Texte intégral
Nous navons pas énormément de temps. Je propose de tenir quelques propos liminaires et je répondrai ensuite à vos questions.
La première chose que je voulais dire est relative à un petit évènement pour moi très important. Je suis allé visiter le chantier du Bardo. Jai toujours aimé le musée du Bardo, qui est lun des plus beaux musées de la Méditerranée, mais qui est marqué par lhistoire du protectorat, en ce sens quon y voit surtout, jusquà maintenant, des uvres qui datent de lAntiquité. Admirables, de belles mosaïques, tout cela très bien présenté, des statues, des tas de choses remarquables mais avec une semi absence de tout le patrimoine islamique. Cest quand même lun des grands chapitres, cest le moins quon puisse dire, de lhistoire de la Tunisie.
Et là, en arrivant à ce musée du Bardo, jai pu poser cette question qui était très difficile à poser auparavant, parce que personne ne nous répondait. Tout dun coup on a posé la question, on en a parlé ensemble. Jai vu quon y avait réfléchi, que les directeurs, que la jeune femme qui nous faisait visiter, avaient réfléchi à cette question. Jai eu le sentiment, voilà, que les Tunisiens se réappropriaient leur histoire. Je peux vous dire que la différence entre avant et cette visite dhier, cétait très important. Les Tunisiens se réapproprient leur histoire. Cela ne veut pas dire quil ne faut pas voir les sublimes mosaïques. Bien sûr quil faut les voir, il faut voir tout. Première chose.
Deuxième chose, il y avait là des étudiants, avec un garçon formidable qui dirigeait leur équipe, en train de restaurer des statues antiques. En fait, ils étaient en train de travailler depuis des semaines dans le cadre dune coopération avec le Louvre. Et je me suis dit : encore un élément de coopération culturelle entre la France et la Tunisie qui fonctionne ! Une fois de plus, je constate, dans une visite à peu près inopinée, la force du lien entre la vie culturelle tunisienne et la vie culturelle française. Deux institutions importantes qui travaillent ensemble à la restauration du patrimoine tunisien.
La troisième chose, cest que cette superbe architecture en train de sétablir, ce musée qui va ouvrir bientôt cela va être superbe, vraiment - va redevenir le grand musée de la Méditerranée. Et dune certaine manière, ce sera comme une sorte de réponse au musée que nous sommes en train de construire à Marseille, le MUCEM (musée des civilisations dEurope et de Méditerranée) qui sera, lui, le musée de la Méditerranée version Nord dont le but est dentretenir sans cesse, évidemment, un lien avec le Sud.
Tout au long de cette visite, avec le directeur, avec les jeunes qui travaillaient sur les statues, avec les gens qui travaillaient là, les chefs déquipe, et la jeune femme de 30 ans qui était la directrice du projet - une femme de 30 ans directrice de tout le projet de reconstruction du Bardo, je me suis dit à un moment : mais cest formidable, nous sommes détendus. Nous navons pas toutes les 10 minutes à rappeler que cest un projet présidentiel, nous navons pas toutes les 10 minutes à dire untel a voulu ceci, untel a voulu cela et untel, vous pensez bien à qui je pense. Tout dun coup, on était détendu. Cétait fantastique, fantastique !
Je ne leur ai pas dit parce que, peut-être, ils mauraient trouvé un peu outrecuidant de le dire, mais je lai ressenti très fort. Et je me suis dit : ce qui est en train de se passer dans ce pays est absolument remarquable et absolument digne dadmiration.
Alors il y a beaucoup de discours où lon salue la révolution tunisienne, où lon exprime une totale solidarité, etc. Moi, je voudrais aller plus loin, ou je voudrais aller autrement. Moi, ce qui mintéresse, cest ce qui se passe en vérité depuis quatre mois. Bien sûr, tout ce qui est arrivé me passionne. Bien sûr que tout ce qui est arrivé est admirable, bien sûr que la révolution dun peuple qui prend en main son destin, comme on vient de le voir, une institution comme le Bardo qui prend en main son histoire, bien sûr que tout cela est passionnant.
