Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à LCI le 15 avril 2011, notamment sur l'intervention militaire en Libye et sur la situation en Côte d'Ivoire.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER Barack OBAMA, Nicolas SARKOZY et David CAMERON signent une tribune commune dans la presse internationale. Il ne s'agit pas d'évincer KADHAFI par la force, précisent-ils, mais ils veulent trouver une solution politique pour la Libye, une solution sans KADHAFI, mais KADHAFI refuse de partir. N'est-ce pas là la preuve de l'enlisement ?
 
GERARD LONGUET En tous les cas, c'est une tension politique. Les trois disent ensemble quelque chose de très important : KADHAFI n'est pas l'avenir de la Libye. C'est un signal adressé à tous les Libyens, à ceux qui sont aujourd'hui dans l'opposition, à ceux qui sont encore aujourd'hui autour de Tripoli : il n'y aura pas d'avenir avec KADHAFI, que chacun prenne sa part de responsabilité. Et on voit bien que l'objectif est clair : c'est d'amener les gens de Tripoli à quitter KADHAFI.
 
CHRISTOPHE BARBIER Est-ce qu'on n'est pas en train de sortir de la résolution de l'ONU comme le dit Dominique de VILLEPIN ce matin ? Est-ce qu'on n'est pas en train de se mettre un peu dans la situation de George BUSH en Irak ?
 
GERARD LONGUET Alors de la résolution 1973, certainement. Elle n'évoquait pas l'avenir de KADHAFI mais je pense que trois grands pays qui disent la même chose, c'est important pour les Nations unies et peut-être un jour le conseil de sécurité prendra une résolution.
 
CHRISTOPHE BARBIER Vous souhaitez une nouvelle résolution qui encadre politiquement ?
 
GERARD LONGUET Moi je souhaite qu'à côté de l'action militaire il y ait une ouverture politique et que les Libyens puissent se retrouver pour imaginer ensemble un avenir sans KADHAFI. Peut-on construire un avenir sur un homme dont les solutions politiques consistent à tirer sur ses opposants ? La réponse est non.
 
CHRISTOPHE BARBIER Est-ce que la Russie, est-ce que la Chine, le Brésil et d'autres ne vont pas protester contre cette…
 
GERARD LONGUET Ils vont naturellement traîner des pieds mais quel est le grand pays aujourd'hui qui peut reconnaître qu'un chef d'État peut régler ses problèmes en tirant au canon sur sa population ? Aucun grand pays ne peut le reconnaître.
 
CHRISTOPHE BARBIER Alain JUPPÉ a demandé aux Américains de remonter en première ligne avec leurs avions, un besoin technique : ils refusent. Êtes-vous lâchés par les États-Unis ?
 
GERARD LONGUET Il faut reconnaître que les États-Unis ont deux gros chantiers, l'Afghanistan et l'Irak, et qu'ouvrir pour eux un troisième chantier est quelque chose de difficile. Et après tout, la Libye c'est l'affaire des Européens, je veux dire c'est notre mer Méditerranée, notre mer commune. J'ajoute que les Américains continuent d'apporter un appui logistique sans lequel les avions, les autres avions des autres pays de l'OTAN ne peuvent pas fonctionner. Lorsqu'il y aura - avec cet article, on voit bien qu'ils sont disponibles même s'ils ne sont pas en première ligne.
 
CHRISTOPHE BARBIER Est-ce que vous regrettez que l'OTAN ait pris la main militairement ? Est-ce qu'on n'a pas perdu en efficacité ?
 
GERARD LONGUET Non, je pense que c'est une action collective. La France et la Grande Bretagne certes ont les coudées franches lorsqu'elles sont deux mais intéresser toute l'Europe et tout l'OTAN à une affaire méditerranéenne qui concerne toute l'Europe et tout l'OTAN, je crois que c'est un bon investissement pour l'avenir, même si c'est un peu plus compliqué dans la forme. J'ajoute que les déclarations de RASMUSSEN, le secrétaire général de l'OTAN, montrent qu'il vient tranquillement sur notre ligne. S'il entraîne autour de lui de nouveaux pays, tant mieux.
 
