Interview de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, à RTL le 11 avril 2011, sur l'entrée en vigueur de la loi interdisant le port du voile intégral dans les lieux publics et l'islam en France.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


 
 
PHILIPPE CORBE Vous êtes française, née en France, vos parents sont originaires d’Algérie, vous représentez aujourd’hui au gouvernement ce qu’on appelle la méritocratie républicaine. Quel regard vous portez sur l’entrée en vigueur aujourd’hui de la loi qui interdit le port du voile intégral dans l’espace public ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Eh bien, j’en suis satisfaite, parce que je suis, comme vous l’avez dit, une femme issue de l’immigration maghrébine, et que je n’ai jamais pensé un seul instant que porter le voile intégral était un signe d’émancipation des femmes, voilà, et que je trouve étrange que dans ce territoire, ce territoire républicain, aujourd’hui, des femmes ou des hommes imposent ce qui pour moi incarne une forme d’exclusion, voilà.
 
PHILIPPE CORBE Mais vous comprenez la démarche de certaines d’entre elles qui sont, elles aussi, nées en France, françaises et qui ont choisi, qui disent en tout cas avoir choisi de porter ce voile ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Alors, il y a des règles du vivre ensemble, il y a des règles du vivre ensemble, et que, on ne peut pas imposer dans un espace public tout ce qu’on souhaite, voilà, il existe des règles, vous ne pouvez pas par exemple vous promener nu dans la rue, vous ne pouvez pas porter certains insignes, par exemple, certains insignes qui éventuellement rappelleraient les heures les plus sombres de l’histoire, eh bien, vous ne pouvez pas les porter, voilà. Et moi, je reste quand même assez surprise par exemple quand en Afghanistan, des femmes s’immolent parce qu’elles ne supportent plus cette oppression, et qu’en France, on nous explique que ça serait formidable, et c’est au nom de la liberté que ces femmes le portent.
 
PHILIPPE CORBE Alors, Jeannette BOUGRAB, vous êtes juriste, vous avez longtemps été prof de droit, et on se dit typiquement qu’il y a peut-être là un décalage entre des principes gravés dans la loi et une application concrète sur le terrain, écoutez par exemple Amina, elle a 26 ans, elle témoigne au micro RTL de Tony COUSIN.
 
AMINA Moi, je suis née en France, je suis citoyenne française, donc dans la rue, je continuerai à sortir voilée, je serai une hors-la-loi au risque d’amende, je vais vous dire la vérité, j’ai hâte de voir ce qui se passera, comment on va m’interpeller, comment est-ce qu’on va me traiter.
 
PHILIPPE CORBE Vous entendez Amina, il y a un presque un goût d’une certaine fronde, d’une certaine provocation.
 
JEANNETTE BOUGRAB D’une provocation, mais elle dit : le voile, mais le voile n’est pas interdit, c’est le voile intégral…
 
PHILIPPE CORBE Elle parle du voile intégral.
 
JEANNETTE BOUGRAB Donc le voile. La seule chose, c’est que, moi, je trouve ça… ça n’a rien à voir avec le fait d’être issu de l’immigration ou pas, ça n’a rien à voir avec l’islam ou pas, vous avez parfois des personnes qui ont des interprétations littérales de faits religieux ou de croyances, par exemple, des affaires où des gens refusent que leurs enfants aient des transfusions sanguines au nom de convictions religieuses ou des gens qui ont laissé mourir leur enfant au nom de conception alimentaire végétalienne, donc vous avez toujours des gens qui sont dans des formes d’extrême, il y a des règles, et ces règles de vivre ensemble, on doit les respecter.
 
PHILIPPE CORBE Et c’est tout le sens du code de la laïcité qu’annonce Claude GUEANT, après le débat à l’UMP ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Ça, je ne sais pas, la seule chose…
 
PHILIPPE CORBE Il ne vous a pas consultée…
 
JEANNETTE BOUGRAB Non, je n’ai pas été consultée, mais j’ai eu l’occasion au Conseil d’Etat de travailler sous la responsabilité d’Olivier SCHRAMECK sur la loi, puisque le gouvernement avait saisi le Conseil d’Etat sur la loi sur le voile intégral, et je me suis battue avec Elisabeth BADINTER, et on se bat sur la crèche Baby Loup, puisqu’il y aura une décision en appel en septembre, suite à une employée voilée de cette crèche. Donc vous savez, la question de la laïcité, c’est un combat au quotidien, et c’est comme ça que je le vis.
 
PHILIPPE CORBE On se demande comment est-ce que vous avez vécu ces dernières semaines dans votre parti, l’UMP, dans la majorité, dans le gouvernement, tous ces débats sur l’islam, cette laïcité, certains parlaient d’un coup de barre à droite.
 
JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, moi, j’étais essentiellement sur mes dossiers jeunesse…
 
PHILIPPE CORBE Oui, mais vous êtes aussi citoyenne femme politique, comment est-ce que vous avez analysé tout ça…
 
JEANNETTE BOUGRAB Oui, oui, oui, mais moi, sincèrement, les discussions ou les divisions qui peuvent exister au sein de l’UMP sur la question de la laïcité : doit-on ou pas en parler, doit-on ou pas en faire un colloque, les mêmes discussions, vous les aviez d’une certaine manière au Conseil d’Etat pour savoir faut-il ou non une loi sur le voile intégral, depuis 89, depuis les affaires de voile de Creil dans l’Oise, vous aviez cette même… ce déchirement, parce qu’on oublie que, Elisabeth BADINTER, quand elle s’est opposée au voile à l’école, on l’accusait de faire le jeu du Front national…
 
PHILIPPE CORBE Au-delà de cette question du voile, quand Claude GUEANT dit : les Français ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, les Français veulent que la France reste la France ; on se dit si on était, nous, vous, jeunes, en Egypte, en Tunisie, est-ce qu’on ne voudrait pas, nous aussi, venir en France.
 
JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, je ne sais pas, là-dessus, j’ai…
 
HILIPPE CORBE Vous seriez, vous, en Tunisie, en Egypte, vous viendriez en France ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Si j’étais en Tunisie, j’aurais fait partie de ces jeunes qui étaient dans la rue pour se battre pour renverser un régime, si j’avais été jeune en Egypte, j’aurais été place Tahrir, au Caire, voilà…
 
PHILIPPE CORBE Et vous auriez peut-être essayé de venir en Europe après…
 
JEANNETTE BOUGRAB Je ne crois pas, pas nécessairement…
 
PHILIPPE CORBE Non, pas nécessairement. Qu’est-ce qu’il y a comme arrière-pensée derrière, est-ce que l’idée, c’est de courir derrière Marine LE PEN, est-ce que c’est de tenter le tout pour le tout pour juguler le départ des électeurs vers le FN ?
 
JEANNETTE BOUGRAB Moi, ce que je trouve triste, c’est que de parler de laïcité dans ce pays, c’est devenu quelque chose de tabou, c’est devenu un gros mot, et quand je vois des femmes qui ont beaucoup de courage…
 
PHILIPPE CORBE Parce que ça a été préempté par le FN justement…
 
JEANNETTE BOUGRAB Depuis quelques mois seulement, mais regardez quelqu’un comme Caroline FOUREST, qui a travaillé notamment sur un livre sur le fondamentalisme et notamment sur Tariq RAMADAN, il date de quand son ouvrage ?
 
PHILIPPE CORBE Cinq ans.
 
JEANNETTE BOUGRAB Voilà, elle était bien seule sur les plateaux, regardez ce qui s’est passé lors de la publication par CHARLIE HEBDO des caricatures…
 
PHILIPPE CORBE Du prophète Mahomet, oui…
 
JEANNETTE BOUGRAB Regardez, un procès, regardez ce qui s’est passé éventuellement avec HOUELLEBECQ et son procès, qui a eu, quelques années plus tard, le Goncourt, aujourd’hui, en France, dans ce pays laïque, où on ne reconnaît pas des religions, apparemment de parler de religions est plus sacré que de parler de laïcité.
 
PHILIPPE CORBE Jeannette BOUGRAB, on le disait tout à l’heure, le président de la République, comme il l’a fait avec d’autres ministres, vous a reproché d’être trop silencieuse, a même tempêté contre vous dans une enceinte avec les dirigeants de la majorité, en fait, c’est quoi, il aimerait que vous soyez plus présente, le faire savoir est plus important que le savoir-faire ?
 
 JEANNETTE BOUGRAB Ecoutez, moi, je me sens à l’aise dans mes baskets en tout cas, même si je n’en ai pas aujourd’hui, parce que je travaille sur des dossiers, la semaine dernière…
 
PHILIPPE CORBE Sur la jeunesse…
 
 JEANNETTE BOUGRAB La semaine dernière, on a lancé le dossier sur la question de la contraception, chaque année, 15.000 gamines se font avorter, et parfois, ce n’est pas la première fois. On a lancé une mission avec Boris CYRULNIK, chaque année, vous savez que la deuxième cause de mortalité des jeunes, c’est le suicide, on est en train de réfléchir à un fonds d’investissement pour permettre le micro crédit pour les jeunes.
 
PHILIPPE CORBE Et ça, c’est plus important que de courir derrière les micros et les caméras, comme souhaiterait le faire Nicolas SARKOZY pour ses ministres, c’est ça ?
 
JEANNETTE BOUGRAB En tout cas, moi, je ne le ferai pas, et samedi, c’est vrai, il y avait le discours de madame AUBRY sur la jeunesse, où elle proposait un certain nombre de choses, moi, j’étais avec des jeunes Clichyssois, à Berlin, vous savez, à Clichy, là, où Zyed et Bouna sont morts en 2005, où il y a eu le début des émeutes, donc il y a huit jours, j’étais à Asnières et Gennevilliers, là où…
 
PHILIPPE CORBE Et ça, le président de la République ne le sait pas forcément…
 
JEANNETTE BOUGRAB Il ne le sait pas, mais c’est pour ça que je viens sur RTL pour lui dire…
 
PHILIPPE CORBE Eh bien, s’il écoute RTL, il l’a entendu. Jeannette BOUGRAB, bien dans ses baskets, même lorsqu’elle est en talons !
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 19 avril 2011