Texte intégral
Il me revient la difficile tâche de clôturer cette journée.
Difficile car les échanges que nous avons eu tout au long de cet après-midi ont été riches et passionnants et quune première synthèse vient de nous être livrée.
Difficile aussi car il ne sagit pas de clore le débat mais de sappuyer sur ce que nous avons entendu aujourdhui pour aller plus loin dans nos questionnements collectifs.
Ce débat a été voulu par le Président de la République. A travers cette journée et les 25 autres qui sont organisées à partir de cette semaine dans toutes les régions, nous sommes invités à nous interroger sur la place que la société française souhaite réserver aux personnes âgées en perte dautonomie dans notre société.
Pour répondre à cette ambition, le débat national sur la dépendance mobilise plusieurs niveaux de contribution, comme cela vous a été présenté rapidement en début de cet après-midi :
Quatre groupes de travail nationaux ont tout dabord été lancés début février, traitant des enjeux démographiques et financiers, des relations de la société au vieillissement, des modes daccompagnement des personnes âgées et de la couverture financière de ce quon peut appeler le risque dépendance. Ces thématiques seront reprises dans le cadre de quatre colloques fin mai-début juin.
Il a également semblé essentiel à Roselyne Bachelot et moi-même dentendre les principaux responsables politiques et syndicaux, représentants professionnels et des usagers, représentants des cultes et des familles de pensées. Tous ont vocation à contribuer, car ce débat, on ne le répètera jamais assez, nest pas un débat technique - même si de nombreuses questions auxquelles nous sommes confrontées sont très complexes mais un débat de société, un débat éthique.
Un site internet a également été ouvert pour recueillir les contributions de tous ceux qui souhaiteront faire part de leur réflexion.
A cet état davancement de notre démarche collective, je souhaiterais revenir sur quelques éléments de réflexion que les échanges de la journée sont venus conforter :
1/ En matière daccompagnement de la perte dautonomie, nous ne partons pas de rien.
Les très nombreux témoignages de cette journée viennent confirmer cette quasi-évidence. Il suffit de constater la présence nombreuse aujourdhui dans cette salle de professionnels oeuvrant dans des établissements et des services à destination des personnes âgées pour sen convaincre ou de voir limportant engagement des bénévoles auprès des aînés, la mobilisation des élus et des collectivités, linvestissement des familles et des solidarités de proximité.
Notre pays consacre déjà quelque 25 milliards deuros à la couverture des besoins liés à la dépendance, quil sagisse de dépenses directeurs ou indirectes - par le biais des réductions dimpôts-, que les dépenses publiques soient portées par lEtat, lassurance maladie, les Conseils généraux, la Caisse nationale de solidarité pour lautonomie.
Ces 10 dernières années ont connu de nombreuses avancées, notamment à la suite de la prise de conscience douloureuse de 2003 face à laquelle la société française a fortement réagi :
- la création de lallocation personnalisée dautonomie, lAPA, tout dabord, qui mobilise les efforts de financement des collectivités locales et de la solidarité nationale. Ce sont près de 5,4 milliards deuros qui lui sont consacrés, pour 1,15 millions de bénéficiaires. En Haute Normandie, ce sont plus de 150 millions deuros financés par deux conseils généraux, bénéficiant dun concours national de quelque 40 millions deuros par la CNSA.
- le financement des EHPAD a bénéficié dune augmentation de moyens sans précédent : les crédits dassurance maladie effectivement consommés dédiés à leur financement sont passés de 4,690 milliards deuros en 2006 à 7,953 en 2010, soit une augmentation de 69,7% en 5 ans. En Haute Normandie, ces financements sont passés globalement sur cette période de 136 millions deuros à 217 millions deuros. Ils ont permis de financer de très nombreuses créations de places dans les EHPAD mais aussi les services infirmiers à domicile et le renforcement des moyens dédiés aux établissements dans le cadre de démarche dites de médicalisation. Grâce aux réserves financières de la CNSA, le secteur des EHPAD a également bénéficié dun important effort de modernisation financé à hauteur de plus dun milliard deuros de subventions entre 2006 et 2010, bénéficiant à plus de 79 000 places.
