2001.
Votre association, particulièrement engagée dans cette lutte, développe à la fois la dimension d'hébergement et d'insertion, avec le souci croissant de permettre aux personnes de participer pleinement au projet collectif et individuel qui les concernent. La réforme en cours de la loi de 1975 et le décret sur les Centres d'Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) que j'ai signé et qui devrait être publié ces prochains jours contribueront a conforter cette orientation. Sur de nombreux points, en effet, la réglementation avait vieilli et n'était plus en phase avec les attentes de la société aujourd'hui. Nous ne pouvons plus considérer que des personnes accueillies dans un établissement se trouvent, de ce fait, privées d'une partie de leurs droits ou de leur dignité. De nombreux CHRS avaient adopté des dispositions qui permettaient de faire vivre pleinement la citoyenneté au sein des établissements, de mieux donner la parole aux exclus, de les associer plus étroitement à leur propre parcours d'insertion. Ces démarches n'avaient toutefois pas de fondement légal obligatoire et n'étaient pas encore généralisées. La réforme de la loi de 1975 sur les établissements sociaux et médico-sociaux, actuellement en cours d'examen par le Parlement, va nous permettre de répondre à ces impératifs. Des éléments aussi fondamentaux que le règlement intérieur, ou encore la définition d'un projet d'insertion personnalisé, seront systématisés. C'est, je crois, un grand progrès qui sera réalisé dans la voie de la reconnaissance de la dignité des personnes exclues.
Sans attendre le vote de cette loi, la circulaire qui accompagnera, dans les prochaines semaines, le nouveau décret sur les CHRS, permettra de généraliser cette démarche pour l'ensemble des CHRS.
Au-delà de ce souci de veiller au respect et à l'insertion des personnes accueillies, je suis également très sensible au souci de la FNARS de développer l'égalité entre les femmes et les hommes. Ayant porté, en tant que Ministre de la Justice, la réforme constitutionnelle qui a introduit la parité entre les femmes et les hommes, je suis heureuse de votre engagement pour promouvoir l'accès des femmes à l'exercice des responsabilités, et la participation des femmes à la vie associative, et je salue l'implication à cet égard de votre Présidente, Mme Alix de la Bretesche.
Vous allez engager au cours de ce congrès un travail sur la dimension territoriale des actions d'accueil et sur l'hébergement et l'insertion des personnes en difficulté sociale. Vous avez retenu trois aspects comme thèmes d'échange :
- les liens aux territoires vécus par les personnes en détresse,
- la responsabilité associative dans la réponse à leurs besoins,
- l'organisation territoriale de l'action sociale.
Ces thèmes sont précisément au cur de mes préoccupations pour le prochain programme : une prise en charge de proximité pour les personnes en situation d'exclusion, une articulation entre les réponses immédiates en terme de logement, de soins, de ressources et l'engagement dans un projet de plus long terme d'insertion sociale et professionnelle.
Dans les années 60, ce sont des personnalités engagées dans la vie associative qui ont tiré la sonnette d'alarme et alerté tant l'opinion que les pouvoirs publics sur les conditions de vie inhumaines d'une partie de la population, mal logée, disposant de très faibles ressources, et vivant dans une totale grande coupure à l'égard du reste de la société.
Cette prise de conscience a abouti à des progrès sociaux très forts comme celui de la création du RMI dans la loi de 1988 par exemple.
La crise économique a fait basculer beaucoup de gens dans la pauvreté. L'absence de perspectives professionnelles pour les jeunes, le chômage prolongé pour beaucoup de gens expérimentés mais peu qualifiés, a eu des conséquences sociales dramatiques.
Nous sortons depuis 4 ans de cette situation : plus d'1 million de chômeurs en moins depuis juin 1997 grâce aux politiques économiques et sociales -35 heures, emplois jeunes, baisses des charges-. Avec une croissance économique semblable à la moyenne européenne, la France a créé deux fois plus d'emplois. Il y a surtout, pour la première fois, des perspectives d'emploi pour les jeunes et les chômeurs de longue durée, dont le chômage a baissé de 40 % grâce aux politiques d'accompagnement qui ont été engagées.
Pourtant malgré cette victoire, la pauvreté recule plus lentement. Il y a des signes positifs : le nombre de personnes déclarant des restrictions dans leur consommation ou des difficultés de paiement diminue, le nombre de bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité aussi. Pour la première fois depuis la création du RMI, le nombre d'allocataires régresse, de 5% en 2000 et encore plus rapidement pour les premiers mois de 2001.
