Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Nous avons à examiner un projet de loi dont l'objet est la transposition de deux directives portant sur un sujet particulièrement sensible, puisqu'il concerne le commerce de l'industrie de l'armement, en Europe et à l'extérieur de l'Europe.
Ce texte doit beaucoup aux directives, mais aussi aux travaux des parlementaires. Je voudrais tout particulièrement saluer le travail de votre rapporteur, M. Fromion, qui est, à bien des égards, le parrain de cette réflexion d'ensemble sur le marché intracommunautaire des armes, de l'armement, du matériel de sécurité et de défense, ainsi que d'une réflexion plus globale sur les règles de commerce et d'exportation de l'armement à l'extérieur des limites de l'Europe.
Ces deux directives, je sais que la Commission de la Défense nationale et des Forces armées les connaît bien, puisque nous avons eu l'occasion de travailler ensemble.
L'industrie de l'armement n'est pas une industrie comme les autres. Compte tenu des contraintes qui pèsent et sur ces équipements et sur leurs conditions d'usage, il est indispensable d'adopter des dispositions spécifiques et de faire en sorte que l'esprit du marché unique ne puisse être étendu aux biens de défense et de sécurité sans tenir compte de leur nature très particulière.
En France, l'industrie d'armement concerne directement et indirectement plus de 160 000 emplois, ce qui est considérable. Le chiffre d'affaires de cette industrie au plan international nous permet de peser. Alors que nous représentons 1 % de la population mondiale et 5 % de l'économie mondiale, nous fournissons 7,5 % des exportations mondiales d'armement - en moyenne, car ce n'était pas le cas en 2010. Pour un pays voisin comme le Royaume-Uni, d'une taille comparable à la nôtre, le chiffre est supérieur : 13,5 %. Israël représente 5 % des exportations mondiales d'armements, mais, étant donné la taille de ce pays, on peut considérer qu'elles revêtent pour lui un caractère tout à fait stratégique.
C'est donc une activité dans laquelle la France tient un rang honorable. Sans ces exportations, il serait souvent impossible d'organiser les économies d'échelle et le financement de la recherche et développement qui permettent à notre pays, dans bien des domaines, de disposer d'une autonomie, d'une indépendance qui contribue assurément à sa sécurité.
Pour autant, ce ne sont pas des biens comme les autres. Il était nécessaire - le rapport de M. Fromion l'a clairement établi - de faire comprendre, notamment à la Commission européenne, qui est à l'origine des deux directives de 2009, que chaque État devait garder un maximum de responsabilités pour pouvoir sécuriser ses approvisionnements, ne pas être dépendant de fournisseurs incertains et assurer, dans des domaines qu'il juge stratégiques, la protection de ses intérêts vitaux.
Ces deux textes doivent pouvoir concilier deux objectifs : s'il faut que le marché communautaire soit aussi ouvert que possible et ne soit pas segmenté en vingt-sept marchés nationaux qui constituent autant d'obstacles pour nos industriels - car nous sommes exportateurs -, nous devons nous mettre à l'abri d'une conception trop dogmatique de l'ouverture des marchés et de l'accès à la concurrence, qui pourrait fragiliser notre industrie en la plaçant sous la menace d'un dumping extérieur direct ou indirect, par le biais de ce qu'il est convenu d'appeler, dans ce secteur, des «faux nez» européens. Ceux-ci seraient européens pour la circonstance, mais représenteraient en réalité des activités industrielles extérieures à l'Union européenne, ne nous permettant pas de garantir dans le temps la sécurité de notre approvisionnement, même si, à court terme, par le jeu d'une concurrence superficielle et mal comprise, elles bénéficieraient d'un avantage prix.
En ce qui concerne les transferts intracommunautaires, le texte propose d'instaurer un principe de liberté encadrée du commerce et de l'industrie, de supprimer le dispositif des autorisations d'importation et de transit, mais de le remplacer par un contrôle à la fois a priori et a posteriori, par le biais de trois types de licences de transfert. Les premières sont des licences individuelles, concernant à la fois l'entreprise, le matériel et le destinataire. S'y ajouteraient des licences globales, qui offriraient à un exportateur européen établi en France la possibilité d'expédier pour une durée déterminée des matériels de guerre et matériels assimilés spécifiques. Nous définirions un troisième type de licence, dite générale, concernant des matériels moins sensibles.
Le bénéfice qu'en retireront les entreprises est évident : elles auront des règles prévisibles, certaines, qui leur permettront d'accéder à l'ensemble des États membres.
