Point de presse de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, notamment sur les relations franco-nigériennes et sur l'action des militaires français en Côte d'Ivoire, à Niamey (Niger) le 7 avril 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement au Bénin et au Niger, les 6 et 7 avril 2011

Texte intégral

Le président de la République française, M. Nicolas Sarkozy, a souhaité qu'un membre du gouvernement, plus particulièrement en charge des relations avec le continent africain, puisse venir participer à cette cérémonie d'investiture au cours de laquelle le président Mahamadou Issoufou a été installé officiellement comme président de la République du Niger.
Nous voulions être là par courtoisie, par amitié, à l'égard du Niger. Les liens qui existent entre nos deux pays sont anciens, très forts, confiants, amicaux. Mais au-delà, la démarche que j'effectue aujourd'hui est une démarche pour manifester notre admiration pour la leçon que le Niger vient de délivrer au monde entier, dans la réussite de la mise en œuvre d'un processus de restitution du pouvoir des militaires aux civils, par le truchement d'une élection très démocratique, bien organisée, dont les résultats ont été reconnus par les uns et par les autres. Je pense que les habitants du Niger peuvent être extrêmement fiers du parcours qu'ils ont accompli depuis deux ans. L'armée a dit clairement ce qu'elle souhaitait : rétablir l'ordre constitutionnel et remettre le pouvoir aux civils : c'est fait. Les électrices et les électeurs ont été consultés à plusieurs reprises pour la création de la 7ème République, les élections législatives, présidentielles etc… Donc il me semble que maintenant tout est en ordre et tout est en marche pour que le Niger, avec ses autorités démocratiquement élues, puisse s'engager résolument dans la voie de l'avenir, avec des perspectives intéressantes de développement. La France veut ainsi, en cette occasion, confirmer, comme par le passé, notre détermination à répondre le mieux possible aux attentes exprimées par les autorités du Niger, pour la réalisation des priorités qu'elles ont-elles-mêmes arrêtées.
Q - Pendant cette période de transition, quel a été l'apport de la France aux autorités pour que tout redevienne normal ?
R - La France n'a jamais cessé, sous une forme ou sous une autre, d'apporter son soutien à un pays ami, certes dans une période de transition. Nous avons soutenu les autorités de la transition dans la démarche qu'elles ont initiée et respectée étape par étape. Ensuite, pour ce qui est de la coopération dédiée au développement, jamais cette coopération n'a cessé.
Q - Le président de la République investi ce matin a décliné ses priorités dont l'une est relative à la sécurité tout court et l'autre à la sécurité alimentaire. Que peuvent attendre les nouvelles autorités en termes de coopération par rapport à ces deux aspects ?
R - Ce sont deux aspects qui sont complémentaires mais qui s'analysent différemment. En termes de sécurité, chacun connait aujourd'hui la situation, chacun connait les efforts qui sont consentis par les autorités du Niger pour assurer la sécurité de ses ressortissants mais aussi des étrangers qui se trouvent sur son sol. Pour autant, nous savons comment procèdent les terroristes, par surprise. Et personne ne peut oublier, et certainement pas les Français, le sort tragique qui a été réservé à plusieurs de nos compatriotes. Nous pensons bien sûr à Michel Germaneau, mais aussi à Vincent et Antoine, nous pensons aussi aux trois otages qui ont été libérés, mais nous pensons surtout, à cet instant, aux quatre otages qui restent prisonniers et que nous voudrions qu'ils puissent, le plus rapidement possible retrouver leur famille et une vie normale. Donc il est bien évident qu'au niveau régional, une coopération très active doit se développer encore plus qu'aujourd'hui, entre les différents pays concernés, pour que cette partie du Sahel ne devienne pas un secteur de non-droit dans lequel on pourrait impunément détenir des otages, les monnayer et les assassiner, si à un moment donné les terroristes le décident. C'est un sujet pour nous de très grande actualité et nous sommes satisfaits que le président Issoufou ait indiqué que la sécurité pour tous et partout est effectivement pour lui une grande priorité.
Quant à la sécurité alimentaire, elle est de nature différente, même si l'insécurité alimentaire peut également déboucher sur des actions violentes. Nous devons être très conscients de la nécessité qu'il y a à améliorer la situation, partout en Afrique, pour les raisons démographiques que chacun connait. Le continent compte aujourd'hui près d'un milliard d'habitants et il y en aura deux milliards en 2050. Par conséquent, nous avons, les uns et les autres, le devoir impérieux d'aider les Africains à améliorer la situation, à réaliser leurs projets sur le plan agricole, de telle façon que l'auto suffisance alimentaire soit réalisée partout. Il est bien évident qu'un pays comme le Niger a un potentiel agricole et naturel très important, qui peut se développer, et le président de la République du Niger souhaite vraiment que l'agriculture du Niger puisse elle aussi, connaitre une grande période de promotion et de développement. La sécurité alimentaire est importante car elle est la clé de la sécurité tout court.