Je pense quil faut dune part célébrer ce qui sest fait, linventorier, le regarder dans tous les sens comme cela mérite de lêtre, mais il faut aussi regarder ce quil se passe, ce qui se construit, et il faut laccompagner. Cest-à-dire quil faut vraiment sinscrire dans cette page nouvelle, si possible le mieux possible.
Je sais que celui qui vous parle - je ne suis pas inconscient, je ne suis pas aveugle, je ne suis pas sourd, surtout - a suscité une déception et une déception forte. Je le sais et jai souffert dinfliger une déception à des gens que jaime et que je respecte.
Alors, ce que je veux dire simplement, cest quil faut quand même aussi rééquilibrer la balance. Moi, jai travaillé pendant 30 ans pour les Tunisiens, jai fait lannée de la Tunisie en France. Je nai pas touché un sou, bien sûr, je nai jamais touché un sou de personne. Jai été avec des artistes, tout le temps. Je pense que je les ai encouragés et soutenus dans des périodes où il ny avait pas beaucoup de gens pour les encourager et les aider. Jai fait des films avec des Tunisiens, jai fait des longs métrages qui mimportaient. Jai voulu les tourner en Tunisie plutôt que dans tout autre pays à priori mieux adapté, comme le Japon ou la Corée, puisquil sagissait de "Mme Butterfly".
Et si je déroule la liste, je maperçois quau fond, cette nationalité tunisienne que je suis fier davoir, je lai pratiquée. Je lai pratiquée profondément, comme beaucoup de gens, et il faut me juger en fonction de cela aussi. Chez moi, la solidarité avec les artistes, les intellectuels tunisiens, a toujours été totale et complète. Vous savez, Serge Adda, le regretté Serge Adda, dont le père était lun des fondateurs du parti communiste tunisien et qui est mort, malheureusement, ne maurait certainement pas pris comme bras droit pendant trois ans, à la tête de TV5, si javais été éloigné des aspirations réelles des artistes et des intellectuels tunisiens.
Voilà ce que je pense quil faut dire, pour vous montrer que je suis profondément attentif et désireux daccompagner ce qui est en train de se construire en Tunisie. Je suis absolument sincère. Plus que sincère, investi.
Je suis venu, en plus, avec des choses pratiques parce que je pense que lon construit avec des choses pratiques. Je suis venu pour parler avec le ministre de la Culture, que je connaissais auparavant. Cest un homme que jai connu à travers les travaux quil conduisait à Angkor. Il a joué un rôle considérable dans la préservation du site. Donc, nous nous connaissons bien, le dialogue est passé tout de suite et nous avons parlé du cinéma.
Il doit essayer de mettre en place les premières bases dun centre du cinéma qui permette au cinéma tunisien de disposer dun système juridique et fiscal lui donnant la possibilité de progresser, de produire plus maintenant quil est libéré des entraves de la censure. Et pour que le système des commissions dattribution des subventions fonctionne complètement. Pour cela, il y a un assez bon exemple qui est le Centre national du cinéma français. Ce nest pas du tout de larrogance que de le dire puisque cest finalement un système qui a été copié dans le monde entier.
Comment sen inspirer ? Nous avons commencé à y réfléchir et même plus que commencé puisque nous avons signé une déclaration dans ce sens. À cet égard, je vous précise que javais veillé à nommer une Tunisienne à la tête du fonds Sud, au Centre national du cinéma à Paris, et que je veille attentivement à ce que les moyens de ce fonds, qui joue un rôle important dans la production cinématographique tunisienne, soient maintenus.
Si lon parle de cinéma, il y a une chose très importante et cest quil ny a pas de cinéma sans salles de cinéma. Jai passé des années à expliquer ici quil fallait construire des salles de cinéma et à mapercevoir que personne ne mécoutait. Là, jai le sentiment que nous avons avancé et quil y a une prise en compte du fait que, pour que lindustrie du cinéma fonctionne, il faut des salles. Je vais susciter la venue dun certain nombre dinvestisseurs qui, conformément à la loi tunisienne et avec la répartition des parts prévues par la Tunisie, seraient susceptibles de créer des multiplexes dont le cinéma a besoin pour que lindustrie marche, pour quil y ait des billets et des spectateurs. Vous savez quen France, le cinéma marche bien. Pourquoi ? Parce quil y a des spectateurs dans les salles. Nous avons eu 206 millions de spectateurs lannée dernière, des chiffres que nous navions pas eus depuis 1966. Pourquoi, parce quil y a des salles.