Au-delà des transferts intracommunautaires, nous avons souhaité que l'ensemble de nos exportations puisse bénéficier d'une simplification, et d'une rénovation d'un dispositif extrêmement ancien, puisqu'il remonte à 1939. Il reposait sur un principe général de prohibition des exportations d'armements, atténué par un système complexe de licences d'exportation se déclinant en plusieurs étapes. Chacune représentait parfois un processus administratif extraordinairement difficile à franchir, en particulier pour les industriels qui n'avaient pas une taille et des services administratifs et juridiques suffisants.
Le projet de loi propose donc de fusionner les deux étapes de l'agrément préalable, pour la négociation et la signature du contrat, et de l'autorisation d'exportation. Nous aurions ainsi une seule licence. Elle serait naturellement suivie d'une seconde licence pour le passage de frontière, permettant de contrôler la réalité physique de l'exportation pour vérifier la réalité des engagements. Les professionnels voient ce système comme une simplification.
J'évoquais le caractère spécifique de l'industrie de l'armement, de la sécurité et de la défense. C'est la raison pour laquelle, dans la directive concernant la concurrence et les appels d'offres en matière de défense et de sécurité, nous nous sommes efforcés de créer un dispositif juridique permettant d'introduire non pas une préférence communautaire ou un contrôle national, mais de tenir compte d'impératifs nationaux. Nous ne sommes pas dans le domaine du discrétionnaire et de l'aléatoire, le projet de loi que nous vous présentons a d'ailleurs été rudement négocié avec les services de la Commission européenne. Grâce aux divers dispositifs que je vais vous présenter, nous pensons pouvoir utilement concilier le principe de l'appel d'offres auquel nous invitait la directive avec un contrôle tenant compte du caractère spécifique des biens de défense et de sécurité.
Le texte a été modifié en ce sens au Sénat, par des amendements gouvernementaux discutés en commission et adoptés en séance. Ainsi, certains agents du ministère de la défense seront habilités à effectuer des contrôles au sein des entreprises, lesquelles seront obligées de donner aux agents habilités un libre accès à l'ensemble des informations nécessaires à l'accomplissement de leur mission. En adaptant un dispositif dont la rédaction initiale paraissait un peu maladroite, nous avons également prévu que, avant d'engager des poursuites, le procureur de la République saisi d'une infraction en matière de contrôle de l'importation, de l'exportation ou du transfert de matériels de guerre, devra demander l'avis du ministre de la Défense.
Ce texte prévoit également la mise en place d'un mécanisme de certification des entreprises souhaitant recevoir des produits liés à la défense, afin de vérifier la fiabilité de leur organisation interne. Nous avons donc la certitude qu'un haut niveau de sécurité sera maintenu dans ce secteur d'activité difficile.
Par ailleurs - et c'est très important, comme nous le prouve l'actualité -, toute autorisation ou certification pourra être suspendue, modifiée, abrogée ou retirée, notamment dans le cas d'un brusque changement du contexte international. Aujourd'hui, certains marchés de défense ou de sécurité obéissent déjà à une réglementation particulière dans le domaine de la défense.
Je voudrais revenir, s'agissant non pas de préférence nationale, mais de maîtrise nationale de situations extrêmes, sur l'application de l'article 346 du traité de fonctionnement de l'Union européenne. Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse : nous sommes attachés, sur l'immense majorité de ces bancs, à soutenir notre industrie.
Force est de reconnaître que, dans un monde qui n'est pas angélique, la place de l'industrie de défense reste, aujourd'hui encore, importante et stratégique pour une puissance industrielle comme la France. Il est nécessaire de ne pas la brader, en effet, et de permettre à l'intérêt national de s'exprimer. Or nous courions le risque que certains de nos vingt-six partenaires interprètent mal l'article 346 du TFUE, ce qui aurait permis d'écarter toute règle de mise en concurrence pour la protection du secret et des intérêts essentiels de sécurité nationale. Mal mis en 'uvre, cet article aurait évincé l'industrie française de l'accès naturel à des marchés, en l'occurrence européens.
L'article 346 protège les États qui ont une industrie de défense, ce qui est notre cas. L'encadrement prévu par l'article 346 n'est pas une atteinte à notre autonomie nationale : c'est au contraire la possibilité d'écarter des comportements excessivement protecteurs qui auraient fermé certains marchés européens à l'industrie française, et permis, pour des raisons locales, de rester ouverts à des industries de défense et de sécurité extra-européennes.
