Interview de Mme Nadine Morano, ministre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, à Canal Plus le 12 avril 2011, sur le climat politique à l'UMP et la préparation de l'élection présidentielle de 2012.

 
 
CAROLINE ROUX Nadine MORANO, ministre chargée de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle, est notre invitée. Elle a lancé la semaine dernière son Club de l’apprentissage. Eh oui, la vie suit son cours au gouvernement, alors que la majorité traverse une tempête venue du centre et que chaque sujet donne désormais lieu à des divisions. Bonjour Nadine MORANO.
 
NADINE MORANO Bonjour.
 
CAROLINE ROUX Je ne sais pas si vous avez eu le temps de lire, ce matin, dans LES ECHOS ? Il y a un entretien accordé par le patron de l’UMP, Jean- François COPE, qui appelle ce matin au calme, au sang-froid, et à la solidité dans la majorité où des appels au rassemblement se multiplient ces derniers jours. Alors, la question qui se pose ce matin c’est est-ce qu’il y a encore quelque chose qui vous rassemble au sein de la majorité ?
 
NADINE MORANO Tout, je dirais. Mais notre objectif c’est vraiment de préserver ce qui est extrêmement précieux, c’est-à-dire ce que nous avons réussi à construire et ce que nous envie beaucoup la gauche : notre union de la droite et du centre. Et l’UMP est une force et un bien précieux. Donc, il faut essayer de résister aux tentations d’évasion de certains de nos amis, qui d’ailleurs font partie de cette majorité, qui ont travaillé avec nous dans cette majorité, qui ont fait partie du gouvernement, et je crois que il faut d’abord regarder évidemment quelles sont les idées que nous allons porter ensemble.
 
CAROLINE ROUX Alors, justement, sur les idées. Jean-François COPE dit, ce matin, qu’il ne comprend pas les arguments de fond qui ont poussé au départ de Jean-Louis BORLOO. Vous les comprenez, vous ?
 
NADINE MORANO Non, encore moins que je l’ai écouté très attentivement lors de son émission, et à la question qui lui a été posée « monsieur BORLOO, si vous étiez élu quelle serait votre première décision en matière d’emploi ? ». Et Jean-Louis BORLOO a répondu, « premièrement, je lancerais un grand plan sur l’apprentissage et l’alternance », donc on attend pas 2012 pour le faire puisque nous sommes là en pleine contractualisation avec les régions puisque nous allons engager 1,7 milliard d’euros et nous allons le signer avant le mois de juin, plus le grand emprunt, nous y consacrons 500 millions d’euros. Donc, on n’attend pas 2012 pour mettre en place cette véritable révolution culturelle dans notre pays qui est de développer la formation par alternance et l’apprentissage puisque c’est gage de réussite, comme on l’a vu en Allemagne. Deuxième réponse de Jean-Louis BORLOO, pardon mais c’est quand même important, il dit, « je m’occuperais des trois millions de personnes qui ne maitrisent pas les savoirs de base », à savoir l’écriture, la lecture et le calcul, donc les personnes adultes qui ne maîtrisent pas ces savoirs de base. J’ai lancé il y a quinze jours un grand plan de lutte contre l’illettrisme avec 54 millions d’engagement de l’Etat, d’est 43 % d’augmentation du budget sur ce sujet. Donc, encore une fois, je dis à Jean-Louis BORLOO, « mais demandes satisfaites, Jean-Louis, reste avec nous », vraiment.
 
CAROLINE ROUX Ou alors c’est que vous êtes borlooïste, Nadine MORANO !
 
NADINE MORANO Non, je suis simplement en train de faire la mission qui m’a été confiée par le président de la République et par le Premier ministre. Donc, je pense que Jean-Louis BORLOO est tout simplement d’accord avec nous.
 
CAROLINE ROUX Il est encore sarkozyste.
 
NADINE MORANO Donc, il n’a aucune raison de partir.
 