Alors cest vrai quil y a la piraterie qui est un grand problème, cest vrai que les films circulent en cassettes et en DVD, même de manière légale, mais rien ne remplace le fait de voir un film sur un grand écran, avec le son dolby, etc. À partir du moment où lon recrée des salles comme cela, je suis sûr que cela marchera en Tunisie.
Voilà donc des aspects pratiques. Cela, cest un aspect pratique situé entre la politique culturelle et le capitalisme. Je ne vais pas me lancer dans des études de marché ou des choses comme cela mais si je peux accompagner et faire avancer les choses, je le ferai.
Un autre domaine très important, me semble-t-il, cest celui du livre. Il y a en Tunisie un réseau important de bibliobus. Je crois beaucoup au bibliobus et à la nécessité dapporter la culture là où elle nest pas. Nous allons donc faire un effort mais ce nest pas un effort, cest un plaisir pour ré-achalander tout un ensemble de bibliobus qui nont plus de livres. Ils nont plus de livres pourquoi ? Parce quil y a eu une négligence pendant des années, une négligence qui est la même qui fait que des régions de la Tunisie étaient quasiment abandonnées.
Régions dont je vous rappelle que je les connais bien puisque je suis beaucoup allé au cours de mes voyages en Tunisie à Kasserine, à Sidi Bouzid, dans tous ces endroits là. Je connais même lhôtel de Kasserine où je crois que pas un Français na dormi depuis 20 ans et jy avais mes habitudes. Je connais très bien tout cela et je sais très bien ce quil se passait. Cest pour cela que jai souffert quand on a eu le sentiment que jabandonnais les Tunisiens alors que jai toujours été si proche deux, plus proche deux que beaucoup de gens qui venaient dans ce pays.
Les bibliobus, eh bien voilà : nous allons les aider, nous allons leur donner des livres, nous allons nous en occuper avec le Centre national du livre, de manière à ce quils aient des livres à présenter.
De la même manière, il y a un réseau de librairies en Tunisie qui est relativement important avec de très bonnes librairies qui ont souffert au cours des récents événements. Le Centre national du livre a lancé un fonds durgence pour soutenir les libraires tunisiens. Cette opération financera lapprovisionnement en livres des librairies tunisiennes, à hauteur de 3000 euros par point de vente. 11 points de vente ont dores et déjà répondu présents et je souhaite que ce chiffre saccroisse car on sait à quel point les livres sont importants dans la reconstruction dune culture.
Le Centre national du livre a proposé par ailleurs un plan durgence à travers une convention qui pourrait être signée avec la Direction des bibliothèques de Tunisie. Toujours dans le domaine du livre, quatre structures associatives - Bibliothèques sans frontières, Adiflor, Biblionef et Le Français en partage - soutenues par le Syndicat du livre et de la librairie, ont décidé de se mobiliser.
Je tiens à signaler que jattache aussi beaucoup dimportance à la photographie. Jai toujours aimé la photographie ; jai fait des films sur la photographie ; en tant que ministre français de la Culture et de la Communication, jattache une très grande importance à la photographie ; jai dailleurs rassemblé les différentes administrations qui soccupaient de photographie en une seule mission. La photographie a toujours été en Tunisie un mode dexpression très important. Il y a eu de grands photographes, depuis linvention de la photographie, mais depuis le mois de janvier, il y a eu un mouvement extraordinaire. Évidemment, la photographie, cest quelque chose que tout le monde peut appréhender. Je sais que Cérès prépare un beau livre sur la photographie et jai chargé une Tunisienne qui habite à Paris, avec laquelle javais déjà fait "Une Saison tunisienne" il y a dix ans, de construire avec Cérès ou sous une autre forme, un livre dont je souhaite quil soit aussi peu cher que possible pour le faire circuler au maximum, un livre qui permette de voir cette fantastique surrection de photographes à laquelle a donné lieu la révolution. Et cela continue !