C'est la raison pour laquelle la transposition de la seconde directive, celle du 13 juillet 2009, me paraît pertinente, puisqu'elle encadre l'article 346 dans des conditions d'ouverture maîtrisée des marchés qui nous permet d'espérer travailler normalement dans les vingt-six autres États européens, même si, reconnaissons-le, cette directive nous oblige.
Mais, si cette directive nous oblige, c'est dans des conditions qui sont parfaitement acceptables pour les intérêts même de l'industrie française. D'une part, la directive conserve la possibilité d'exclure les marchés sensibles d'une ouverture à la concurrence, selon les modalités définies par l'article 346. Mais elle assure ensuite aux pays détenant une importante industrie de l'armement qu'ils ne seront pas confrontés, à l'intérieur de l'espace européen, à la concurrence déloyale de pays qui ne font pas le même effort de recherche et de développement dans le domaine scientifique, industriel et technologique. Le texte exclut donc toute ouverture à la concurrence des programmes de recherche cofinancés avec d'autres États européens. Enfin, le texte prévoit de larges possibilités de sélection des soumissionnaires, sur le fondement d'exigences relatives à la sécurité d'approvisionnement.
Cette exigence de sécurité d'approvisionnement est extrêmement pertinente puisque, en raison de la localisation même des activités de ceux qui concourent à un marché public, nous pouvons les écarter pour la raison qu'ils ne garantiraient pas d'être approvisionnés, notamment en cas de conflit, ou même simplement en cas de tensions, par exemple lorsque la circulation aérienne ou maritime deviendrait impossible. Cette contribution du président de la Commission de la Défense et des Affaires étrangères du Sénat, M. de Rohan, me semble particulièrement bienvenue.
Ainsi, cette directive vient protéger notre base industrielle et technique de défense en permettant un juste équilibre entre la nécessaire mise en concurrence des industries de défense au sein de l'espace européen, et le souci d'éviter d'ouvrir ce marché à des opérateurs qui n'en respecteraient pas les règles.
Ce dispositif nous permet d'évacuer ce que, dans le jargon de l'industrie, nous appelons les «faux nez», qui sont européens de circonstance, de hasard ou de rencontre, mais qui ne permettraient pas d'assurer durablement l'approvisionnement ou la sécurité, ou qui ne participeraient pas à l'esprit de coopération et de réciprocité qui préside à la construction européenne, notamment en matière de défense.
La logique d'ouverture internationale des marchés qui guide le texte de loi qui vous est présenté s'applique également au marché de la connaissance, mais il s'agit là d'un point particulier que je vous proposerai sous forme d'amendement.
Je voudrais revenir, en guise de conclusion, sur les trois étapes définies par le texte pour l'ouverture maîtrisée des marchés. Au moment de la rédaction des appels d'offres pour chaque marché, l'autorité adjudicatrice pourra définir si ce marché est restreint à la concurrence communautaire, ou s'il est ouvert à une concurrence internationale. La directive nous fournit d'ailleurs certains critères sur lesquels cette analyse pourra s'appuyer : les impératifs de sécurité d'information et d'approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'État, l'intérêt de développer la base industrielle et technologique de défense européenne, les exigences de réciprocité et les objectifs de développement durable, dont la présence peut surprendre s'agissant de défense, mais dont on ne peut pas ne pas tenir compte aujourd'hui. Nous avons donc suffisamment d'éléments, dans la transposition de la directive du 13 juillet 2009, pour soutenir une politique industrielle de défense qui soit en effet maîtrisée.
Dès la réception des candidatures, avant même la réception des offres, l'autorité adjudicatrice aura le pouvoir d'écarter les candidats implantés hors du territoire de l'Union européenne dont les capacités techniques ne seraient pas d'un niveau suffisant pour exécuter le marché, et qui apparaîtraient donc comme des «faux nez».
Enfin, troisième et dernière étape, à la réception des offres, l'autorité adjudicatrice pourra avoir intérêt à écarter une offre, notamment au motif que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie du marché, pour maintenir ou moderniser les produits acquis, ne seraient pas localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne.
