Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, à RMC le 7 mars 2011, sur le climat politique et les sondages d'opinion.

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Texte intégral


 
Merci d’être avec nous. Nous allons regarder avant de parler éducation nationale, nous allons parler sondages, mais je vais commencer par la Libye, parce que c’est quand même le plus important ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Alors, « c’est moi ou Al Qaïda » a dit Kadhafi. Est-ce que vous le croyez, franchement ?
 
Non ! Vous savez, le ministre des Affaires étrangères a été très clair sur ce sujet, nous sommes très préoccupés par rapport à ce qui se passe en Libye. Il y a une réaction absolument dramatique de la part de Kadhafi vis-à-vis de sa population, on l’a vu encore hier, via les images qui sont dramatiques, quand on voit qu’on est prêt à tirer sur la population, à tirer sur la foule. Donc, face à ça, la France a une position commune avec l’ensemble des pays développés, tout en disant que nous ne privilégions pas une intervention sur place, mais nous sommes extrêmement vigilants sur ce qui se passe là-bas.
 
Oui, donc, il ment Kadhafi lorsqu’il dit « c’est moi ou Al Qaïda ».
 
Oui, parce que, vous savez, A. Juppé a dit quelque chose de très juste hier, quand il était au Caire, il a dit, « peut-être nous sommes-nous laissés un peu intoxiquer en pensant que il n’y avait pas d’autre alternative que ces régime face aux extrémismes ». Et je pense que c’est une réflexion intéressante. C’est vrai que pendant des années nous avons travaillé avec des régimes qui n’étaient pas forcément des démocraties, mais qui étaient nos interlocuteurs.
 
Qui n’étaient pas des démocraties.
 
Et nous avons travaillé avec eux pensant que c’était la solution face aux extrémismes. Eh bien, peut-être qu’il y avait d’autres alternatives, et je crois qu’on doit toujours s’interroger...
 
...c’est-à-dire que l’Occident s’est peut-être trompé ?
 
Je crois qu’on avait des interlocuteurs, donc c’était un peu une solution de facilité de travailler avec eux. Ensuite, c’est vrai qu’on doit toujours se poser les bonnes questions, se mettre à la place des autres. Et en tout cas, le vent de démocratie qui souffle est évidemment très positif.
 
Revenons en France, ce sondage qui donne M. Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle devant M. Aubry et N. Sarkozy ex-aequo vous paraît-il crédible, sincèrement ?
 
Crédible, pas vraiment. Je vais vous dire, il faut rester calme. Moi, j’entends beaucoup de commentaires immédiats, « ça y est »...
 
...beaucoup d’émotion dans la classe politique.
 
Oui, beaucoup d’émotion, restons calmes.
 
Chez les journalistes, chez les éditorialistes.
 
Voilà, chez les sondeurs eux-mêmes.
 
Chez les sondeurs même, oui.
 
Restons calmes ! Vous savez, l’élection présidentielle c’est dans treize mois, il va se passer beaucoup de choses, vous aurez à commenter tous les matins, un sondage de ce type. Donc, nous, responsables politiques, nous devons rester calmes, prendre du recul. Vous savez, un sondage c’est une photographie, c’est un instantané. Et je crois que c’est S. Pérès qui disait, « les sondages c’est un peu comme le parfum, il faut les sentir mais il ne faut pas les boire », c’est-à-dire que c’est une photographie instantanée, mais ce n’est pas le film de l’élection présidentielle de 2012. Il faut prendre du recul. Maintenant, ce sondage, je crois qu’il faut le prendre aussi comme un aiguillon, il faut le reconnaître, et je crois qu’il nous engage à deux responsabilités, finalement. D’abord, continuer jusqu’au dernier jour à travailler au service des Français, résoudre les problèmes des gens. Si il y a plus de gens qu’hier qui se reconnaissent aujourd’hui peut-être dans M. Le Pen, c’est peut-être, et c’est sans doute parce qu’il y a de graves inquiétudes, il y a de la douleur, et il y a de notre part nécessité de répondre aux problème quotidiens des gens. Et puis, deuxième responsabilité, le moment venu de préparer l’élection présidentielle dans les meilleures conditions, c’est-à-dire les conditions, à mon sens, c’est mon point de vue personnel, de rassemblement derrière notre candidat, N. Sarkozy.
 
Nous allons en parler, tiens, de rassemblement. Mais n’êtes-vous pas étonné qu’on s’étonne ? Je veux dire par là, que si N. Sarkozy était en tête de ce sondage, ou si D. Strauss-Kahn était en tête, personne ne commenterait le sondage. Personne !
 
Oui, mais ce qui fait débat c’est évidemment que M. Le Pen puisse être en tête, mais surtout ce qui fait débat c’est la méthodologie. Et d’ailleurs, vous avez tout à l’heure interviewé J.-P. Sueur, que je connais bien, et qui a à mon sens très bien répondu en expliquant que les gens ne savent pas forcément, c’est la technique de sondage, mais le score du Front national dans les sondages est toujours corrigé, c’est-à-dire que ça n’est pas le score déclaré par ceux qui sont interrogés.
 
Donc, ce n’est pas vrai ?
 
