Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Le Point" du 12 mai 2000, sur la Refondation sociale proposée par le patronat, la négociation sociale sur les organismes paritaires (Unédic et assurance maladie) et les réformes sur les retraites.

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Média : Le Point

Texte intégral

Le Point. Les syndicats de salariés et le Medef sont en pleine négociation sur une refondation sociale voulue par le patronat. Ne risquez-vous pas d'être accusée de faire le jeu du Medef ?
Nicole Notat. Dans la refondation, nous voyons plus d'opportunités que de risques. Le seul risque, c'est celui d'échouer. L'enjeu est tellement im-portant qu'il faut le courir. Il s'agit, dans un environnement économique qui bouge, de rechercher de nou-veaux équilibres entre patrons et syn-dicats, de trouver de nouveaux garde-fous, de bonnes régulations pour ne pas tout abandonner au marché. Au-jourd'hui, la nouvelle économie, la mo-bilité, la multiplication des parcours où alternent travail et inactivité ren-dent nécessaire de trouver de nou-velles garanties qui protègent tous les salariés.
La CFDT paraît être l'organi-sation la plus disposée au dialogue... F0 n 'est guère enthousiaste et la CGT très méfiante...
Tout le monde a dit banco. Simplement, chaque organisation va à la négociation avec son idée, sa vision des choses. Mais, au fur et à mesure que l'on avancera, le principe de réa-lité finira par l'emporter. A la CFDT, cela fait dix ans que nous réclamions des négociations de ce type. Mais le patronat nous opposait régulièrement une fin de non-recevoir.
Qu'est-ce qui l'a donc décidé à bouger ?
Le Medef s'est aperçu qu'en se braquant contre les 35 heures, en fustigeant l'Etat, il était dans une im-passe. Pour qu'on ne lui impose pas sa conduite de l'extérieur, il a réalisé qu'il fallait à nouveau occuper le ter-rain social. Le Medef a délaissé sa logique de lobbying au profit d'une dé-marche contractuelle pour être au centre de l'action.
Prenez-vous à votre compte les attaques faisant du Medef un grand mé-chant loup ultralibéral ?
Si l'on ne parvient pas à mettre en place de nouveaux garde-fous, si
l'on ne trouve pas de nouveaux équi-libres, si tous les acquis sociaux vien-nent à fondre comme neige au soleil, alors oui, on sera confronté à l'ultra-libéralisme. De même, si les négocia-tions sociales devaient être exclusi-vement concentrées au niveau des entreprises, en ignorant délibérément les branches, on pourrait parler de tentation anglo-saxonne. On n'en est pas là !
Les premières discussions sur la refondation se sont nouées autour de l'Unedic, de l'assurance-chômage. Le Medef est-il en train de tout casser?
Pas du tout ! Le Medef s'est li-vré à un véritable hold-up sur des no-tions que nous défendons depuis bien longtemps. Nous avons toujours été, à la CFDT, partisans de " politiques ac-tives " contre le chômage. Le rôle de l'assurance-chômage ne consiste pas seulement à indemniser ceux qui ont perdu leur emploi, mais aussi à les ai-der, par toute une série de mesures, à revenir sur le marché du travail. Le Medef en convient aujourd'hui, tant mieux !
Quels sont les enjeux de la né-gociation sur l'Unedic?
L'idée, c'est de dépasser la seule fonction indemnisatrice de l'Unedic. Maintenant que la croissance paraît installée, que le chômage baisse, il faut venir à bout du chômage structurel de longue durée, dont le niveau reste important. La résorp-tion de ce chômage-là ne résultera pas mécaniquement d'une confrontation entre offre et demande de travail. Si l'on a passé trop de temps à l'écart du monde du travail, on souffre souvent, en tant que salarié, d'un grave handi-cap, tandis que les entreprises, elles, attendent des recrues au top niveau.
Une première solution consiste donc à aider à la réinsertion des chô-meurs de longue durée. Et la se-conde... à éviter leur apparition. D'où l'idée d'un suivi personnalisé, avec bi-lan de compétences, formation débou-chant sur un métier et offres d'emploi.
Mais, pour ceux qui - comme c'est de plus en plus souvent le cas - alternent des périodes de travail et de chômage, que proposez-vous ?