Nous avons donc les éléments d'une véritable maîtrise. L'article 346 du TFUE, qui aurait pu être ressenti comme une protection de l'industrie française, fonctionnait en réalité comme une menace de fermeture, pour notre industrie, des vingt-six autres marchés de l'Union européenne. Nous avons donc, au travers de cette transposition, négocié au plus juste entre deux écueils. Le premier était de donner à l'article 346 une interprétation trop large, qui aurait permis à certains de nos partenaires d'éliminer par principe les pays européens dotés d'une industrie d'armement - je pense principalement à l'Espagne, à l'Italie, au Royaume-Uni, à l'Allemagne et à la France - au profit de fournisseurs extérieurs, pour des raisons politiques ou financières. Inversement, il nous fallait garder, à travers une bonne maîtrise de l'article 346, la possibilité d'évincer nous-mêmes ceux que j'ai appelés les «faux nez» et qui sont en réalité des entreprises mondiales tout à fait respectables, mais qui se serviraient du marché européen sans apporter, en contrepartie, les efforts de partenariat que l'on est en droit d'attendre, dans une construction communautaire, de ceux avec lesquels on est en concurrence.
Les deux directives permettent donc de donner un statut pertinent, mesuré, à ce qui ne sera jamais, du point de vue du commerce et des échanges, un produit comme les autres, puisqu'il doit pouvoir continuer de répondre à des préoccupations d'intérêt national, même si, à terme, notre objectif est naturellement de construire cet espace européen.
Le dispositif des échanges intracommunautaires va familiariser vingt-sept pays à des règles communes d'échanges de ces produits. Le chemin est encore long à parcourir pour qu'il y ait une prise de conscience réelle de la possibilité de créer l'Europe industrielle de la défense, même si des exemples récents, en particulier l'accord franco-anglais de Lancaster House en novembre dernier, montrent que les plus grands pays ont clairement la conscience de la nécessité de travailler ensemble. Pour être franc, les plus grands pays souhaitent la transposition de ces deux directives sur les bases du texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Interventions des parlementaires
Je commencerai par répondre à Mme Adam, et par la féliciter pour la grande qualité de son intervention. Il faut néanmoins reconnaître que la France, avec un budget effectivement très inférieur à celui des États-Unis, représente 7,5 % du marché mondial de l'armement, contre 50 % pour les États-Unis : c'est sept fois plus, pour un effort dix fois supérieur. En termes de productivité, nous nous situons donc à un niveau tout à fait convenable. Sur les études amont, les chiffres que vous avez cités sont exacts, mais je peux vous dire que l'année 2011 sera parfaitement satisfaisante. Cet effort - qui n'est, c'est vrai, que de 700 millions - est toutefois supérieur de 100 millions à celui du Royaume-Uni, pays comparable, et représente près du double de celui de l'Allemagne fédérale, dont les moyens financiers sont très largement supérieurs aux nôtres. Certes, les sommes ne sont jamais suffisantes mais, à proportion de nos richesses, elles sont importantes et significatives.
Comme d'autres intervenants, vous souhaitez une coopération européenne renforcée. Dans un climat budgétaire difficile pour l'ensemble des pays européens, et alors que, pendant plus de dix ans, les dividendes de la chute du mur de Berlin ont conduit à la contraction des investissements de défense, force est de reconnaître que les conditions financières ne sont pas favorables aux coopérations, chacun se repliant sur ses propres installations. Pour autant, très récemment, la France a pris l'initiative de relancer une coopération avec le Royaume-Uni, principal pays qui investit dans le domaine de la défense en Europe, avec les accords de Lancaster House. Nous sommes parfaitement déterminés à poursuivre, autant que cela est possible et réaliste, des coopérations et des regroupements européens.
J'indique à M. de Rugy que les grands pays principaux producteurs d'armement en Europe - la France, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suède - sont engagés dans une coopération solide en matière de contrôle de certification. Ces pays ont décidé, par une lettre d'intention du 6 juillet 1998, de mettre en place des agents habilités à contrôler la certification et la mise en 'uvre a posteriori de la réglementation européenne, avec des sanctions particulièrement lourdes. Que M. de Rugy soit convaincu de la volonté de contrôle des grands pays exportateurs : c'est notre devoir autant que notre intérêt.