Dune manière générale, être ministre de la Culture, cest à la fois citer et montrer la culture telle quelle existe, cest-à-dire mettre en valeur les musées, les expositions, les films, les livres, etc. Cest aussi, à égalité, être attentif à la création. Cest très difficile parce que ce qui se crée évolue de manière très rapide. Notamment en notre période internet, lévolution est fulgurante.
En plus, en Tunisie depuis le mois de janvier, la création est en pleine effervescence, à limage de la société. Il y a donc à la fois les maîtres - et nous allons faire une rétrospective des films de Nouri Bouzid à la Cinémathèque et les nouveaux, tous ceux qui filment avec leur petite caméra, tous ceux qui, partout, saisissent les formes actuelles de façon artistique. Ceux-là, il faut en rendre compte et il faut les accompagner. Cest pourquoi nous allons avoir au musée du Montparnasse, à partir du mois de septembre, une exposition sur la création contemporaine tunisienne qui, à mon avis, rendra très bien compte de ce qui se passe depuis plusieurs mois dans ce pays.
Être attentif à la création ne veut pas dire abandonner le patrimoine. Voyez, il faut tout faire en même temps ! Jai toujours été attentif à lincroyable qualité du patrimoine tunisien et jai eu des échanges jespère fructueux, avec le ministre du Commerce et du Tourisme. Nous nous sommes très très bien entendus. Nous avons parlé essentiellement de tourisme, avec cette idée de développer le tourisme culturel.
Cest un petit peu comme les salles de cinéma, on en a parlé pendant 20 ans, on a dit quon allait le faire mais on ne la jamais fait ! Pendant 20 ans, on disait au ministre de la Culture : il faut que vous fassiez du tourisme culturel. Et puis on disait au ministre du Tourisme : il faut que vous fassiez du tourisme culturel mais on ne leur disait jamais de travailler ensemble. Là encore, jobserve un changement total. Tout le monde va travailler ensemble et à partir de ce moment là, je pense que nous allons pouvoir véritablement faire des choses intéressantes.
Un pays où il ny a pas de gîtes détape, où il ny a pas dhôtels de charme, où il ny a pas de possibilités de faire du trekking, un pays que lon ne peut pas traverser à cheval alors quil y a une tradition du cheval absolument admirable en Tunisie, un pays où lon ne peut pas se saisir de toutes les formes contemporaines de tourisme qui composent le tourisme de découverte, lieu même où le tourisme et la culture se mêlent complètement, cest un pays où le tourisme culturel est lettre morte. Un pays qui sintéresse à cela, comme jai le sentiment profond que la Tunisie sy intéresse depuis quatre mois, est un pays où le tourisme culturel nest plus un tabou. Je pense que sur ce plan là aussi, nous allons marquer des points.
Jai eu aussi des contacts très intéressants avec la télévision dÉtat qui est redevenue pour les Tunisiens ce que la télévision de service public est pour les Français, cest-à-dire le lieu du rendez-vous, le lieu du soir, le lieu du journal, le lieu du débat, la fenêtre ouverte sur le monde. Mes entretiens à la télévision ont été aussi très fructueux. Nous sommes partis du principe que nous allons essayer de les accompagner, avec le service public français, sur un certain nombre dexpertises qui seront nécessaires pour organiser une meilleure couverture régionale. Tout un ensemble de points techniques que je ne déclinerai pas mais qui sont très importants et qui permettront de mieux irradier des programmes à caractère régional. En France, nous avons FR3 qui a une production régionale. La Tunisie mérite davoir aussi une télévision régionale. À Gafsa, on sintéresse à tout ce qui se passe en Tunisie, on sintéresse à tout ce qui se passe dans le monde mais on a aussi envie de donner acte de la vie culturelle, du sport, de la vie quotidienne, de la vie sociale qui se déroule dans la région.