CAROLINE ROUX Alors, vous n’avez peut-être pas entendu Rama YADE qui a elle aussi choisi de quitter l’UMP. Je vais vous citer sa phrase, elle est un peu longue, mais ça vaut la peine. Elle dit, « Moi, je suis née à l’étranger, d’un pays musulman. J’allais à l’école catholique, en même temps à l’école coranique. Et puis, je suis profondément laïque. Mon beau-père est un chanteur yiddish qui a échappé à la Shoah. Donc, vous voyez, c’est ça la France, et ça nous vaut l’admiration du monde ». Et elle conclue, « que la droite de l’UMP est trop entendue ». Est-ce que c’est ça le problème ? Est-ce que c’est que la droite de l’UMP est trop entendue ?
 
NADINE MORANO Non ! Je pense que son analyse est vraiment totalement fausse. Nous avons mis en place depuis 2007 une grande réforme de l’immigration choisie, humaine et respectueuse, et Rama YADE se trompe vraiment de constat parce que ce qu’elle explique à travers son expérience personnelle, nous sommes beaucoup à l’avoir vécu. Moi, je suis d’origine italienne, immigrée aussi, venant d’une cité, de famille d’ouvriers, et catholique aussi. Et donc, on a chacun nos parcours. C’est vrai que ça fait la richesse de la France, mais franchement elle n’est pas en péril. Nous devons à un moment donné se poser toujours, toujours, comme le font d’autres pays, par exemple, notre politique en matière d’immigration. C’est ce qu’est en train de faire Claude GUEANT, à juste titre.
 
CAROLINE ROUX Vous approuvez donc la proposition de Claude GUEANT de limiter l’immigration légale, parce que ça aussi c’est un sujet qui fait débat dans votre famille politique.
 
NADINE MORANO Non mais… complètement.
 
CAROLINE ROUX Je rappelle que Christine LAGARDE a dit « En ce qui concerne l’immigration légale évidemment il faut qu’elle soit protégée et sécurisée ».
 
NADINE MORANO Elle doit être sécurisée.
 
CAROLINE ROUX « Au long terme, on a besoin de main d’oeuvre ».
 
NADINE MORANO Bien sûr. Mais est-ce que Claude GUEANT a dit dans ses propos qu’il voulait une immigration légale zéro ? Il n’a pas dit ça. Il a dit qu’il fallait justement également maîtriser l’immigration légale et se poser la question de ce que la France est en capacité d’absorber et d’accueillir correctement. Donc, je dirais que c’est une mesure de responsabilité politique. Encore une fois en pleine période de crise économique et financière, en sortie de crise, nous devons nous poser, comme d’autres pays le font d’ailleurs, et ça ne crée pas de polémique, à savoir de combien de personnes la France est-elle capable d’accueillir et d’intégrer et de lui permettre d’avoir un travail, de s’installer correctement en France.
 
CAROLINE ROUX Alors, vous nous dites, au fond, rien n’a changé sur la ligne politique, c’est ça ? Vous vous sentez bien, vous, à l’UMP telle qu’elle va aujourd’hui. Rama YADE se trompe, la droite de l’UMP n’est pas trop écoutée.
 
NADINE MORANO D’abord, je vais vous dire, il y a le gouvernement, parce qu’il ne faut pas oublier que l’UMP c’est le parti majoritaire et que nous sommes aujourd’hui aux affaires. Donc, nous dirigeons la France. Donc, il ne faut pas le perdre de vue. Nous dirigeons la France, et en même temps un mouvement politique quelle est sa mission ? L’UMP a une mission qui est double, d’abord soutenir l’action du gouvernement et faire preuve de pédagogie auprès de nos militants et de l’ensemble des Français.
 
CAROLINE ROUX Ca, c’est pas le plus compliqué !
 
NADINE MORANO Oui, mais c’est pas suffisamment fait, je vais vous dire. Vraiment, c’est insuffisant, je le dis.
 
CAROLINE ROUX Ca, c’est un message à Jean-François COPE.
 
NADINE MORANO Ah non, mais ça fait des mois et des mois que je le dis. Je pense que les Français ne se rendent pas suffisamment compte parce qu’on ne leur dit pas suffisamment l’action qui est menée sur l’ensemble de nos champs ministériels. Et la deuxième mission de l’UMP c’est de réfléchir, d’avoir une émulation intellectuelle et de faire des propositions dans le cadre d’un projet, bon. C’est ce qui est en train d’être fait. Alors, qu’au Parti radical on vienne nous faire des remarques sur la question de faire un débat sur la laïcité pour mieux vivre ensemble, je trouve ça un peu curieux quand on connaît les racines et l’attachement du Parti radical à la laïcité. Donc, je leur dis vraiment rien ne nous sépare, restons vraiment tous à la maison. Et vous le savez, je suis à Nancy, moi. A Nancy, je suis secrétaire départemental, André ROSSINOT est président de la fédération UMP.
 