CHRISTOPHE BARBIER Combien de temps peut agir l'aviation française sans avoir des problèmes de munitions, de missiles ?
 
GERARD LONGUET Indéfiniment.
 
CHRISTOPHE BARBIER Vous êtes sûr qu'on arrive à fournir nos avions ? Il n'y a pas un moment donné où on freine les frappes, on n'a plus les moyens ?
 
GERARD LONGUET Il faut naturellement – alors il y a deux inconvénients. Il faut naturellement s'organiser et le prévoir et le risque, c'est de dépasser le budget des opérations extérieures tel qu'il a été voté dans la loi de finances initiale.
 
CHRISTOPHE BARBIER Les membres de la coalition internationale sont divisés : faut-il ou non livrer des armes, voire des armes lourdes, aux insurgés ? Est-ce que vous changez de position sur ce plan-là ?
 
GERARD LONGUET C'est un vrai sujet. C'est la raison pour laquelle la France et la Grande Bretagne souhaitent que nous puissions marquer notre détermination, y compris par des frappes sur les centres de décision militaire en Libye ou sur des dépôts logistiques qui aujourd'hui sont épargnés. Pourquoi ? Parce que si nous voulons éviter la guerre civile, c'est-à-dire que les uns s'équipent pour répondre à la force des autres, il faut que la force des autres soit neutralisée. Et donc les frappes que nous demandons ont pour objet de faire en sorte que l'on n'ait pas besoin de financer – d'équiper militairement les insurgés.
 
CHRISTOPHE BARBIER C'est peut-être aussi que vous n'avez pas très confiance dans les insurgés, on ne sait pas trop qui c'est.
 
GERARD LONGUET Notre objectif n'est pas d'organiser un front : notre objectif c'est que les militaires de KADHAFI rentrent dans leur caserne.
 
CHRISTOPHE BARBIER Un responsable des insurgés, Souleiman FORTEA, est venu à Paris demander, lui, des troupes au sol au moins pour dégager Misrata. C'est envisageable ?
 
GERARD LONGUET Ce n'est pas dans la résolution. Alors pour le coup ce n'est pas dans la résolution et je pense profondément que les Libyens s'ils s'entraident, si ceux de Cyrénaïque par bateau vont sur Misrata et si nous, nous marquons notre détermination sur les centres de décision de Tripoli, l'étau va se desserrer assez rapidement.
 
CHRISTOPHE BARBIER Solution politique : peut-on envisager un cessez-le-feu et puis une partition de la Libye et KADHAFI règne sur une peau de chagrin ?
 
GERARD LONGUET Ce n'est pas l'objectif de tous les Libyens. Les Libyens que nous rencontrons veulent l'unité de la Libye. La Libye a été fédérale autrefois, elle peut le redevenir. Mais l'idée c'est vraiment de parler entre Libyens, ce n'est pas d'avoir une ligne de front comme celle qui sépare la Corée du Nord et la Corée du Sud depuis soixante-dix ans.
 
CHRISTOPHE BARBIER En Côte d'Ivoire, Laurent GBAGBO est au nord du pays. Est-ce que vous savez où ? Est-ce que vous savez qui le garde ? Est-ce qu'il est bien traité ?
 
GERARD LONGUET Il est au nord du pays dans un arrangement Nations unies. Il est gardé par les forces du président OUATTARA elles-mêmes encadrées par les forces de l'ONUCI, donc il n'est pas livré à l'arbitraire. L'ONUCI est présente.
 
CHRISTOPHE BARBIER Est-ce qu'il sera livré à la justice internationale ? Est-ce que vous le souhaitez ?
 
GERARD LONGUET Moi je n'ai pas de souhait personnel. Si le procureur de la cour pénale internationale demande la comparution de l'ancien président GBAGBO, il sera déféré devant cette cour pénale internationale. Si et seulement si.
 
