Texte intégral
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Q - Laurent Gbagbo négocie son départ. Pourtant hier Alain Juppé nous avait dit, «nous sommes à deux doigts de convaincre Gbagbo de quitter le pouvoir». Alors, la question qui se pose ce matin, c'est : faut-il faire partir Laurent Gbagbo par la force ?
R - D'abord, la première chose c'est qu'il faut voir d'où on vient. Cela fait dix ans qu'on demandait à Laurent Gbagbo d'organiser des élections. Il les avait refusées. Au moment où il y a le résultat, qui est incontestable, certifié par les Nations unies, il refuse de partir. Il fait tirer à l'arme lourde contre des manifestants, et y compris des femmes, à l'intérieur de la capitale. On a fait preuve de détermination (...) Là, on est en train de s'acheminer vers le dénouement. Alors, il y a une dernière phase de tension et il y a les difficultés. Que veut-on ? On veut que clairement il renonce et qu'il reconnaisse l'élection légitime, républicaine, de son concurrent. Voilà, c'est tout.
Q - (...) Qu'est-ce qui bloque ?
R - Ce qui bloque c'est tout simplement que, maintenant, il faut qu'il accepte définitivement de partir, de reconnaître qu'il a perdu les élections et tout simplement de laisser un espoir pour la démocratie.
Q - Il faut qu'il accepte sinon comment peut-on faire pour forcer Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir ? L'utilisation de la force est-elle totalement exclue dans ce cas de figure précis ?
R - Vous voyez qu'on a quand même réussi à faire un énorme chemin. Ce qui m'intéresse c'est quoi ? C'est que, sur ce sujet de la Côte d'Ivoire où on disait que la diplomatie était paralysée, que la politique étrangère de la France n'arrivait soi-disant plus à fonctionner, bien au contraire, on a renversé les choses. Et je crois que c'est aussi cela qui est intéressant.
Q - Alain Juppé a dit «la France n'a pas vocation à s'incruster en Côte d'Ivoire». Quel rôle va jouer la France pour la suite si effectivement il s'en va, comme vous semblez nous le dire, à un moment ou à un autre ?
R - Notre rôle ensuite c'est surtout d'aider à conforter la Côte d'Ivoire. Cela fait dix ans que ce pays a traversé, à cause de turpitudes politiques, des phases très difficiles. Maintenant, notre devoir, et c'est aussi ce qu'on doit faire sur la rive sud de la Méditerranée, c'est aider à investir dans la démocratie.
Q - Donc, vous avez toute confiance en Alassane Ouattara pour qu'il reconstitue une forme d'union nationale autour de lui pour panser les plaies de ce pays ? C'est lui qui prendra la liberté de le faire ou va-t-on lui donner un coup de main ?
R - Non, ensuite il y a un respect qui est absolu, il n'y a plus de place pour la Françafrique. Donc, on n'est pas là pour être dans de l'interventionnisme, on n'est pas là pour dicter les conditions, cela ce n'est pas notre travail.
Q - Le rôle de la France cesse à partir du moment où Laurent Gbagbo quitte le pouvoir ?
R - Non, pas du tout !
Q - Ah !
R - Mais on n'est pas là pour dicter, on n'est pas là pour mettre sous tutelle, c'est cela qui est très important pour nous.
Q - Alors, en Europe il y a Lampedusa, nous allons en parler. C'est vraiment votre dossier de ministre des Affaires européennes. Hier, en commission, il s'est passé un petit incident en séance, une députée italienne s'en est pris frontalement à la France, «l'Italie ne peut pas accueillir tous les immigrés pendant que la France les repousse avec des moyens honteux», dit-elle. On rappelle qu'il y a plus de 22 000 migrants qui ont débarqué sur les côtes de Lampedusa depuis janvier. Est-ce que l'Europe c'est chacun pour soi quand il s'agit des immigrés ?
R - Non. Sur cette question il faut se dire les choses bien clairement. Le problème aujourd'hui de Schengen c'est que nos frontières sont européennes, mais qu'on laisse chaque pays les défendre tout seul. Donc, ce qu'on essaie de faire, c'est de renforcer, avec une politique européenne, la défense de nos frontières contre l'immigration illégale. Mais il y a un point sur lequel la France ne veut pas mettre un seul petit doigt dans l'engrenage, c'est que l'on ne veut pas commencer à pouvoir dire qu'on accepte des immigrés illégaux. Car dans ce cas, on accepte de reconnaître qu'on peut contourner le droit.
Q - Donc, on dit aux Italiens «débrouillez-vous».
R - Non. L'objectif c'est d'aider les Italiens, c'est de renforcer les moyens pour défendre ensemble notre frontière. Exemples précis : mettre en place une opération Hermes, de la surveillance maritime à la frontière européenne, aider les Grecs avec des gardes frontières européens, ça c'est le travail de l'Europe. Mais notre travail ce n'est pas de dire une fois que la frontière est percée, finalement on laisse faire. Pas de place pour le laissez-faire. Je crois que là-dessus il faut qu'on soit très ferme.
Q - Ceux qui sont là, comment est-ce qu'on fait ? On laisse l'Italie les gérer ?
R - Il y a deux cas de figure : soit ce sont des réfugiés politiques, c'est-à-dire des cas dans lesquels on est dans le droit humanitaire, ce qu'on accepte et reconnaît ; soit ce sont des cas d'immigration illégale, et alors on ne peut pas donner une plus-value à l'immigration illégale, c'est tout. Et, je vous rappelle que ce qu'on a proposé c'est de travailler ensemble avec l'Italie.
Et normalement, dans les semaines à venir, il devrait y avoir une rencontre avec l'Italie pour travailler ensemble sur ce sujet. Mais la réponse elle n'est que dans «plus d'Europe » et dans « pas de chacun pour soi «. Plus d'Europe mais pour autant pas de laissez-faire.
Q - Pourtant, les Italiens, justement, stigmatisent un peu la France en disant qu'elle n'est pas très solidaire. Ils demandent même l'activation de l'article 80 du Traité de fonctionnement de l'Union, qui prévoit un partage équitable des charges entre les Etats membres.
R - Non mais, disons les choses clairement : est-ce à la France d'accueillir tout le monde ? Non. Pourquoi est-ce que dans...
Q... c'est à l'Italie !
R - Pourquoi, dans des cas comme cela, se tourne-t-on toujours vers la France ? Non. On n'a pas vocation à être là systématiquement quand il y a des problèmes d'immigration illégale. Je crois qu'il faut qu'on soit clair dessus, le travail de l'Europe c'est de protéger nos frontières, ce n'est pas ensuite de répartir de l'immigration illégale.
Q - Savez-vous combien de migrants sont passés en France ? Avez-vous des informations chiffrées sur ce point ?
R - Non, mais souvenez-vous, d'ailleurs sur votre plateau, on avait dit «attention, Lampedusa il faut qu'on soit sur ce sujet, cela ne doit pas être sous-estimé (...) 25 000 personnes en quatre mois, ce n'est pas rien». C'est pour cela qu'il faut que l'Europe s'en occupe.
Q - Donc, vous ne savez pas combien de personnes sont passées en France.
R - Pour l'instant, aucun depuis Lampedusa.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2011