Mais il reste encore plus de 2 millions de personnes sans emploi. Parfois le travail même ne suffit pas à protéger de la précarité, puisque plus d'1 million de personnes qui exercent une activité à temps partiel ou de façon épisodique, ou encore qui ont un salaire au SMIC mais des charges de famille importantes, vivent avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté.
La situation de certains étrangers présents sur notre territoire est également préoccupante. L'augmentation des demandeurs d'asile ne se tarit pas (40 000 demandes en 2000), les déboutés de la procédure d'asile représentent une part croissante des personnes hébergées dans les structures d'accueil d'urgence, l'accès aux services médicaux pour les sans papiers reste trop difficile. Lorsqu'on a affaire à des personnes en détresse il n'est pas question de pratiquer une différence entre un français et un étranger dans l'accès aux services les plus fondamentaux. Vous avez toujours porté ce message aux pouvoirs publics et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir améliorer la situation, particulièrement en matière d'accès aux soins médicaux.
L'action engagée depuis la loi du 29 juillet 1998 en matière de lutte contre les exclusions a pourtant amélioré considérablement l'insertion professionnelle, l'aide d'urgence, la couverture médicale avec la création de la CMU, qui bénéficie aujourd'hui à plus de 5 millions de personnes.
Le bilan que vous en avez fait, dans le cadre des différentes évaluations auxquelles vous avez contribué, montre le chemin parcouru mais aussi la nécessité de poursuivre la mise en uvre concrète, locale, de ces droits nouveaux, et d'aller au devant des plus démunis pour qu'ils puissent en bénéficier.
La lutte contre l'exclusion prend au pied de la lettre l'égalité en droits de tous les citoyens proclamée dans la constitution : il faut garantir l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux. En même temps, il faut combler le décalage qui peut exister entre le droit abstrait et la réalité concrète, pour mieux répondre aux situations des plus fragiles. Ce dont il s'agit, c'est de personnes qui perdent leur dignité, de vies gâchées faute d'avoir trouvé des réponses de la collectivité. Je pense en particulier à l'insaisissabilité des ressources, qui est mal respectée en pratique. Les mesures de prévention ciblée en faveur des plus faibles doivent donc être réellement appliquées, pour éviter les engrenages pervers de l'exclusion. Il est également nécessaire de prendre en compte les difficultés réelles des personnes en difficulté, de comprendre ce que signifie le cumul des difficultés, pour mieux agir contre l'exclusion.
Ce que nous avons déjà fait peut nous permettre de faire encore davantage. Chaque jour, les succès rencontrés dans notre politique dévoilent et rendent possible la tâche qu'il nous reste à accomplir ensemble.
C'est pourquoi le gouvernement doit continuer à poursuivre la réduction des inégalités au moyen d'une politique axée sur l'emploi, mais aussi aider les plus défavorisés, grâce à des mesures ciblées, à profiter de la conjoncture actuelle.
La première priorité sera l'égalité des chances pour l'accès à l'emploi. Dans le contexte d'un chômage de masse, le premier programme 1998 - 2001 avait fixé comme objectif l'emploi des jeunes et des chômeurs de longue durée avec les programmes " Trace " et " nouveau départ ". Depuis la création du programme "nouveau départ" en 1998, ce sont plus de 2,5 millions de chômeurs menacés d'exclusion qui ont été accompagnés dans le cadre de ce programme avec une solution professionnelle au bout des 4 mois d'accompagnement pour 55% d'entre eux. La décrue du chômage nous permet aujourd'hui d'être encore plus ambitieux. Malgré la baisse du chômage, je souhaite renforcer les moyens de la politique de l'emploi car ceux qui restent au chômage ont besoin d'un accompagnement plus long et plus intense. Je souhaite développer les moyens pour former, accompagner et aider les plus éloignés de l'emploi, notamment les titulaires des minima sociaux et les jeunes en grande difficulté. Dès le 1er juillet prochain, à l'occasion de la mise en uvre de la nouvelle convention d'assurance chômage, c'est l'ensemble de l'accompagnement des chômeurs qui sera renforcé, dans une stricte égalité de traitement entre les chômeurs indemnisés et ceux qui sont pris en charge par les régimes de solidarité.
