Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à l'AFP et UPI le 27 avril 2001, sur la situation du Liban et le rôle de l'Union européenne au Proche-Orient.

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Circonstance : Voyage de M. Hubert Védrine à Chypre, au Liban et en Syrie du 26 au 28 avril 2001

Média : Agence de presse - UPI

Texte intégral

Entretien avec l'AFP :
Q - Que faire pour le Liban au bord de l'asphyxie économique et pris dans l'engrenage de la crise régionale ?
R - La situation économique et financière du Liban nous préoccupe beaucoup parce que c'est un pays ami et qu'il a une tâche énorme qui est de se reconstruire. Cette reconstruction n'est pas achevée et nous souhaitons de toutes nos forces qu'il y arrive. Cette crise est très fâcheuse parce qu'un Liban prospère est indispensable à un Proche-Orient stable et en paix. Il ne faut pas que ce problème vienne s'ajouter aux différents problèmes israélo-arabes qui demeurent encore, sous leurs formes variées, une hypothèque sérieuse pour la région. La France fait tout ce qu'elle peut pour que les organisations internationales spécialisées, les différents pays amis, soutiennent le Liban pour qu'il surmonte cette épreuve.
Q - Quid du soutien des opérations du Hezbollah libanais, soutenu par la Syrie, contre Israël ?
R - () Les problèmes territoriaux entre Israël et la Syrie ne sont pas réglés. Il reste des contestations en ce qui concerne les frontières israélo-libanaises. Tout cela constitue les séquelles de conflits dans certains cas imparfaitement réglés et dans d'autres cas de problèmes non-réglés. Il y a de la part des uns et des autres des comportements qui sont des précautions, des prises de gages pour une solution politique future. Nous souhaitons qu'arrive le moment où ces problèmes pourront être surmontés par un règlement équitable. Ma visite est une façon pour la France de continuer à travailler obstinément pour un règlement équitable.
Q - Quelle forme pourrait prendre un rôle accru de l'Europe et de la France, souhaité par Damas ?
R - La France a des relations bilatérales très fortes avec chacun des protagonistes. Par son action au sein de l'Union européenne, elle agit constamment pour que les Quinze établissent entre eux une plus grande convergence de leur politique, une plus grande harmonie de leurs positions et une expression plus forte dans l'intérêt de la paix. Je vois d'ailleurs que petit à petit l'Europe s'enhardit et qu'elle prend bien conscience de la responsabilité qui est la sienne dans un esprit de complémentarité avec les efforts des Etats-Unis quand il y en a.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)
Interview à UPI :
Q - Dans quel esprit entamez-vous votre visite au Liban et en Syrie ? Avez-vous des messages de la part du président Chirac à ses homologues libanais et syrien ?
R - Je vais au Liban et en Syrie car j'éprouve le besoin d'y aller. Ce sont des pays importants pour nous, les deux présidents, libanais et syrien, doivent faire des visites en France dans les quelques mois qui viennent. La situation au Proche-Orient est vraiment préoccupante pour nous, d'une part en ce qui concerne la situation israélo-palestinienne - elle est même très inquiétante - et, d'autre part, parce que l'on a pu penser à un moment donné, en ce qui concerne les relations entre Israël, la Syrie et le Liban, que les solutions étaient proches et puis, finalement, tout s'est bloqué et on ne voit pas la solution. Compte tenus des liens très particuliers que nous avons avec ces pays, la France en est préoccupée. Je souhaite revenir sur place, je ne suis pas allé dans ces deux pays depuis l'an dernier pour avoir une exacte évaluation des autorités de la situation pour voir ce que nous pouvons faire d'utile. J'y vais donc préoccupé et désireux d'être utile.
Q - Il n'y a donc pas de message particulier ?
R - Ce qui est clair, c'est que je parle de ce sujet avec le président Chirac au moins une fois par semaine. Nous en avons encore parlé longuement à l'instant avant de vous rejoindre. Nous parlons tout le temps de ce qu'il faut faire sur les questions internationales et, s'agissant de cette question, nous en discutons chaque fois bien évidemment. Il n'est pas un seul rendez-vous sans que nous en parlions. J'exprimerai auprès du président Lahoud et du président Assad, les préoccupations actuelles de la France. Ces préoccupations sont celles du président et du gouvernement français.
Q - Allez-vous discuter avec les autorités syriennes de la question du redéploiement des forces syriennes au Liban et de la question de l'oléoduc iraqien passant par le territoire syrien ?
R - Mon souhait, par rapport à ces entretiens avec la Syrie qui sont toujours très riches et très intéressant, c'est que l'on puisse parler de tout. Je souhaite donc que rien ne soit écarté, sur aucun plan, dans ces entretiens.