Il faut mieux indemniser cette catégorie de chômeurs, qui regroupe tout spécialement des jeunes au par-cours professionnel haché, en amé-nageant le principe de proportion entre les allocations chômage et la durée de cotisations versées.
Etes-vous aussi comme le Me-def pour le principe de sanctions si les chômeurs ne jouent pas le jeu ?
Je connais peu de chômeurs qui n'aspirent pas à retrouver du tra-vail ! L'intérêt de chacun sera de saisir les nouvelles chances, pas de s'ins-taller dans le chômage. Dans les rares cas contraires, des dispositions sont déjà prévues dans le système actuel. Cela ne me choque pas.
En quoi consiste le mécanisme de bonus/malus pour les chômeurs ?
Nous ne raisonnons pas ainsi. L'indemnisation est un droit. C'est l'institution qui a la responsabilité de placer chacun dans une démarche ac-tive de recherche d'emploi. C'est à cette condition que la responsabilité individuelle entre en jeu.
Vous semblez être favorable à la formule...
Je crois beaucoup à tout ce qui comporte un caractère incitatif !
Mais comment voulez-vous que toutes ces réformes prennent corps si l'ANPE fonctionne toujours aussi mal, si la formation professionnelle reste tou-jours source d'innombrables gabegies?
N'exagérons rien ! L'ANPE est partie prenante dans cette logique et elle apporte sa pierre à l'édifice. Il s'agira d'amplifier l'efficacité de toutes les institutions concernées.
L'Etat devra donc s'impliquer, alors que, jusqu'ici, dans les discussions sur la refondation, il reste en retrait.
C'est normal. Dans la phase actuelle, c'est aux partenaires sociaux de faire leurs preuves.
Le Parti communiste regarde d'un oeil critique cette négociation. Est-ce que le gouvernement vous paraît être sur la même ligne ?
Certains respon-sables politiques peuvent être tentés de jouer au super-délégué syndical. J'ai en tout cas l'impression que ce gouvernement est intéressé par la réussite de la refondation sociale. Une réussite apporterait de nouvelles régulations, de nouveaux équilibres que lui-même cherche à construire.
Vous paraissez très optimiste sur l'issue de la né-gociation.
Disons déterminée.
Allez-vous jusqu'à approuver le principe du contrat de travail pour cinq ans proposé par le Medef ?
Non. Alors que les modèles standard ont du plomb dans l'aile, le Medef propose une réponse unique pour des situations qui ne le sont pas.
Plus précisément...
Eh bien, je ne vois pas à quel type de besoin réel des entreprises corres-pondent ces cinq ans. Il y a par contre des problèmes spécifiques pour les chômeurs de longue durée et pour les jeunes - plus qu'on ne le croit, d'ailleurs. Il faudra un type de contrat adapté incluant pour l'entreprise des obligations de formation, puis d'insertion durable. Je ne vois donc pas l'utilité de faire d'un contrat à cinq ans le nouveau contrat type. Les patrons, d'ailleurs, ne sont pas logiques. D'un côté, ils veulent fidéliser leurs salariés en les transfor-mant en actionnaires ; de l'autre, ils ne veulent les garder que cinq ans. Quelle contradiction !
A ce propos, que pensez-vous des pénuries de main-d'oeuvre que l'on constate ici ou là alors que le nombre de chômeurs reste considérable ?
C'est un révélateur des lacunes du système français. Les branches professionnelles et les entreprises se sont trop longtemps désintéressées d'une formation réellement continue de tous leurs salariés, les préparant mal à la mobilité ou à la reconversion. Entre le monde de l'entreprise et celui de la formation, il n'y a pas assez de passerelles. Des efforts ont été faits, mais l'étanchéité reste trop forte.
Faudra-t-il faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère?
Pourquoi pas? Mais pas pour s'accommoder d'un noyau incom-pressible d'exclus ! Et, dans tous les cas de figure, j'ai du mal à penser que la main-d'oeuvre étrangère puisse être formée plus rapide-ment que la main-d'oeuvre française.
Que pensez-vous du projet de Fabius sur l'épargne salariale ?