Q - Libye et Côte d'Ivoire. En agissant militairement dans ces deux pays, la France n'a-telle pas pris un risque, notamment celui de mettre le doigt dans l'engrenage de l'interventionnisme militaire postcolonial sur le continent africain, surtout lorsque le président Sarkozy avait dit vouloir sortir définitivement de cette politique ?
R - C'est bien parce que la France ne veut pas intervenir militairement, directement sur le continent africain, que la France se cale et essaie d'appuyer des actions entreprises par la Communauté internationale. Et s'agissant de la Côte d'Ivoire, je rappelle qu'il y a un processus de sortie de crise qui a été adopté par la Communauté internationale, mais aussi par les acteurs de la vie politique ivoirienne, et que c'est l'ONU qui est chargé de la mise en œuvre de ce processus. Il s'est déroulé tout à fait convenablement, jusqu'à l'issue du second tour de l'élection présidentielle, puisqu'à partir de là, le dépouillement étant fait, M. Ouattara étant élu président de la Côte d'Ivoire, M. Gbagbo n'a pas voulu reconnaître ces résultats. Mais la France à aucun moment, n'a pris l'initiative d'intervenir militairement.
Ces derniers jours, si effectivement les forces françaises ont été vues dans les rues d'Abidjan, c'est pour deux raisons ; la première c'est que le président de la République française a toujours considéré et affirmé qu'il était de sa responsabilité, par la présence de nos forces sur le terrain, de protéger, et exclusivement de protéger nos compatriotes qui sont très nombreux en Côte d'Ivoire - à peu près 12.000 dont près de la moitié de binationaux. Deuxièmement, s'agissant des opérations militaires qui ont été engagées ces derniers jours, la Force Licorne est intervenue pour détruire des chars, des mortiers, sur la demande expresse de l'ONU, après le vote d'une nouvelle résolution la semaine dernière. Donc les choses sont très claires, il ne faut pas réduire ou caricaturer les modalités de l'intervention française. La France n'intervient pas directement, la France intervient dans un cadre bien précis, lorsqu'il lui est expressément demandé d'appuyer une force internationale. D'ailleurs, il n'y a pas de troupes françaises en Côte d'Ivoire. Nous avons simplement effectué des frappes pour détruire des chars ou des mortiers.
Q - Et si Laurent Gbagbo capitulait maintenant, que ferait la France ?
R - Nous attendons pour la Côte d'Ivoire. Les Ivoiriennes et les Ivoiriens attendent aussi ce moment depuis longtemps. Il me semble que cela fait de nombreuses années que le peuple ivoirien souffre, qu'il y a de très nombreuses victimes, de la violence, des morts en grand nombre, des pillages, des exactions de toute nature… Je crois que le peuple ivoirien a largement mérité des années de paix et de sérénité. Ce que nous pouvons c'est que M. Gbagbo, dans un sursaut de responsabilité, comprenne qu'il n'y a qu'un seul président de la Côte d'Ivoire, M. Alhassane Ouattara et qu'il doit le reconnaitre.
Il n'y a dans une démocratie aucun déshonneur à perdre une élection. En revanche, il y a déshonneur à ne pas reconnaitre le résultat d'une élection.
Q - Récemment dans un communiqué, le parti socialiste a souhaité que la France soit à côté du Niger, pour un renforcement des moyens techniques et financiers. Cet appel a-t-il été entendu par le gouvernement français ?
R - Le gouvernement français procède, en termes d'aide au développement, dans le cadre de documents qui existent déjà, qui se déroulent et que l'on applique jusqu'à leur terme. Ensuite, si le pays concerné le souhaite, on peut parfaitement étudier les modalités d'un nouveau soutien. S'agissant d'un pays comme le Niger, qui rentre dans une phase nouvelle, nous sommes tout disposés à apporter une contribution visible, dans la mesure où nous pensons qu'il est important que la communauté internationale et la France avec elle donne, en quelque sorte, une «prime à la démocratie».
La politique française aujourd'hui se met en œuvre à partir de demandes exprimées par le pays concerné. Donc, le président Issoufou que j'ai vu aujourd'hui, m'a fait part d'un certain nombre de domaines dans lesquels il souhaiterait que la coopération française puisse s'approfondir. Nous allons donc, de manière tout à fait habituelle, avec les spécialistes nigériens et français, étudier toutes ces demandes, avec un œil tout à fait bienveillant.