Dans le passé, j'ai toujours procédé ainsi avec le président Assad, avec M. Charaa et j'ai l'intention de continuer. Les questions que vous mentionnez devraient faire partie de nos entretiens.
Q - Si le gouvernement israélien continue sa politique, qu'allez-vous demander au Conseil d'association Union européenne-Israël prévu à la mi-mai ?
R - Vous parlez d'une réunion assez technique mais qui est un rendez-vous tout de même. J'ai eu l'occasion de dire, à l'Assemblée nationale, il y a quelques temps que si cette situation continuait, qu'il n'y avait aucun signe d'ouverture, d'évolution dans la politique de M. Sharon, cela finirait par poser un problème à un certain nombre de pays de l'Union européenne car cet accord d'association a été conçu dans un esprit positif, dynamique, dans un contexte d'espérance par rapport au processus de paix, et il contient de clauses sur les Droits de l'Homme, sur un certain nombre de choses. Il est clair qu'un certain nombre de pays européens, dans les différents contacts prévus seront amenés à interroger le gouvernement israélien et à souligner l'éventuelle contradiction entre la démarche qui est celle de l'accord d'association et la réalité d'aujourd'hui.
Q - Vous avez soumis à vos collègues européens des idées destinées à contribuer à la réflexion des Quinze sur le rôle de l'Union européenne. Pourriez-vous nous donner quelques échos de retour ?
R - Il faut que je vous explique en un mot, ce n'est pas un plan de paix. Ce n'est pas une initiative comme lorsque l'on prend une initiative diplomatique pour expliquer ce que l'on fera dans les quinze jours à venir sur un certain nombre de plans. C'est une contribution française à une réflexion engagée par les Quinze depuis un certain temps et qui s'est accélérée sous la présidence française de l'Europe. Nous réfléchissons pour savoir comment l'Union européenne peut jouer un rôle plus grand dans l'affaire du Proche-Orient. Il y a de plus en plus de pays européens, naturellement la France, mais aussi l'Espagne, l'Italie quelques autres qui estiment que l'Union européenne doit, pour des raisons évidentes de responsabilités globales, pour des raisons historiques et de proximité, pour des raisons humaines, morales, bref, que l'Europe doit jouer un rôle plus grand. En même temps, nous connaissons très bien nos propres faiblesses, nous les connaissons mieux que quiconque et nous savons très bien que les pays européens ont du mal à se mettre d'accord sur des positions fortes car ils ne veulent pas déplaire. Cela donne une ligne qui est un peu faible par rapport à tout le monde. Nous avons lancé une réflexion au cours des derniers mois, et dans un des derniers CAG, j'ai remis une note qui est une note de réflexions sur ce point. Mais il ne s'agit pas d'un plan de paix, c'est autre chose, c'est plus fondamental, cela consiste à faire progresser l'Union européenne dans la conscience du rôle qu'elle doit jouer et c'est une façon de l'inciter à surmonter ses propres timidités.
Q - Avez-vous réussi à "secouer le cocotier" ?
R - C'est une tâche de longue haleine et je crois que les pays européens aujourd'hui sont beaucoup plus conscients de leurs responsabilités au Proche-Orient. Ils vivent très mal la situation tragique actuelle, ils sont beaucoup plus désireux qu'avant de jouer un rôle utile, sans antagonisme avec qui que ce soit parce que toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, les américains, les Russes, d'autres pays arabes, les Turcs. Il n'y a pas du tout d'esprit de concurrence, ce n'est pas du tout l'idée. Il y a une prise de conscience qui s'est développée qui est beaucoup plus forte qu'avant, la transformation de cette nouvelle mentalité, de cette nouvelle exigence européenne, de cette nouvelle ambition européenne, donc une politique à proprement parlé reste à faire.
Q - L'attente est grande...
R - Je sais bien que l'attente est grande, que pendant ce temps, la tragédie est là, mais il faut comprendre que ce sont des rythmes historiques et les Etats-Unis qui, eux, n'ont pas de problème d'unification de leur position, n'ont pas réussi non plus, avec toute la puissance qu'on leur connaît, à arracher la solution. Ce n'est pas parce que l'Europe a un peu de mal à unifier sa position et à la rendre plus forte que la situation est devenue ce qu'elle est. Ce n'est pas à cause de cela. On peut souhaiter qu'il y ait plus d'Europe, moi je mets l'accent sur l'aspect positif, la connaissance croissante, l'exigence croissante qui finira par se traduire par une politique plus forte, parce que nous aurons fait tout ce que nous pouvions pour cela, nous Français.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mai 2001)