Cet aspect de la régionalisation, semble-t-il, est encore insuffisant. Nous, nous avons lhabitude avec France 3. Je suis dailleurs en train de me battre avec le service public en France pour que dans le prochain contrat dobjectifs et de moyens, la régionalisation redevienne lune des priorités de France 3, ce qui nest plus tout à fait le cas. Nous pouvons donc contribuer, avec la télévision nationale tunisienne, à avancer dans ce domaine là mais aussi à rendre mieux compte de la vie de la communauté tunisienne en France.
Pour linstant, cest comme sil y avait une sorte de hiatus alors quen vérité la communauté tunisienne en France a vécu les événements avec la passion que vous imaginez. Je lai vécu dautant mieux que, comme vous le savez, jai deux fils qui sont tunisiens. À la maison, toute la journée, nous étions en train de regarder ce qui se passait sur Facebook et sur notre ordinateur. Je peux vous dire que je suis très conscient de la nécessite de réunir dans des mêmes réflexions, dans des débats, dans des traits dunion, en somme, la communauté tunisienne de France et celle de Tunisie.
Je voudrais dire encore une chose. Cest quil y a un sentiment de joie. Il y a des sentiments dinquiétude : que va devenir lavenir, comment cela va se passer ? Il y a des sentiments de frustration, de manque, daffrontement, tout cela. Mais enfin, il y a un sentiment de joie aussi. Personne na envie de revenir en arrière, personne na envie de retrouver le passé. Cest quelque chose qui nous porte. Il y a un sentiment délan et de joie. Dans cet état desprit, je trouve aussi quil faut fêter la musique. Il faut que la musique soit présente.
Jai introduit les nuits du ramadan à la télévision et nous allons faire une place particulière à la Tunisie dans cette manifestation que jorganise pour la deuxième année à la Villette, qui sappelle "Le Grand Ramdam" et qui est une nuit de musique. Lannée dernière, javais dailleurs fait venir un certain nombre dartistes tunisiens et là, ce sera encore plus fort, au mois daoût, à la Villette. Il y avait eu 18.000 personnes lannée dernière et jespère quil y en aura encore plus cette année. Cela sétait très bien passé, cétait formidable.
Pour marquer ce symbole de la joie, de lélan, je pense aussi quil faudrait faire une grande fête musicale, avant le lancement de la campagne électorale, par exemple, à peu près en juin. Cette fête se déroulera à Tunis, dans un lieu à choisir, vaste et emblématique. Ce sera une fête gratuite et il faut quelle soit diffusée en direct sur une des grandes chaînes françaises. Il y a plusieurs projets et celui qui obtiendra la meilleure chaîne française avec les meilleures conditions de diffusion intégrale, pas seulement de la musique mais aussi la possibilité dinsérer des pastilles sur la vie en Tunisie depuis plusieurs mois, celui-là obtiendra le soutien du ministère de la Culture et de la communication. De toutes les façons, cela aura lieu.
Voilà, vous voyez quen un peu moins de 24h, nous avons quand même avancé sur pas mal de choses, avec le patron de la télévision, le ministre de la Culture, le ministre du Commerce et du Tourisme. Aujourdhui, jai eu le plaisir de rencontrer aussi la ministre des Affaires de la femme avec laquelle nous avons aussi abordé un certain nombre de questions sur lesquelles je ne dirai rien encore puisque rien nest encore construit. Mais nous nous sommes très bien entendus et nous avons beaucoup réfléchi à lidée dessayer de faire venir à Tunis, pour un colloque que nous souhaiterions le plus large possible sur le thème "Femme et citoyenneté", des personnalités européennes importantes qui pourraient contribuer à animer ce débat.
Voilà. Je dois vous dire que je narrivais pas avec une mallette de préconisations. Jarrivais avec une mallette de choses que je pensais pouvoir faire en tant que ministre français de la Culture, en tant que Tunisien et en tant quamoureux de la culture en général.
Surtout, ce qui est important, cest lécoute. Jécoute ce que lon a à me proposer et jessaye de le mettre en musique. Maintenant, je répondrai à vos questions.