Bernard Cazeneuve, vous êtes intervenu dans un sens favorable au projet de loi, et je ne peux que vous en remercier. Vous avez posé une question que vous aviez d'ailleurs déjà soulevée en commission : sur quelle base pouvons-nous avoir la certitude que la Cour de justice de l'Union européenne ne remettra pas en cause non pas une préférence communautaire, mais la possibilité d'exclure des compétiteurs non communautaires dès lors qu'un certain nombre de restrictions pertinentes peuvent être mises en avant par un État à raison même de l'équipement qu'il souhaite acheter '
Il y a, en effet, le considérant 18 de l'exposé des motifs. Or vous avez rappelé à juste raison que, entre les considérants et le dispositif d'une directive, la Cour de justice choisissait le deuxième. Cependant, les juristes éminents qui me conseillent m'ont indiqué que les articles 40 et suivants de la directive du 13 juillet 2009 ont fourni les restrictions permettant aux présidents des commissions des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat d'élaborer l'amendement qui sert de charte à l'exclusion non communautaire en cas de besoin et non pas la préférence communautaire par principe. Il y a donc bien une base juridique, qui n'est pas simplement le considérant 18, mais les articles 40 et suivants de la directive.
Vous avez également formulé des v'ux, que je partage totalement, Monsieur Cazeneuve. D'abord, que le règlement ne vienne pas compliquer les choses : j'en prends l'engagement publiquement devant vous et devant les commissaires du gouvernement qui auront à suivre ces sujets.
Le suivi informatique, ensuite, est un sujet que j'avais retenu en commission. Les performances de notre système spécifique, le SIEX, ont des limites dont nous avons conscience. Nous avions le choix entre retarder la mise en 'uvre de la directive en la subordonnant à celle d'un nouveau système informatique ou accepter, pour rendre service aux entreprises, le risque d'une coexistence entre un texte nouveau et un système informatique ancien qui, en tout état de cause, sera rénové pour 2014. Nous prenons ce risque. Soyons lucides : la loi sera opérationnelle en 2012 et la situation d'incongruité informatique durera dix-huit mois. La CIEEMG, qui vit sur les mêmes principes depuis 1955, devrait pouvoir supporter une année supplémentaire.
Oui, nous sommes les rois de l'eurocompatibilité. Ce perfectionnisme français, nous en souffrons, les uns et les autres, lorsque nous sommes usagers, mais nous sommes demandeurs de cette eurocompatibilité lorsqu'elle nous est favorable. Au fond, nous sommes à cheval sur deux cultures, celle de la construction européenne et celle des intérêts de base. Mme Adam serait partisane d'une préférence communautaire lorsqu'elle défend les intérêts de sa circonscription, mais partisane de la construction européenne lorsqu'elle défend des principes généraux. Il m'arrive aussi, comme nous tous, et c'est la raison pour laquelle je ne lui jetterai pas la pierre, d'être partagé de la même façon.
Oui, Monsieur Vandewalle, nous avons mis en place une sorte de préférence communautaire raisonnable - ce sont les articles 37-3 à 37-5 de l'ordonnance du 6 juin 2005. Je reconnais qu'elle est bien modeste. En matière de protectionnisme, on a cité les États-Unis, qui représentent 50 % du marché mondial des équipements de défense et de sécurité. Mais ils ne sont pas les seuls. Un autre grand pays, la Chine, est également protectionniste, ce qui n'est pas très surprenant compte tenu de sa tradition de centralisme héritée du communisme et de sa volonté de développement industriel à marche forcée. J'aimerais que les États-Unis ne soient pas toujours les seuls à être dénoncés et que l'on n'oublie pas que la Chine est également un pays protectionniste.
Pour notre part, nous ne le sommes pas dans ce dispositif. Simplement, nous permettons à un gouvernement de ne pas être traîné devant la Cour de justice de l'Union européenne s'il constatait que, dans un appel d'offres, il ne pouvait pas demander d'être équipé par des gens qui seraient incapables de fournir les équipements en cas de conflit, de tension, de difficultés d'approvisionnement ou de méconnaissance de règles de droit du travail. C'est une attitude mesurée qui ne tend pas à ériger une forteresse, ce que nous n'avons jamais voulu.
Je regrette le départ de Philippe Folliot, car il n'entendra pas le bien que je dirai de son intervention, notamment de son analyse économique de l'industrie de l'armement. Dans le chiffre d'affaires que vous avez cité, les uns et les autres, qui permet de faire vivre plus de 160.000 salariés, les exportations entrent pour un tiers, ce qui est considérable. Ce tiers est décisif pour permettre l'activité des deux autres tiers. Voilà pourquoi M. Folliot, et le groupe NC avec lui, a raison de soutenir ce projet de loi. Il n'est d'ailleurs pas le seul et je remercie M. Vandewalle, au nom de l'UMP, et M. Cazeneuve, au nom du groupe SRC, pour leur soutien.