CAROLINE ROUX Oui, vous avez organisé une réunion.
 
NADINE MORANO Nous avons ensemble eu un déjeuner hier, ensemble, avec André ROSSINOT qui est président d’honneur du Parti radical, nous faisons en sorte…
 
CAROLINE ROUX … il reste ou il part, c’est la question ?
 
NADINE MORANO Nous faisons en sorte de préserver la famille parce que certains, très peu d’ailleurs, seraient tentés de partir, comme d’autres auraient la tentation de reconstituer le RPR d’antan. Et nous, nous voulons garder la famille unie. Donc, je dis il est de bonnes raisons de prendre son temps, de discuter, et de faire en sorte, vraiment, de préserver ce que la gauche nous envie depuis très longtemps : c’est l’UMP.
 
CAROLINE ROUX Ca veut dire que vous ne redoutez pas une hémorragie des centristes qui partiraient de l’UMP ? Ca n’est pas un scénario que vous envisagez aujourd’hui ?
 
NADINE MORANO Mais, je ne veux pas l’imaginer parce que je crois que chacun doit prendre ses responsabilités. C’est un scénario de défaite ce que vous m’annoncez là. La division nous emmènerait inéluctablement vers la défaite, des députés d’ailleurs qui savent qu’ils doivent leur victoire à l’union de la majorité, ils le savent sur le terrain. Et donc, tout facteur de désunion, et on l’a vu aux cantonales, aux cantonales, dans mon département, dès lors qu’il y a eu deux candidats de droite, eh bien le Front national est arrivé devant. Donc, je le dis, dans une période difficile où nous avons eu la crise à gérer, nous devons plus que jamais rester unis.
 
CAROLINE ROUX Alors, rester unis, c’est un problème, on le voit, après Jean-Louis BORLOO c’est Dominique de VILLEPIN cette semaine…
 
NADINE MORANO … mais ça c’est pas…
 
CAROLINE ROUX … qui va incarner, qui veut incarner un projet politique, une alternative politique. Alors, BORLOO, VILLEPIN, BAYROU, lequel est de trop ?
 
NADINE MORANO De toute manière, Dominique de VILLEPIN, franchement, fait partie aussi de notre famille politique. François BAYROU aussi d’ailleurs. Il a choisi de faire un chemin personnel, on l’a vu dans le cadre des élections présidentielles dernières, bon. Il va continuer à s’inscrire dans sa démarche, et il est logique. En revanche, Dominique de VILLEPIN, on le sent, bon, et sur la marge pour l’instant, mais j’ai… sur la marge.
 
CAROLINE ROUX Qu’est-ce que ça veut dire ?
 
NADINE MORANO Ca veut dire qu’il est sur le bord de la route, mais qu’il est sur le même chemin que nous.
 
CAROLINE ROUX Ah, il pourrait revenir lui aussi ?
 
NADINE MORANO Franchement, je l’appelle à être… d’ailleurs, qui suit Dominique de VILLEPIN ? Regardez, Marie-Anne MONTCHAMP qui aujourd’hui fait partie du gouvernement. Donc, vous avez très peu de… Georges TRON également. Donc, très peu de personnalités suivent Dominique de VILLEPIN sur ce chemin individuel.
 
CAROLINE ROUX Donc, vous l’appelez à quoi, vous n’avez pas terminé votre phrase, « je l’appelle à… » ?
 
NADINE MORANO Je l’appelle à revenir tout simplement dans notre famille politique également. Plus nous serons unis, plus les Français comprendront que notre action est crédible et sérieuse, plus nous pourrons construire un projet qui pourrai exprimer la différence de nos idées, mais toujours en nous ramenant vers des convergences. On a créé ça ensemble le projet de 2007. Je me rappelle Pierre MEHAIGNERIE, par exemple, quand il nous parlait de la prime pour l’emploi, et les libéraux qui nous parlaient de l’ouverture des magasins le dimanche. Nous avons réussi à construire ensemble ce projet.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 19 avril 2011