Question : Tout ce que vous êtes en train de nous présenter est déjà impressionnant. Cela dénote une approche plutôt tunisienne, jose dire. Jai cependant une petite remarque concernant la présence de la langue française. Jimagine que vous êtes conscient du recul de la langue française en Tunisie, apparemment comme partout dans le monde. Jai déjà remarqué que lInstitut français de coopération à Tunis assure des cours et quil y a un programme avec le ministère tunisien de lÉducation mais je crois que cest un volet auquel il faut sintéresser. Quen pensez-vous ?
Réponse : Vous devriez être français. Vous savez pourquoi ? Parce que les Français sont tout le temps en train de dire que leur langue recule et ce nest pas tout à fait vrai. Il y a un certain nombre de domaines dans lesquels la langue française progresse. En fait, il y a 220 millions de locuteurs français et ce chiffre ne diminue pas.
Ce qui est certain, cest que dans les pays où il y a un développement intellectuel fort, notamment dans des périodes de grande fertilité comme ici depuis quatre mois, la langue française en prend un coup. Parce quon est tout le temps sur Facebook, tout le temps sur son ordinateur, tout le temps en train daller vers dautres langues comme langlais. Mais je nai pas vraiment ce sentiment dun déclin. Jai le sentiment que quelquefois nous ne sommes pas adaptés aux situations telles quelles se présentent.
Mais jespère que la langue française pourra reprendre la place quelle mérite, avec les coopérations que nous pourrons mener avec la télévision, à travers les positions que nous avons prises en flèche pour civiliser, en quelque sorte, internet, en luttant contre la piraterie ou en favorisant la numérisation dans de bonnes conditions. Je dis cela sans chauvinisme.
Je vous signale quil y a quand même un enjeu très important qui recoupe votre préoccupation, le problème de la numérisation du patrimoine et des uvres. Jétais, il y a huit jours, à San Francisco. Jai rencontré des gens de Google, des gens dAmazon, des gens dApple et je les ai trouvés tous très intéressants. Cétait intéressant et étrange en même temps. Ce qui est important, si nous voulons défendre la langue française, mais si nous voulons défendre la langue arabe aussi, si nous voulons défendre les langues qui ne sont pas totalement mainstream, pour utiliser un mot anglais, cest que nous soyons les maîtres de notre numérisation. Cela ne veut pas dire, dailleurs, que nous ne ferons pas des affaires avec Amazon, Google et Apple. Pas du tout ! Au contraire, ils sont très efficaces. Mais nous ferons nos affaires avec eux sur un plan dégalité et pas en nous laissant dicter par eux les termes de léchange. Il y a dailleurs eu, il y a une semaine, un arrêt de la numérisation des uvres récentes par Google à la suite dune décision de justice parce que Google veut numériser un certain nombre duvres sans demander la permission, dans un système où cest la personne spoliée qui doit réagir. Cela vient dêtre arrêté par la justice américaine.
Cest pour vous dire à quel point les débats sur la défense et lillustration de la langue française relèvent de lenseignement, de la télévision, et se déplacent aussi sur un autre terrain de conflit très important, ce problème de la numérisation.
Quand on envisage la révolution tunisienne, qui est la première révolution de lhistoire à sêtre faite aussi sur internet, ou via internet, on imagine à quel point il est essentiel, chaque fois que lon réfléchit à la question que vous soulevez, de bien réfléchir aux termes du conflit et aux points relatifs à la numérisation et à linformation sur internet.
Question : Monsieur le Ministre, je tiens à vous rapporter que la nomination de la dame tunisienne à la tête du Fonds Sud a été très mal perçue par nombre de Tunisiens, y compris les cinéastes. Sur quels critères a-t-elle eu lieu ?
Réponse : Le domaine du cinéma est un domaine assez passionnel. Je peux vous dire que si lon fait beaucoup de cinéma, cest toujours un peu compliqué. Jai moi-même été président pendant quatre ans du Fonds Sud et jai été président pendant quatre ans de la Commission davances sur recettes. Je sais les passions que cela suscite. Il mest arrivé, moi-même, dêtre fortement contesté. Cest très dur, dêtre président dune commission. On ne peut pas plaire à tout le monde. On ne peut pas satisfaire tout le monde.