A ce sujet, à la CFDT, nous avons deux préoccupations. D'abord, le fait que les fonds de pension anglo-saxons possèdent une part détermi-nante des entreprises françaises pose problème. Ensuite, il faut que l'épargne salariale soit ouverte aussi bien aux salariés des grandes entreprises qu'à ceux des PME. Il ne doit pas y avoir de discrimination. J'ajoute aussi que la participation des partenaires sociaux au contrôle de la gestion de ces fonds paraît conforme au modèle social eu-ropéen.
Tout cela figure dans la propo-sition du ministre de l'Economie et des Finances...
En effet, et tout cela ne consti-tue pas un ersatz de fonds de pension qui viendrait concurrencer le système par répartition.
Pourquoi les syndicats ont-ils déclenché une sorte de guerre de religions selon que l'on sorte du " fonds Fabius " en rente ou en capital ?
La sortie en rente signifie qu'un salarié peut individuellement faire le choix d'utiliser le produit de son épargne comme complément de re-traite. Or là n'est pas la vocation des fonds.
Des retraites dont ce gouverne-ment paraît peu se soucier...
Il s'en soucie, mais, aussi long-temps que l'on n'aura pas assuré la pé-rennité du régime de retraite par ré-partition, les salariés craindront que l'épargne salariale ne s'y substitue. Le financement du fonds de réserve qui devrait garantir les retraites par ré-partition est pour le moins incertain. La réforme des retraites reste à enga-ger.
Ce gouvernement vous aura au moins donné pleine satisfaction sur les 35 heures.
Au-delà des polémiques, il est faux et malhonnête de dire que les
35 heures n'ont pas créé d'emplois. Mais il est tout aussi faux et tout aussi malhonnête de prétendre que tous les emplois créés sont dus aux 35 heures ! Pour notre part, nous n'avons ja-mais dit qu'une formule mathématique magique transformerait automati-quement le temps libéré en temps occupé. C'est aussi la réorganisation du travail dans les entreprises qui fa-vorise l'emploi.
Avec sa loi, Martine Aubry ministre des Affaires sociales, n'a pourtant pas fait dans la dentelle...
Disons qu'elle a uti-lisé à plein les leviers dont elle disposait.
Pour faire passer les 35 heures, on a considéra-blement renforcé la bureaucratie (formulaires à remplir montages financiers compli-qués...).
Sans doute. Mais la loi Robien qui précédait celle des 35 heures n'était pas d'application très simple non plus. Et il a fallu faire coïncider baisse du temps de travail et baisse des charges.
Trente-cinq heures par semaine dans une start-up, est-ce que ça a un sens ?
Il y a des jeunes qui font passer la passion de leur métier avant toute autre considération. Soyons réaliste : ils constituent une minorité. Mais il faut tenir compte de cette réalité. On n'a jamais dit que les 35 heures signifiaient 35 heures pour chaque semaine de travail toute l'an-née.
Les 35 heures sont à l'origine d'une multitude de conflits, comme ce-lui de La Poste de Nice...
Je ne cherche pas à le nier. Mais rapportons tout cela à sa juste proportion. Dans le cas de La Poste, pour 10 000 négociations locales, il n'y a eu qu'une dizaine de conflits.
Est-il raisonnable de vouloir étendre les 35 heures à la fonction pu-blique ? Cela n'était pas prévu à l'origine.
Il n'y a pas de raison que l'on ne se serve pas des 35 heures dans la fonction publique comme d'un le-vier pour débattre à nouveau de l'or-ganisation et des conditions de tra-vail. Seulement, je ne suis pas sûre que l'Etat soit vraiment décidé à fran-chir le pas.
Pensez-vous que la puissance excessive des syndicats du public interdise à l'Etat de mener à bien sa modernisation ?
Nous ne nous situons pas, à la CFDT, sur une ligne syndicale cor-poratiste et conservatrice. Pour nous, la modernisation est un bel objectif. C'est le moyen d'assurer la survie du service public, conçu comme service de qualité rendu aux usagers.
Mais aux Finances ou dans l'Enseignement, les syndicats qui ont fait capoter les réformes disaient la même chose. On fait grève pour sau-ver le service public !
C'est vrai, certains invoquent le service public pour masquer une at-titude purement conservatrice qui ne débouche sur rien. Mais il y a autre chose.