M. Folliot a également évoqué le «paquet défense II». Il viendra, mais on n'en est pas encore là.
Je ne partage pas l'analyse de M. Candelier, notamment sur un point sur lequel je me permets de le reprendre : Israël n'est pas un État voyou. On peut être en désaccord, et il m'arrive de l'être, avec sa politique, mais c'est une démocratie où il y a une liberté d'expression. Cette démocratie connaît un état de tension depuis sa création, dans des circonstances que je n'aurai pas la prétention de restituer dans leur totalité. Très honnêtement, je pense que ces termes d'«État voyou» vous ont échappé.
Je remercie Philippe Vitel de son intervention. Je suis en accord total avec ses observations, en particulier celle qui rappelle que le ministre de la défense que je suis a intérêt à la concurrence. La concurrence n'est pas l'ennemi de l'acheteur, bien au contraire. Nous avons besoin de disposer sur le long terme d'une industrie de l'armement qui, sur les sujets stratégiques, ne soit pas dépendante de l'extérieur. Mais nous avons besoin aussi de partenariats et, sur certains équipements financièrement et quantitativement importants sans être toujours stratégiques, de liberté pour exercer une pression. Une situation de monopsone - un seul vendeur, un seul acheteur - aboutit à des perversions, on le voit bien dans le coût du maintien en conditions opérationnelles, un sujet majeur du budget de la défense. Philippe Vitel a raison de rappeler que les dispositions européennes, tout en encadrant la concurrence, permettent cette concurrence qui est, pour le pouvoir d'achat des armées, une nécessité absolue. Sans quoi, les armées deviendraient la vache à lait d'un petit nombre de fournisseurs, ce que nous ne pouvons accepter, car nous avons besoin d'équipements de défense de qualité mais à des prix raisonnables.
Yves Fromion a introduit deux valeurs ajoutées fortes, indépendamment du rapport qu'il a élaboré en qualité de parlementaire en mission - ce qui montre combien nous savons, dans nos institutions, exploiter les talents des uns et des autres, et combien l'exécutif peut se réjouir d'avoir des parlementaires impliqués et passionnés. Une première proposition porte sur la certification des entreprises et sur le moyen de s'assurer de son égale qualité dans les vingt-six États européens. Il suggère que l'Agence européenne de défense puisse être l'outil de vérification de la qualité de cette labellisation. Je réponds «oui» et je vais m'engager pour faire en sorte que cette labellisation s'adosse à une administration reconnue. Ce sera d'ailleurs l'occasion de donner à cette agence, dirigée par un diplomate français, une responsabilité qui dépasse les modestes 30 millions de budget dont elle dispose pour l'instant.
Vous avez également, Cher Yves Fromion, demandé plus de précisions sur le rapport annuel en matière d'exportations de la France. Je comprends le sens de votre démarche et nous en parlerons lorsque vous présenterez vos amendements au cours de la discussion des articles. Il est un moment où l'information doit rester la propriété de ceux qui en ont la responsabilité. La France doit certes être exemplaire. Si vous nous démontrez que nous pouvons faire mieux que d'autres pays, nous y serons prêts, mais, pour une fois, nous ne voulons pas être trop exemplaires et risquer d'affaiblir, le cas échéant, nos entreprises en donnant des informations qui pourraient être utilisées stratégiquement contre leur intérêt.
J'observe, pour conclure, que nous sommes en présence d'une coproduction législative dont doit se féliciter l'ancien président du groupe UMP, puisqu'il en avait lancé la formule en son temps. En voici une illustration et je me réjouis d'en être un modeste artisan.
Sur l'Europe de la défense, il y a beaucoup à faire. Nous franchissons une étape toute petite mais indispensable, celle des transferts intracommunautaires apaisés, libérés, acceptés. Ce n'est ni une révolution ni un pas de géant ; c'est la certitude que les pays qui n'ont pas d'industrie de défense cesseront de prendre en otage les pays qui en ont en leur interdisant d'accéder à leur marché pour négocier d'autres avantages. Nous avons aujourd'hui la certitude qu'il y aura une liberté des transferts intracommunautaires et cela sans que soit remis en cause le vieux principe de 1939 qui reste parfaitement légitime concernant le commerce des armes qui n'est pas un commerce banal : le principe, c'est la prohibition ; l'exception importante, c'est l'autorisation contrôlée. Ce texte ne déroge en rien à un principe fondateur de notre industrie de l'armement et de la diplomatie française réunis.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 avril 2011