Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à Europe 1 le 12 avril 2011, sur l'action de la France en Côte d'Ivoire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH La Côte d'Ivoire a fêté sa première nuit sans bombardements. Gérard LONGUET, bienvenu, bonjour.
 
GERARD LONGUET Bonjour.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ce matin faut-il chanter : « Nous sommes tous des Africains » ?
 
GERARD LONGUET En tous les cas, Abidjan revient de loin pour répondre sur votre thème. Revient de loin parce que nous avons évité une guerre civile dans une agglomération de 4 millions d'habitants, quelques centaines ou quelques milliers d'hommes armés auraient pu entraîner une tragédie humanitaire et c'est cela que l'ONUCI a évité en permettant aux FRCI, c'est-à-dire aux forces du président élu…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ça justifiait le type d'intervention militaire ?
 
GERARD LONGUET Totalement. Totalement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous entendez les critiques, Gérard LONGUET : la France aurait agi dans un esprit et logique d'autrefois, colonial.
 
GERARD LONGUET C'est totalement absurde. Cette année, il y aura 18 élections au suffrage universel dans les pays africains pour désigner ou confirmer des pouvoirs en place – président ou exécutif.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous voulez dire que les justiciers internationaux vont avoir beaucoup de travail ?
 
GERARD LONGUET La Côte d'Ivoire avait choisi son président. Les élections sont des exercices compliqués. A été reconnu élu par le concert des Nations et par les Ivoiriens eux-mêmes le président OUATTARA. Ce que l'ONUCI a fait, c'est qu'il puisse présider et ce que Licorne, c'est-à-dire les forces françaises ont fait, c'est d'éviter à la demande de l'ONUCI que se transforme cet affrontement en une guerre civile dans une agglomération de 4 millions d'habitants.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que ce matin vous me dites que la capture de Laurent GBAGBO est aussi un signal adressé à tous les dictateurs qui s'accrochent au pouvoir contre leur peuple ?
 
GERARD LONGUET Je dirais plutôt que la capture, la reddition d'un homme entêté, engagé dans une impasse absolue contre le suffrage universel, contre la volonté de son pays dans sa majorité, contre le bon sens tel qu'il s'exprime dans l'ordre international. Je crois que c'est en effet un signal extrêmement fort pour la totalité des autocrates proclamés.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH L'ONUCI et la force Licorne ont-elles reçues mission de protéger maintenant les civils pro-GBAGBO des règlements de comptes arbitraires et sommaires qui ont commencé ?
 
GERARD LONGUET Vous avez raison. Les tragédies post- enfin, qui suivent ce type d'événement sont redoutables et nous nous sommes réjouis que le président OUATTARA, élu bien avant la reddition de l'ancien président GBAGBO, ait déclaré qu'il ferait l'appel aux Ivoiriens de bonne volonté. Il l'a confirmé et manifestement ce que l'on sait à cet instant de ce qui se passe à Abidjan – je suis extrêmement prudent parce que nous ne savons que ce qui se passe à Abidjan – est que la ville est calme.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Il y a un certain nombre de questions auxquelles, pardon, vous n'échapperez pas en tant que membre du gouvernement. À Paris et à Abidjan, les dirigeants répètent que les forces françaises ne sont pas intervenues directement pour arrêter GBAGBO et sa famille. Malgré tous vos démentis, personne ne vous croit.
 
GERARD LONGUET Et c'est une erreur. C'est une erreur et grâce à l'information en direct d'aujourd'hui – vous savez, toutes les images seront inéluctablement disponibles, les images officielles…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'est-à-dire que tout a été filmé ?
 
GERARD LONGUET Tout est filmé en permanence par les uns et par les autres et je suis absolument certain que nous aurons des images de toute l'opération – non pas d'ailleurs de l'armée française, mais de l'ensemble des acteurs à travers leur iPhone, à travers leurs caméras, à travers des communications. Tout se reconstitue et l'on saura. Aucun soldat français, aucun soldat de l'ONUCI d'ailleurs, n'est rentré dans la résidence présidentielle.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ce seront vos preuves en quelque sorte.
 
GERARD LONGUET Ce seront des preuves contradictoires. Il y aura un travail d'historien.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Avec ses hélicoptères, la France a tout de même soutenu la reddition et la capture.
 
GERARD LONGUET Oui, c'est tout à fait vrai. C'est tout à fait vrai pour une raison très simple : c'est que nous n'acceptons pas – enfin les Nations unies, c'est le mandat de la résolution 1975 – n'accepte pas que la détention de chars d'assaut vous donne le droit d'opprimer un peuple contre le suffrage universel. Donc la mission de l'ONUCI qui nous avons aidée était d'empêcher que les chars d'assaut soient l'arbitre du suffrage universel.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'était peut-être aussi un prétexte ou un argument parce que les Nations unies vous demandaient de protéger les populations civiles. Est-ce que c'est sur la base de ce mandat 1975 que vous êtes allés ou vous êtes intervenus ?
 
GERARD LONGUET Totalement. Totalement. Parce que si vous voulez, il y a un truc qu'il faut comprendre. Dans une ville de 4 millions d'habitants, quand vous avez des mortiers et que vous tirez dans les foules d'une façon parfaitement aveugle, vous terrorisez les populations qui se terrent chez elles et qui n'ont plus le droit de s'exprimer. Et les Nations unies ont permis à ces armes de disparaître. La France en a été l'auxiliaire.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Gérard LONGUET, est-ce qu'avec le président de la République et monsieur Ban KI-MOON vous avez insisté pour que l'ex-président GBAGBO sorte de là où il était sain et sauf ?
 