CHRISTOPHE BARBIER Les Français patrouillent dans Abidjan avec les troupes de OUATTARA. Est-ce que nous sommes en cogestion de la Côte d'Ivoire ?
 
GERARD LONGUET Nous contribuons à faire en sorte que l'État de droit se réimplante, mais je constate que le patron de la gendarmerie, le patron de l'armée, le patron de la police ont fait acte je dirais d'allégeance et de service auprès du président élu. Nous, nous avons vocation à replier Licorne et au mois de juin, lorsque le mandat de l'ONUCI sera confirmé, je pense que nous pourrons prendre des décisions définitives pour que Licorne cesse sa mission. CHRISTOPHE BARBIER On n'ira pas au-delà de l'été ?? 1 800 hommes ?
 
GERARD LONGUET Non. Non, non. D'ailleurs nous ne sommes plus à 1 800. Les troupes sont reparties sur Libreville et sur N'Djamena. La France n'a pas vocation à porter l'État ivoirien à bout de bras.
 
CHRISTOPHE BARBIER Avez-vous des nouvelles des otages français qui avaient disparu au plus fort de la bataille.
 
GERARD LONGUET Non. Malheureusement non.
 
CHRISTOPHE BARBIER Vous êtes pessimiste ?
 
GERARD LONGUET Je ne suis pas pessimiste mais l'absence d'informations est très préoccupante.
 
CHRISTOPHE BARBIER Pour calmer la polémique sur le rôle précis de la France dans l'arrestation de GBAGBO, le jour même de l'arrestation, est-ce que vous acceptez une commission d'enquête parlementaire ou une commission internationale ?
 
GERARD LONGUET Bien volontiers. D'abord je ne vais pas accepter une commission parlementaire : elle se désigne elle-même. Une commission internationale, pourquoi pas ? Ce qui est très intéressant, c'est que nous vivons aujourd'hui des événements en temps réel et en direct. Nous avons vu des images directes dont j'ignorais l'existence mais qui prouvent très clairement que l'arrestation de GBAGBO a été le fait des forces ivoiriennes exclusivement.
 
CHRISTOPHE BARBIER Un mot de politique intérieure. Dominique de VILLEPIN, Jean- Louis BORLOO avancent vers des candidatures personnelles à la présidentielle. Est-ce que la machine à perdre est en route à droite ?
 
GERARD LONGUET Non, mais c'est au moment du tirage de la loterie que chacun achète son billet, mais il n'y a qu'un seul billet gagnant.
 
CHRISTOPHE BARBIER Et c'est quand que l'on saura si le billet est gagnant et si les autres billets font perdre le gagnant ? C'est à l'automne.
 
GERARD LONGUET On le saura certainement à l'automne mais vous savez, aujourd'hui nous avons une opinion de plus en plus réactive et il faut donc de plus en plus de sang froid. Souvenez-vous qu'en décembre 1994, Jacques CHIRAC était au fond du trou : ça ne l'a pas empêché d'être élu en mars de l'année suivante.
 
CHRISTOPHE BARBIER François FILLON, dit-on, organise son entourage politique. Est-ce que vous craignez à un moment donné sa déloyauté envers SARKOZY ? Est-ce qu'il peut jouer sa chance ?
 
GERARD LONGUET Profondément François est quelqu'un de très loyal à un système qu'il connaît – celui de la Vème République – dont il a théorisé les règles du jeu. Je ne le vois pas s'éloigner de ce comportement.
 
CHRISTOPHE BARBIER Le libéral que vous êtes approuve-t-il une prime de 1 000 euros pour les salariés des entreprises qui ont des dividendes ?
 
GERARD LONGUET Quand on en parlera au conseil des ministres, je donnerai mon avis à cet instant.
 
CHRISTOPHE BARBIER Et votre avis est plutôt réservé pour l'instant intellectuellement ?
 
GERARD LONGUET [moue dubitative] Je suis ministre de la Défense, pas de l'économie à cet instant.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 avril 2011