C’est pas que c’est pas vrai, c’est que c’est une technique de sondage, moi je n’ai pas à m’exprimer sur le sujet, je ne suis pas un spécialiste, mais c’est le constat. Donc, là, la question c’est de savoir si ils ont corrigé au-delà du raisonnable, et donc si le résultat est cohérent. Moi, j’ai entendu quand même ce matin un certain nombre de critiques, il parait, y compris de grands spécialistes des sondages, qui rappellent d’ailleurs que le sondeur en question est celui qui mettait J.-P. Chevènement à 14 % en 2002, et F. Bayrou à 25 en 2007, voilà. Mais, peu importe, si vous voulez, il faut prendre du recul et rester calme.
 
Alors, justement, prenons du recul. Le Sénat à l’unanimité a voté un texte pour rendre les sondages plus transparents. Et l’Assemblée nationale ne l’a pas inscrit à l’ordre du jour pour l’instant. Le gouvernement nous dit, « mais non, il n’y a pas d’urgence ». Il y a urgence pour vous ?
 
Je crois que c’est un bon texte, et d’ailleurs la majorité l’a voté.
 
Oui, tout le monde l’a voté.
 
Et il a été défendu par deux sénateurs, l’un socialiste, l’autre membre de l’UMP. Alors, maintenant, vous savez, on a simplement une chose qui se présente à nous, c’est que nous avons un encombrement législatif. Je crois, de mémoire, qu’il y a 44 ou 45 textes, lois ou propositions de lois...
 
...il y a trop de lois alors ?
 
... qui sont en attente dans ce qu’on appelle la navette, qui ont été votés par une chambre et pas encore votés par l’autre, dans un délai, un an de travail parlementaire très contraint. Donc, il y a un moment où il va falloir faire des choix, il va falloir peut-être regarder comment on organise le temps parlementaire, mais ce n’est pas à moi de le faire, c’est au ministre des Relations avec le Parlement.
 
N’est-ce pas plus urgent, par exemple, que la déchéance de nationalité, que l’élargissement de la déchéance de nationalité, L. Chatel ?
 
Mais tout est urgent !
 
Tout est urgent, oui.
 
Tout est urgent, et le rôle du gouvernement c’est de regarder comment dans le délai qui reste jusqu’à la fin de la législature nous sommes capables de respecter nos engagements, c’est-à-dire d’aller au bout du programme présidentiel de N. Sarkozy, et puis de répondre à des urgences ici ou là, comme celle que vous venez d’évoquer à travers la proposition de loi sur les sondages.
 
Vous êtes favorable à l’élargissement de la déchéance de la nationalité ?
 
Oui, moi, j’y suis favorable.
 
Vous y êtes favorable.
 
J’y suis favorable parce que ça peut correspondre à une évolution qui est nécessaire par rapport aux formes de violences que l’on rencontre aujourd’hui.
 
Discussion demain à l’Assemblée nationale sur ce texte. Donc, vous soutenez, là, la position du gouvernement.
 
Bien sûr, j’y suis favorable.
 
Vous y êtes favorable.
 
Oui, je l’ai toujours dit.
 
Et le gouvernement maintiendra cette demande d’élargissement ?
 
A ma connaissance, oui, voilà. Je ne suis pas le ministre en charge du dossier, qui le défendrait au Parlement, mais...
 
...non mais, vous suivez attentivement.
 
Ça correspond à un engagement du président de la République dans son discours de Grenoble l’été dernier.
 
Malgré l’opposition des centristes et l’opposition de certains UMP.
 
Oui, mais il y a des débats au sein de la majorité, c’est pas la première fois, mais le gouvernement présentera cette disposition.
 
Bien. Je voudrais revenir sur ce fameux sondage avec des propos tenus par quelqu’un que vous connaissez bien, D. de Villepin. Je le cite, « Le résultat de ce sondage est l’expression d’une colère devant la non prise en compte des préoccupations quotidiennes des Français. C’est d’abord la sanction d’une politique qui n’a pas de résultat, et c’est la sanction de l’abandon de la question sociale au profit de la question identitaire ».
 
Je trouve ses paroles très sévères. Très sévères parce que toute l’action du gouvernement depuis deux ans et demi a consisté d’abord à répondre à la crise, c’est-à-dire à être capable d’endiguer très en amont...
 
...mais pour l’instant les Français ne sentent pas la réponse, L. Chatel, pardon, mais...
 
Peut-être, je peux vous prendre à témoin, je suis venu plusieurs fois dans votre émission, souvent.
 
Oui, ça fait bien longtemps que vous n’étiez pas venu, mais là je suis content de vous accueillir.
 
Oui, je viens quand vous m’invitez.
 
Je vous invite, oui, très bien.
 
Depuis le début de la crise, j’ai été le porte-parole du gouvernement, ministre de l’Industrie, j’ai rappelé que la crise serait longue et j’ai rappelé qu’il y a souvent un décalage entre l’action que nous menons au niveau économique et la perception sociale par les Français. C’est-à-dire que finalement la période la plus difficile c’est le moment où nous avons pris sans doute les bonnes décisions au niveau économique pour endiguer les difficultés et pour inversera la tendance, et d’ailleurs la croissance repart dans notre pays, mais ça n’est pas la perception qu’en ont les Français. Et sur le terrain, on le voit, je suis élu local, je suis maire de Chaumont, je veux dire on voit bien que les gens ont des difficultés et le rôle du gouvernement c’est d’être à leurs côtés. Donc, je trouve ce commentaire très sévère parce qu’il ne reflète pas la réalité de l’action du gouvernement.
 
Commentaire très sévère d’un homme qui sera reçu, qui est reçu en ce moment même par N. Sarkozy, D. de Villepin.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 10 mars 2011