- la professionnalisation des professionnels du secteur a fait lobjet de financements complémentaires depuis la création de la CNSA grâce à des conventions telle que celle que le département de lEure a signée fin 2008 portant sur un montant total de 3,34 millions deuros.
- Enfin, la formation des aidants familiaux a été récemment identifiée, dans la loi HPST votée en juillet 2009, comme un nouvel axe du soutien à laccompagnement des personnes, dont limportance nest dailleurs pas proportionnelle à son coût.
Ces quelques chiffres mettent en évidence le rôle central de la création de la CNSA et de contribution solidarité autonomie dans ce dispositif. Il souligne également les efforts considérables dacteurs plus traditionnels que sont lassurance maladie et les conseils généraux.
2/ Malgré ces efforts importants de la Nation à destination des personnes âgées dépendantes, la dépendance des personnes âgées reste un enjeu pour notre société. Cest un enjeu du financement bien sûr.
Les différents acteurs impliqués dans laccompagnement de nos aînés signalent les besoins :
- les conseils généraux, qui financent lallocation personnalisée dautonomie, continuent à faire face à des dépenses croissantes. Dans votre région, force est de constater que les dépenses dAPA sont passées, en Seine maritime, de 49,6 à 123, 2 millions deuros, et de 10,8 à 32,9 millions en 8 ans dans lEure. La création de la contribution solidarité pour lautonomie, la CSA, a permis dalléger la tension. Toutefois, malgré une progression en valeur absolue du concours national, celui-ci seffrite rapporté aux dépenses. Il est désormais passé en dessous de la barre de 30%. Cest une situation qui met en grande difficulté certains départements et interroge le principe dégalité de traitement sur le territoire.
- les professionnels médico-sociaux signalent les besoins de renforcement de moyens dans les établissements médico-sociaux pour faire face à leur responsabilité. Vous témoignez en particulier de lévolution de la population accueillie en EHPAD, plus âgée à lentrée, plus dépendante. Cest ce à quoi le processus de médicalisation cherche en particulier à répondre.
- Nombre de familles évoquent par ailleurs la difficulté pour trouver une place pour leur proche dans un établissement adapté et accessible financièrement ; elles sont également demandeuses dune meilleure information sur le service rendu, pour sorienter ;
- les services à domicile alertent sur leur situation financière difficile, notamment en raison dune politique de tarification qui ne permet pas de faire face aux coûts croissants de leur fonctionnement ;
- les personnes concernées elles mêmes et leurs familles subissent un reste-à-charge de plus en plus important, que ce soit en établissement dont le coût sapproche en moyenne de 1500 par mois, - et largement plus en zone urbaine - ou à domicile, lAPA ne permettant pas de couvrir tous les besoins.
Le défi démographique ne fait que renforcer lurgence à agir. Je ne reviendrai pas sur le constat qui a été présenté de façon précise. Je veux seulement insister sur le fait que ce phénomène heureux de laugmentation de lespérance de vie met toutefois au défi nos systèmes sociaux.
Cétait déjà lobjet de la réforme des retraites conduite lannée dernière que de sadapter au vieillissement de la population. Il était du devoir de pouvoirs publics doffrir aux Français des perspectives davenir compatibles avec lévolution de la démographie.
Le chantier de la dépendance a également pour objet de garantir lavenir de nos dispositifs. Avec le débat, la réflexion est ouverte. Le Président de la République a simplement posé quelques principes qui guident les travaux du Gouvernement :
- il a refusé la piste du financement par lendettement et le déficit, qui reporterait sur nos enfants la charge du financement ;
- il a également rejeté demblée toute solution qui viendrait augmenter le coût du travail ;
- il sest opposé à ce quaucune autre option ne soit fermée par principe idéologique.
Les différentes solutions seront évidemment expertisées au regard de leur efficacité. Elles le seront aussi au regard des choix politiques quelles traduisent. Cest essentiel pour quelles soient acceptables pour nos concitoyens. Cest lobjet de ce débat que de rendre explicites des questions encore trop souvent implicites.
Cest ainsi que derrière les difficultés de financement signalées par les conseils généraux, nous sommes interrogés sur le modèle particulier de gouvernance du risque dépendance. Légalité de traitement sur le territoire sappuie traditionnellement sur la solidarité nationale. Toutefois, le rôle joué par les conseils généraux dans la construction des réponses à nos aînés est reconnu de tous. La nécessité de réponses dans la proximité tenant compte des caractéristiques de lenvironnement de vie des personnes est centrale. Quel niveau de responsabilité locale cela implique-t-il dans le financement ?