Je souhaite que le dispositif d'insertion du RMI soit redynamisé, que le service public de l'emploi et les départements se mobilisent comme cela a été fait avec succès pour la lutte contre le chômage de longue durée. Il faut mieux articuler les politiques d'insertion et de développement local.
Les jeunes non qualifiés, parfois sans ressources compte tenu de la pauvreté de leur famille ou de leur situation de ressources, doivent pouvoir suivre dans de bonnes conditions, c'est-à-dire avec un hébergement et les moyens de subvenir à leurs besoins, un parcours d'insertion. Le programme Trace a fait ses preuves puisqu'il remplit l'objectif de résultat qui lui avait été assigné : plus de la moitié des jeunes entrés dans le dispositif ont connu une insertion professionnelle réussie à l'issue du parcours. Mais il doit se développer et s'enrichir d'une plus grande stabilité des ressources des jeunes. Je souhaite, que l'on puisse aider davantage financièrement les jeunes en difficultés qui s'engagent dans un parcours d'insertion. Les associations doivent être davantage mobilisées pour établir le contact avec les jeunes en très grande difficulté et les accompagner, car ceux qui sont en situation de rupture ne vont pas d'eux-mêmes vers les dispositifs établis à leur intention. Je souhaite que 160 000 jeunes en difficultés puissent bénéficier de Trace en 2002 et que ceux qui sont en situation d'errance ou de rupture sociale puissent, avec l'aide des associations, être amenés vers ce parcours. 10 000 jeunes feront l'objet d'un parcours adapté dans ce cadre.
Dans le contexte de créations d'emplois très importantes dans notre pays depuis 3 ans, je pense qu'il faut mettre l'accès à l'emploi en entreprise au cur de la politique d'égalité et de justice sociale. Les dispositifs de formation, d'accompagnement après la reprise d'emploi et de parrainage seront renforcés.
Les activités d'insertion, comme les CES ou l'insertion par l'activité économique, doivent être renforcées, mais mieux articulées avec un projet professionnel identifié. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, je ne souhaite pas qu'il y ait de nouvelles diminutions du nombre de CES car nous en avons besoin pour permettre à ceux qui sont les plus en difficultés de reprendre progressivement le chemin de l'emploi.
La deuxième priorité du nouveau programme sera l'accès effectif aux droits avec un soutien aux initiatives locales, notamment associatives. Nous souhaitons renforcer la continuité des ressources par une meilleure gestion des minima sociaux afin de renforcer les avances, la continuité des droits, et une gestion plus sociale des indus. Au de là des mesures en cours de discussions au Parlement pour améliorer les relations entre les personnes défavorisées et les banques, notamment le plafonnement des frais bancaires et des pénalités pour les chèques sans provisions, le doit au compte, j'ai engagé un travail avec le ministère des Finances pour améliorer le respect de l'insaisissabilité des ressources. Je souhaite enfin améliorer l'efficacité des aides d'urgence par une gestion plus unifiée des différents fonds.
Pour ce qui concerne l'hébergement, les moyens nouveaux apportés par l'Etat ont permis de créer plus de 1600 places nouvelles de CHRS au cours des 3 dernières années. Je souhaite que soit poursuivi le plan de transformation de places d'urgence en places de CHRS, l'effort d'amélioration de la qualité de l'hébergement et le développement de pensions de famille et de résidences sociales.
Mais l'accès au logement ordinaire doit demeurer l'objectif, avec un accompagnement social si nécessaire. La loi Solidarité et Renouvellement Urbain donne de nouveaux moyens pour développer les logements sociaux. Avec la secrétaire d'Etat au Logement, Marie Noelle Linemann, nous préparons des mesures pour faciliter l'accès au logement des plus démunis et pour lutter contre l'insalubrité.
L'accès aux soins sera renforcé, avec une attention particulière pour la prise en charge de la santé mentale et avec le souci d'aller au devant des personnes. Je souhaite également ajuster la CMU pour améliorer encore la couverture médicale des personnes en difficultés. A court terme les anciens bénéficiaires de l'aide médicale gratuite seront maintenus dans le dispositif et ceux qui ont des ressources supérieures à 4000F pourront bénéficier d'un accompagnement, 400MF ayant été délégués aux caisses d'assurance maladie pour assurer cette prise en charge. Je souhaite que dans le cadre de l'évaluation prévue à la fin de l'année concernant la CMU soient envisagées des mesures pour lisser l'effet de seuil et aider de façon pérenne ceux qui sont juste au dessus du plafond à acquérir une couverture maladie complémentaire.