GERARD LONGUET Oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que vous avez eu peur qu'on le tue ou qu'il se suicide ?
 
GERARD LONGUET Nous avons en tous les cas pour avoir été témoin très direct de, alors permettez-moi de le dire, de la maîtrise de la situation par le président de la République qui a su mobiliser le secrétaire général en alertant les Nations unies sur les risques, et qui n'a jamais mobilisé l'armée française que sur instruction et à la demande des Nations unies. Le système a bien fonctionné et ce qui était très clair…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'est la moindre des choses, au passage, dans une période de guerre.
 
GERARD LONGUET Oui, d'accord mais enfin il faut mieux le dire, quand même. Quand ça va sans dire, ça va mieux en le disant. Et ce qui est certain si vous voulez, c'est que la France voulait que l'affaire se dénoue tranquillement et que le président qui a été battu – ce n'est pas déshonorant d'être battu aux élections ; ça arrive à tout le monde y compris à moi-même – eh bien accepte sa défaite. La démocratie, c'est le succès des uns et c'est la défaite des autres et tout ça doit se passer normalement, sans élimination physique.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Étrange destin : c'est à l'hôtel du Golfe que les gendarmes de l'ONU assurent en ce moment sa protection. Est-ce qu'il est possible de rendre la liberté aux GBAGBO, à un GBAGBO, ou de les exiler ?
 
GERARD LONGUET Il y a une procédure qui est en cours à la Cour pénale internationale. Si cette procédure montre très clairement que monsieur Laurent GBAGBO n'est en rien personnellement incriminé, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas libre, personnellement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui, et dans ces cas-là il pourrait être libéré.
 
GERARD LONGUET Mais attendez…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH D'abord en ce moment, il sera mis en résidence surveillée ?
 
GERARD LONGUET Oui, parce que utiliser des armes quand on n'est plus président investi, c'est illégal. L'usage de la force – et d'ailleurs l'usage de la force n'appartient pas à un président contre son peuple ?? mais l'usage de la force quand on n'est plus président, a fortiori. Donc il y a certainement des aspects judiciaires mais une fois que les aspects judiciaires sont clarifiés, il vivra sa vie.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais votre intuition, c'est qu'ils seront jugés. Et s'ils sont jugés, ils sont jugés en Côte d'Ivoire ou ailleurs ?
 
GERARD LONGUET Alors il y a un volet ivoirien ; il y aura nécessairement un volet tribunal pénal international parce qu'il y a une dimension – s'il y a une dimension de crime contre l'humanité, et si cette dimension est imputable au président GBAGBO, ce qui n'est absolument pas certain à cet instant, eh bien comme tout le monde il rendra de ses actes.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Alors on peut imaginer que la force Licorne va participer à l'effort humanitaire pendant quelques temps, cet effort qui est absolument nécessaire dans l'état où est la Côte d'Ivoire, mais à quel moment le président de la République, le gouvernement, etc, vous-même, vous déciderez le retour de tout ou partie des 1 700 soldats de Licorne ?
 
GERARD LONGUET Très clairement au plus tôt. La Côte d'Ivoire a vocation à se développer. C'est un pays riche, c'est un pays où les gens sont travailleurs, les chose sont tout à fait possibles avec un peu de bonne volonté, un peu de paix, et la force Licorne qui est montée à 1 700 hommes avec des hommes venus d'Afrique – c'est-à-dire des gens qui étaient déjà au Tchad dans le cadre d'accords, ou au Gabon dans le cadre d'accords, retourneront dans leur garnison tranquillement et on descendra tranquillement au niveau de moyens de Licorne qui est très inférieur au chiffre actuel. Quelques centaines d'hommes suffiront largement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH On finit par oublier qu'Alassane OUATTARA est le président élu. On lui reproche d'être maintenant le président de Côte d'Ivoire installé à Abidjan par les armées de l'étranger.
 
GERARD LONGUET Installé par le suffrage universel ivoirien et, en effet, accédant au pouvoir parce que l'ONUCI l'a aidé. Mais je vais vous dire : nous aurions – l'ONUCI serait intervenue au bon moment dans certains pays d'Afrique, peut-être aurions-nous évité des génocides comme celui du Rwanda.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'est ce que vous dites à madame DUFLOT et à tous ceux qui doutent.
 
GERARD LONGUET Totalement. Totalement.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et est-ce que vous estimez quand même que le président OUATTARA devra lui aussi rendre des comptes sur les massacres et les charniers qui ont été provoqués par ses armées, même à son insu ?
 
GERARD LONGUET Je vais vous dire : sans être trop optimiste, il y a le début de quelque chose qui ressemble à une démocratie internationale où le suffrage universel l'emporte et où les crimes sont punis. Quelle que soit l'autorité provisoire du dictateur, le suffrage universel doit l'emporter et les crimes doivent être punis.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Il faudra que vous reveniez parce que la Libye, est-ce que ça va durer encore des semaines et des semaines et des mois ?
 
GERARD LONGUET On verra. À mon avis, ça peut aller vite maintenant.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Avis de Gérard LONGUET.
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 19 avril 2011