Quoi ?
L'Etat, qui devrait être exem-plaire, n'est pas à la hauteur. Pour mettre tous les atouts de son côté, il doit afficher sa conception de la ré-forme, lui donner une lisibilité et la présenter d'abord aux citoyens, et non s'enfermer, comme il le fait, dans un tête-à-tête exclusif avec ses agents. En escamotant le débat avec l'opinion publique, l'Etat, qui doit garantir l'in-térêt général, limite sa fonction à celle d'Etat employeur.
N'est-ce pas la preuve que les fonctionnaires se sont approprié l'Etat, et qu'ils décident pour les citoyens ?
Je n'irai pas jusque-là...
Considérez-vous qu'il y a trop de fonctionnaires en France?
Si l'on commence par poser cette question, plus rien n'est pos-sible. C'est le meilleur moyen de faire échouer toute réforme. L'autre écueil consiste à confondre modernisation et augmentation des moyens.
Les inégalités sur les retraites entre le privé et le public sont-elles viables à long terme ?
Le gros enjeu de la réforme des retraites, c'est la garantie du ni-veau de remplacement, dont la dé-gradation est réelle pour le privé. Le niveau et la durée de cotisation de-vront être progressivement harmoni-sés entre les régimes. L'idée que la ré-forme se fera sur les réalités actuelles des fonctionnaires n'est pas crédible.
La CGT n'est pas sur cette ligne. A propos, où en êtes-vous de votre rap-prochement avec la centrale de Ber-nard Thibault ?
Entre nous, le temps de la gla-ciation est fini. Aujourd'hui, il nous parait naturel de nous concerter, d'échanger nos points de vue.
C'est peu.
Ce n'est pas si mal.
Dans l'affaire de la représen-tativité vous vous retrouvez en tout cas aux côtés de la CGT. Pouvez-vous nous en expliquer l'enjeu ?
Aujourd'hui, cinq grandes cen-trales (CFDT, CGT, FO, CFTC, CGC)
sont officiellement considé-rées comme représenta-tives par la vertu d'un dé-cret de 1966. Cela permet à un seul de ces syndicats de signer valablement des ac-cords dans les entreprises et dans les branches, cela même si l'implantation de ce syndicat y est symbo-lique. Nous proposons a l'avenir qu'un accord ne soit valable que s'il est si-gné par des centrales re-présentant effectivement 50% des salariés d'une en-treprise ou d'une branche. Cela suppose une élection de représentativité pour donner à chaque délégué syndical un poids électoral.
C'est une petite ré-volution...
Cela ne plaît pas à tout le monde. Le patronat ne pourra plus jouer sur les divisions syndicales. Mais cela donnera tout leur poids aux engagements pris par les syndicats et aux accords passés avec le patronat. C'est important, dans la perspective des discussions sur la refondation sociale.
Assiste-t-on à une poussée des syndicats (SUD, la CNT...) n 'apparte-nant pas à la " bande des cinq " ?
Non, je n'ai pas cette impres-sion. Le nombre d'adhérents à la CFDT, lui, augmente. Ce qui ne peut que renforcer notre représentativité...
Que pensez-vous des intellec-tuels, des groupes d'ultra-gauche qui, dans le sillage d'un José Bové, pour ne citer que lui, font des happenings contre la mondialisation ?
Ce sont des actions qui ont valeur de témoignage. Cela permet de sensibiliser, d'attirer l'attention sur les effets négatifs de la mondialisa-tion. Seulement, ces manifestations sont souvent éphémères, spora-diques. Ces militants ne se donnent pas les moyens de changer les choses en profondeur. C'est ce qui nous dif-férencie. Nous, syndicalistes, nous si-tuons dans la durée. Notre objectif est d'introduire dans les échanges com-merciaux des garanties et des règles d'ordre social et environnemental. Il n'est pas de les combattre en soi. Il faut combler les écarts de dévelop-pement, non les creuser.
Avez-vous jamais eu la tenta-tion d'abandonner voire combat ? De-venir ministre ?
Non. Je suis bien dans la fonc-tion que j'occupe, et je la crois utile..
(Source http://www,cfdt,fr, le 18 mai 2000)