L'égalité des chances dans l'éducation et la participation de tous à la vie sociale seront également pleinement intégrés dans ce nouveau programme.
Ce nouveau plan orientera l'action publique en matière de prévention et de lutte contre les exclusions jusqu'à fin 2003 et fera l'objet de décisions du Gouvernement à la fin du mois. Vous avez d'ailleurs été associés à sa préparation par le biais, notamment, du Conseil National de Lutte contre les Exclusions et de réunions de travail bilatérales.
Je voudrais évoquer brièvement le passage à l'euro, parce que cet événement aura un retentissement important sur la vie quotidienne de nos concitoyens et en particulier sur la vie des personnes les plus fragiles dont mon ministère à la charge.
C'était le sujet de la réunion des ministres, de jeudi dernier, sous la présidence de Lionel JOSPIN. L'Etat doit jouer un rôle de pédagogie et un rôle d'accompagnement des personnes pour qui l'usage de la nouvelle monnaie sera plus difficile.
Plusieurs programmes ont été conçus pour former sur le terrain des relais sociaux, notamment le programme " tous prêts pour l'euro " piloté par la Caisse des Dépôts et des Consignations, que vous connaissez bien puisque me dit-on de nombreux adhérents de la FNARS y participent activement sur le terrain.
Nous avons donné récemment des instructions et des recommandations précises, respectivement aux directeurs du travail et aux directeurs des affaires sociales pour que la mise en place puisse se faire le mieux possible. Vous trouverez en eux les appuis nécessaires pour que les comités de pilotage départementaux spécialement mis en place pour le passage à l'euro prennent en compte non seulement les difficultés des personnes démunies mais les expériences et les pratiques de ceux qui, comme vous, ont l'habitude de travailler avec ces publics.
Votre action associative est tournée vers tous ceux qui sont en difficulté. Cette action associative contribue très fortement à la détermination et à la mise en uvre des politiques sociales. Elle doit être soutenue dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec l'Etat.
Comme vous le savez depuis les Assises Nationales de la Vie Associative, le Gouvernement entend conduire avec les associations une politique fondée sur un partenariat contractuel, pluriannuel, évalué, un partenariat fondé sur des relations de confiance. La circulaire du 1er décembre 2000 généralise des conventions pluriannuelles d'objectifs. Ces conventions sont tout à fait importantes pour votre secteur et doivent contribuer à sécuriser vos activités par des financements pluriannuels et à améliorer vos trésoreries. Au-delà il s'agira à travers ces conventions de progresser dans des démarches d'évaluation, qui sont indispensables pour des relations de partenariat équilibrées.
En cette année du Centenaire de la loi de 1901, le 1er juillet prochain, le Gouvernement devrait signer avec les mouvements associatifs une Charte d'engagements réciproques entre l'Etat et les associations. Ce sera un moment important de reconnaissance de la contribution des associations. Cette Charte nationale pourra être déclinée par secteur et bien sûr je souhaite qu'elle le soit en direction des associations qui uvrent dans le domaine sanitaire et social et en faveur de la lutte contre les exclusions. En particulier que ce soit l'occasion de mieux faire reconnaître le rôle d'innovation sociale des associations dont je sais qu'il est cher à la FNARS.
Le 1er juillet est le jour où est commémoré en France le centenaire de la loi du 1er juillet 1901 sur le contrat d'association. Cet événement est aussi le vôtre. Je propose actuellement au Premier ministre la mise en place au niveau interministériel d'un programme d'action pluriannuel avec les associations qui poursuit et amplifie les initiatives prises par le gouvernement lors des assises nationales de la vie associative des 20 et 21 juin 1999.
Soyez assurés que je considère les acteurs associatifs comme des acteurs déterminants en matière de solidarité et d'emploi. J'ai la conviction que les pouvoirs publics doivent intensifier un partenariat confiant et équilibré avec le secteur associatif, très reconnu par nos concitoyens.
Je vous souhaite maintenant de bons travaux dans le cadre de ce Congrès, le Ministère de l'emploi et de la solidarité vous accompagnera dans la mise en uvre des orientations que vous allez tracer pour votre action.
(source http://www.social.gouv.fr, le 25 mai 2001)