En ce qui me concerne, jai vraiment choisi en connaissance de cause quelquun qui dirige des ateliers décriture depuis 20 ans, qui connaît la machine qui permet de créer un film. Cest le scénario qui commence et au Fonds Sud, on juge des scénarios. Quelquun qui a produit - notamment dans des conditions difficiles, il faut le rappeler les films de Raja Amari. Ce nétait pas simple ! Rappelez-vous les articles publiés quand les films de Raja Amari sont sortis ici, il y a quatre ou cinq ans. Cétait terrible et il fallait avoir un vrai courage de productrice. Donc, jassume totalement le choix que jai fait. Je comprends très bien que cela puisse susciter, compte tenu du caractère passionnel du cinéma, des controverses mais je pense que cétait malgré tout un bon choix.
Question : Ma question est relative au cinéma. Les films, fictions et documentaires, maintenant quils sont libérés de la censure, ont-ils une chance dêtre diffusés en France, comme les livres dailleurs ?
Réponse : Les films tunisiens ont finalement été assez diffusés en France. Pas suffisamment mais relativement, dans la mesure où Paris est quand même une ville où il y a une offre cinématographique importante. De la même manière quon peut y voir des films coréens. Le plus beau film étranger de lannée dernière était pour moi un film coréen et je crois quil ny avait quà Paris quon pouvait le voir.
Les films tunisiens ont été assez largement vus dans ces cercles là. En revanche, ils nont pas été vus dans un public populaire parce quil ny a pas eu de diffusion télévisuelle. Cest quand même la télévision qui est généralement le premier vecteur pour forcer lattention populaire. Cela fera partie du contrat dobjectifs et de moyens en discussion avec le service public. Pas seulement pour les films tunisiens. Vous savez, pendant des années, quand jarrivais quelque part, on disait : ah, cest le Tunisien ! Javais la réputation de trop favoriser la Tunisie. Il est important de soutenir tout un ensemble de cinémas qui viennent de pays émergents ou émergés. Je pense que, sur ce plan là, on fera des progrès.
Question : Lors de votre entretien avec votre homologue tunisien, vous avez manifesté lenvie de financer certains projets comme le Centre national du cinéma et le Musée dart contemporain. Pourquoi pas le théâtre et pourquoi pas la musique aussi ?
Réponse : Le théâtre, la musique, le spectacle vivant, la chorégraphie, vous avez en France un intérêt très grand pour la chorégraphie tunisienne. Vous avez une médiatrice culturelle remarquable qui a fait beaucoup progresser limage de la chorégraphie tunisienne au-delà de ses frontières. Vous avez une dizaine de chorégraphes tunisiens remarquables.
Pour linstant, nous nous sommes appuyés essentiellement sur le programme des festivals mais disons que ce sera la deuxième tranche des discussions que nous aurons. Nous allons essayer davancer tout de suite sur la question de tout ce qui a surgi ces quatre derniers mois. Bien sûr que sur le théâtre, la chorégraphie, la musique, nous allons essayer dinfléchir les programmes des festivals dété, en France, pour quils soient beaucoup plus ouverts aux artistes de la scène tunisienne mais je ne peux pas vous en dire plus pour linstant.
Question : Quen est-il du projet de centre culturel en Tunisie ?
Réponse : Le centre culturel en Tunisie, cest quelque chose pour quoi je me bats depuis vingt ans. Je pense que grâce à la libération intervenue depuis janvier, le projet a retrouvé une grande actualité. Je sais que les fonds que lon réclamait depuis des années ont été enfin fléchés, cest-à-dire inscrits au budget. Je pense que dici deux ans, ce centre culturel français, sans arrogance ni néocolonialisme, mais avec toute la capacité à mettre en valeur le lien tellement fort qui existe entre nos deux pays, sera ouvert. Je lappelle de mes vux depuis toujours. Je suis allé, il y a six mois visiter en détail lendroit où il doit sinstaller et jai constaté que cétait le lieu idéal.
Je crois quil faut que lon se quitte, malheureusement.
Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 13 avril 2011