Par ailleurs, sil émane un consensus en faveur du maintien dun socle de solidarité, il y a sans doute une place pour la prévoyance, au moins à titre complémentaire. 5 millions de Français ont dores et déjà souscrits des contrats dassurance, considérant sans doute quil était de leur responsabilité de se prémunir, et de prémunir leur proche. Jusquoù la responsabilité individuelle peut-elle être invoquée ? Qui dailleurs est concerné par ce risque : la personne elle-même ? Ses proches qui sont ceux qui seront mis à contribution lorsque le risque survient ?
3/ Au-delà des questions de financement, et sans doute même avant elles, nous devons nous interroger sur la place que nous souhaitons faire aux personnes âgées dans notre société, sur les liens entre le vieillissement et la dépendance, sur la notion même dautonomie.
Je voudrais ainsi finir mon intervention par quelques interrogations. Nous navons en effet pas vocation à nous quitter ce soir en ayant bouclé le sujet. Je crois au contraire que ces échanges vont nous permettre de toucher du doigt les véritables questions de société que les questions financières nous ont fait lurgence de traiter.
1 - Face à la dépendance, les familles sont aujourdhui en première ligne. Ce sont les proches qui sorganisent pour apporter les premiers soins ou organisent les réponses portées par des tiers. LEtat na pas à remplacer les familles, mais à les accompagner. Considérons à la fois les limites de la présence familiale mais aussi la réalité des transferts financiers intrafamiliaux et intergénérationnels. Jusquoù la solidarité familiale peut-elle être mobilisée? Il y aura à mieux prendre en compte la situation des aidants, avec leurs projets de vie. Cest la condition dune société solidaire ; cest aussi la garantie de réponses durables.
2 Interrogeons-nous ensuite sur le modèle daccompagnement des personnes âgées dépendantes que nous voulons pour la France de 2020-2030. Celui-ci se met en place autour dune chaîne qui va du domicile à lhôpital en passant par le foyer-logement et les EHPAD. Laugmentation du nombre de personnes âgées dépendantes fait monter la pression sur le nombre de places dEHPAD, tout en appelant sans doute à une nouvelle répartition sur le territoire. Quel modèle de prise en charge des personnes âgées cela dessine-t-il ? Préalablement à toute décision aussi impliquante, il me semble nécessaire de réinterroger toute la logique de la chaîne de prise en charge. Entre le maintien à domicile ordinaire et lentrée en établissement, il y a la place pour des solutions innovantes qui proposent de nouvelles manières de vivre chez soi lorsquon a besoin de sécurité et daccompagnement. Lorsque lon voit le poids des dépenses des personnes âgées admises aux urgences et à lhôpital en général, on ne peut sinterdire de penser quil y a là par exemple des champs doptimisation. Sans compter que cela ouvre des perspectives de réallocation stratégique de moyens.
3 Une dernière question concerne la prévention. Limpact du vieillissement sur les besoins liés à la dépendance nest en effet pas inéluctable en raison des progrès permis par la prévention. Certes les nouvelles prévisions du groupe de travail national présidé par Monsieur Charpin ne nous conduisent plus à privilégier comme scénario central celui où toute nouvelle année de vie gagnée nest plus une année en bonne santé. Nest-ce justement pas une invitation à agir ? Or, nombreux sont ceux qui peuvent et doivent contribuer à la prévention de la dépendance : au-delà des acteurs classiques de la santé publique, il faut en particulier citer les villes et les agglomérations dont les politiques daccessibilité ou de cohésion sociale permettent de lutter contre lisolement, limmobilité, la désinsertion sociale, facteurs de fragilité des personnes âgées.
Mesdames, Messieurs,
Dautres questions soulevées cet après-midi mériteraient sans aucun doute dêtre reprises. Pour ne pas prolonger davantage ces échanges riches et déjà longs, je marrêterais sur ces trois aspects qui minterrogent particulièrement.
Je vous remercie.
Source http://ars.sante.fr, le 3 mai 2011