Ce que nous essayons de faire aussi, comme nous l'avons fait dans d'autres pays très récemment, c'est d'examiner les demandes formulées en relation avec l'Union européenne. L'Union européenne a des possibilités d'intervention, et nous pensons que l'étude simultanée de ces demandes nous permettra de gagner beaucoup de temps dans la mise en place des politiques et de leur réalisation ; et je crois que nous gagnerons aussi en efficacité administrative.
Notre souhait est que le Niger puisse connaitre, dans les années qui viennent et au cours de ce quinquennat en particulier, une période de paix, de sécurité, mais également de marche vers la prospérité pour tous les habitants.
Q - Le Niger est un pays producteur d'uranium. Selon certains experts, la catastrophe que vient de connaitre le Japon aura des conséquences sur le cours de l'uranium. Cette crainte est-elle partagée par la France ?
R - La France a fait le choix, depuis très longtemps, de l'énergie nucléaire. 80% de notre énergie est d'origine nucléaire. Nous sommes très attachés à ce mode énergétique. Bien entendu, avec le temps, il peut y avoir des énergies de substitution qui peuvent apparaitre dans certaines proportions, mais néanmoins, je crois qu'il serait hasardeux aujourd'hui de dire par exemple, que dans vingt ou trente ans, en France, il n'y aura plus d'énergie nucléaire. Nous y sommes très attachés car c'est une énergie sûre, moins chère pour le consommateur et nous avons en France des opérateurs qui sont sans doute parmi les premiers du monde.
Nous n'en tirons aucune gloire en raison des circonstances, mais les spécialistes de ces questions sont en ce moment même au Japon, pour aider nos amis japonais dans l'épreuve redoutable qu'ils traversent. L'énergie nucléaire française est extrêmement sûre car nous avons fait le choix de la sécurité. Parfois, il peut nous arriver, au niveau international, de perdre un marché parce que nous sommes plus chers que d'autres. Mais si nous sommes plus chers, c'est que nos processus de sécurité sont particulièrement élaborés. Mme Lauvergeon, avec qui nous en parlions ce matin, nous disait que vraiment la sécurité était la priorité des priorités. Nous préférons manquer des marchés et continuer d'offrir la meilleure sécurité.
Q - La France serait-elle disposée à accompagner le Niger dans son projet hydro-électrique nucléaire ?
R - La France est tout à fait disposée à examiner les demandes qui lui seront proposées. Nous n'avons pas d'a priori lorsqu'il s'agit de pays démocratiques, lorsque nous savons que l'aide ne sera pas détournée de son objet.
Je sais que dans la plupart des pays d'Afrique, la question de la création et de la distribution d'énergie est une question d'une très grande actualité.
Q - Par rapport à la politique intérieure de la France, et notamment au débat qui vient d'avoir lieu sur la laïcité, ne pensez-vous pas qu'un tel débat est inutile voire dangereux ?
R - Des opinions tout à fait contraires se sont exprimées en France sur cette question, comme d'ailleurs sur beaucoup d'autres. Ce qui est certain est que nous vivons aujourd'hui une période de grands mouvements, de grandes mutations, et que nous avons sûrement besoin de revisiter les valeurs qui fondent notre république et notre démocratie, même si ces valeurs, évidemment, sont éternelles. Mais peut-être ont-elles besoin d'être actualisées, modernisées. Et je crois que pour une démocratie digne de ce nom, il ne faut pas craindre d'engager un débat sur quelque sujet que ce soit, à partir du moment où on l'engage avec sérieux, responsabilité, sans arrière-pensées politiciennes, simplement pour faire en sorte que l'opinion publique comprenne mieux comment la laïcité est vécue en France.
Les textes qui la régissent ont aujourd'hui plus d'un siècle, ce qui est une preuve de leur grande efficacité, tellement grande d'ailleurs, que la plupart pense qu'il n'est pas nécessaire de changer la loi de 1905, qui régit les relations entre les églises, les religions et l'Etat, en affirmant le principe de la neutralité de l'Etat, c'est-à-dire de la laïcité.
Je crois que l'on voit bien aujourd'hui, alors que le débat sur la laïcité a eu lieu en France il y a deux jours, que le «soufflet est retombé aussi vite qu'il est monté». Le débat s'est très bien déroulé et le lendemain il n'y avait plus de polémique. C'est donc bien que ceux qui l'ont alimenté en amont avaient sans doute des intérêts pour le faire, qui n'étaient peut-être pas directement en relation avec le thème de la laïcité, mais peut-être liés à des préoccupations pré-électorales.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2011